Boulogne, 28/01/2025
Feuilles de journal
En sortant du musée, j’étais un peu déboussolé.
J’avais envie d’assouvir ma frustration en me plongeant dans une ambiance « moyen-orientale » !
Comme a chaque fois que cela me prend, je suis allé au restaurant « Samaya », dans la rue de la Saussiére. Ici, je suis sûr de rencontrer quelqu’un avec qui je peux « échanger » des avis où des impressions sur ce sujet. Surtout, à propos du Liban et de la Syrie.
C’est pour ça que je m’installe toujours dans la première salle, près de l’entrée, là où arrivent ceux qui commandent des plats à emporter et qui disposent de quelques minutes d’attente. Mais, aussi, le patron et sa famille, que je connais depuis… pas mal d’années.
Dans ce restaurant, je suis sûr de bien manger ! Toujours, des plats traditionnels, comme ceux que je savourais dans les maisons de mes amis libanais, dans les années ’70 –’80.
Je déjeunais, en ce temps-là, parmi les enfants de la maison et les invités ou les membres de la famille de passage. Il y avait toujours un « invité surprise », qui, quelque fois, ne faisait que picorer un mezze ou deux, entre deux séances de shopping ou deux rendez-vous d’affaires !
Et, en écoutant leur conversation, dont je ne comprenais qu’un mot ou deux (ceux prononcés en français !), j’avais l’impression d’être (très) au courant des potins de la ville de Beyrouth. Quelques fois, le déjeuner « s’éternisait » pendant 2 ou 3 heures, en fonction du programme de travail prévu pour l’après-midi. Et, les plats, multiples et variées, se succédaient les uns après les autres.
Comme je complimentais la maîtresse de maison pour leur qualité et variété, elle faisait venir dans la salle à manger la cuisinière, une brave femme de la campagne, auprès de qui je réitérais mes félicitations. Ainsi, au bout d’un moment, elle connaissait mes goûts et mes faiblesses culinaires et essayait de les satisfaire !
Mais, même à 30 ou 35 ans, il arrivait un moment où je ne pouvais plus avaler… une seule bouchée. Alors, la maîtresse de maison, d’un ton faussement naïf, elle qui arborait une taille de guêpe, me demandait : « Monsieur Rozei, vous suivez un régime ? »
Enfin, …tempi passati !
* * *
Chez « Samaya », je prends toujours la même chose :
-je commence par les trois salades : taboulé, houmous, aubergines
-puis, sans même regarder la carte, je prends le plat du jour, qui est toujours un plat cuisiné typiquement libanais, qui change tous les jours.
Aujourd’hui, le plat du jour est « Ardi chawki ».
La présentation du restaurant dit : « Cœur d’artichaud avec sa sauce citronnée, jarret d’agneau servi avec riz aux vermicelles »
Il s’agit de la « version courte » du « Ardi chawki » !
La « version longue » serait… trop longue pour être inscrite sur un menu.
« Ardi Chawki (ou Yakhnit Al-Ardi Shawki) est un délicieux plat libanais à base d’artichauts et de viande. Voici une description de ce plat :
Ingrédients principaux : Artichauts, viande (souvent du mouton ou du bœuf), oignons, épices (comme le baharat), et parfois des pignons de pin.
Préparation : Les artichauts sont d’abord cuits jusqu’à ce qu’ils soient tendres. Ensuite, la viande est marinée et cuite avec des oignons et des épices. Les artichauts sont ajoutés à la viande cuite et le tout est mijoté jusqu’à ce que la sauce épaississe.
Ce plat est souvent servi avec du riz et des radis, et il est garni de pignons de pin frits. »
Moi, je suis un « fan » de ce plat !
Pourquoi ? Simple !
Il me rappelle mon enfance : « Iahnia » de mes grands-parents !
Le principe est le même : une espèce de « ragout ». Les ingrédients peuvent varier, mais le principe reste le même : « … le tout est mijoté jusqu’à ce que la sauce épaississe. »
J’en ai parlé, déjà, dans le texte :
Un autre message de Hürrem (II) | ADRIAN ROZEI
Où je disais : « Le yahni est un plat traditionnel algérien ancien, il s’agit grossièrement de beignets de poulet en sauce. »
C’est ce qu’affirme Wikipédia ! Qui ignore l’existence de la préparation, appelée en roumain « iahnie » ! Le même mot « jouit » d’orthographes multiples et variés, en fonction des orgueils nationaux des grammairiens.
Mais, en cherchant le même mot… en roumain, on trouve, toujours dans Wikipédia :
« Iahnia (turc yahni, bulgare iahnija) de haricots ou de fèves, est un plat traditionnel roumain que l’on trouve dans la plupart des régions du pays.
A l’occasion de la fête nationale roumaine, lors des repas organisés dans différentes villes, est servie une casserole d’haricots, généralement avec un os à la viande ou des saucisses et des cornichons. »
En vérité, il s’agit, encore une fois, de plats turcs répandus autour de la Méditerranée. Bien sûr, avec des variantes et dénominations locales. »
Pour ce qui est du désert, c’est encore un « standard » du Moyen -Orient : Mouhallabiyyé !
