« Quero de novo cantar »*

Je suis tombé sur le café « lusoFolie’s » tout à fait par hasard.

Je marchais au long du viaduc de La Bastille vers 7 h du soir, regardant avec intérêt les boutiques des artisans installées sous les arches de l’ancien chemin de fer. Tous les  ateliers étaient fermés à cette heure. Et tout d’un coup j’ai entendu quelques accords de fado sortant d’une de ces voutes, la seule éclairée. A travers la vitre, j’ai remarqué une petite formation, une contrebasse, une guitare, un saxophone ténor et deux tambourins, qui jouait devant un public d’une vingtaine de personnes.

Le fado a été une de mes passions musicales au début des années ’70. J’écoutais alors, quasiment en boucle, les chansons d’Amalia Rodriguez, en essayant de comprendre les paroles. Ce qui aurait du être plus que facile – puisque le portugais est une langue latine !  – s’est avéré un casse-tête ! J’ai appris par cœur le texte de quelques chansons, sans comprendre un traître mot  de leur signification.

Mais, quelques dix ans plus tard, ceci m’a bien rendu service quand, dans un vol Lisbonne-Salvador de Bahia, je me suis retrouvé à côté de l’idole de la musique portugaise. Heureusement, Amalia Rodriguez parlait couramment le français et ainsi on a pu discuter quelques instants.  A l’arrivée à Salvador de Bahia, j’ai découvert que nous habitions dans le même hôtel et le lendemain j’ai eu la chance d’assister à son concert.

Entretemps, à partir de 1975, j’avais commencé à voyager deux fois par an en Amérique Latine. Et la première escale était souvent  Rio de Janeiro.

J’ai découvert ainsi que le portugais brésilien est beaucoup plus facile à comprendre que le portugais parlé au Portugal.

J’ai commencé à fréquenter là-bas la célèbre « Casas de show Canecão » où présentaient leurs spectacles tous les grands de la bossa-nova et du MPB (Música Popular Brasileira). Ainsi, j’ai eu la chance d’admirer sur scène Chico Buarque de Holanda, Caetano Veloso, Maria Bethânia, Paolino da Viola, Martinho da Vila, Gilberto Gil, Elis Regina, Antonio Carlos Jobim, Toquinho, Miucha  et tant d’autres artistes majeurs dont le nom n’est même pas parvenu en Europe !

Clara Nuñez, Vinicius de Moraes et Toquino (de droite à gauche), dans une photo des années ’70.

Clara Nuñez, Vinicius de Moraes et Toquino (de droite à gauche), dans une photo des années ’70.

Mais celui dont la présence était la plus imposante se nommait Vinicius de Moraes, l’immortel auteur de la « Garota de Ipanema », chanson connue en France sous le titre de « La fille d’Ipanema ».

Assis derrière un pupitre, au milieu de la scène, Vinicius – au Brésil tout le monde s’appelle par son prénom ! –célèbre poète, chanteur, compositeur et diplomate, dirigeait de main de maître ses musiciens qui allaient devenir plus tard de grandes vedettes internationales. Tout au long du spectacle, il se servait de grosses rasades  de whisky, sorti  d’une bouteille posée devant lui.  A la fin de la séance, la bouteille était toujours vide !

J’ai assisté, toujours à Rio, dans la salle de sport d’un gymnase de banlieue, au lancement d’un disque de Jorge Ben. La conjonction de la chaleur tropicale et du rythme fou, qui entrainait toute la salle dans une danse endiablée, faisait qu’à la fin de la soirée, comme dit Marie-Paule Belle, je « n’avais plus un poil de sec ».

Toutefois, ma préférée était Clara Nuñez, décédée beaucoup trop tôt, dont je fredonne encore aujourd’hui les grands succès des années ’80.

 *   *   *

J’ai décidé donc de pousser la porte du café et je me suis assis à une table. Autour de moi les clients avaient commandé, qui le plateau de fromages secs portugais, qui le plateau de charcuteries, mais toujours accompagnés d’un verre de vin ou de porto, venus de l’ Algarve ou de la Vallée du Douro.

Concert à "lusoFolie's"

Concert à “lusoFolie’s”

Petit à petit, l’ambiance de la salle s’est réchauffée. Et à ma grande surprise, l’un après l’autre, la plupart des « clients »  se sont levés, ont pris qui un micro, qui un tambourin et nous ont interprété la plupart des mélodies connues du répertoire traditionnel portugais ou brésilien.

J’ai entendu alors des sambas et des bossa-novae, des fados et des batucadas, des boleros et des lambadas que je n’avais pas écoutés depuis une dizaine d’années. Parce que dans les restaurants brésiliens de Paris on entend le plus souvent une musique « Made for export ».

A un certain moment ont résonné même les chansons des célèbres écoles de samba « Portela » et « Mangueira ». Ce sont les écoles – phare du Carnaval de Rio, là où j’allais le samedi soir, assister aux répétitions du cortège, dans les années ’70 et ’80.

Mais, à mon grand regret, je n’ai pas entendu les refrains de mon école préférée, « Beija-Flor de Nilópolis », treize fois gagnante du concours du Carnaval de Rio, entre 1976 et 2008.

