Paris, le 20/12/2022
Mon premier contact avec « Kalotaszeg » a débuté d’une manière un peu étrange, à Budapest, en 2003.
A l’époque, j’allais en Hongrie au moins une fois par an. J’avais déniché un contrat pour la vente du fluosilicate de sodium dans une société hongroise, qui a duré quelques bonnes années. Comme cette affaire était bien sécurisée, les voyages « d’affaires » dans le Pays magyar étaient des vacances, plutôt que du travail.
Un jour, à la recherche d’objectifs touristiques à Budapest, je suis tombé sur le Jardin zoologique de la ville.
« Le Zoo et jardin botanique de Budapest construit en 1866 est un jardin zoologique qui comporte la collection la plus ancienne et la plus grande de la Hongrie. Sa superficie est de 11 hectares et depuis 1986 il est un parc naturel. Nous y trouvons 3500 espèces végétales et 750 espèces animales. »
Mais, ce qui m’a décidé d’aller visiter l’endroit, ce fût… sa porte d’entrée !
« Le jardin zoologique comporte deux monuments d’architecture « Modern style » : la maison des éléphants et le portail d’entrée, admirables, vues de l’extérieur. »
En me promenant, à l’intérieur de jardin, j’ai remarqué des toits pointus qui me rappelaient les églises de Transylvanie. Je me suis approché et j’ai découvert le « Pavillon des faisans ».
J’ai été, tout de suite, impressionné, tout autant, par l’architecture de l’endroit que par sa décoration intérieure, surtout les vitraux multicolores, très représentatifs du style « Art nouveau ».
Rien d’étonnant à Budapest, vu la date de construction du bâtiment !
Mais, j’ai eu beaucoup de mal à trouver et comprendre le nom et la biographie de l’architecte : à l’époque, le seul panneau disponible était rédigé seulement… en hongrois ! Et, je dois l’avouer, mes connaissances, fort limitées, dans cette langue me permettent de commander mon repas dans un restaurant, mais pas de comprendre un texte sur… l’architecture « Art nouveau », encore moins sur le « Style transylvain » !
J’ai, quand-même relevé un nom : Kós Károly (présenté à la hongroise !) ou Károly Kós à l’européenne.
Ce fût mon premier « contact » avec un très, très grand architecte !
Károly Kós ([ˈkaːɾoj], [koːʃ]),
né Karl Kosch le 16 décembre 1883 à Temesvár/Timișoara, alors en Autriche-Hongrie et décédé le 25 août 1977 à Cluj/Kolozsvár en Roumanie, était un architecte, écrivain, éditeur, rédacteur, graphicien, professeur, ethnographe et politicien transylvain d’origine allemande et d’expression hongroise, devenu citoyen roumain. Il a été l’un des plus importants promoteurs du multiculturalisme.
Fort intrigué par la personnalité de cet artiste, qui a choisi de vivre en Transylvanie, alors qu’on lui faisait « un pont d’or » en Hongrie, j’ai « investi » dans un gros et (très) cher livre sur son activité.
Ainsi, j’ai découvert mille et un détails sur sa vie, son œuvre, ses activités militantes…
Mais, ce qui nous intéresse aujourd’hui c’est le côté « l’inventeur » du Kalotaszeg, en roumain : « Pays de Călata »
« En 1918, on lui propose le poste de professeur aux Beaux-Arts de Budapest, mais Kós préfère rentrer en Transylvanie.
Au printemps 1919, insistant sur l’interactivité socio-culturelle historique et sur le multiculturalisme des communautés ethniques transylvaines, Károly Kós, avec d’autres intellectuels du pays de Călata et le soutien de 40 000 partisans de la république, proclame à Huedin la République de Kalotaszeg, mais, au bout de deux jours, des troupes roumaines et françaises occupent la région : un directoire composé de représentants du gouvernement hongrois de Gyula Peidl et du Conseil national roumain transylvain de Iuliu Maniu gouverne alors la Transylvanie, jusqu’au traité de Trianon qui intègre officiellement en 1920 ce pays à la « Grande Roumanie ».