«Le mouhallabié (ou parfois mouhallabieh) est un flan au lait parfumé à la fleur d’oranger. Il est généralement servi avec du sirop de sucre et des morceaux de pistaches. Certaines recettes incorporent de l’eau de rose, de l’amande amère ou du miel.
Généralement associé à la cuisine libanaise, son origine remonterait aux Sassanides. Il se retrouve donc dans de nombreuses cuisines du Moyen-Orient (Turquie par exemple).
Donc, aussi en Roumanie ! Ou, plutôt, en Valachie, là où l’influence turque est la plus marquée. Et, comme moi je suis né Valaque …tout s’explique !
Pour arroser tout ça, je commande un quart de rosé. Français ou libanais… selon l’humeur du moment !
Mais, il y a une autre raison que la gastronomie libanaise qui me fait retourner régulièrement dans ce restaurant !
Elle tient… à la décoration de l’endroit !
Dès ma première visite chez « Samaya », j’ai fait le tour des salles et regardé attentivement la décoration. C’est ce que je fais dans tous les restaurants, surtout quand il s’agit de régions ou pays que j’ai déjà visité.
Mais, dans ce cas, j’ai été davantage surpris que d’habitude. Les tableaux accrochés aux murs représentent des vues du Liban. Rien d’étonnant dans un restaurant… libanais !
Sauf que, j’ai reconnu des vues similaires à celles peintes par un de mes artistes favoris : David Roberts !
J’ai parlé, d’innombrables fois dans mes textes de ce peintre du XIXe siècle.
Reprenons, quand même !
« David Roberts, né le 24 octobre 1796 à Stockbridge dans la banlieue d’Édimbourg et mort le 25 novembre 1864 à Londres, est un peintre écossais connu pour ses aquarelles représentant la vie au Moyen-Orient avec les scènes de village et les monuments. L’ensemble de ses 248 lithographies sont regroupées en six volumes. »
Pour la partie qui nous concerne ici :
« Avec deux compagnons anglais, il part pour la Terre Sainte le 7 février 1839. Ils sont accompagnés de cinq serviteurs armés. Ils portent tous un costume local et sont portés par des chameaux. Ils vont jusqu’à Baalbek, mais il tombe malade et décide le 8 mai de repartir pour Beyrouth, puis de gagner Alexandrie et revenir en Angleterre.
Il arrive à Londres, après deux escales, à Malte et Gibraltar, le 21 juillet 1839. Il montre ses œuvres originales, en obtient un grand succès et il est élu membre de la Royal Academy (RA) le 10 février 1841…
Le titre général de ses recueils est : The Holy land, Syria, Idumea, Arabia, Egypt and Nubia, que l’on peut traduire par : La Terre Sainte, Syrie, Pétra, Arabie, Égypte et Nubie. S’il met la terre Sainte en premier, c’est qu’il pensait que c’était là le but de son voyage, mais ce sont les gravures d’Égypte qui lui assurent la postérité. »
Ceci n’est pas tout-à-fait exact !
Dans chacun des pays du Moyen-Orient visité par David Roberts, on trouve en vente des livres, des cartes postales, des lithographies qui représentent les monuments du pays en question. Autrement dit, « chacun vend sa salade » !
Il n’y a qu’en France que l’on ne vend pas cette « salade » ! Parce que, David Roberts, ayant visité ou traversé la France, a immortalisé un nombre considérable de paysages et monuments français.
Surtout, du Nord de la France, jusqu’à la Vallée de la Loire. A mon grand regret, parce que j’aurais aimé découvrir sa vision du Languedoc, la région où je passe, depuis bientôt 20 ans, la moitié de ma vie !
Je n’ai vu qu’une seule fois ces gravures ! C’était dans une grande librairie de Buenos Aires.
« El Ateneo est une librairie de Buenos Aires, en Argentine, créée en 2000 dans un ancien théâtre. En 2008, le journal The Guardian l’a classée deuxième plus belle librairie du monde. En 2019, elle a été désignée comme la plus belle librairie du monde par le magazine National Geographic. »
Comme il s’agissait de deux volumes, comprenant la totalité de l’œuvre de David Roberts, le poids de l’ensemble pesait… près de 4 Kg !
Dans ces conditions, impossible de les acheter, alors qu’ils me restaient quelques 3 ou 4 pays à parcourir, avant de rentrer à la maison !
Revenons à nos moutons (sans sauce) !
J’ai, quand même, la grande chance de posséder 4 livres contenant les gravures de David Roberts, en couleurs ou en noir et blanc, en français et en anglais, achetés, au fur et à mesure de mes voyages, chacun présentant une partie de ses dessins.
Je m’en suis servi, plus d’une fois, pour illustrer mes textes, je les ai transportés quelques fois sur place, pour comparer l’état des monuments vus par l’artiste anglais avec ce qu’ils sont aujourd’hui.
