Paris, le 5 décembre 2023
Yves Duteil – Soirées de Prince
J’ai donné des soirées à étonner les princes
Dans cette chambre usée par trois siècles d’amour
J’ai dans l’oreille encore le vieux parquet qui grince
Et nos chansons d’ivrognes à la pointe du jour…
En seulement dix jours, je suis retourné trois fois en soirée dans la rue « Monsieur-le-Prince » !
Pourquoi ça ? Simple !
Mon fils est un « accro » des enregistrements des émissions de radio ou de télévision. Cette activité lui permet de connaître « de visu » les vedettes de la vie culturelle ou politique parisienne, de se tenir au courant des dernières nouvelles de ce monde qu’il est impossible de fréquenter par le « vulgum pecus » et d’apprendre des choses… que l’on a ratées pendant les années de scolarité. Mais, si cette présence, qui s’accompagne aussi de quelques contraintes, n’est pas rémunérée, elle permet, quand-même, de bénéficier d’invitations gratuites à des spectacles parisiens.
Cette « opération publicitaire » permet aux organisateurs de tester de nouveaux spectacles, avant leur lancement, de faire connaître des interprètes et des œuvres moins connus, en comptant sur la transmission « de bouche à oreille », voire à remplir des salles pour des tournées en fin de parcours.
Je peux, donc, bénéficier aussi de ces « billets de faveur », qui me permettent d’assister à des spectacles dont je connais ou les acteurs, ou les œuvres proposées, ou le genre musical… mais, pour lesquels je ne sacrifierais pas quelques dizaines d’Euros au risque d’être déçu !
Je dois reconnaître que, peut-être grâce au choix judicieux parmi les spectacles proposés, à ce jour et en quelques deux années de telles pratiques, je n’ai été vraiment déçu qu’une seule fois, même si d’autre fois la prestation n’était pas, tout à fait, à la hauteur de mes attentes. Et, surtout, au niveau annoncé par la critique ou par les feuillets distribués généreusement par les organisateurs !
Les spectacles dont je vais parler ici, et je ne compte pas mentionner d’autres manifestations culturelles auxquelles j’ai assisté dans le même laps de temps, ont eu lieu entre le 25 novembre et le 4 décembre 2023.
Certains pourraient se demander : « Pourquoi cette boulimie de culture ? »
Encore plus simple ! Ayant passé cette année plusieurs mois dans le Languedoc, une fois retourné « à la grande ville » j’étanche ma soif de spectacles, dont j’avais l’habitude de me servir « de grosses rasades »… depuis ma plus tendre enfance !
Le seul vrai problème reste le choix des programmes ! Puisqu’à Paris et dans sa banlieue on n’a que l’embarras du choix ! Et, quand le prix du spectacle est souvent nul… le choix est encore plus difficile !
Mais, selon mes principes, longuement pratiqués, une bonne soirée ne se limite pas à un (bon) spectacle ! Elle doit être continuée par un dîner de fête. Et, c’est ça le vrai problème ! Car, en fonction de la salle où a lieu le spectacle, il faut trouver un restaurant voisin abordable et avec une nourriture et un service de qualité.
Vu le nombre de restaurants disponibles à Paris et de notre loooongue expérience dans ce domaine, même ces exigences devraient être faciles à satisfaire.
Et c’est là où « le bât blesse » ! De nos jours, même des locaux historiques, avec une réputation confirmée, sont « modernisés » ou disparaissent et remplacés par des enseignes « à la mode » où, à mon grand désespoir, plus d’une fois je n’ai pas « retrouvé mes petits » !
On va le voir… par la suite !
* * *
Le premier spectacle s’intitulait « De Molière à Brassens » et était présenté le 25 novembre au théâtre « La Comédie Saint-Michel » sur le boulevard du même nom.
J’ai choisi cette représentation, alléché par la formule de l’annonce du spectacle :
« La Langue Française est à l’honneur. Humour et poésie sont les tempos de ce spectacle mêlant chansons et poésie. »
Officiel des spectacles présente la performance dans ces termes :
« En hommage à ces deux géants de la langue française, Claude Lauri, auteur compositeur et grand amoureux de la langue de Molière, a concocté un concert mêlant ses propres chansons avec de nombreux clins d’œil et références aux textes de Georges Brassens et de Molière. À travers des mélodies tantôt rythmées, tantôt romantiques, tantôt surprenantes, chaque chanson est une véritable petite pièce de théâtre, dans laquelle l’homme et ses travers sont éternels et risibles. »
Les avis des spectateurs évoluent entre « excellent » et « je n’ai pas aimé ».
Pour ma part, je ne serai pas aussi catégorique. Si j’ai beaucoup apprécié la maîtrise de la langue française par Claude Lauri, j’ai moins goûté les « quiz » du genre « émission télévisée ». Et personne ne demande à un interprète d’aujourd’hui de concurrencer Brassens !
Mais, relever les similitudes entre « le temps jadis » et notre époque est de bon aloi. Probablement, une présentation plus moderne mettrait davantage en valeur la beauté des textes.
* * *
En sortant du spectacle je rencontrais le problème du choix du restaurant pour le dîner.
