Feuilles de journal
Toulouse, 07/07/2017
Je suis à Toulouse après 16 années d’absence !
Je ne sais pas pourquoi, mais Toulouse est aussi une ville chère à mon cœur.
Et pourtant, ce n’est pas un endroit facile : trop « continental », très chaud en été, trop humide en hiver, loin des montagnes, comme de la mer, ce sont aujourd’hui des handicaps insurmontables.
Mais, l’unité architecturale, la couleur dominante, le rose des briques, l’élégance des monuments, la Garonne qui la traverse, les coupoles qui se reflètent dans l’eau, les ponts de pierre éclairés par des lampadaires style XIXè siècle, m’ont toujours fait penser à Rome. Ce qui, pour moi est la référence absolue !
Même si une certaine « faune », concentrée d’antan près de la gare, s’est éparpillée maintenant un peu partout dans la ville.
Mon histoire personnelle avec Toulouse a démarrée en 1971.
Pour mon premier « voyage d’affaires », ce fut à la SNPE de Toulouse.
J’accompagnais alors un chef de département chevronné, qui devait me montrer à moi, jeune « ingénieur d’affaires débutant », comment on traite avec un client important.
Je ne me souviens pas de quoi nous avons parlé (plutôt eux, puisque moi je faisais surtout de la figuration !) pendant les deux heures de négociation. Mais, je me rappelle très bien les deux heures passées à table au déjeuner avec le client. Et surtout de la « tarte des demoiselles Tatin », douceur découverte à cette occasion et qui reste, à ce jour, un de mes desserts préférés.
A partir de 1994, et pendant près d’une décennie, je suis retourné au moins trois ou quatre fois par an à Toulouse.
Nous avions, à cette époque, dans la banlieue de Toulouse, l’usine qui fabriquait le meilleur produit au monde ! L’ OLAN (Nitrate d’Ammonium Industriel), pour ne pas le nommer ! Et, à ce jour, malgré tant d’années passées depuis sa création, personne n’a réussi à l’égaler. Ce produit, employé dans les mines et les chantiers des travaux publics, était exporté dans quelques 80 pays au mode.
Qui plus est, on produisait à Toulouse une variante, un « petit produit » très bien valorisé, la matière première utilisée pour la fabrication d’un anesthésiant, employé dans le domaine de la santé. Une excellente occasion d’entrer en contact avec une industrie totalement différente de celle des explosifs.
J’aimais bien aller à l’usine de Toulouse !
Là-bas, on était toujours reçu à bras ouverts, à la différence de l’usine du Pas-de-Calais, qui avait toujours quelque chose de plus important à faire que de recevoir mes clients, arrivés des pays de Cocagne dont j’avais la charge.
Et puis, à Toulouse, je pouvais raconter à mes hôtes tant d’histoires locales qui faisaient partie de mon « patrimoine génétique » : le Canal du Midi, les Wisigoths, Carlos Gardel et le tango, la croix du Languedoc, les Cathares, Saint Sernin… Tant de références qui faisaient le lien avec mes souvenirs d’enfance et que j’avais découvert au fur et à mesure de mes visites dans la région.
Après quoi, je les emmenais à la Place du Capitole, pour leur montrer les peintures de Moretti, illustration vivante de mes propos.
Parlant de la Place du Capitole, nous couchions au Grand Hôtel de l’Opéra, un ancien couvent du XVIIè siècle transformé après 1789 en Lycée de la Révolution, avant de devenir l’Ecole de Danse de l’Opéra de Toulouse. Depuis 1980, ce bâtiment emblématique est devenu un hôtel particulier et le grand établissement hôtelier que l’on connaît aujourd’hui.
Là-bas, dans le décor Napoléon III, inchangé depuis des décennies on se sentait comme des princes russes du XIXè siècle et il suffisait de traverser la cour pour dîner dans le restaurant « Le Jardin de l’Opéra », où officiait le chef étoilé Dominique Toulousy, superbe coïncidence d’homonymie !
J’avais pris l’habitude d’aller de bon matin, avant de partir pour l’usine, visiter la cour intérieure de la Mairie de Toulouse, le fameux « Capitole ». C’est ainsi qu’un jour j’ai croisé Monsieur le Maire Dominique Baudis, dont le visage m’était familier depuis l’époque où il était journaliste, présentateur du « Journal Télévisé » à la télévision française. Je l’ai salué et, pensant que j’étais un habitant de la ville, il s’est détourné de son chemin pour venir me serrer la main.
