Un Phileas Fogg sur le Nil (V)

Boulogne, 30 mai 2023

 

Entre le 28 avril et le 25 juillet 2022, le musée du Louvre présentait l’exposition « Pharaon des deux terres ». 

Une fois de plus, il s’agissait du « Pays de Koush », même si les organisateurs ont choisi un titre qui leur semblait plus « vendeur » !

« Trois capitales » ou « Deux terres » : c’est la même Jeannette, autrement coiffée !

Mais, pour moi, c’était une excellente occasion de découvrir la synthèse d’un phénomène historique, dont j’avais découvert les bribes pendant près d’un demi-siècle.

Voici comment le « Figaro » présentait, dans un article du 9 mai 2022, cette exposition :

« Pleins feux au Louvre sur les pharaons soudanais

Partis du sud, ces souverains ont unifié la vallée du Nil à partir de 720 avant notre ère. Le musée ressuscite cette dynastie en 200 objets, statues colossales ou fins bijoux venus de Khartoum et du monde entier.

…des pharaons… de la XXVe dynastie (713-655 av. J.-C.), bien moins célèbres que les Ramsès, bien plus récents qu’un Toutankhamon, dont le bref règne fut antérieur d’environ six siècles et demi. » 

Et, plus loin :

« Les historiens modernes les surnomment les pharaons noirs. Mais Vincent Rondot, directeur du département des antiquités égyptiennes et commissaire, compte parmi ceux de plus en plus nombreux qui ne retiennent pas cette appellation ; lui préférant celle de «kouchites», du nom du royaume originel, celui de Kouch. »

Moi aussi, je me rappelle d’avoir vu, à la fin des années ’70, quand j’allais tous les matins passer une demi-heure au Musée du Caire, avant de rencontrer mes clients, la momie d’une reine noire, parfaitement conservée.

Elle était si jeune et si belle, les yeux ouverts en verre avec la pupille noire, que l’on aurait dit qu’elle allait vous parler !

A l’époque, les momies des pharaons ou de leur entourage étaient exposées dans le grand hall d’entrée du musée. C’est ainsi que j’ai pu « étudier » de près, à quelque 30 cm, le visage du pharaon Ramsès II, à son retour après avoir subi un traitement aux rayons gamma au centre nucléaire de Saclay. Ceci l’a sauvé d’une décomposition due à un champignon microscopique.

Je ne savais pas, à l’époque, que j’allais partager avec le grand pharaon une autre « spécialité » : une spondylarthrite ankylosante, dont certains médecins opineraient que « je bénéficiais », un demi-siècle plus tard !

Même que c’est moi qui leur ai appris que l’association pour l’étude de cette maladie s’intitule « Ramsès II » !

Depuis, les médecins se « battent » à coups de théories contradictoires (aussi) à ce sujet !

N’empêche que, grâce à cette exposition, j’ai appris énormément de choses sur les pharaons kouchites.

Par exemple, que Taharqa, le plus connu de ces rois, est cité dans la Bible !

Que les rois du Pays de Kouch ont gagné, en seulement dix ans, trois sièges et trois assauts. Et, j’ai été impressionné par les distances « pharaoniques » que leurs armées arrivaient à parcourir en si peu de temps !

Une autre surprise :

« Le parcours se termine de manière surprenante par un groupe de cinq statues neuves. Ces « hypothèses d’archéologues » ont été fabriquées par imprimante 3D à partir d’ensembles de débris lapidaires découverts en 2003 dans une fosse du site soudano-nubien de Doukki Gel. Ces réalisations représenteraient au plus près les effigies détruites de cinq rois napatéens. »

Mais, ce qui m’a le plus touché, parmi les pièces exposées dans les salles du Musée du Louvre, a été la présence de « la statue-cube de Padiamenopé ».

Je connais bien l’un de ses équivalents du Caire… depuis près d’un demi-siècle !

A l’époque elle m’avait été « présentée » par mon agent égyptien, devenu un très grand ami, Aleko Paraskevas.