Nous avons dévalé la rue Monsieur-le-Prince sur toute sa longueur, et même sur un bout du Blvd. Saint-Germain.
Je connais, rue Grégoire-de-Tours, là où les restaurants se « tiennent par la main » un « grec », que je fréquentais assidument dans les années ’70. A l’époque, entre deux visites en Grèce, quand j’avais envie de tarama ou de feuilles de vignes farcies, comme à Bucarest, j’allais chez « Zorba le Grec ».
D’accord ! Ce n’étais pas tout à fait comme en Roumanie :
-la tarama était faite à base d’œufs de poissons de mer, pas d’eau douce,
-les feuilles de vigne étaient froides et la farce à base de riz, au lieu de la viande chaude.
Mais ça rappelait le « principe » des plats roumains ! Aussi bien que les vacances en Grèce. On ne peut pas tout avoir !
A la longue, je connaissais le patron et le serveur me connaissait aussi. Du coup, ils satisfaisaient toutes mes fantaisies (le choix de la table près de l’aquarium, la crème fraîche sur les « dolmadakia » -feuilles de vigne, le yoghourt sans miel, ma musique grecque préférée etc.)
Et puis, le temps est passé, le serveur est parti à la retraite, le patron a vendu son restaurant…
Malgré tout, je revenais de temps en temps. Mais, j’étais obligé de répéter à chaque passage mes « désidératas » … Cela ne coulait plus de source !
Et voilà que, le 18 octobre 2018, j’y suis revenu de nouveau. Dans les restaurants grecs j’ai toujours un problème : quel dessert faut-il prendre ?
Un peu par élimination, j’ai pris un baklava. En oubliant que le lendemain je devais faire les analyses périodiques demandées par mon médecin traitant.
Tout s’est bien passé… jusqu’au jour suivant à 17h.
Alors, un coup de fil de mon médecin affolé m’a ordonné, toutes affaires cessantes, de courir au Service des urgences de l’hôpital le plus proche !
« Vous frisez le coma diabétique ! », m’a annoncé l’homme de l’art.
Calmement, en prenant mon walkman et mes CD (grecs !), je suis allé à l’hôpital.
Pour la faire courte, je suis sorti au bout de 72 heures, il est vrai, avec l’obligation de prendre quelques pilules deux fois par jour ! Mais, je n’ai plus remis les pieds pendant 3 ans chez « Zorba le Grec » !
Puis, j’ai recommencé à y aller… sans prendre de baklava !
Cette fois-ci, nous avons diné fort bien et pour pas cher, en remplaçant le baklava par… une tarte Tatin. Et, pour ne faire encore une fois qu’à ma tête, j’ai exigé une boule de glace à la vanille, qui m’a coûté 2 Euros de « supplément » !
D’antan, on me l’aurait offerte !
« Mon prince, on a les dam’s du temps jadis – qu’on peut… », comme chantait Brassens !
GEORGES BRASSENS “LES AMOURS D’ANTAN”
* * *
Le spectacle suivant devait me permettre de savoir si je suis toujours « droit dans mes bottes » !
En vérité, ce qui a déterminé mon choix, parmi tant d’autres propositions refusées, c’était le nom de l’auteur de l’œuvre représentée : Claude Terrasse !
J’avoue que pour moi ces deux mots n’évoquaient que… le nom d’une rue dans le XVIe Arrondissement par où je passe en bus de temps en temps !
En réalité, il s’agit de :
Claude Terrasse… un compositeur français d’opéras et d’opérettes né le 27 janvier 1867 à L’Arbresle (Rhône) et mort le 30 juin 1923 à Paris 16e.
Surnommé le « prince de l’opérette française », il a été considéré en son temps comme le successeur de Jacques Offenbach.
Je reconnais que cette dernière affirmation –le successeur de Jacques Offenbach – mérite à elle seule que l’on « s’intéresse à son cas » !
L’opérette-bouffe proposée, qui s’intitule « La Botte Secrète » est
« une opérette loufoque et burlesque de Claude Terrasse, l’un des grands successeurs d’Offenbach, à la musique entraînante et raffinée et à l’humour typique de la Belle Epoque. »
« Airs, duos, trios, quatuors alternent avec bonheur sans le moindre temps mort pour la plus grande joie du public. », écrivait Christian Peter… à propos de La Botte secrète, opérette en 1 acte de Claude Terrasse et Franc-Nohain exhumée par la Compagnie Fortunio il y a quelques semaines. »
Je dois dire, après avoir assisté à ce spectacle, qu’il s’agit exactement de ce qu’il faut voir par ces temps moroses où les informations tristes et terrifiantes s’enchaînent à longueur de semaines ! Même si la musique n’atteint pas les sommets de celle d’Offenbach. Mais, il faut se souvenir que même le (vrai) « prince de l’opérette » n’a pas composé que les quelques chef-d ’œuvres que l’on entend aujourd’hui.
Donc, ressortir l’œuvre d’un auteur oublié est d’autant plus méritoire et une incitation pour de nouvelles découvertes.