Ceux qui ont de bons yeux, ont, certainement, remarqué l’album de David Roberts dans le montage présentant le temple de Kôm Ombo, au début de ce texte.
Retournons maintenant à « Samaya » !
Cette fois-ci, j’ai décidé de faire les choses… sérieusement !
J’ai pris des photos des tableaux exposées sur les murs du restaurant et, une fois à la maison, je les ai comparés avec ceux contenus dans mes livres.
Eh bien, j’ai retrouvé toutes ces localisations (sauf une !) parmi les lithographies de David Roberts !
Il faut dire que M. Georges, le propriétaire du restaurant, m’avait expliqué leur origine.
Un jour, vers 1998, il avait découvert dans l’aéroport de Beyrouth, quelques cartes postales qui lui ont plu ! Il les a acheté et demandé à un peintre de les reproduire, afin de décorer son établissement.
Excellente initiative ! Tout au moins à mes yeux, qui aime ce peintre au point de décorer une des chambres de notre maison du Languedoc avec deux des gravures de David Roberts !

Ste. Catherine par David Roberts
Elles représentent le Monastère Sainte-Catherine, au cœur de la Péninsule du Sinaï, qui a été construite, sous le règne de l’empereur Justinien, par des paysans venus des contrées du sud de la Roumanie !

Ste. Catherine aujourd’hui
Je vous ai déjà dit que chacun tente de « vendre sa salade » ?
Voici encore une preuve :
File de jurnal (egiptene) (I) | ADRIAN ROZEI ou
Feuilles de journal (égyptien) (I) | ADRIEN ROZEI en Google traduction (français)
En un mot, comme en cent, voici la liste des vues du Liban, que l’on peut retrouver sur les murs de « Samaya » :
- L’arrivée à Baalbek (29 avril – 3 mai 1839)
- Le sanctuaire de Baalbek (4 – 5 mai 1839)
- Le portique du temple de Bacchus (8 mai 1939)
Il me reste une seule vue que je n’ai pas pu retrouver !
Encore du boulot en perspective !
Adrian Irvin ROZEI
Boulogne, janvier 2025
SERVICE SPRES VENTE
Boulogne, 11/02/2025
A la recherche d’images et documents pour illustrer ce texte, je tombe, dans un ancien album, sur cette image, qui accompagne un mail daté du 12/01/2020. Je le reproduis ici sans aucune modification :
« Avant que ça ne sente le caramel dans tout Boulogne, je me suis consolé de l’absence des « glaces pour personnes diabétiques » en dégustant une « mouhalabieh » dans un (excellent !) restaurant libanais.
Ce dessert est mon préféré, au Liban, comme en Egypte !
On peut « contrôler » sa teneur en sucre en variant la concentration des additifs dans le liquide déversé à la dernière minute. Et y ajouter des parfums locaux (roses, citrons jaunes ou verts, pistaches, fleur d’oranger etc.), ce que je ne fais JAMAIS. Je la prends « nature » !
https://cuisine.journaldesfemmes.fr/recette/350087-mouhalabieh
Avant, ce fût d’abord « les mézés » (houmous, tahina, caviar d’aubergines et, bien-sûr, le traditionnel taboulé à la libanaise et non le « taboulé » à la française !
Suivi de ce que l’on nomme en Roumanie, « l’Imam baialdî » (en turc : « l’Imam a crevé ») : une aubergine farcie à la viande hachée. Il semblerait que l’imam aimait tellement ce plat et il a tant et tant mangé…qu’il a fini par crever !
Il se pourrait que ce nom provienne de l’aspect de l’aubergine dans l’assiette : on dirait un gros bide crevé !
Au fait ! On faisait cette astuce vaseuse sur les diabétiques, attribuée dans l’image jointe à José Arthur, dans la Roumanie des années ’60, en passant près d’un crématorium. Sans mentionner Jeanne d’Arc, bien-sûr !
Rien de nouveau sous Ra ! »
Encore moins… cinq ans plus tard !
Complément d’information
Voici le tableau manquant, qui représente le port de la ville de Sidon, au sud du Liban.
Image prise à l’occasion d’une nouvelle visite chez “Samaya”. Ici, en compagnie de M. Georges, le propriétaire du restaurant.
M. Georges de “Samaya” à Boulogne écrit:
“Bonjour monsieur, j’espère que vous allez bien.
Un grand merci pour ce récit chaleureux. Au plaisir de vous revoir. Cordialement”
M.B.G. de Sion (Suisse) écrit:
“Bonjour Adrian,
En Turquie, en tout cas dans « ma »région, on ne connaît pas le yahni, par contre le muhallebi oui, mais je préfère le sütlâç au four avec des grains de riz et, sur le dessus, une peau « brûlée » au four. Süt veut dire lait.
Vos plats évoquent de puissants souvenirs gustatifs orientaux
Avec mes meilleurs messages
MBG “