Un Phileas Fogg sur le Nil (II)

Boulogne, 30 mai 2023

 

Mon premier voyage au « Pays de Koush » date de 1974.

A cette époque, profitant d’un changement d’employeur, je me suis autorisé deux mois de vacances, que j’ai passé au Moyen-Orient.

L’idée de ce voyage a germé dans mon esprit au moment où l’un des inspecteurs des installations dont j’avais obtenu le contrat, et qui était devenu un ami, m’a invité à son mariage au Caire.

J’ai profité de cette invitation pour passer, d’abord, un mois en Egypte, puis un autre mois en sillonnant le Liban, la Syrie, la Jordanie pour finir en Israël, avant de m’envoler pour la France. 

Bien sûr, dans ce voyage construit « pas-à-pas », je ne pouvais pas laisser de côté ni la Vallée du Nil, ni Assouan, ni Abou Simbel !

J’ai démarré par un voyage, en train de nuit, plus rapide, moins onéreux et… plus folklorique !

Ce voyage m’a laissé un souvenir inoubliable ! Le voilà, au moins pour le premier tronçon :

« Pour remonter la Vallée du Nil, on m’a recommandé de prendre au Caire le train de nuit. 

Ce que j’ai fait ! Avec une première étape Le Caire – Louxor. 

C’était à la fin du mois de septembre, en plein Ramadan, et il faisait une chaleur comme en plein été.

J’avais réservé une couchette en Ière classe, puisque les prix étaient scandaleusement bas pour nous autres, ceux venus d’Europe.

Il faut dire aussi que le confort était… d’une autre époque ! 

Le train était composé de voitures… soviétiques importées, certainement, à l’époque de Nasser. En seconde classe… c’était l’horreur !

Mais, en première, nous n’étions que deux passagers par cabine, sur de larges banquettes en velours bleu… usé jusqu’à la trame. 

La cabine, plutôt spacieuse, tapissée de bois marqueté marron foncé avec des filets jaunes, possédait un coin avec des sanitaires, qui a dû être très propre et élégant… une quinzaine d’années auparavant. Mais qui, maintenant, était dans un état déplorable avec la cuvette fêlée et… je n’insisterai pas sur d’autres détails ! 

Sur le quai de la gare, un jeune homme très moderne, un peu grassouillet, habillé d’un complet en lin beige, avec plein de pochettes et de stylos, à la manière d’un apparatchik égyptien, m’a présenté en anglais son père, avec qui j’allais partager la cabine, et m’a prié… de prendre bien soin de lui ! 

Le père… c’était tout le contraire du fils !

Un vrai fellah de la Vallée du Nil, mince, de haute taille, avec une petite moustache poivre et sel, habillé d’une « galabieh » bleue et coiffé d’un turban en tissu de la même couleur.

Et qui, bien sûr, ne parlait pas un traitre mot d’anglais ! 

Une fois le train parti, nous sommes restés en tête-à-tête.

Mon compagnon de cabine a fait ses prières et a entamé l’Iftar (la rupture du jeûne), après toute une journée pendant laquelle il n’avait pas mangé, ni bu.   

Tout ce qu’il avait comme nourriture, c’était une barquette de dattes.

Il m’a fait signe de m’asseoir près de lui, sur la banquette basse, et a partagé son repas en deux parties. J’ai compris, tout de suite, qu’une moitié était pour moi ! 

J’étais gênée, mais… je ne pouvais pas refuser !

Je n’ai pris que trois ou quatre dattes, lui laissant les autres.

Après quoi, il s’est allongé sur sa couchette, tout habillé, et il a dormi non-stop… jusqu’à Louxor ! » 

Pour la suite du voyage, j’ai continué toujours en train, jusqu’à Assouan, mais de jour !

*   *   * 

A Assouan, j’aurais aimé habiter au fameux « Old Cataract Hotel », là où ont logé tous les grands personnages historiques qui ont visité l’Egypte, depuis le Tzar Nicolas II et Agatha Christie jusqu’à l’Aga Khan III et le roi Farouk, à l’époque.

Sans soupçonner les noms de ceux qui allaient suivre, jusqu’à nos jours, et qui étaient encore des « illustres inconnus », mais qui, pour la plupart, jouaient déjà des coudes pour pouvoir allonger la liste des « hôtes prestigieux » de l’endroit ! 

Seulement, moi je n’avais pas les moyens de me payer un « palace de luxe » ! Et je ne soupçonnais même pas que… ce n’était que « partie remise » !

Mais, comme chante un personnage célèbre d’une opérette d’Offenbach, le roi Ménélas, pour ne pas le nommer : « N’anticipons pas ! » 

Alors, j’ai choisi l’hôtel voisin, appelé « Hôtel Kalabsha », beaucoup moins cher !

Comment aurais-je pu savoir que ce bâtiment, assez récent, dominait de ses neuf ou dix étages le « Old Cataract » et qu’il jouissait d’une vue bien meilleure sur la première cataracte, l’île Eléphantine, le mausolée d’Aga-Khan… enfin ! toutes les « attractions » de l’endroit.

