Feuilles de journal
…Et sur les femmes nues des musées, au gué, au gué
Faisait l’brouillon de ses baisers, au gué, au gué…
Georges Brassens, « Corne d’Aurochs »
La Havane, 11/12/2016
Tel que je me le suis proposé à la fin du texte « Sorolla en Paris », je suis parti à la recherche des tableaux du fameux peintre espagnol dans les pays que j’ai traversé pendant mon périple intercontinental du mois de décembre.
La première étape était la Havane.
N’écoutant guère les conseils du « Guide du routard », édition 2017, qui annonce la fermeture pour travaux du « Musée des Beaux-Arts » de la Havane, je suis allé voir sur place dès mon premier jour à Cuba. Très bonne surprise ! Le musée est ouvert, en excellent état, plusieurs expositions d’art contemporain sont en cours.
La section « Espagne » occupe tout un étage.
Dès l’entrée est exposé un grand tableau de Sorolla. Suivi dans une grande salle d’une dizaine d’autres tableaux, toujours de la facture « clair et éclatant de lumière », à l’exception d’un portrait plutôt sombre. Il y a même, au milieu de la salle, un buste en bronze de Sorolla. La gardienne m’a expliqué que le grand tableau exposé à Paris n’est pas encore de retour. Mais qu’en attendant, il a été remplacé par deux autres toiles. Aucun problème ! Il y en a encore une vingtaine dans les dépôts.
Assis sur un banc, au milieu du grand hall circulaire où sont exposées les toiles de Sorolla, j’ai essayé de deviner de loin quels étaient ses tableaux. En lisant de prés les étiquettes, je me suis aperçu que je me trompais sur l’auteur de bon nombre d’entre eux. C’est ainsi que j’ai découvert toute une série de peintres espagnols, contemporains avec Sorolla, plus ou moins brillants, mais que l’on pourrait regrouper dans une même école : « l’impressionnisme espagnol ».
Certains d’entre eux étaient d’ailleurs les élèves, voire même apparentés avec le grand artiste de Valence.
Qui connaît en Europe Zuluaga Zabaleta (1870 – 1945), Pons Arnau (1885 – 1955), beau-fils de Sorolla, Martinez-Cubells Ruiz Dios Ayuda (1874 – 1947), Banllier Gill (1885 – 1937), Brugada Panizo (1867 – 1919)… ?
Mais je reconnais que j’ai eu un faible pour la grande toile de Dominguez Sanchez (1840 – 1906), intitulée « Café Venecia ». J’aurais aimé vous la présenter, mais la gardienne, qui avait remarqué mon intention de prendre des photos, opération interdite dans le musée, me « marquait à la culotte », comme on dit sur les terrains de foot !
Cette découverte surprenante et inattendue me pose une question qui dépasse le cadre de cette exposition.
Nous avons vu et revu cent fois les tableaux des impressionnistes français. Sans parler des expositions « Cézanne », où la montagne Sainte-Victoire apparaît sous tous les angles et à toute heure du jour !
Pourquoi les impressionnistes espagnols ou les «macchiaioli » italiens ne « sortent jamais de leur réserve » ? Que dire des peintres roumains de « l’Ecole de Barbizon », dont le dernier passage à Paris date, si je ne me trompe pas, de 1992 ?
La raison serait que les curateurs considèrent que le public ne sait pas faire la différence ? Qu’ils ne souhaitent pas que des « nouveaux venus » remplacent les valeurs consacrées, faisant baisser ainsi leur valeur marchande ? Ou, tout simplement, parce qu’ils ne les connaissent et ne les apprécient pas ?
Le récent succès européen de l’exposition « Sorolla » est un démenti sanglant !
New York, 22/12/2016
La rencontre avec « Sorolla de New York » était celle que j’attendais avec la plus grande curiosité. Parce que ici il ne s’agissait plus de quelques tableaux accrochés selon la fantaisie de tel ou tel administrateur de musée ou des modes si passagères.
La présentation du musée « Hispanic Society of Arts », que tout un chacun peut lire sur Internet dit :
The Hispanic Society of America est un musée de New York sur l’art et l’artisanat espagnol, portugais et latino-américain. Fondé en 1904 par Archer M. Huntington, le musée est situé dans le nord de Harlem et au sud de Washington Heights, près du Trinity Cemetery, au 613 West 155th Street. Les collections comprennent des objets, des peintures, des livres rares. Une bibliothèque de recherche est ouverte au public sur Audubon Terrace. En 2005, l’institution reçoit la Médaille d’or du mérite des beaux-arts par le Ministère de l’Éducation, de la Culture et des Sports espagnol.
