La Bastide Vieille, le 15/08/2020
Pendant les années qui ont suivi, je prenais régulièrement le train de nuit vers l’Italie : des fois pour Milan, d’autres fois pour Turin, rarement pour Venise ou Rome.
Mais je gardais toujours, à la fin de mes voyages en Italie, un billet de 10000 Lires !
Il devait me servir, à l’occasion du voyage suivant, en arrivant le matin tôt dans la gare de mon choix, à payer le premier (vrai !) café italien !
Sans avoir besoin de courir, pendant la courte escale, pour changer des francs.
Et, bien plus tard, pour acheter le journal local, « La Stampa » à Turin, « Il Messagero » à Rome, « Corriere della Serra » à Milan, « Il resto del Carlino » à Bologne, « Il Gazzetino » à Venise etc., afin de me mettre au courant des dernières nouvelles du pays et, éventuellement, des événements culturels à venir.
Si je précise que je ne prenais pas le train de nuit jusqu’à Rome, c’est parce que j’avais découvert le bonheur de longer la côte italienne entre Gênes et Rome, de jour.
Une fois quitté les faubourgs de Gênes, la vue qui vous entoure… c’est l’émerveillement complet !
Les palmiers énormes, les criques qui se succèdent, entrecoupées de tunnels, les villas 1900 qui pointent leur toits en flèche par-dessus les clôtures, la région de Cinqueterre, même le port de La Spezia où, avec un peu de chance, vous pouvez apercevoir les 3 mâts du bateau-école « Amerigo Vespucci »…
C’est un bonheur qu’il ne faut pas rater… en dormant !
* * *
En 1974, j’ai fait ma première grande tournée au Moyen Orient !
Plus de deux mois en Egypte, au Liban, en Syrie, en Jordanie et, après la traversée en bus du Pont Allenby, en Israël.
Au début de ce long voyage, j’ai passé presque un mois en Egypte, fouillant les coins les plus reculés du pays, de Suez à Marsa-Matruh et d’Alexandrie à Assouan.
Pour remonter la Vallée du Nil, on m’a recommandé de prendre au Caire le train de nuit.
Ce que j’ai fait ! Avec une première étape Le Caire –Louxor.
C’était à la fin du mois de septembre, en plein Ramadan, et il avait fait une chaleur comme en plein été.
J’avais réservé une couchette en Ière classe, puisque les prix étaient scandaleusement bas pour nous autres, ceux venus d’Europe.
Il faut dire aussi que le confort était… d’une autre époque !
Le train était composé de voitures… soviétiques importées, certainement, à l’époque de Nasser. En seconde… c’était l’horreur !
Mais, en première, nous n’étions que deux passagers par cabine, sur de larges banquettes en velours bleu… usé jusqu’à la trame.
La cabine, plutôt spacieuse, tapissée de bois marqueté marron foncé avec des filets jaunes, possédait un coin avec des sanitaires, qui a dû être très propre et élégant… une quinzaine d’années auparavant. Mais qui, maintenant était dans un état déplorable, avec la cuvette fêlée et… je n’insisterai pas sur d’autres détails !
Sur le quai de la gare, un jeune homme très moderne, un peu grassouillet, habillé d’un complet en lin beige, avec plein de pochettes et de stylos, à la manière d’un apparatchik égyptien, m’a présenté en anglais son père, avec qui j’allais partager la cabine, et m’a prié… de prendre bien soin de lui !
Le père,… c’était tout le contraire du fils !
Un vrai fellah de la Vallée du Nil, mince, de haute taille, avec une petite moustache poivre et sel, habillé d’une « gallabieh » bleue et coiffé d’un turban en tissu de la même couleur.
Et qui, bien sûr, ne parlait pas un traitre mot d’anglais !
Une fois le train parti, nous sommes restés en tête-à-tête.
Mon compagnon de cabine a fait ses prières et a entamé l’Iftar (la rupture du jeûne, après toute une journée pendant laquelle il n’avait pas mangé, ni bu).
Tout ce qu’il avait comme nourriture, c’était une barquette de dattes.
Il m’a fait signe de m’asseoir près de lui, sur la banquette basse, et a partagé son repas en deux parties. J’ai compris, tout de suite, qu’une moitié était pour moi !
J’étais gênée, mais… je ne pouvais pas refuser !
Je n’ai pris que trois ou quatre dattes, lui laissant les autres.
Après quoi, il s’est allongé sur sa couchette, tout habillé, et il a dormi non-stop… jusqu’à Louxor !