Trouver des renseignements sur le « Pays de Călata » n’a pas été une chose facile, il y a 20 ans ! Du côté roumain, c’était le « silence Radio » ! Du côté hongrois, c’était réservé à ceux qui pratiquaient la langue magyare !
Et puis, comment faire l’équilibre entre les affirmations des uns et des autres… quand il s’agit de zones sensibles où se heurtent tant d’intérêts contradictoires !
Mais, ce type d’« antagonisme » m’est bien familier : je l’ai rencontré à tant et tant d’endroits dans le monde ! Malheureusement !
Aujourd’hui, c’est plus facile de trouver une information fiable :
« Son identification est d’ordre ethnographique : c’est l’œuvre scientifique, littéraire, architecturale et politique de Károly Kós que l’on pourrait qualifier de « père fondateur » du Kalotaszeg dans son ouvrage « Kalotaszeg » (1932) qui peut être considéré comme un manifeste identitaire introduisant cette « petite patrie » (au sens de l’allemand Heimat) sur la carte spirituelle de l’Europe. »
Je dois préciser que les sujets liés à l’art et folklore transylvain du début du XXe siècle, m’étaient familiers, déjà, depuis 2001.
C’est à l’occasion d’une visite à Gödöllő, le Versailles hongrois, que j’ai découvert l’école des arts, qui porte le nom de « Ecole de Gödöllő » et dont l’origine se trouvait à Diód en Transylvanie.
Stremț (en hongrois : Diód, Diódváralja ; allemand : Nußschloss ; latin : Subalpestris ) est une commune du comté d’ Alba, dans les monts Apuseni de Transylvanie occidentale, en Roumanie .
Et c’est en cherchant des informations sur cet endroit, que j’ai fait la connaissance de Cristian Florin Bota, l’infatigable historien et promoteur du comté d’Alba, qui est devenu mon ami, et qui m’a fait connaitre les richesses insoupçonnées de sa région et avec qui j’ai eu l’honneur de collaborer jusqu’à l’autre bout du monde.
J’ai eu l’occasion de décrire, au moins partiellement, ses découvertes dans plusieurs articles :
Dialog la Stremț (Dialogue à Stremţ)
Trecutul viu la Teiuș (Le passé vivant à Teiuș)
Qui plus est, dans le Musée d’ethnographie/Néprajzi Mùzeum de Budapest, j’ai rencontré un nombre incalculable d’objets, images, vitrines, descriptions… du riche folklore hongrois du pays de Călata, ce qui a attisé ma curiosité et incité à visiter cette contrée peu connue (touristiquement parlant) en Roumanie. D’autant plus que l’on m’a dit que le folklore de Kalotaszeg étant resté plus près de ses origines hongroises, des cars entiers de touristes débarquaient de Budapest, à la recherche de cette « authenticité », depuis longtemps disparue dans le pays voisin !
Une fois de plus, j’ai eu la chance de « dénicher » un client potentiel dans la région, peu de temps avant le jour où j’allais passer à la retraite.
Mais, cette fois-ci, j’étais, doublement, en « pays connu » !
Non seulement que cette entreprise ne se trouvait pas loin de la région que je souhaitais visiter, mais il s’agissait de la filiale d’un groupe industriel français (EPC – Explosifs Produits Chimiques), qui avait été fondé en 1893 par deux associés, dont l’un était l’arrière-grand-père de mon épouse !
Je n’ai eu donc aucun mal à convaincre son directeur technique de m’accompagner, en septembre 2006, à seulement 50Km de Cluj-Napoca, la « capitale historique » de la Transylvanie, tout près de Huedin, au cœur du Pays de Călata/Kalotaszeg.
