En sortant de chez « Polidor », nous avons suivi la rue Monsieur-le Prince, en direction du Bd. Saint-Germain, vers la station de métro Odéon.
Je dois avouer que, tout au long de cette rue, presque chaque maison me rappelle un souvenir… récent ou lointain !
Je revois avec beaucoup de nostalgie la devanture du restaurant « Au Père Louis » où nous avons fêté plusieurs évènements agréables.
Tout comme le portail sculpté, en bois, du no. 14, là où a habité le compositeur Camille Saint-Saëns, que je revois régulièrement sur le mur de Béziers qui rappelle le spectacle avec son Opera « Déjanire », présenté en 1898 à l’occasion de l’inauguration des Arènes.
Plus loin, au numéro 8, une plaque apposée sur le mur marque l’endroit où a habité :
AUGUSTE COMTE
Né à Montpellier le 19 janvier 1798
Fondateur de le Sociologie instituant
La RELIGION de l’HUMANITE
Ceci me rappelle le drapeau brésilien, avec son losange jaune sur fond vert, un ciel étoilé dans un cercle bleu, et la mention :« Ordem e progreso » (Ordre et progrès).
« Instauré lors de la proclamation de la république brésilienne en novembre 1889, ce drapeau a une histoire qui, …mérite d’être raconté. Son slogan, qui est celui du Brésil lui-même, mérite en particulier quelques précisions, car il a des origines lointaines : il a des origines françaises.
Mais avoir inspiré la devise du Brésil, qui est aujourd’hui la septième économie du monde, c’est un tout autre exploit. Et cet exploit revient à un philosophe français : Auguste Comte.
Auguste Comte est considéré en France comme le fondateur de la sociologie, quand bien même en Chine, ou au Maghreb (on pense évidemment à Ibn Khaldoun), une pensée sociologique était déjà née. Mais qu’importe. Quoi qu’il en soit, c’est la pensée de Comte, celle du positivisme, « L’amour pour principe et l’ordre pour base ; le progrès pour but », qui a fourni la devise brésilienne : Ordem e progresso. »
C’est un drapeau et une devise que j’ai admirée tant et tant de fois, pendant plus de 50 ans, à l’occasion de mes visites répétées en Amérique du Sud.
Mais, mon souvenir le plus poignant est attaché au numéro 9 de cette rue.
Et pourtant, aucune plaque n’y est apposée ! Alors que, à mon avis, elle justifierait pleinement son existence.
Pour expliquer mon affirmation, le plus simple est de reprendre ici un texte, que j’ai rédigé en 2014, et qui n’a jamais été publié. Le voilà :
Ay, que peña !
Au milieu des années ’70, j’étais en pleine période « colombienne ».
C’était mon premier marché en Amérique du Sud et je développais plein de nouveaux produits là-bas (poches pour le lait, films pour serres, revêtements de câbles électriques…). J’étais fourgué en Colombie tout le temps et je connaissais beaucoup de monde. Une de mes amies m’a donné alors les coordonnées de sa cousine, Carmenza, à Paris.
Carmenza était en fin d’études et, pour pouvoir vivre à Paris, s’occupait d’une dame âgée, qui habitait rue « Monsieur le Prince », à côté de l’Odéon, en plein quartier Saint- Germain. Elle était hébergée sur place, dans une chambre de l’appartement du fils de la vieille dame, au premier étage d’un immeuble qui doit dater du XVIIIème siècle.
La fenêtre de la chambre de Carmenza donnait sur la façade d’un immeuble, certainement de la même époque, où une fenêtre en demi-cercle est dominée par un mascaron, un visage de jeune fille. J’avais l’impression, chaque fois quand je le regardais par la fenêtre, que la jeune fille nous épiait avec un regard curieux et malsain.
