Quiconque ne voit guère, n’a guère à dire aussi…(I)

Paris, le 20/12/2022

Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N’a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d’un plaisir extrême.
Je dirai : J’étais là ; telle chose
m’advint ;
Vous y croirez être vous-même.

« Les deux pigeons » – Jean de La Fontaine

 

« L’Officiel des spectacles » parisien, du mois de décembre, indique à la section « Expositions – Photographie » :

Nadja Massün, Oaxaca -Transylvanie – Clichés de la photographe. Institut culturel du Mexique. 119 rue Vieille du Temple (3e) …  Entrée libre. Jsq. 19 janv. 2023

J’avoue que le titre de cette exposition m’a « interpellé » !

Qu’y a-t-il en commun entre « Oaxaca et la Transylvanie » ? Comme l’on dit dans la langue de Goethe, « die Hochzeit eines eingelegten Herings mit einem gelben Kanarienvogel» ! (Le mariage d’un hareng saur avec un canari jaune.)

Mais, comme je connais et « le hareng », et « le canari », je me suis empressé d’aller voir l’exposition sur place.

J’aurais pu consulter Internet, pour savoir « qui est Nadja Massün ».

Ainsi, j’aurais trouvé quelques extraits d’articles (en espagnol !) qui parlent de son activité en tant que photographe. Par exemple, dans « El Pais -Mexico », j’aurais appris que :

« Nadja Massün était universelle et humaniste comme son regard. La photographe née au cœur de l’Afrique (République démocratique du Congo, 1963) avec des racines françaises et hongroises, est arrivée au Mexique en 1983 pour ne plus en repartir.

Elle a passé très peu de temps dans le pays où elle est née et bientôt sa famille a déménagé en Colombie, au Pérou, à Budapest et au Costa Rica, en raison du métier de son père, qui travaillait pour les Nations Unies. C’est peut-être cette vie nomade, faite de rencontres, de désaccords, de découvertes de sensibilités et de manières différentes d’habiter le monde, qui lui a donné une vision privilégiée et prodigieuse lors de l’utilisation de son appareil photo.

Elle aimait le portrait en noir et blanc parce que, disait-elle, c’est le meilleur moyen qu’elle pouvait trouver pour capturer et rendre les sentiments cachés dans chaque expression ou mouvement. Sa recherche est allée au-delà de ce que l’objectif pouvait capturer. Elle a veillé à ce que ces images immortalisées avec son appareil photo révèlent l’essence humaine derrière chaque petit acte. Il s’est faufilé dans l’observation et la représentation. Fasuto Nahúm, directeur du Centre photographique « Manuel Álvarez Bravo » à Oaxaca, la décrite comme profondément naturelle. « Elle pouvait être n’importe où et vous n’aurez jamais senti sa présence intrusive. Vous voyez ses images et vous avez l’impression d’appartenir à ces endroits où elle était et qu’elle a pu photographier. »

Mais, faire connaissance avec des artistes via Internet… ce n’est pas mon style !

Je préfère découvrir par moi-même la vie et l’œuvre d’un artiste qui m’est inconnu. Et, ensuite, seulement « ensuite », consulter les avis des « spécialistes » officiels. Tout ça, parce que, tant et tant de fois, je me suis retrouvé en désaccord avec leur avis.

La raison est simple ! Je n’ai pas à rendre compte à aucun rédacteur en chef de journal ou de revue, à aucun directeur de musée ou de galerie, à aucun propriétaire de théâtre ou de salle de concert… Tous ces gens, certainement très objectifs et hautement qualifiés, sont obnubilés surtout par « le tiroir-caisse » de leur établissement.

Alors que moi, un simple « paysan du Danube », je marche exclusivement… au « feeling », au sentiment et au choc émotionnel.

La preuve ? En voici une en rapport avec… Nadja Massün !

Elle aimait le portrait en noir et blanc parce que, disait-elle, c’est le meilleur moyen qu’elle pouvait trouver pour capturer et rendre les sentiments cachés dans chaque expression ou mouvement.

C’est un « débat » que j’ai eu, maintes et maintes fois, avec, aussi bien, des photographes de profession, comme des amateurs de talent. Pourquoi faut-il se cantonner au « noir et blanc », alors que la réalité est… multicolore ?

Les arguments « pour et contre » sont si nombreux… qu’il m’est impossible non pas de les développer, mais ni même les lister ici.

Moi, qui n’ai pas la prétention de « capturer et rendre les sentiments », mais, tout simplement, « capturer des moments de vie, qui seront, à l’avenir, les souvenirs d’un vécu », j’ai choisi « la couleur ». Sans « photo-shop », ni des centaines de prises de vues… pour en sélectionner une, qui sera payée une fortune… par un grand magazine international ! 

Mais, je dois l’avouer, quand un (très) grand photographe a marmonné, en regardant une de mes photos « C’est pas mal ! », je me suis senti comme si « le Roi n’est pas mon cousin » * !

*« Popularisée en 1690, cette expression renvoie à l’image que représente la plénitude du bonheur. En effet, s’il est de notoriété publique qu’un roi est forcément au summum du bonheur, alors ne pas être son cousin renvoie au fait que l’on est tellement heureux que le roi lui-même n’est pas digne d’être l’un de nos parents proches. »

*   *   *

Voilà pourquoi j’ai couru à « l’Institut culturel du Mexique » pour comprendre le sens de l’approche de Nadja Massün.

