Un Phileas Fogg sur le Nil (I)

Boulogne, 30 mai 2023

 

Ce texte est dédié à la mémoire de Aleko Paraskevas, mon ex-agent en Egypte et grand ami, qui m’a appris énormément de choses et m’a fait aimer son pays de naissance, alors qu’il provenait lui-même d’une famille grecque, originaire de Rhodes. Merci beaucoup, Aleko !  

 

Trois capitales pour un royaume

La revue italienne « Antiquariato », du mois de février 2023, présente sous ce titre l’exposition en cours au « Getty Villa museum » de Los Angeles.

« La richesse et la splendeur de la société et de la culture nubiennes sont les protagonistes de l’exposition avec laquelle le « Getty Villa museum » de Pacific Palisades, près de Los Angeles, présente la collection d’objets en provenance du « Museum of fine arts » de Boston.

L’ancienne Nubie est la région, au long du Nil qui, depuis l’âge du bronze aux premiers siècles après Jésus-Christ, a vu la naissance de l’une des premières civilisations de l’Afrique centrale et qui, maintenant, couvre l’Egypte méridionale et le Soudan septentrional.

Riche de vastes ressources, la Nubie a développé des réseaux commerciaux non seulement avec l’Egypte, mais aussi avec la Grèce et Rome, comme le décrivent dans l’exposition les bijoux, les sculptures et les objets de facture raffinée, expression d’un pouvoir et d’une forte identité, retrouvés dans les tombes royales et aristocratiques. 

Les objets exposés sont le fruit des fouilles réalisées au Soudan par une expédition qui, entre 1913 et 1932, a rassemblé les efforts réunis de l’Université de Harvard et du musée de Boston…

En 3000 ans, connues sous le nom de « Royaume de Koush », les capitales Kerma, Napata et Meroë ont créé leur propre style… »     

L’article de la revue italienne présente aussi quelques bijoux et objets de culte de cette région, que l’on pouvait admirer dans l’exposition… jusqu’au 3 avril 2023. Un peu loin et tard pour moi !

Mais, ce sujet ne m’était pas inconnu !

Je peux affirmer que j’ai rencontré le « Pays de Koush » pendant un demi-siècle ! Puisque ma première visite dans cette région date de 1974 !

J’y ai même trouvé des liens inattendus avec « l’espace mioritique » !

Pour ceux dont ce terme n’est pas familier, je précise que :

« Espace mioritique = espace géographique roumain dont le relief vallonné avec montagnes et collines est propice au berger ; univers spirituel roumain spécifique dont la matrice est représentée par l’espace géographique roumain (dans la conception de Lucian Blaga).

Pour mémoire : Lucian Blaga (né à Lámkerékcomitat de Szeben, le 9 mai 1895 et mort à Cluj, en Roumanie, le 6 mai 1961) est un  philosophethéologien et poète roumain. Il était membre de l’Académie roumaine. »

Voici ce que j’écrivais (en roumain), il y a une vingtaine d’années :

Feuilles de journal (égyptiennes)

BADITA TRAIAN (LE TONTON TRAJAN, EN FRANÇAIS) AVEC LES HIEROGLYPHES

 

Philae, mardi 15 janvier

Tous les typographes du monde connaissent les “caractères Trajan”, les plus nets et les plus clairs lorsqu’il s’agit d’enchaîner un titre ou un texte sur la page blanche. 

Ces caractères, semblables à la calligraphie qui figure sur la colonne Trajane à Rome, ont même été choisis par le journal “Le Monde” pour la nouvelle maquette du journal, qui se veut plus “impactante” et dans un esprit plus moderne.

En fait, la plupart des typographes pensent que l’histoire de leur art a commencé en 113 après J.-C. avec les coups de ciseau des sculpteurs dans le marbre de Carrare de la Colonne. 

Cependant, cette manière d’écrire, telle qu’elle se faisait dans l’Antiquité, présente un problème majeur : elle n’existe qu’en majuscules ! 

Trajan et les hommages qui lui ont été rendus ont également été gravés dans la pierre et dans d’autres matériaux, encore de son vivant. Mais pour les voir, il faut parcourir près de 3000 Km depuis Rome, dans le désert de Nubie, près d’Assouan.

* * *

La Nubie fut depuis les temps les plus reculés la principale source d’or utilisée en abondance par les pharaons égyptiens. Le nom même de ce pays vient du mot “nub” qui signifie “or” dans la langue des pharaons. 

C’est pourquoi le « Pays de Koush », comme l’appelaient ses habitants, a été pendant des siècles le champ de bataille et le point de passage entre l’Égypte méditerranéenne et le Soudan africain.

De plus, la population nubienne est composée de deux types ethniques : les Égyptiens sémitiques et les Éthiopiens africains. 

Les Nubiens ont fourni à l’Égypte, dès la plus haute antiquité, non seulement de l’or, mais aussi de la diorite, du granit, du jaspe, du bois de sycomore ou d’acacia pour la construction de bateaux, des peaux, du lin et des troupeaux de bétail.

Lorsque, enfin, à l’époque du Nouvel Empire (1580 à 1085 av. J.-C.) les armées de Thoutmosis et des Ramsès occupèrent le Pays de Kouch, la Nubie devint une région associée de l’Égypte et commença la construction de dizaines de temples disséminés le long de la vallée du Nil.  

A cette époque, la frontière sud de l’Égypte s’était déplacée de la première cataracte, près de la ville d’Assouan, à la quatrième cataracte, dans l’actuel Soudan.