Encore plus ! N’ayant pas de piscine, le « Khalabsha » avait passé un accord avec le « Old Cataract » et j’avais accès à leur piscine et, bien entendu, au bar et à la terrasse du Palace !

Il a suffi que j’embobine la réceptionniste de l’hôtel pour obtenir une chambre dans les étages supérieurs du « Kalabsha », avec une vue « imprenable » sur le site.

J’ai été tellement « amoureux » de cette vue que j’ai développé et agrandi la diapo prise depuis le balcon de ma chambre et je l’ai gardé au mur dans mon bureau jusqu’au « dernier jour de ma vie active » (comme ils disent !).

 A côté de cinq ou six autres images prises dans les différents pays d’Amérique Latine ou du Moyen-Orient dont j’ai eu la charge.

J’avoue que le choix de ces photos n’a pas été une chose facile ! Et, même si j’ai remplacé deux ou trois fois quelques-unes de ces images, celle d’Assouan est restée au mur… tout le temps ! 

*    *   *

Bien sûr, pendant les quelques jours que j’ai passé à Assouan, en septembre 1974, j’ai visité non seulement les sites touristiques de l’endroit, mais aussi la ville, les marchés, les musées etc.

Ce fût un moment « béni des Dieux » !

En plein Ramadan, au mois de septembre, il n’y avait pratiquement pas de touristes. Mais, toutes les nuits, il y avait dans les rues des tentes, brodées avec des motifs floraux traditionnels, où les orchestres et les solistes chantaient à tue-tête, pendant que les hommes fumaient le narguilé.

Avec la gentillesse proverbiale des « fellah » de la Haute-Egypte, comme si j’étais l’un des leurs, ils m’offraient à boire et à manger, et m’invitaient à m’assoir près d’eux, comme si j’étais un invité de marque.

C’est à ce moment que j’ai découvert une « spécialité » de la Haute-Egypte : les arachides grillées dans le sable brûlant ! Un régal !

Tout comme le pigeon farci ou le « Foul moudammas », la Mouloukhiyya  et le felfela… et tant d’autres « spécialités » égyptiennes.  Accompagnés des salades baladi « multiples et variés ».  

Pour ce qui est des bamiah, dolma, kofta, kebab, bâklava, tahina, houmous…  je ne faisais que retrouver des plats que j’avais connus dans mon enfance, en Roumanie, même si, parfois, un peu « adaptés » aux traditions locales.

Ce n’est pas par hasard que j’affirme depuis un demi-siècle que « je suis un Oriental » ! Mais, j’avoue que, par moment, le vin ou la bière me manquaient ! Et je me « consolais », pour les boissons alcoolisées, dans les grands hôtels.

On ne peut pas tout avoir… en même temps ! 

  *    *    *

Parmi les objectifs importants de ce premier séjour au « Pays de Koush », dont à l’époque je ne connaissais pas le nom, on comptait, bien sûr, l’île de Philae. J’ai fait sa visite… en bateau !

Parce que, à ce moment, ni l’île, ni le temple n’existaient pas !

C’était le moment où l’île de l’antiquité venait d’être noyée, la nouvelle île était en cours de « remodelage », à partir d’une autre terre voisine, et le temple se trouvait… en mille morceaux, dans des caisses en bois, bien numérotés, comme un puzzle géant !

Nous avons fait le tour, en bateau, de la future île, nous avons « admiré » les batardeaux en tôle ondulée qui l’entouraient et les photos montrées par le guide… de l’ancien temple, tel qu’il n’existait plus ! Aucun intérêt !

Et, ce n’est pas la peine de ressortir les diapos prises à l’époque !

En revanche, la montée, à dos de chameaux, jusqu’au Mausolée d’Aga-Kahn, juste en face de l’hôtel « Old Cataract », est restée marquée dans ma mémoire ! D’autant plus que j’étais (presque !) seul.

« Le mausolée de l’Aga Khan est situé à 3,5 km de la gare d’Assouan et a été construit par Muhammad Shah, connu sous le nom d’Aga Khan III. Il était le chef spirituel de la communauté chiite ismaélienne en Inde. 

Le mausolée de l’Aga Khan est considéré comme l’une des plus importantes attractions touristiques de l’Égypte historique, qui reflète le style urbain distinctif de la période de la domination fatimide du pays.

 Il s’agit du tombeau de l’Aga Khan III (Sultan Muhammad Shah), décédé en 1957, et est situé sur la rive du Nil dans la ville égyptienne d’Assouan. Ce mausolée s’inspire de la conception des tombeaux fatimides égyptiens. Le mausolée a été construit en pierre calcaire rose, la tombe elle-même a été construite à partir du ”marmary de karrara” blanc, et a été conçue par un architecte égyptien.

La raison pour laquelle l’Aga Khan s’est rendu à Assouan : Comme il souffrait de douleurs osseuses et de rhumatismes, et devant l’échec des plus grands médecins du monde pour le soigner, un de ses amis lui a conseillé de visiter Assouan en Egypte, pendant la saison d’hiver.