Cette institution culturelle parisienne ne m’est pas inconnue. Plus que ça !

Il y a une trentaine d’années, je la fréquentais assidument. Sa directrice, la fille d’un ancien président du Mexique, était l’épouse du patron d’une société française de transport maritime par l’intermédiaire de laquelle j’expédiais des matières plastiques vers les Antilles. Ce Monsieur, fort compètent dans son domaine, avait une idée originale dans son esprit : il souhaitait prendre la représentation de nos produits pour le marché antillais.

Il multipliait donc les invitations et attentions à mon égard, surtout à partir du moment où il avait découvert mes liens « historiques » avec le Mexique.

Il faut préciser que le Mexique a été le premier pays latino-américain que j’ai découvert, en 1973. Et que, depuis, et malgré le nombre incalculable de visites en Amérique Latine pendant 50 ans, j’affirme encore que « celui qui n’a l’occasion d’effectuer qu’un seul voyage dans sa vie vers ce continent, doit aller au Mexique ! »  Et je justifie mon affirmation en mentionnant les trois cultures (précolombienne, coloniale et contemporaine) si bien représentées dans ce pays.

J’étais donc enchanté et flatté par l’attention que me portait la direction de l’Institut culturel du Mexique, qui ne manquait aucune occasion pour m’inviter à des vernissages, inaugurations, cocktails… que sais-je ?

Jusqu’au jour où j’ai expliqué à mon interlocuteur, en prenant les précautions de rigueur, que je n’avais pas besoin d’agent pour un pays « français », dont je connaissais parfaitement les 5 clients, à qui je rendais visite une fois par an et qui passaient régulièrement par Paris !

D’ailleurs, peu de temps après cet « incident », afin de récompenser, selon mes moyens, l’excellent travail de mon assistante, je lui ai proposé de prendre les initiatives commerciales dans ce territoire, bien-sûr sous ma responsabilité et… en toute discrétion ! Je savais que les directeurs n’apprécieraient pas beaucoup ce genre d’initiative !

A partir du jour où j’ai formulé auprès de mon transporteur maritime ma décision, les invitations et « ronds-de-jambes » se sont espacés… jusqu’à leur totale disparition… comme par hasard !

Mais, j’ai continué, certes beaucoup moins souvent, à fréquenter l’Institut culturel du Mexique.

Cette fois-ci, j’ai retrouvé une de ces expositions de photographies habituelles dans ce lieu.

Avant même de commencer ma visite, j’ai consulté sa présentation, disponible en trois langues (français, anglais, espagnol).

J’ai découvert, ainsi, qu’il s’agissait du dernier projet de Nadja Massün (1963 – 2022), qui nous a quitté au printemps dernier, à la veille de l’inauguration de son exposition « Encuentros Afortunados » (Rencontres chanceuses) au Museo Archivo de la Fotografia de Mexico.

Dans la même présentation, j’ai pu lire l’hommage de l’amie de la photographe trop tôt disparue, Françoise Bouffault, qui écrivait dans « L’ŒIL DE LA PHOTOGRAPHIE » le 1er juin 2022 : 

« Grâce à sa vision ancrée dans son monde personnel et teintée par les paysages qu’elle a traversés- surtout en Transylvanie et dans la région de Oaxaca au Mexique où elle s’est établie, elle laisse une œuvre où se mêlent réalisme et poésie, simplicité, sophistication et surtout goût du beau. Là où elle a séjourné, elle a su capter avec élégance et passion des moments tristes, poignants, intimes de la vie quotidienne, des personnages insolites ou familiers avec lesquels elle est en pleine empathie. Elle s’est exprimée ainsi sur ses choix photographiques :

« Ce qui m’attire ce sont les visages, les gestes, les mouvements du corps qui renvoient à un état d’âme, qui racontent une histoire. Le paysage est une toile de fond qui sert à accentuer ce que je cherche à faire : capter un regard, une scène, un moment de gravité, une intériorité qui me parlent. Le noir et blanc –mais pas uniquement, se prête mieux à ce que je veux exprimer dans ma photo. Le noir et blanc saisit la lumière fugace qui émane d’un visage, d’un pas de danse, d’un minuscule événement. Le peintre Soulages disait d’un de ses tableaux, entièrement peint en noir, que le noir n’existe que pour réfléchir la lumière. Pour moi, le noir et blanc a ce pouvoir de projeter l’intangible. »

J’ai tourné et retourné les documents disponibles, dans les salles de l’exposition, dans tous les sens. Et pourtant, je n’ai pas très bien compris ce qu’a déterminé l’excellente artiste de choisir, surtout en Transylvanie, la localisation de sa recherche sur l’endroit où l’on « saisit la lumière fugace qui émane d’un visage, d’un pas de danse, d’un minuscule événement ».

Mais, à la différence du visiteur non-averti, et probablement aussi du critique d’art photographique qui s’exprime, moi « j’ai un passé » avec ces localisations !

Qui pourrait expliquer ce choix !

Reprenons les choses… dans l’ordre historique.

A suivre…     

Adrian Irvin ROZEI

Paris, décembre 2022

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