Une fois sur place, j’ai retrouvé des édifices similaires à ceux réalisés par Kós Károly dans le zoo de Budapest. Mais, ils reproduisaient aussi des peintures et mosaïques vues dans les œuvres d’Aladár Körösfői-Kriesch, l’artiste qui avait fondé l’ « Ecole de Gödöllő » à Diód en Transylvanie, qu’en 2006 j’avais déjà visité à plusieurs reprises.
Mais, la vision la plus impactante a été celle des paysannes hongroises de la région, qui proposaient à la vente des objets folkloriques multicolores dans l’esprit et avec les inscriptions traditionnelles de la région.
J’ai vite compris, en regardant la longue file de cars, immatriculés en Hongrie, que j’étais arrivé… avec quelques années de retard !
Mais, il ne fallait pas bouder son plaisir ! Surtout, en découvrant les vieilles paysannes qui avaient transformé l’artisanat en industrie. Et pourtant, elles ne parlaient pas un traître mot de roumain !
Les couleurs restaient les mêmes, les motifs folkloriques aussi… que peut-on demander de plus ?
Comme disait un de mes amis, il y a déjà une cinquantaine d’années : « Quoique l’on fasse, il y aura de moins en moins de personnes ayant connu Napoléon, quand il était encore enfant ! »
* * *
A peine un mois plus tard, à Budapest, je rencontrais mes amis Berta et Gabor, un couple magyar-transylvain, qui habitent New-York, et que je connais depuis… plusieurs décennies. On a pu parler ensemble de mes récentes découvertes, autour d’un bon repas (hongrois !) à quelques mètres du Jardin zoologiques et des édifices construits par Kós Károly.
Mais eux, les veinards, parlent couramment le hongrois ! Pas moi !
J’ai même appris que Berta, née à Bistriţa-Năsăud, mais qu’elle a quitté vers l’âge de 11 ans, pratique un Hongrois plus riche et traditionnel que ceux nés à Budapest !
Pour mémoire : Bistrița (en hongrois : Beszterce ; en allemand : Bistritz) est une ville de Transylvanie, dans le nord de la Roumanie, et le chef-lieu du județ de Bistrița-Năsăud.
Cela me rappelle les histoires québécoises, même si la distance en kilomètres et en temps, est bien moindre entre Bistrița-Năsăud et Budapest !
Le lendemain, je suis retourné visiter le Musée d’ethnographie/Néprajzi Mùzeum de Budapest. Et j’ai remarqué des détails folkloriques non aperçus à ma précédente visite. Je commençais à devenir un vrai « transylvain » !
Et, je me suis souvenu du propos que l’on prête au grand photographe Brassaï, né à Brașov.
Brașov (/braˈʃov; en allemand : Kronstadt, « ville de la couronne » ; en hongrois : Brassó) est une ville du centre de la Roumanie, à la courbure des Carpates. Elle se situe dans le pays de la Bârsa, région historique de la Transylvanie.
Quand on lui a demandé s’il était roumain ou hongrois, Brassaï aurait répondu : « Ni l’un, ni l’autre. Je suis transylvain ! »
Et, pour rester dans la même veine, le lendemain je suis allé déjeuner dans l’un des plus fameux restaurants de Budapest : Bagolyvár (Château des Hiboux).
« Le « Château des Hiboux » a ouvert ses portes à côté du zoo il y a plus de cent ans, en 1913. Le bâtiment du château des hiboux a été conçu par l’architecte Károly Kós, l’architecte de plusieurs bâtiments du zoo afin de créer une image uniforme. Situé juste à côté du restaurant voisin Gundel, le Château des hiboux a été construit dans un style Art Nouveau folklorique rappelant les motifs d’art populaire de Transylvanie, et il a reçu ce nom parce qu’à sa place il y avait un bâtiment en bois branlant dans lequel les hiboux pouvaient parfois habiter. L’édifice a été conçu de telle sorte qu’il ait la vue et une terrasse non pas vers la rue, mais vers le zoo. Ainsi, les clients peuvent admirer les bâtiments du zoo encore de nos jours. »
Je dois avouer que, même si j’ai déjeuné plus d’une fois dans ce restaurant qui propose une cuisine authentique de Transylvanie, je n’ai jamais commandé le « Chou farci à la Kolozsvár » (Cluj-Napoca, en roumain). Parce que, malgré mon amour pour la Transylvanie, je préfère les « Sarmale à la Valaque ».