L’Aga Khan est venu à Assouan en 1954, accompagné de sa femme et de son entourage. Il était assis sur un fauteuil roulant, étant incapable de marcher. Il logeait à l’Hôtel Cataract, l’hôtel le plus prestigieux d’Assouan.

Ici, il a bénéficié du savoir-faire des anciens nubiens sur les questions de la médecine. Le cheik lui a conseillé d’enterrer la moitié inférieure de son corps dans le sable d’Assouan trois heures par jour pendant une semaine.

Malgré les moqueries des médecins étrangers, Agha Khan a suivi le conseil du cheik nubien. Après une semaine d’inhumation quotidienne de sa moitié inférieure, Agha Khan est retourné à l’hôtel à pied.

Agha Khan décida de se rendre à Assouan chaque hiver. Mais il n’a pas accepté d’être le client d’un hôtel. Il demanda au gouverneur d’Assouan d’acheter la zone où il était soigné. Le gouverneur d’Assouan accepta et Agha Khan fit venir des ouvriers, des ingénieurs et des architectes pour construire un mausolée à sa mémoire dans la zone qui l’avait guéri de la maladie.

Mort d’Agha Khan : L’Aga Khan est mort dans sa maison (la Villa Blanche) et n’a été enterré dans ce mausolée que deux ans après sa mort. La Bégum, son épouse, a demandé au jardinier de mettre une rose sur la tombe, quotidiennement en son absence d’Assouan.

Sa femme était Miss France en 1930, et son nom d’origine avant sa conversion à l’Islam était Yvonne Blanche Labrousse. Après la mort de son mari, elle est retournée en France où elle est morte à “Le Cannet”, en 2000, à l’âge de 94 ans.

Son corps a été plus tard transféré à Assouan pour être enterré à côté de son mari dans le mausolée. Bien que le mausolée soit une attraction touristique majeure à Assouan, selon l’avis de l’Autorité égyptienne de promotion du tourisme, en 1997, sa femme a fermé le mausolée au public afin que son défunt mari puisse reposer en paix et que personne ne le dérange.

L’intérieur le mausolée est de couleur vive, en marbre massif, et son tapis rouge est encore préservé. Tous les visiteurs doivent rester calmes sur le chemin qui mène à l’entrée du mausolée de l’Aga Khan pour trouver un parc et un jardin de chant ( ?). Après la visite du mausolée de l’Aga Khan, vous pouvez redescendre du plateau en passant par la zone voisine des chevaux ou des chameaux. »

Celle-ci est la présentations des guides touristiques sur place. Mais, en 1974, à mon passage à Assouan, les hordes touristiques d’aujourd’hui n’existaient pas encore, donc j’ai pu entrer dans le mausolée et admirer la rose rouge sur le fond blanc immaculé de la tombe !

Et, pour le retour, je suis descendu à pied pour pouvoir admirer le Nil, qui coulait « en majesté », parmi les énormes pierres noires, entaillées de grandes hiéroglyphes, depuis le temps des pharaons.

C’était la fin de l’après-midi, le soleil était en train de se coucher dans le désert, la chaleur du jour s’estompait doucement…

J’ai pris l’habitude de retourner, jour après jour, au même moment sur la terrasse du « Old Cataract » pour siroter mon « gin and tonic ». J’ai repris cette (bonne) habitude, à chaque passage dans la ville pendant quatre décennies !

Il parait que d’autres, même présidents de la République Française, en faisaient autant. Mais, je pense qu’eux n’ont découvert cette joie… qu’après moi !

Il semblerait que François Mitterrand ait visité l’Egypte, à l’occasion d’un rapide séjour en 1949, lorsqu’il était ministre de l’Information. Mais, son amour pour Assouan est né seulement trente-cinq ans plus tard.

*    *    *

Un autre « objectif » essentiel de mon voyage au « Pays de Koush » était Abou Simbel.

Encore une fois, j’ai fait « a mi manera », comme chantent les sud-américains dans le fameux « My way ! ».

J’ai pris l’avion jusqu’à Abou Simbel, mais je suis revenu en « hydrofoil ».

C’était une « fausse bonne idée » !

Bien sûr, je suis arrivé assez tôt le matin, pour éviter la chaleur mortelle du désert en pleine journée. Mais le retour, qui a pris quelques heures, sur un bateau tremblant et bruyant, de fabrication soviétique, au milieu d’un paysage aride, totalement désertique, ne présentait aucun intérêt.

Sauf le prix, deux fois moins cher que celui de l’avion ! Et, quand on part pour deux mois, ayant décidé de faire le tour du Moyen-Orient, à l’âge de 27 ans… c’est aussi un élément à prendre en considération !

Mai, surtout, un enseignement à prendre en compte… pour les prochaines visites. Et, je vous le promets, « moi, je n’ai rien oublié », comme chante un certain Charles A. !

 

A suivre…

 

Adrian Irvin ROZEI

Boulogne, mai 2023

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