C’est à ce moment que j’ai découvert qu’au pied de l’immeuble se trouvait un bar latino-américain, qui s’appelait « L’Escale ». Et Carmenza m’a expliqué que le propriétaire du bar s’appelait Rafael Gayoso, et qu’il était le fils de la vieille dame dont elle s’occupait. Et que c’est lui qui a fondé le groupe « Los Machucambos », réputé à cette époque en France, où il a introduit à partir de 1959, tous les grands succès de la musique latino-américaine. Même si Rafael est espagnol !
J’ai rencontré plusieurs fois Rafael et nous sommes allés, quelques fois, écouter la musique latino-américaine à « L’Escale ». En vérité, nous n’avions pas vraiment besoin de descendre, car…c’est plutôt la musique qui montait jusqu’à nous ! Et, dès que Rafael partait en voyage, c’est plutôt nous qui faisions concurrence à « L’Escale », puisque Carmenza organisait des soirées, invitant ses amis colombiens. Ainsi je me suis retrouvé, une fois, seul européen parmi dix ou douze sud-américains. Et fort gêné, car eux avait la musique dans le sang et dansaient comme des dieux, alors que moi je découvrais, à peine, la cumbia, la salsa, la Bamba…
Plus tard, j’ai organisé un voyage en voiture vers la Roumanie de cinq filles sud-américaines, dont Carmenza faisait partie.
J’ai revu Rafael plusieurs fois, dont une fois à l’occasion du mariage de Carmenza, qui a organisé une fête à Paris, pour ses amis français, même si elle habitait entre la Colombie et l’Allemagne.
Je suis revenu quelques fois à « L’Escale », qui n’a pas changé, à ce jour. Seulement la décoration intérieure, modernisé, et le répertoire du DJ, moins latino-américain que dans les années ’70. Mais le mascaron, la jeune fille, est toujours là, et, chaque fois quand je passe dans la rue, j’ai l’impression qu’elle est étonnée de ne pas me voir avec Carmenza.
Seulement, Carmenza vit aujourd’hui quelque part au centre des Etats-Unis et elle ne revient que rarement en Europe. Et, depuis qu’on a installé un digicode, même le nom de Rafael Gayoso n’apparaît plus sur la porte de l’immeuble.
* * *
Il a fallu que je tombe sur cet article, dans « Le Monde » de ce soir, pour comprendre que, sans le savoir, j’ai côtoyé dans les années ‘70, pendant l’année qu’a duré cette aventure, quelques-uns des monuments de la musique sud-américaine, sans le savoir.
Mais je me suis consolé en apprenant dans l’interview de Rafael Gayoso, qui parle de Violeta Parra, que :
On l’a engagée pour chanter à l’Escale. Elle n’avait pas beaucoup de succès ! Elle était en avance sur son temps. Et nous-mêmes qui étions chanteurs on n’arrivait pas à apprécier les choses merveilleuses qu’elle faisait. C’est après qu’on s’est rendu compte que c’était extraordinaire.
J’ai connu ses enfants, Angel et Isabel. Angel, je le vois fréquemment.
Moi aussi, j’ai connu ses enfants, ainsi que sa famille, à Santiago du Chili, où ils font de la musique chaque fin de semaine, dans le local appelé : Peña de los Parra »
Mais ceci se passait quelques trente ans plus tard et n’a rien à voir avec « L’Escale » d’aujourd’hui !
* * *
Je suis très déçu !
Je suis passé rue Monsieur-le-Prince, où je n’étais pas revenu depuis quelque temps. Et qu’est-que je trouve ? « L’Escale » n’existe plus !
Elle a été remplacée par un bar nommé « New Baghdad », l’intérieur est tout en cuir ou, probablement, plutôt en plastique bleu ou vert, même la façade semble peu soignée. Par la fenêtre on voit des « chicha » (pipe à eau comme au Moyen-Orient).
Je n’ai pas eu envie d’entrer.