Et, tout d’un coup, le 21 septembre 2001, la catastrophe, le malheur, l’horreur, la guigne, la malchance … !
A 10h18, un bâtiment annexe de l’atelier avec lequel je travaillais, a explosé faisant une trentaine de morts et quelques 2500 blessés dans la ville. Parmi les 21 victimes décédées à l’intérieur de l’usine, au moins deux étaient des personnes que je connaissais bien, avec qui j’avais travaillé ou que j’avais côtoyé dans l’entreprise. Sans parler du Directeur avec qui j’avais participé à plusieurs stages de formation et avec qui j’avais longuement discuté pendant des soirées entières.
Tout d’abord, ce fut la surprise ! Puis, l’incompréhension et le refus de l’évidence. A suivi le temps des interrogations et des doutes devant l’empressement des pouvoirs publics, de tout bord politique, d’écarter certaines pistes.
Pendant de longs mois, j’ai découpé, classé, répertorié tout article, information, étude … en rapport avec ce drame. J’ai même été appelé une ou deux fois à intervenir dans le processus de recherche d’une explication de la cause de l’accident.
Peine perdue ! Malgré une centaine de tonnes de papier noirci et plusieurs procès et recours, aucune explication claire et nette ne s’est dégagée à ce jour. Et la décision choisie par la Cour n’a pas convaincu grand monde ! La preuve est qu’en ce moment, 16 ans après les faits, un nouveau procès est encore en cours.
Par intérêt évident et par esprit de solidarité avec l’inculpé, qui souffre le martyre depuis plus d’une décennie et demi, j’ai assisté en janvier et en mars de cette année à plusieurs séances au Palais de Justice de Paris.
J’ai compris alors que la justice, comme l’église, a « l’éternité » devant elle. Peut-être pas les êtres humains !
* * *
Après une absence de près de deux décennies, je suis de retour dans la Ville rose pour quelques jours.
Cette fois-ci, je suis venu à Toulouse grâce à une invitation pour assister au concert de Trio Tanino dans le cadre de « Tango postale », le « Festival International de Tango », qui se déroule à Toulouse entre le 30 juin et le 9 juillet 2017.
Arrivé à sa neuvième édition, le Festival de Tango toulousain totalise « 10 jours, 150 heures de bal, 80 évènements, 32 stages avec des orchestres & DJS internationaux ». Une manifestation qui se veut « conviviale et plurielle, reflet du tango et de la culture argentine investit les bords de la Garonne et les rues toulousaines ».
Pour ceux peu familiarisés avec cette forme d’expression artistique, on doit rappeler que Carlos Gardel, la figure de proue du tango argentin était né à Toulouse en 1890.
L’édition de cette année de « Tango postale » se propose de mettre à l’honneur les cent ans de la « Cumparsita, véritable hymne du Rio de la Plata qui résonne dans toute oreille chaque fois que retentit le mot « tango » et annonce les dernières minutes du bal dans le monde entier ».
Le concert auquel j’allais assister était celui de Trio Tanino. Composé à l’origine de deux musiciens, le Tanino duo est devenu trio à partir du jour où une violoniste a intégré la formation initiale, composée d’un guitariste et un joueur d’harmonica. Le résultat est un assemblage de sonorités original.
D’autant plus qu’à cette occasion ils ont été rejoints le « Duo Luna », formé par un guitariste et un compositeur, bandonéoniste et chanteur.
Un moment de grâce dans le superbe auditorium de « Saint-Pierre des Cuisines », la plus vieille église du sud-ouest de la France, aujourd’hui salle de concert du conservatoire à rayonnement régional de Toulouse.
* * *
Après tant d’années d’absence, j’ai souhaité revoir les endroits que j’appréciais tellement dans les années ’90.
J’ai retrouvé avec grand plaisir la Place du Capitole, les « vignettes » de Moretti, les quais de la Garonne, l’église Saint Sernin…
J’ai revisité avec joie le Grand Hôtel de l’Opéra où j’ai eu le sentiment que rien n’avait changé depuis mon dernier passage dans ces lieux. Peut-être la disparition du restaurant indien, qui, de toute façon, n’avait aucune raison de se trouver ici. Et qui a été remplacé par une salle dédiée aux petits-déjeuners dans des couleurs claires et acidulées.
