Pendant les trois années passées à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, entre 1927 et 1930, mon père Ionel et son frère jumeau Aurel avaient un excellent ami, lui aussi élève de l’école.
Nicolas Sassi, grec d’Alexandrie, était venu en France pour suivre les cours d’une Grande Ecole d’ingénieurs. Il avait fait toute sa formation en Egypte et il était très fier de son « excellent français ».
On le voit d’ailleurs sur la photo de promotion 1927 au troisième rang à droite, tête nue, juste à côté de mon oncle Aurel, alors que mon père Ionel se trouve au premier rang, tout à gauche de l’image.
Mais, quelques temps auparavant, Nicolas, en voyage d’études « au pays minier » à Montceau-les-Mines, envoyait une carte postale à ses amis où il écrivait :
«Mes amis Aurel et Ionel,
Je suis debout depuis 5 heures moins le quart pour ne rien faire. Ce salaud d’ingénieur en chef m’a presque engueulé, parce que je n’avais pas prévenu. Il m’a fait attendre depuis 2 heures moins le quart jusqu’à 5 heures. Il m’a promis de visiter demain à 8 heures la centrale. Je ne sais pas si je réussirai de visiter l’atelier de traitement du charbon et de faire une descente à la mine. Diable, ça sera une catastrophe de dépenser 150 frs pour ne rien faire.
Salut et à dimanche.
Nicolas »
Nous ne savons pas si la visite que Nicolas avait prévue a pu se faire. En tout cas, elle n’aurait pas eu une grande utilité puisque Nicolas Sassi a fait, par la suite, toute sa carrière aux Chemins de Fer helléniques où il a fini comme directeur.
Mais en 1930, avant de quitter l’Ecole, Nicolas Sassi a offert à ses amis une photo dédicacée. On le voit en uniforme avec un début de calvitie précoce, qu’il cachait parait-il d’un geste de la main, en demandant avec un léger accent chuinté : « N’est-ce pas que je chuis beau ? ».
La dédicace dit : « à mes amis Aurel et Ionel avec qui j’ai passé les trois meilleures années de ma vie ».
En lisant la dédicace, Ionel s’est aperçu que Nicolas avait oublié une lettre dans le mot « meilleures ». Bonne occasion de le prendre par dessus la jambe en lui disant : « Eh bien, Nicolas, toi si fier de ton français … Tu ne peux pas écrire dix mots sans faire une faute d’orthographe ! »
Bien sûr, qu’après quelques minutes de joyeuses chamailleries Nicolas a pu corriger l’erreur pour ne pas la laisser passer à la postérité et, ainsi, sauver son honneur.
C’est vrai qu’à cette époque on ne se posait pas la question s’il faut écrire « nénuphar » avec « f » ou avec « ph » !
Adrian Irvin ROZEI, Saint-Etienne, février 2016
*« Marteaux » : le nom traditionnel des élèves des Mines à cette époque, devenu « mineurs » par la suite
« Monsieur Hirsch », à qui Nicolas envoie ses « respects et civilités », était un candidat-élève roumain qui, n’ayant pas réussi l’examen d’entrée, profitait de l’argent de son papa menant la belle vie à Saint-Etienne.