Mais le temple de l’île de Philae est beaucoup plus récent, car le fragment le plus ancien, le portique de Nectanebo Ier, date de l’époque de la XXXe dynastie entre 378 et 260 av. J.-C., quelques années avant l’arrivée d’Alexandre le Grand en Égypte et le début de la dynastie ptolémaïque. 

Même si l’île et le temple de Philae étaient dédiés aux dieux Isis et Osiris, longtemps vénérés dans la mythologie égyptienne, les nouveaux maîtres du pays ont poursuivi non seulement leur culte, mais même l’embellissement et l’agrandissement des sanctuaires existants. 

C’est ainsi que furent construits, durant l’occupation romaine, sous les Ptolémées, le grand temple de la déesse Isis, avec ses deux piliers monumentaux, le petit temple de la déesse Hathor et surtout le kiosque de Trajan. 

En effet, les Romains ont compris, comme les Grecs avant eux, que la meilleure solution pour occuper ce pays aux traditions ancestrales était de s’installer dans l’espace abandonné par les autorités du passé.  

Ainsi, les empereurs romains, déjà déifiés chez eux dans une autre religion, sont devenus des dieux et des pharaons en Égypte. C’est ainsi que furent créées les six dynasties romaines qui régnèrent en Égypte entre 30 avant J.-C. et 395 après J.-C. 

Trajan, le conquérant de la Dacie, faisait partie de la dynastie des Antonins, entre Nerva et Hadrien. Il a laissé d’innombrables monuments et œuvres d’art civil en Égypte, dont un canal qui reliait le Nil à la mer Rouge, longtemps appelé « Traianos », et diverses constructions qui ont permis la régularisation du cours du grand fleuve. 

A Alexandrie, véritable capitale de l’Egypte à cette époque, un Arc de Triomphe fut édifié pour célébrer la victoire de Trajan sur les Daces et plusieurs temples furent érigés en l’honneur de celui qui fut surnommé : “Traian Dacicus”. 

En Nubie, l’administration de Trajan, qui a vu passer cinq préfets en 19 ans, a développé le réseau routier, notamment dans le sud de l’île de Philae. 

Le kiosque de Trajan, dans l’île de Philae, est considéré comme un sommet architectural au sein du temple appelé par Théophile Gautier “la perle de l’Egypte”.  

Et David Roberts note dans son journal de 1838 que le kiosque de Trajan lui a donné l’impression que les sculpteurs et bâtisseurs venaient de quitter le chantier. Et il ajoute que la pierre semble si légère et les détails si délicats et clairs, qu’il pouvait à peine imaginer qu’il regardait une ruine vieille de 2000 ans. 

Cette construction inachevée coïncide avec l’apogée du culte de la déesse Isis en Égypte, qui dura jusqu’au VIe siècle, sous le règne de l’empereur Justinien, lorsque l’évêque Théodore transforma le temple en église. 

Trajan est représenté dans deux bas-reliefs à l’intérieur du kiosque, présentant des offrandes à la déesse Isis et au dieu Osiris. Il est vêtu du costume et porte les insignes des pharaons qui ont régné sur la Haute et la Basse Égypte.  

L’inscription qui accompagne la scène porte également le cartouche écrit en hiéroglyphes avec son nom officiel, c’est-à-dire en grec :

 «AVTOHRATOR KAISAR NERVAS TRAIANUS SEVASTOS GERMANIHOS », l’équivalent du nom latin « CAESAR NERVA TRAIAN AUGUSTUS GERMANICUS ». 

Malheureusement, une partie de la figure et les parties apparentes du corps du “Pharaon Trajan” et des divinités, à qui il présente l’offrande, ont été brisées au marteau, probablement à l’époque où le temple fut transformé en église. 

Mais la vraie catastrophe a été évitée dans les années ‘70, lorsque toute l’île a dû être noyée dans les eaux du Nil à cause de la stabilisation du niveau de l’eau du fleuve, à la suite de la construction du grand barrage d’Assouan.  

Déjà la construction de l’ancien barrage en 1902 avait entraîné périodiquement la noyade presque complète du temple. 

Après 1974, l’île et le temple devaient disparaître définitivement au fond du lac. Heureusement, un effort international exceptionnel a permis de sauver l’ensemble du complexe en déplaçant 49 000 blocs de pierre, taillés, numérotés et réinstallés sur une île voisine, à laquelle on a donné artificiellement la forme et le profil de l’île de Philae, à quelques dizaines de mètres de l’emplacement d’origine. 

Le nouveau « Philae » fut inauguré le 10 mai 1980. 

* * *

Parmi ceux qui se souviennent encore de “l’intronisation du président Ceaușescu” dans les années ‘60, peu se rappellent le scandale du télégramme envoyé par Salvador Dali, félicitant le dictateur à l’occasion de la “remise du sceptre républicain“. 

Le grand peintre croyait « dur comme fer » que Trajan étant né dans la péninsule ibérique, la royauté roumaine était une continuation de la gloire espagnole. 

Comme Nicolae Ceauşescu recevait régulièrement des clés d’or, dans les villes qu’il visitait, ou des cadeaux des mains d’acteurs déguisés en personnages de l’histoire roumaine, peut-être que, s’il avait connu l’existence des bas-reliefs de l’île de Philae, il aurait organisé une cérémonie où il aurait reçu les offrandes du pharaon Trajan, comme les dieux Isis et Osiris ! 

La meilleure preuve que, comme l’on dit en français : “Le ridicule ne tue plus de nos jours !

A suivre…

 

Adrian Irvin ROZEI

Boulogne, mai 2023

One thought on “Un Phileas Fogg sur le Nil (I)

  1. Je découvre une page d’histoire ancienne PASSIONANTE.
    Je vous embrasse tous les deux.
    Henri.

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