* * *
Nous voilà, de nouveau, devant le même choix cornélien : « Où dîner après le spectacle ? »
Cette fois-ci, le choix a été facile ! En descendant la rue Monsieur-le-Prince, j’ai croisé un établissement que je connais depuis… cinq décennies ! Parce que, à croire les inscriptions répétées à satiété sur les vitrines, murs, flyers ou glaces, il existe « depuis 1845 » !
Mais, moi je ne l’ai découvert qu’en 1970 !
En cette année de grâce, j’ai dû organiser mon voyage d’été en Italie. J’avais déjà voyagé, deux années de suite dans ce (beau) pays. Mais, j’ai participé à des séjours ou circuits organisés par le C.R.O.U.S (Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires).
Ne sachant comment m’y prendre, j’ai fait une enquête auprès des amis de mes parents, en majorité Roumains.
On m’a conseillé d’aller rue Monsieur-le-Prince où se trouvait une agence de voyage appelée « Latin Tourisme ». Ici, un monsieur fort compétent m’a proposé, à partir de l’ébauche du voyage envisagé, des hôtels, des horaires de train, des monuments à visiter et, même, la durée de chaque séjour en fonction des sujets qui m’intéressaient ville par ville.
Le propriétaire de l’agence avait un carnet d’adresses très bien fourni et, quand il ne pouvait pas répondre exactement à ma demande, il me suggérait l’endroit où je pouvais trouver l’information recherchée. A une époque où Internet n’existait pas, un tel interlocuteur… valait de l’or !
C’est ainsi que j’ai remarqué, à quelques mètres de sa boutique, le restaurant « Polidor ».
Le restaurant « Polidor » est une institution !
« Le Polidor est une crèmerie–restaurant située rue Monsieur-le-Prince à Paris 6e, dont la fondation date du début du xixe siècle. Principalement crèmerie jusqu’à la fin du xixe siècle, il est devenu restaurant à part entière à partir de 1890, et est à ce titre l’un des plus vieux bistrots parisiens.
Déjà fréquenté au xixe siècle par des artistes pauvres comme le poète Germain Nouveau, qui vantait la cuisine de l’établissement, le Polidor devint rapidement un lieu incontournable de la société populaire.
Ce restaurant est surtout célèbre pour avoir servi de repaire aux assemblées du Collège de Pataphysique à partir de 1948 jusqu’en 1975. Il a ainsi accueilli Ionesco, René Clair, Paul Valéry, Boris Vian, Paul-Émile Victor, mais aussi Jean Jaurès, James Joyce, André Gide, Paul Léautaud, Ernest Hemingway, Coluche ou encore Cabu. »
En vérité, je n’ai commencé à fréquenter le « Polidor » qu’une dizaine d’années plus tard dans des circonstances que l’on verra par la suite.
Bien sûr, je ne connaissais pas tous ces détails historiques. Mais, j’étais attiré ici, tout autant par les prix (très) bas de la nourriture, que par la possibilité de partager la table avec des inconnus et, ainsi, de faire de nouvelles connaissances, souvent des touristes venus des pays éloignés.
J’avoue que j’ai toujours préféré la salle du fond, certainement à cause des fresques qui couvrent les murs en totalité. Et, je me souviens de l’accès « folklorique » aux toilettes à travers une minuscule cour intérieure qui avoisinait les cuisines. Mais, petit à petit, la qualité de la nourriture s’est dégradée, le service… laissait à désirer et la clientèle se raréfiait.
Souvent, je ne pouvais pas dîner dans l’arrière-salle où il n’y avait pas de clients, …ni de chauffage !
Mais, le 3 décembre, la salle était pleine ! A tel point que l’on nous a proposé, en attendant qu’une table se libère, de prendre l’apéritif dans « La Cave du Polidor », la salle mitoyenne, à l’angle de la rue Racine.
Je ne me souvenais pas de l’existence de cet endroit ! Qui, en plus des qualité et prix « producteur » des vins proposés, présente un avantage non négligeable : l’accès à des toilettes modernes !
J’ai accepté l’attente d’une vingtaine de minutes à la condition de pouvoir dîner dans la salle arrière, ce que j’ai obtenu sans mal. Ainsi, nous avons pu profiter pleinement de
« La salle du fond, qui accueillit les réunions du Collège de Pataphysique, (et qui) est décorée d’une fresque, couvrant pratiquement tous les murs. »
Il faut préciser qu’il était presque 21h et que la clientèle commençait à se raréfier. C’est ainsi que j’ai découvert la présence, en majorité, des anglo-saxons ! Et je me suis souvenu que :
« La salle du restaurant a servi de décor à une scène du film Minuit à Paris (Midnight in Paris), de Woody Allen (2011). Le personnage de Gil Pender (interprété par Owen Wilson) y rencontre Ernest Hemingway ainsi que Zelda et F. Scott Fitzgerald. »
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
Paris, décembre 2023
JMR de Villach dit:
Merci Adrian
Très passionnants récits
Un jour je ferais la même chose …
J’aime beaucoup l’idée de restituer le passé
dans le présent : cela a du sens pour moi en tout cas !
Amitiés