Feuilles de journal
Béziers, 28/07/2015
La ville de Béziers a l’immense chance de posséder d’innombrables villas (« palacetes », comme appellent les sud-américains les « hôtels particuliers »), vestiges de l’époque brillante de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème siècle quand l’argent généré par la vente du vin produit dans la région coulait à flots. Les montants disponibles étaient si importants que les propriétaires des vignes ne savaient pas comment construire plus grand, plus beau, plus décoré !
Il en résulte l’existence de dizaines de châteaux/villas/palais dans les styles les plus variés, des copies ou des créations originales dans l’esprit des courants artistiques de l’époque, ou des constructions inventées, telles qu’ils s’imaginaient, à ce moment, l’architecture et les décorations du temps passé, qui se sont multipliés dans toute la région. Ceci a donné le style « troubadour » tellement dédaigné, réaction normale, dans la deuxième moitié du XXème siècle. Ah! Le Corbusier, que de crimes on a commis en ton nom !
Mais ces constructions brillantes existent et essayent de survivre, tant bien que mal.
Le plus souvent, les héritiers se sont multipliés, les dépenses d’entretien ont explosées et les ont obligés à les vendre.
Les promoteurs immobiliers, des vrais requins, suivent avec attention l’occasion de mettre la main sur de telles constructions : bien situées dans la ville, elles présentent une garantie de gains énormes, si on multiplie le nombre d’étages, si on remplit les jardins qui les entourent de béton, si on ajoute des installations à la mode (piscine, salles de sport, salles de divertissement …)
Pendant très longtemps, les autorités ne se sont pas souciés de la disparition de ces perles d’architecture ; elles représentent tout ce que haïssent le plus les édiles d’aujourd’hui : une époque élitiste, sans côté « social », sans mixité ethnique, qui correspond à une minuscule partie de la population et qui, le plus souvent, ne vote même pas comme ils aimeraient ! Et à qui ils tournent le dos sous prétexte de répétitivité ou bien de « pastiche » sans valeur d’originalité.
Certaines constructions ont été sauvées par les bureaux d’avocats ou de notaires qui s’y sont installés. Quelquefois même, grâce aux cliniques médicales « à la mode », mais qui souvent ont rajouté des appendices fonctionnels qui gâchent l’aspect initial des édifices. Mais maintenant, même ces solutions passagères ne fonctionnent plus.
Les notaires, les avocats, les cliniques se regroupent à la périphérie des villes, où on peut garer plus facilement sa voiture, ou, installés dans un édifice de béton tout neuf, on peut véhiculer l’image d’une société « moderne et dynamique » ( !) qui ne se préoccupe pas des « vieilleries » du passé. Comme conséquence, ces bâtiments, affectés aussi par la crise actuelle, de moins en moins entretenus se détériorent jour après jour.
C’est ainsi que, remarquant il y a quelques mois qu’un de ces « hôtels particuliers », qui se trouve en plein centre de la ville, était en cours de restauration, j’ai été ravi et je me suis promis de le visiter une fois les travaux achevés.
Et voici que je tombe sur un court article parlant de cet édifice, dans une revue de circulation nationale.
J’avoue que, au-delà de l’aspect « architecture », j’étais intéressé par le côté décoration, ainsi que par les choix artistiques faits par les nouveaux propriétaires : bien souvent, ces « restaurations » sont devenues un prétexte pour développer un discours « design » minimaliste en totale contradiction avec le style initial des édifices, mais présentés comme une marque de « modernité » ! Modernité passagère, qui se fane en quelques années, donnant naissance à une nouvelle « modernité », tout aussi peu pérenne !
Mais, il faut reconnaître que « l’exercice de style » de leur restauration est particulièrement difficile : on doit s’adapter aux nouvelles règles de sécurité, d’accessibilité, d’hygiène, de confort, essayant toutefois de garder l’aspect et la géographie d’un bâtiment avec un passé de plus de cent ans.
Je aimerais affirmer, d’entrée de jeu, que le nouvel hôtel appelé « L’Hôtel particulier » (encore un clin d’œil adressé au brillant passé !) est un réel succès.
Les propriétaires, avec une longue expérience dans ce domaine – elles ont géré pendant des années un « hôtel de charme » dans la zone historique de la ville – ont choisi la restauration « in-integro » de la façade de l’édifice. Malgré les difficultés générées par un état de décrépitude avancé, par exemple, de la pierre qui a servi à la construction de l’escalier en fer à cheval.
Pareillement, les salons intérieurs du rez–de- chaussée ont gardé leur structure et les décorations murales, mais qui ont été mises en valeur par des objets fonctionnels (lustres, mobilier …) discrets, quelquefois même « transparents ». Bien entendu, que toutes les installations sanitaires ont été créées « ex-nihilo » dans un esprit moderne et fonctionnel, quelquefois même avec une référence au passé, par exemple dans le choix de laisser les tuyaux en cuivre non peints, ce qui donne une tâche de couleur sur le mur blanc, immaculé.
Peut-être que le choix des couleurs dominantes (blanc, gris…) serait discutable. Mais il présente l’avantage de mettre en valeur les superbes cheminées en marbre de couleur ou des glaces aux cadres dorés. Qui plus est, la cour intérieure a été agrémentée d’une piscine, entourée d’un deck en bois, ce qui atténue le côté minéral du décor environnant.
J’ai discuté longuement avec la propriétaire de l’hôtel au sujet des idées qui ont déterminé ces choix audacieux, de sa vision concernant l’hôtellerie de luxe, de l’espoir de voir d’autres initiatives similaires fleurir dans le quartier. Et, en dernier ressort, de connaître le sauvetage de ce patrimoine historique, condamné, il n’y a pas si longtemps, à une mort annoncée de longue date.
Je ne peux que la féliciter et lui souhaiter un total succès. Dans nôtre intérêt, à nous tous !
Adrian Irvin ROZEI, Béziers, juillet 2015
Henri de Saint Geniès de Fontédit a écrit:
Merci de cet excellent texte sur nos “palacetes” biterois. Je ne connaissais pas ce mot espagnol sud-américain dites-vous. En France il y a la ville de Palaiseau, dont l’étymologie repose sur palaciolun, le Petit Palais…Donc nous avons Palaiseau à Béziers…
Jeanne de Moirans a écrit :
Merci, cher Adrian, de penser à moi quant tu écris de si beaux textes. Je t’en remercie d’autant plus car je suis toujours intéressée par ce qui a été créé dans tous les domaines par nos anciens. Malheureusement, pour faire du fric et acquérir une “notoriété” on renie tout ce qui a une vraie valeur artistique et çà devient insupportable. Heureusement, certains amoureux du passé essaient de freiner cette folie, mais ils sont trop peu nombreux. Et pour couronner le tout on vend à toute allure notre patrimoine.
Où va-t-on?
Alors, “petit soldat” ne te décourages pas, continue de dénoncer ce “carnage” pour “limiter la casse” comme on dit.
Jacques de Nevers a écrit :
Bravo Adrian pour ton bel article mettant en relief les critères tellement variables définissant ce qui est beau…..la beauté est certainement belle en la jeunesse, mais elle peut être aussi très belle en la vieillesse……ce qui est laudatif c’est l’effort de recherche de beauté….