* * *
Ça fait une éternité que je rêve de voyager avec « L’Orient Express » !
Au début, dans les années ’60, j’ai vu, une ou deux fois, ses voitures dans la Gare du Nord, à Bucarest.
A cette époque, ce train mythique n’était plus que l’ombre du convoi des stars, si réputé dans l’entre Deux guerres.
A cause de la tombée du « Rideau de Fer » entre l’Ouest et l’Est, le « train des millionnaires » était devenu le « train des réfugiés » ! Et, même si la branche « Paris-Bucarest » n’a jamais interrompu son service, le trajet principal, « Paris-Istanbul », n’a été supprimé officiellement que le 19 mai 1977.
Le dernier départ de « L’Orient Express » était programmé, à la Gare de Lyon, à 23h56.
Même si, en vue de cet événement historique, le train affichait « complet » des mois à l’avance, les voyageurs étaient accompagnés de fanfares improvisées, les bouchons des bouteilles de champagne volaient au dessus des quais… à l’heure prévue le train n’a pas bougé d’un pouce !
Que c’est-il passé ? A cause du retard du train de Calais, qui amenait dans ses voitures les voyageurs anglais, le départ du dernier « Orient Express » a été retardé… de 17 minutes. Donc, il est parti… le lendemain, le 20 mai 1977 !
Mais, dix ans auparavant, nous allions, de temps à autre, à la Gare du Nord de Bucarest, pour accompagner nos amis ou parents qui quittaient définitivement la Roumanie vers Vienne, à travers la Hongrie. Et nous rêvions d’être à leur place, même si le luxe des années trente n’y était plus !
Ce n’est qu’une quarantaine d’années plus tard, dans la première décennie des années 2000, que j’ai croisé les luxueuses voitures du nouvel « Orient Express » arrêtées en gare de Sinaïa, aux pieds des Carpates.
Dans le programme du voyage, tout comme pour le premier trajet « Paris – Istanbul », parti de Paris le 4 octobre 1883, le train s’arrête dans la ville de Sinaïa toute une journée, pendant laquelle les passagers sont invités à visiter le Palais royal, le « Pelesh ». Sauf que, cette fois-ci, le roi Carol I n’est plus là pour les recevoir, ni la reine de Roumanie, Carmen Sylva, pour leur réciter quelques-uns de ses poèmes !
Par la suite, ils peuvent rallier Istanbul, toujours en train, en traversant le Danube sur le « Pont de l’Amitié Bulgaro-Roumaine », construit à l’époque communiste, en 1954. Alors qu’en 1883, ils devaient rejoindre Constantza, au bord de la mer Noire, d’où le fameux bateau blanc « Carolus Primus » les transportait jusqu’aux quais de la capitale de l’Empire Ottoman.
Sauf que, ce voyage, dont le retour se fait en avion depuis Istanbul, … « coûte bonbons ! », comme il est de tradition de dire, accompagnant son affirmation d’un geste pendulaire de la main droite !
* * *
Bien des années plus tard, j’ai appris la « mésaventure » de l’illustre Anna de Noailles, qui a traversé la Roumanie de nuit, dans une voiture de « L’Orient Express », entre les Deux Guerres.
Le célèbre écrivain, même si son père avait été un riche prince roumain, ne voulait se souvenir que des origines grecques de sa mère. Ainsi, quand on lui a demandé quels étaient les impressions laissées par cette longue traversée du pays, elle a répondu : « Tout ce dont je me souviens, c’est d’un terrible mal de tête ! »
Il y a quelques années, j’ai découvert que le superbe lycée français, nouvellement construit à Bucarest, porte le nom d’Anna de Noailles.
En me souvenant des affirmations mentionnées précédemment, je me suis dit que le choix du nom n’était pas le plus judicieux possible !
Quand j’ai posé la question à un ancien professeur franco-roumain du lycée, il m’a expliqué que, pour le choix du nom, on a organisé un référendum parmi les élèves de dernière année de l’établissement.
Et leur choix a été respecté par la direction.
Voici un effet collatéral des excès de la démocratie et de l’ignorance !
* * *
Une « légende urbaine », attachée aux souvenirs de la même traversée de la Roumanie de nuit par « L’Orient Express », avant la Guerre, affirme qu’entre deux villages de Transylvanie, en début de soirée, le contrôleur passait dans toutes les cabines de la voiture et fermait les rideaux des fenêtres, du coté droit.
