Rencontre avec « l’homme en habit rouge »

J’ai toujours été un admirateur inconditionnel de Barbara. Quelquefois même de manière irraisonnée, d’autres fois en dépit des évidences adverses. 

J’ai découvert l’existence de Barbara en ’65 ou 66’ quand, grâce à une libéralisation inespérée du régime communiste de Roumanie, j’ai pu recevoir la revue « l’Express » envoyé tous les mois par des amis français. 

Un petit entrefilet accompagné d’une photo a attiré mon attention. On mentionnait l’étrange habitude d’une vedette de la chanson, récemment découverte par le grand public, qui avait la curieuse manie de tricoter dans sa « Mercédès », conduite par son chauffeur, derrière des petits rideaux qu’elle fermait souvent, pour protéger son intimité. Et la photo montrait Barbara très attentive à son ouvrage. 

Pourquoi ai-je retenu ce détail, alors que je n’avais même pas entendu une seule chanson de Barbara ? Serait-ce parce qu’elle pratiquait un « sport » déjà désuet dans le contexte de l’époque ? Ou parce que j’avais compris qu’elle était « à contretemps » avec le mouvement « yéyé », qui à ce moment là envahissait les ondes en France et partout en Europe ? 

Par la suite, une fois arrivé en France, j’ai entendu, de plus en plus souvent, parler de Barbara. 

En ’68 ou 69’, élève à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, j’écoutais avec religiosité, sur mon petit transistor, les programmes de Christian Barbier, diffusés bien après minuit sur « Europe 1 ».

Je suivais avec un énorme plaisir ses reportages et commentaires retransmis les soirs de première à « l’Olympia ». A l’époque, Bruno Coquatrix dirigeait de main de maître la salle du Boulevard des Capucines.

Et, un soir, j’ai participé en direct à la première de Barbara. 

Au-delà de l’inimaginable personnalité de la créatrice de « l’Aigle noir », ce qui m’a le plus étonné était la présence sur scène de Georges Moustaki. A cette époque, l’auteur du « Métèque » n’était pas connu du grand public et, surtout pas, en tant que chanteur. 

Il avait composé pour Barbara, « La longue dame brune » et venait chaque soir la chanter avec elle sur scène. Barbara nous a expliqué qui était Georges Moustaki, dont le refrain et l’histoire de « Milord » m’étaient familiers. J’ai été d’autant plus impressionné qu’il me semblait, en l’écoutant, retrouver un lien avec Edith Piaf. 

Quelques semaines plus tard, quand Barbara est passé à Saint-Etienne, j’ai couru la voir sur scène. De très loin, puisque mes moyens plus que limités de l’époque ne me permettaient pas de payer une place dans les premiers rangs. Et il me semble, ou il s’agit peut-être d’une « illusion optique » de ma mémoire, que Moustaki était de nouveau sur scène.

Pendant quelques années, j’ai participé moralement au succès de Barbara, avec « Ma plus belle histoire d’amour » en 1967 ou« L’aigle noir » en 1970, ou à ses échecs, comme avec le music hall « Frantz » en 1971. 

Des années plus tard, en 1990, j’ai revu Barbara sur la scène du théâtre Mogador. 

Ce n’était  plus la « Barbara » que j’avais connue quelques vingt ans auparavant ! La voix n’avait plus la même pureté. Et surtout, une mise en scène absurde la faisait courir sur le plateau, du piano à la chaise-longue, comme si elle tentait de rattraper un passé révolu. Qui plus est, des costumes de scène et un boa coloré tranchaient avec l’élégance en noir et le geste épuré que j’avais admiré précédemment. 

Qu’importe ! La carrière d’un artiste est un tout, avec ses ombres et ses lumières, qu’il ne faut pas découper en tranches. Et un personnage avec d’aussi multiples facettes, comme c’était Barbara, ne peut pas y échapper ! 

Quelques années plus tard, j’étais à la terrasse  d’un restaurant de Villers-sur-Mer quand, ouvrant le journal du jour, j’ai appris le décès de Barbara. Décès étrange qui m’a laissé le goût amer de l’information trafiquée. Mais ce n’est pas à moi de juger la raison de cette nouvelle.

                                                           *   *   * 

Voila que vingt ans ont passés.

De temps en temps, j’apprenais par les journaux qu’ici ou là on présentait un récital « Barbara ».

Quelquefois, je courrais écouter ses chansons que je connaissais par cœur. Chaque fois je sortais déçu de la salle. Même si le spectacle avait été conçu ou si on retrouvait sur scène un intime de la « longue dame brune ». 