Il était tellement « amoureux » de cette statue, qu’il a souhaité en faire une copie en marbre noir et l’installer… sur son balcon ! Mais, le prix, le poids et, surtout, la façon de la faire monter… au 8ème étage de son immeuble, sis à la place Midan-Tahrir, juste en face du musée du Caire, l’ont dissuadé !

Par la suite, à chaque passage au musée du Caire, j’allais dire « Bonjour ! » à Padiamenopé (ou à son équivalent !). Et je m’assurais qu’elle portait toujours, dans la main droite, la fleur de lotus !

Ce n’est qu’au Louvre, en 2022, que j’ai appris la signification des « statues-cube » :

« Les statues-cubes représentent leur propriétaire qui attend, assis sur le sol, le défilé des officiants du temple afin de profiter, littéralement, du passage des offrandes qui y transitent quotidiennement. »

J’avoue que, moi aussi je rêve d’une Padiamenopé (au lotus !) assise au fond de notre jardin, dans le Languedoc !

Et, si c’était possible, je m’engagerais à lui apporter quelques offrandes, régulièrement !

Mais, comme dans le cas d’Aleko, je crains que tout ceci ne restera qu’un rêve !

 *   *   * 

J’ai laissé pour la fin l’histoire qui, peut-être, m’a le plus amusé parmi toute celles que j’ai vécues en 50 ans de visites au « Pays de Koush » !

Je vous la reproduis, telle qu’elle a été publiée, en roumain, après le retour de notre croisière de 2002.

Et qui a généré le titre de ce texte !


« UN PHILEAS FOGG SUR LE NIL »


« Winter Hotel », Louxor, jeudi 17 janvier

J’étais déjà en Égypte depuis cinq jours et je n’avais pas encore trouvé de nouveau sujet pour ma chronique mensuelle. 

En vain, j’avais promis à ceux qui m’accompagnaient une récompense exceptionnelle de 100 USD à celui qui découvrirait le nom d’un Roumain gravé dans la pierre d’un temple de la vallée du Nil. 

Certes, deux de mes partenaires dans cette aventure étaient plus intéressés par une invitation au McDonald’s du coin que par les 100 $ ! 

Cependant, j’avais remarqué que parmi les dizaines de voiliers qui parcouraient les eaux agitées de la première cataracte du Nil, la plupart arboraient les couleurs d’une nation, correspondant probablement à ceux visitant ce lieu à l’histoire millénaire.  

Cela aurait été plus qu’un rêve, une véritable folie d’imaginer que quelque part, sur l’une des voiles triangulaires, gonflées par le vent, le drapeau tricolore roumain puisse exister ! 

En fait en Egypte tout est possible. Car le Nil est une exception en soi. 

Nulle part sur terre il n’y a une rivière de 6000 Km (la deuxième plus longue au monde !) qui n’ait aucun affluent sur la majeure partie de son cours.  

De plus, le Nil peut aussi être navigué sans moteur, car à la descente on est poussé par le courant, et à la remontée par le vent qui, curieusement, souffle dans le sens Nord/Sud. 

C’est pourquoi tant de voyageurs, depuis la plus haute antiquité, jusqu’à l’invention de la “machine à vapeur”, ont pu visiter cette région et admirer ses merveilles architecturales accumulées au cours de milliers d’années. 

Mais maintenant, il s’agissait de gagner un pari : trouver un lien entre Ramsès II et Bucarest ou entre l’histoire nilotique et celle danubienne. 

Soudain mon fils me tire par la manche :

 « Papa, papa, regarde cette felouque ! C’est le drapeau roumain ! » 

En effet, à travers le viseur des jumelles, je vois au loin une felouque avec une voile qui porte un drapeau tricolore semblable à celui de la Roumanie. Serait-ce vrai ou est-ce une illusion ? Dur à dire ! 

Les bateaux égyptiens ont deux types de voiles. 

Le plus souvent triangulaires, mais parfois aussi carrées, de type « voile latine », comme on peut l’apercevoir sur les bas-reliefs du temple de la reine Hatchepsout, d’il y a trois mille ans.  