Mais, quand j’ai voulu déjeuner au restaurant « Les Jardins de l’Opéra », j’ai eu un choc ! Cédant au dernier cri d’une mode qui se veut « épuré et design », des tables sans nappes et un mobilier géométrique enlevaient tout charme à un restaurant qui se vante d’être « une adresse emblématique de la Ville Rose ». Par moments, je me suis demandé s’il n’y avait pas eu une confusion de genres avec l’autre enseigne du même chef, intitulée « La Cantine de l’Opéra » !
Heureusement que dans la même cour on peut déjeuner à la « Brasserie de l’Opéra », un endroit mythique, ayant vu passer tous les grands acteurs du théâtre, du cinéma et du music-hall français depuis près d’un demi-siècle. Et pas seulement ceux-ci ! Passage attesté par les photos accrochées au mur de l’établissement. Dans un cadre qui donne l’impression d’être inchangé depuis le XIXè siècle, avec, comme dit un célèbre critique gastronomique, « une manière délicieusement surannée » !
* * *
Le moment fort de mon retour à Toulouse se devait d’être la visite de l’ancien site de l’usine AZF. En réalité, de la « Grande Paroisse », le vrai nom de l’établissement au moment de la catastrophe. Dans lequel j’ai travaillé près de 15 ans, jusqu’en 2007.
Retrouver l’ancienne localisation de l’usine n’a pas été une chose évidente ! Rien n’était indiqué sur le plan de la ville et, à l’Office du Tourisme, on n’a pas su m’indiquer l’emplacement du mémorial. Mais, comme je savais qu’un centre de recherche sur le cancer, l’Oncopole de Toulouse, avait été construit sur les lieux, je me suis dirigé dans cette direction. Et après quelques tâtonnements, j’ai trouvé le bâtiment situé à l’entrée de l’ancienne usine, dont je me souvenais. Heureusement que le site n’est pas clôturé. Autrement, je n’aurais pas pu y pénétrer !
Même si j’avais vu en photo le monument élevé à la mémoire des victimes, la lecture de leur nom m’a profondément bouleversée. Elle m’a fait revivre, en une fraction de seconde, la journée inoubliable du 21 septembre 2001.
Je ne connaissais pas le nouveau mémorial, érigé en 2012, juste à côté du lieu de la catastrophe.
De prime abord, j’ai été étonné, voire choqué par sa présentation. Mais, une fois à l’intérieur de l’assemblage, j’ai été saisi par un sentiment d’angoisse, voisin de celui ressenti en 2001, en apprenant la nouvelle. Tous les sens étaient sollicités. Le jeu de lumières, le fond sonore, la vision des tubes qui recréent le cratère et qui matérialise les noms des victimes… J’étais pris à la gorge !
D’autant plus que l’auteur de l’œuvre, le sculpteur Gilles Conan, était là, en train de faire un énième réglage. Grâce à ses explications, j’ai pu découvrir quelques subtilités de l’œuvre qui auraient nécessités probablement plusieurs visites avant d’être remarquées.
L’autre moment fort a été la vision de la friche qui recouvre le lieu même de l’explosion. Est-ce que la mémoire des hommes sera aussi envahie par les herbes folles de l’oubli ?
Apparemment, non ! Si je juge d’après quelques graffitis récents, de vraies œuvres d’art, qui rappellent la catastrophe d’AZF, sur les murs de la Ville Rose.
Adrian Irvin ROZEI
Toulouse, juillet 2017
le début de ton excellent reportage est plein d’amour: “Roma” anagramme d'”Amor”….mais le malheur d’AZF nous rappelle une grande tristesse le souvenir de notre jeune technicien, promu ingénieur de fabrication ,de trente ans qui venait de subir avec succès le diplôme d’ingénieur des Arts et Métiers après six ans de cours du soir, père de deux enfants…….quel bel avenir devant lui!!!!!!!!
merci pour les jolies photos qui permettent quand même un sourire
Jacques
Bravo Adrian pour ton excellent papier tout en nuances , as usual
Tu aurais du être journaliste full time job
Le problème aurait été que tu aurais eu moins de choses intéressantes à raconter…….
Pierre
Bravo Adrian pour ce beau reportage de cet accident hors norme.
Les descriptions des lieux cultes de Toulouse ont ravivé de vieux souvenirs de mes 18 ans.
Un baiser à Sabine , de la part de Dominique et Henri.