Je commençais à croire que je ne rencontrerai plus jamais le souffle, « the magic touch » de Barbara.

Et puis, l’année dernière, au mois de mars, j’ai découvert qu’un spectacle intitulé « Barbara et l’homme en habit rouge » était présenté au « Théâtre Rive Gauche », rue de la Gaîté.

Quand j’ai vu qu’il s’agissait d’un « spectacle – musical de Roland Romanelli » je me suis dit qu’il y avait beaucoup de chance pour que ce soit une réalisation de qualité : je me souvenais que ce musicien avait « connu intimement » Barbara pendant quelques années et travaillé avec elle pendant vingt ans. Par contre, je ne savais pas que ce spectacle, interprété et écrit avec Rebecca May, était rodé sur les scènes françaises depuis 2008. 

Je suis allé le voir et ce fut un choc !

Pour la première fois, je retrouvais une interprète qui avait le port, la gestuelle, la présence de Barbara. Bien sur, la voix de « l’aigle noir » de la chanson française a quelque chose d’unique et on ne demandera à personne de la singer. Mais on doit exiger que l’esprit y soit. Et pour ça, le talent de Rebecca May et l’expérience de Roland Romanelli sont une garantie. Même les anecdotes savoureuses de Roland dégageaient  un parfum de « vécu », que d’autres interprètes auront du mal à retrouver.

En prime, un moment d’exception, les chanteurs de la chorale dispersée dans la salle, qui accompagnent les acteurs, finissaient la soirée en apothéose. 

Je voulais vérifier si l’impression profonde que m’a laissée ce spectacle n’était que la conséquence d’une exaltation momentanée.

Je suis retourné le voir, trois mois plus tard. Le courant est passé de nouveau.

Cette confirmation a transformé un soupçon en certitude : c’est le spectacle « Barbara » qu’il faut avoir vu !

 

                                                        *   *   *

Et voila que 2017 est arrivé ! 

L’année où on va « fêter » vingt ans depuis la mort de Barbara. Tout d’un coup, « la foule en délire » se presse de sortir qui un disque, qui un spectacle musical, qui un arrangement symphonique, qui une exposition ou un livre. Ça sent la course à l’échalote !

Tout un chacun, qui a reçu un télex, qui l’a rencontrée dans un couloir, qui a obtenu un autographe, même ceux qui ont participé à ses échecs, se sentent obligés de se monter du col et de nous expliquer « l’art et la manière » de la grande chanteuse.

Même si, depuis qu’ils l’ont croisée, ils ont pris 30 kg ou ont perdu la voix ! 

Egrainer leur longue liste, se serait trop fastidieux !

D’ailleurs les journaux et les revues s’en chargent sur des pages et des pages.

Il suffit de reproduire un commentaire pudique du « Figaro » :

« … les spectacles et les hommages se multiplient. Mais tous sont loin d’être à la hauteur de la chanteuse. » 

Laissons passer le temps ! Tout se calmera en 2018. Et on trouvera alors une autre vache à lait !

 Adrian Irvin Rozei

 La Bastide Vieille, février 2017

Michel W. écrit:

J’ai, moi aussi, un souvenir de Barbara à Saint Etienne. Je l’avais découverte à Bobino quand elle chantait en première partie d’un spectacle de Georges Brassens( 1966?). Des soirées de chanson comme je n’imagine pas qu’il puisse y en avoir encore ( après tout, j’ai peut-être tort ). La France entière, ou du moins sa moitié masculine, était déjà tombée amoureuse d’elle à cette époque. 

Je ne sais plus ce que nous fabriquions à Saint E cet après-midi là avec quelques copains du 3B , bien sûr, dans la “méculle”  (Maison de la Culture) qui venait d’ouvrir et où on entrait comme dans un moulin. Nous nous sommes retrouvés dans la grande salle, dans le noir. 
Sur scène, Barbara répétait le récital que tu as vu le soir. Elle avait sur les épaules un grand châle noir, tricoté peut-être à l’arrière de sa voiture ! Tu me donnes envie d’aller voir le spectacle de Paris dont tu parles, s’il tient encore l’affiche ou s’il 
est repris un de ces jours. 

One thought on “Rencontre avec « l’homme en habit rouge »

  1. Ce fut une belle rencontre pour toi

    En effet l’interprétation par Gerard Depardieu est une ineptie ….Souviens-toi nous en avions parlé

    Il est inexplicable d’avoir “profané ” un tel “Monument ” mais tu fus bienheureux d’avoir entendu et pu approcher cette artiste de qualité certainement habitée par l’esprit le talent l’âme de Barbara

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