Comme je l’ai déjà expliqué dans le texte :
Caesar males tras nice ! (II)
* * *
Dans les années qui ont suivi, même si je suis retourné aussi bien en Transylvanie, qu’en Hongrie, j’avoue que ce sujet ne m’a pas préoccupé spécialement. Toutefois, de temps en temps, je retrouvais, à la faveur d’un article de journal ou d’un programme T.V., des informations sur l’activité passé de Kós Károly ou les « couleurs » du Pays de Călata.
C’est ainsi qu’en 2018, j’ai écrit un texte, où apparait l’une des réalisations de ce grand architecte à Budapest, intitulé :
Au Parc Monceau, entre la grille et les cerceaux…
Et, il n’y a pas longtemps, j’ai découvert sa maison, le manoir Varjúvár (Château des corbeaux) à Stâna (Pays de Călata).
Puis, au mois de décembre 2022, un article publié dans « Le Figaro » a attiré mon attention. On y parlait, sur une pleine page, d’une créatrice de mode que je ne connaissais pas : Gabriella Cortese.
L’article s’intitulait : « Le carnet de voyage de Gabriella Cortese » et le sous-titre disait : « Alors que sa griffe Antik Batik fête ses 30 ans, la créatrice globe-trotteuse, parisienne d’adoption, revient sur cinq destinations qui sont autant d’inspirations. »
Parmi ces cinq destinations, l’on trouve, en troisième position : « Budapest, la ville de sa mère ».
Voici la présentation, reprise dans le journal :
« Ma grand-mère maternelle était hongroise. Toute ma famille habitait à la campagne à une centaine de kilomètres de la capitale. Petite, j’étais hyperactive alors pour me faire tenir en place, elle m’a appris à broder, à tricoter. Mon amour pour les travaux de la main en général, et du fil en particulier, me vient de là. Les broderies de cette partie de l’Europe ont des couleurs magnifiques. En France ou en Italie, leurs tonalités sont souvent plus calmes. La Hongrie est aux portes de l’Orient, on y sent déjà cette envie de brillance.
J’ai réussi à amasser quelques pièces brodées anciennes venant de mon héritage familial. J’ai toujours une cousine là-bas que je sollicite pour dénicher d’autres trésors du passé. Mais malheureusement, c’est très difficile. Le pays a été détruit aux deux tiers par les guerres qui ont anéanti beaucoup de ce beau patrimoine. »
On dirait que Gabriella Cortese ne connaît pas le Pays de Călata !
Comme quoi, on peut voyager à Turin, Bali, New Delhi et Jaipur et ignorer ce que l’on trouve à deux pas de la maison de sa grand-mère !
* * *
Ce n’est certainement pas un reproche que l’on pourrait faire à Nadja Massün !
Parce qu’elle a voyagé et pris des photos aux quatre coins du monde, y compris à Kalotaszeg.
Cependant, au vu des images présentées dans l’exposition de l’Institut culturel du Mexique, on dirait qu’elle a été peu sensible aux « couleurs magnifiques » de Oaxaca, comme de Transylvanie. Sinon, elle aurait choisi de nous présenter ses splendide images… en couleur !
Mais, peut être que j’ai tort !
Je vous propose une expérience : je vais reprendre un de ces ensembles de photos prises en Transylvanie, débordantes de couleurs, …en noir et blanc.
Je compte sur les lecteurs de ce texte pour me dire lequel ils préfèrent !
Je reste à l’écoute !
Ou, comme disait Bugs Bunny, dans un célèbre film d’animations d’après-guerre : « I stay tuned ! »
Adrian Irvin ROZEI
Paris, décembre 2022