Les barreurs décident de hisser tout ou partie de la voile, puis de la replier ou de l’enrouler le long du mât à moitié ou en totalité. Qui peut les comprendre la raison sans connaître leur art ! 

Cette fois-ci, la toile est complètement gonflée par le vent et, en effet, dans le coin inférieur, on pourrait dire que le tricolore bien connu est affiché. Mais tant d’autres drapeaux pourraient être tricolores et similaires ! 

Une idée folle me vient à l’esprit ! Et si une fois dans ma vie je jouais le rôle de Phileas Fogg ? 

Je m’approche du timonier de notre navire et lui murmure à l’oreille :

 « 20 Livres égyptiennes si vous rattrapez ce navire !» 

Et d’un geste décidé je désigne la felouque qui disparaît au loin. 

Soudain une activité fébrile s’installe sur le bateau.  La grand-voile se lève, les cordages se tendent, les poulies en bois claquent, le navire bondit en avant et se déplace comme le vent. 

Les autres touristes, qui ne comprennent pas ce qui est arrivé aux marins, se révoltent : « Pourquoi sommes-nous si pressés ? Nous avons tout le temps ! Vous nous aviez promis deux heures de navigation ! » 

Du coup, le timonier et ses hommes ne comprennent plus aucune langue européenne. Eux qui, espérant obtenir un plus gros pourboire, parlaient même le japonais il y a quelques minutes ! 

Moi, pour occuper mes compagnons du groupe, je leur demande :

« Que voyez-vous ? Les couleurs sur la toile sont-elles “noir-jaune-rouge” ou “bleu-jaune-rouge” ? » 

Une discussion très animée s’engage. Une moitié les voit de cette façon et l’autre moitié les voit de l’autre ! Tout le monde veut avoir raison et insiste pour que le bateau aille plus vite. 

Le barreur et l’équipage sont ravis. Ils ont toutes les chances de gagner 20 Livres Egyptiennes ! 

Cependant, entre-temps, l’équipage du bateau que nous suivons, et qui ne sait rien du drame qui se déroule derrière lui, a décidé de plier la voile en deux, de sorte que maintenant le drapeau suédois est bien visible de l’autre côté de la voile.

En fin de journée, le vent est tombé et les deux bateaux se sont arrêtés. Mes compagnons de voyage insistent : « Plus vite, plus vite ! » 

Mais, tout ça ne peut pas nous aider :  pas de vent, pas de mouvement ! 

On dirait qu’on est dans une finale de “Coupe de l’America”, même s’il n’y a pas de coupe d’argent avec une histoire de 150 ans et une hauteur de 1,50 mètre à gagner. 

Enfin le vent se lève, les deux navires démarrent et nous nous rapprochons suffisamment pour prendre en photo le navire avec la voile… arborant le tricolore roumain ! 

Je sors un billet de 20 LE de ma poche et j’annonce :

 « Je tiens ma promesse ! 20 LE pour l’équipage ! » 

Tout le monde est satisfait : moi, j’ai eu la photo souhaitée, l’équipage peut boire (en cachette) ce soir et mes collègues confirment :

“Bien sûr, c’est “rouge-jaune-bleu” ! 

Et tout cela pour la somme ridicule de 5 $ ! 

Adrian Irvin Rozei

Égypte, janvier 2002

 


 

« Ramsès II & l’or des Pharaons » 

C’est la nouvelle exposition qui se tient à la Halle de la Villette, à Paris, du 7 avril au 6 septembre 2023.

Je serais bien allé revoir « mon ami de trente ans », Ramsès II à la Villette. 

Mais, lui ne sort plus d’Egypte ! Alors, pour voir le sarcophage et les bijoux, que j’ai admiré tant et tant de fois « in situ », mais présentés maintenant dans un décor de béton et de verre… 

Merci ! Trop peu pour moi !

 

Adrian Irvin ROZEI

Boulogne, mai 2023

One thought on “Un Phileas Fogg sur le Nil (V)

  1. Adrian,tricolor romanesc are cele trei culori dispuse pe verticala (nu ca cel din fotografia ta.

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