Le musée compte plus de 800 tableaux, 600 aquarelles, 1 000 sculptures, et 6 000 objets d’arts, y compris une collection de tissus. Elle possède aussi un ensemble de 15 000 gravures de diverses époques et plus de 175 000 photographies à partir de 1850. Parmi les joyaux de sa collection, la plus célèbre est La Duchesse d’Albe de Goya (1797).
Sont également exposées des œuvres de Vélasquez, LeGreco, Murillo, Zurbarán, et une salle décorée par de grands panneaux commandés pour ce lieu à Joaquín Sorolla.
En tout et pour tout 14 mots pour rappeler la présence de Sorolla !
Alors qu’à l’ouverture du musée, en 1909, avec une exposition consacrée à ce peintre, 160 000 amateurs d’art sont passés en 4 semaines devant ses œuvres ! Et qu’une salle abrite son chef d’œuvre « Vision of Spain », 14 panneaux mesurant près de 80 m de longueur, qui allait ouvrir en 1928, cinq ans après le décès de l’artiste. Qui a passé 8 ans, entre 1911 et 1919, a travailler pour la réalisation de ce « Carmen Secularae », au quatre coins de l’Espagne et dans son atelier de Madrid.
« Cette commande va dévorer les meilleures années de ma vie ! », avait prédit Sorolla en 1911, à juste titre.
Et pas que physiquement ! Pendant ces longues années de préparation dans toutes les régions de l’Espagne, Sorolla, profondément amoureux de son épouse, lui envoyait une lettre chaque jour pour alléger la douleur de leur séparation.
Mais les amateurs d’art anonymes ont ressenti le souffle qui se dégage de l’œuvre de l’artiste de Valence, bien plus que les « spécialistes » ex-beaux arts ! Pendant les trois années de fermeture du musée pour travaux, entre 2007 et 2010, près de 2 millions de visiteurs l’ont admirée en Espagne, à peu près autant que ceux qui se sont déplacés pour la voir sur les murs de l’« Hispanic Society of America » à New York, depuis son installation il y a près de 90 ans !
J’ai eu beaucoup de chance !
Le musée allait fermer une semaine après mon passage à New York pour une durée « d’au moins 2 ans ».
Ce qui n’était indiqué nulle part, encore moins sur le site Internet du musée !
* * *
Mais le «Hispanic Society of America» ne présentait pas sur ses cimaises que le panorama des paysages, costumes, fêtes, métiers, traditions folkloriques cristallisés par Sorolla sous le titre générique « Vision of Spain ».
Une dizaine d’autres tableaux, la plupart de très grande taille, étaient exposés dans le salon principal qui rappelle le cloître d’un monastère espagnol du Moyen-âge.
Sans parler de la quarantaine de tableaux qui dorment tranquillement dans l’aile ouest du bâtiment, fermée à la visite depuis 4 ans.
Tout ça n’est rien en comparaison avec les 356 tableaux de Sorolla exposés à l’ouverture du musée en 1909 !
Parmi les tableaux qu’on pouvait encore admirer au mois de décembre, deux ont attirés mon attention.
Le premier, intitulé « Idylle à la mer » représente deux enfants d’une dizaine d’années allongés dans l’eau de mer qui se regardent avec fascination. Le garçon est tout nu et la fille n’est vêtue que d’une longue chemise de bain, rendue transparente par l’eau. Rien de choquant. C’est l’âge de l’innocence !
Mais, à côté, un tableau intitulé « Après le bain » présente un couple de jeunes adolescents qui sortent de l’eau. Visiblement, ce sont les mêmes quelques 8 ou 10 ans plus tard : le garçon porte le même chapeau de paille, la fille arbore la même coiffure, la chemise mouillée est tout aussi transparente et l’attitude des amoureux tout aussi complice. Même que le cadre en bois des deux tableaux est identique !
Seulement, probablement pour cacher la nudité du jeune homme, celui-ci déploie un grand drap de bain qui doit aider sa bien-aimée à se sécher. Et celle-ci, avec un sourire un peu espiègle, est en train de défaire le nœud qui retient sa chemise.