Les passagers, intrigués et mécontents, demandaient des explications aux préposés des chemins de fer. Celui-ci, répondait invariablement : « Ordre de la Direction ! »
Quand, enfin, un des passagers a insisté, et insisté, et insisté… le contrôleur lui a raconté l’histoire suivante :
« Quelques mois auparavant, un riche industriel américain regardait, en rêvant, par la fenêtre du train qui roulait à cet endroit.
Juste à ce moment, une jeune fille du village avait retroussé ses jupes, prés de la voie, pour soulager un besoin pressant.
Ce qu’il a aperçu, a tellement plu à notre millionnaire qu’il a tiré le signal d’alarme, il est descendu du train, a abordé la jeune fille et, quelques semaines plus tard, elle est devenue… sa « douce et tendre épouse » !
Depuis ce jour, toutes les jeunes filles du village viennent à l’heure du passage du train… pour exposer leurs avantages, dans l’espoir que cette histoire puisse se répéter ! »
La direction de « L’Orient Express » n’y verrait aucun inconvénient moral, mais le fait de tirer le signal d’alarme de façon répété, risquait de dérégler les horaires de la fameuse ligne de chemins de fer internationale !
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, août 2020
A.M.D. de Versailles écrit :
…quand au texte plus souriant de tes voyages en train, il est facile en effet d’engager des conversations voire plus.
Un univers « en valeur absolue », dégagé de sa vie dans un espace temps particulier qui avance aussi dans le temps et l’espace avec une impression floue de la réalité et… la nuit.
J’ai pris aussi ce train égyptien de nuit pour remonter au Caire il y a… tant d’années. Il fallait sauter littéralement de wagon en wagon pour se rendre au wagon- restaurant et là, – oh surprise !- arrivée après cette aventure périlleuse, je retrouve une collègue …
Et, autre surprise, une autre jeune fille qui portait la même tenue que moi, short et chemisette écossaise à dominante verte ! Je n’oublierai jamais nos regards croisés… un miroir.
Je n’ai pas vu celles dont tu parles le long des voies, bien que j’avais remarqué, et pas qu’en Egypte, que, dans les pays d’Orient, hommes et femmes ne sont pas gênés pour satisfaire des besoins naturels, puisque, même à Paris, j’ai vu une africaine en boubou se soulager sur un terre-plein d’une rue passante, dans un quartier,… disons plus tellement parisien !
Par contre en Egypte, à l’aube, la merveille sans nom, l’émotion à l’état pur, du lever de soleil rejoignant ainsi la cosmogonie et les croyances profondes des anciens égyptiens, dont l’historie et spiritualité me fascine toujours autant, ce fut l’extase au plus profond de moi !
Juste en arrivant au Caire, au petit matin, la magie envolée, la réalité, la misère de tous ces gens essayant de vivre sur les bords des rails …
Un contraste infini et douloureux …
Mais, quand même cela n’a pas effacé mes impressions profondes éprouvées à l’aube…
Depuis plus de 30 ans, je suis cours et conférences, avec assiduité et intérêt et d’ailleurs ce soir même nous reprenons notre voyage dans le Passé…
Une de mes nombreuses passions, qui a entraîné aussi l’étude des civilisations du Proche Orient.
Je crois que tu prépares un autre volet de tes souvenirs de voyage en train.
Alors « en voiture ! »
« …même à Paris, j’ai vu une africaine en boubou se soulager sur un terre-plein d’une rue passante, dans un quartier,… disons plus tellement parisien ! »
Une anecdote… de ma jeunesse !
On raconte qu’un jour, à Tel-Aviv, il faisait très chaud.
Pendant un banquet officiel, Ben Gourion, alors Premier ministre de l’Etat d’Israël, a enlevé la veste de son smoking et l’a déposé sur le dossier de sa chaise.
Le Maître de cérémonies s’est approché et lui a susurré discrètement :
-Monsieur le Premier ministre ! Cela ne se fait pas !
-Mais, si ! J’ai l’autorisation de la Reine d’Angleterre !, répondit Ben Gourion
Un peu étonné, le Maître de cérémonies vient voir, le lendemain, Ben Gourion pour avoir une explication.
-C’est très simple !
L’année dernière, j’étais à Buckingham Palace, il faisait très chaud et j’ai fait pareil. Alors, la Reine d’Angleterre s’est penchée vers moi et m’a dit :
Monsieur le Premier ministre, vous ferez ceci chez vous à Tel-Aviv !
Conclusion: In Rome, do as Romans do!
Et, de même à Paris!