D’autant plus que, la dernière fois quand je suis allé là-bas, j’étais en compagnie d’un ami mexicain et de deux autres de ses collègues de l’Ecole des Mines, tous dans la trentaine. J’avais proposé de finir la soirée dans cet endroit, sûr qu’ils ne seraient pas déçus. Mais, j’étais quand même un peu inquiet : au fond, plus de trente ans nous séparaient ! Leurs goûts seraient-ils les mêmes que les miens ? La musique jouée là-bas leur dira quelque chose ?
Nous sommes restés tard, jusqu’au petit matin. Et à la fin, un de mes collègues m’a dit : « C’est pas mal cet endroit ! Comment le connais-tu ? » J’ai marmonné quelque chose ; c’était trop long à raconter !
Mais maintenant que « L’Escale » n’existe plus, ça vaut la peine de raconter son histoire ! Et celle des « Los Machucambos ».
Adrian Irvin ROZEI
Paris, le 12 novembre 2014
* * *
Malheureusement, depuis près de 10 ans, je n’ai pas trouvé le temps d’écrire l’histoire des « Los Machucambos », à laquelle j’ai participé (un peu !) de près ou de loin, pendant un demi-siècle !
Maintenant, et je m’en réjouis, je découvre que d’autres s’en sont chargés !
Tant mieux !
Rafael Gayoso nous a quitté le 25 decembre 2015, mais un concert en hommage à sa mémoire a été donné en 2016.
Hommage à Rafael GAYOSO (Los Machucambos) – Chauny/Aisne 2015 – YouTube
Mais, d’abord, il faut visionner l’un des plus anciens enregistrements disponibles du groupe que, je le découvre aujourd’hui avec étonnement, j’ai écouté, la dernière fois, en novembre 2020 !
Los Machucambos et Los Chacos – El cóndor pasa – YouTube
Voici le texte mentionné, disponible sur Internet :
Maison Orange, Salsa et danses du monde – Entretien avec Rafaêl Gayoso
Pour ma part, je relève seulement les informations en rapport avec Violetta Para. Tout ceci, parce que j’ai eu la grande chance d’assister à l’une des soirées de « La Peña de los Parra », le « concert » improvisé qui se déroule chaque samedi à Santiago dans la maison, dans une banlieue pauvre de Santiago du Chili, qui appartient toujours à la famille de la grande vedette de la chanson chilienne.
C’est, aussi, grâce à cette expérience qu’à l’occasion d’un voyage à Rome, dans les années ’90, j’ai pu assister au concert du groupe chilien « Inti Illimani ».
Comme le stade était complet, je suis allé à l’entrée des organisateurs et j’ai raconté mes expériences chiliennes. Le gardien a appelé (qui ?) en précisant : « Il y a ici un chilien qui veut assister au concert ! ». Et ainsi, je suis entré… sans payer !
Rafael Gayoso se souvient :
« Violeta Parra est arrivée à l’Escale, dans les années 60 (1). Elle était hippie, elle s’habillait comme les hippies se sont habillés après. Elle avait beaucoup d’activités artistiques. Tiens j’ai ici un masque fait par elle. (Il me montre un superbe masque nacré accroché à son mur)… Un jour, elle nous a invité, Julia et moi, à dîner chez elle. Elle habitait dans un petit hôtel, rue Cujas, et le dîner c’était : un camembert et une bouteille de vin. C’était très amusant. Elle était toujours amoureuse de quelqu’un qui ne lui correspondait pas. Elle a été amoureuse de beaucoup de gens, mais pas avec beaucoup de succès. Ça a été une tragédie pour elle toute la vie.
On l’a engagée pour chanter à l’Escale. Elle n’avait pas beaucoup de succès ! Elle était en avance sur son temps. Et nous-mêmes qui étions chanteurs on n’arrivait pas à apprécier les choses merveilleuses qu’elle faisait. C’est après qu’on s’est rendu compte que c’était extraordinaire.
J’ai connu ses enfants, Angel et Isabel. Angel, je le vois fréquemment.
Propos recueillis par Nazem le 5 janvier 2006. »
Youtube gracias a la vida violeta parra – Recherche Google
Gracias a la vida Violeta Parra
A suivre…