Les deux tableaux sont datés 1908, ce qui laisse peu de doute sur la continuité de l’action dont on peut imaginer les différentes étapes.
Sous des apparences de Sainte Nitouche, Sorolla était un coquin !
Paris, 5/01/2017
Bien entendu, après cette course folle qui m’a mené de Madrid à Giverny* et de la Havane à New York, je suis allé là où tout aurait dû commencer : le « Musée d’Orsay » à Paris.
Il me semble évident que ce musée, dédié à l’art du XIXe siècle et à l’Impressionnisme, doit présenter l’œuvre de Sorolla. D’autant plus, que celui-ci a exposé régulièrement à Paris à partir de 1893 et, suite à ses succès répétés, a été élevé au rang d’officier de la Légion d’Honneur. Même qu’en 1894, un de ses tableaux, intitulé « Le retour de pêche –Le halage de la barque », a été acquis par l’Etat français pour le « Musée du Luxembourg ».
C’est bien cette immense toile (2,65m X 4,03m) qui occupe aujourd’hui tout un pan de mur, un peu à contre-jour, au « Musée d’Orsay ». Et on m’a affirmé que d’autres tableaux (2 ou 3 ?) se trouveraient dans les réserves du musée.
J’ai compris aussi, en regardant les noms des artistes exposés, qu’ils sont si nombreux et l’espace, somme toute, si réduit, qu’on ne peut présenter pas plus d’une œuvre pour chaque auteur !
Et bien, qu’est-ce qu’on attend ? Il en reste des gares désaffectées à Paris !
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, janvier 2017
*Cette première partie du voyage sur les traces de Sorolla a été décrite dans le texte « Sorolla en Paris » (en roumain !)
SERVICE APRES VENTE
J’ai une chance… de cocu !
Connaissant mon engouement pour l’œuvre du peintre espagnol, mes fils m’ont offert pour mon anniversaire un superbe livre « Sorolla and the Paris years », édité par la prestigieuse maison « SKIRA Rizzoli ».
Deux kilos et demi de texte (en anglais), de reproductions de tableaux, de croquis, de dessins préparatoires, d’échanges de courrier… Enfin, de quoi occuper les longues soirées d’hiver !
Mais, tout d’abord, je vais commencer par une visite au « Musée Sorolla » de Madrid. C’est prévu pour le mois de mars.
Je reviendrai, si je trouve d’autres surprises.
Jane écrit :
Cher Adrian,
cette fois je ne vais pas attendre le déluge pour te répondre et surtout te
remercier infiniment pour cette idée de génie que tu as eue pour me faire profiter de toutes ces merveilles. Ce peintre espagnol est pour moi un illustre inconnu, dont je n’ai jamais entendu parler, en particulier par des gens qui se disent connaisseurs !
Heureusement pour moi, je profite de tes investigations dans le monde de
l’art et je t’en suis vraiment reconnaissante.
Je vais essayer de passer par l’imprimante pour pouvoir les lire et relire à
satiété, les écrits restent comme on dit, et intéressent la postérité, il faut toujours œuvrer dans ce sens.
Estrella écrit :
Precioso reportaje!! Estoy segura de que la casa museo de Sorolla te encantará!! Abrazos
P.S. OJO: Zuluaga tiene una produccion muy reconocida en el mundo del arte. Claro que Paris no suele ser locuaz cuando de españoles se trata… solo lo hace cuando no puede dejar de hacerlo… así son las cosas!!
Anne-Marie écrit :
Ah ! Je ne connaissais pas ce peintre. Merci de l’information d’autant qu’hier je suis allée voir l’expo de Fréderic Bazille à Orsay et en ai profité pour me promener dans cette caverne qui en effet serait bien secondé en d’autres lieux.
Tu dois bien connaitre son œuvre du fait qu’il est originaire de ta province d’adoption.
Cette fin du XIX e siècle fut d’une richesse incroyable. Ecrivains, musiciens, artistes peintres l’ urbanisme aussi et le développement des transports etc., etc.
J’y suis plongée, en ce moment, en immersion totale de par mes lectures et mes visites ciblées.
Extra Adrian cette recherche7je en connaissais pas l’artiste
tres beau site que ton site
amitiés à tous
JM et consors