Rio beija-flor

Il est vrai que dans les années ’70, je ne connaissais pas encore « Beija- Flor », encore moins Elena Teodorini ou Bidou Sayao.

Elena Teodorini a été une très grande chanteuse d’opéra, née en 1857 à Craiova, en Roumanie. Aujourd’hui, aussi bien le théâtre musical de la ville, que son festival, portent son nom. Sa carrière de chanteuse d’opéra a parcouru tous les méridiens de la musique, de Milan à New-York et de Buenos-Aires à Bucarest. Elle a été aussi la préférée de Massenet. La dédicace de ce grand compositeur français, qui dit « avec admiration complète et absolue », est inscrite dans le marbre du monument funéraire d’Elena Teodorini, au cimetière Sf. Vineri de Bucarest.

Elena Teodorini à ses débuts, partitions d’époque de quelques-uns de ses succès roumains et la plaque apposée sur l’édifice où se trouvait son Conservatoire, à Paris

Elena Teodorini à ses débuts, partitions d’époque de quelques-uns de ses succès roumains et la plaque apposée sur l’édifice où se trouvait son Conservatoire, à Paris

Une fois sa carrière de cantatrice achevée, elle a commencé une nouvelle activité : l’enseignement de l’art vocal. Tour à tour, « la Teodorini » a ouvert des conservatoires de musique à Paris, à Buenos-Aires et à Rio de Janeiro.

Un jour de 1909, au hasard d’une rencontre à Buenos-Aires avec Hariclée Darclé, une autre vedette immortelle de l’opéra née en Roumanie, elles ont eu un rapide dialogue :

H.D. : Pourquoi es-tu venue t’installer à Buenos-Aires ?

E.T. : Tu sais ? Là où j’ai trouvé des fonds, je n’ai pas trouvé de voix et là où il y avait des voix je n’ai pas eu de fonds !

L’endroit où elle a trouvé les deux, ce fut Rio de Janeiro. Là-bas son conservatoire, connu sous le nom de « Ars et Vox », a fonctionné quatre ans, entre 1918 et 1922. Mais quand, trop fatiguée,  Elena Teodorini a décidé de rentrer en Roumanie, sa meilleure élève, Bidou Sayao l’a suivie pour continuer à prendre des cours de chant. D’ailleurs, le vrai début international de  Bidou a eu lieu en 1924, au château de Pelesh, résidence d’été des rois de Roumanie, en présence du prince héritier du Japon, celui qui allait devenir l’Empereur Hirohito.

Bidou Sayao a fait par la suite une splendide carrière internationale.

Mais le point d’orgue de sa renommée a été marqué par sa présence dans le cortège carnavalesque de Rio de Janeiro. En 1995, l’école de samba Beija-Flor (colibri en portugais) a décidé de choisir comme thème de sa présentation la musique d’opéra. Le dernier char du cortège, le plus décoré, avait comme protagoniste Bidou Sayao, âgée de 92 ans, installée sur un trône au centre d’une reproduction du château de Pelesh!

Bidou Sayao, à Bucarest en 1924 et à Rio sur le char de Beija-Flor

Bidou Sayao, à Bucarest en 1924 et à Rio sur le char de Beija-Flor

Que n’ai-je pas tenté pour obtenir la photo de Bidou Sayao sur le char de Beija-Flor !

J’ai contacté, au début des années 2000, la chaine TV brésilienne « Rede Globo », qui détient le droit de reproduction des images du carnaval.

Je suis allé au siège de Beija-Flor à Nilopolis. Là-bas, dans une banlieue sordide de Rio, une superbe « mulata », que j’aurais  vu en  train de danser à moitié nue sur un char, plutôt que dans les bureaux de l’administration, a pris bonne note de ma demande et m’a assuré : « Vôce vai resolver ! » J’attends encore sa réponse au bout de dix ans.

Néanmoins, entre temps j’ai été contacté par un intermédiaire qui m’a proposé la photo de Bidou Sayao sur le char de Beija-Flor contre … 500 USD ! Ce que j’ai trouvé exagéré et j’ai refusé de payer.

En 2012 est apparu sur Internet le film complet du défilé de Beija-Flor en 1995, avec les images de Bidou Sayao en mouvement. Comme quoi tout arrive à celui qui sait attendre !                   

 *   *   *

Tout en y pensant, j’écoutais avec délectation les chansons interprétées par les musiciens du café de La Bastille où je me trouvais. En parlant avec eux, j’ai compris que rien n’était prévu d’avance. Les chanteurs et les musiciens avaient appris chez eux toutes ces musiques et, une fois devant le public, ils improvisaient joyeusement pour le grand plaisir de l’auditoire.

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A la fin du concert, quelqu’un dans la salle, peut-être le patron, nous a offert un verre de blanc, le « vinho verde » de l’Algarve. Et je ne sais pas d’où est apparu une brioche « Pão de Ló », parait-il un gâteau traditionnel fait pour Pâques au Portugal.

On m’a dit que le patron de « lusoFolie’s » compte organiser régulièrement de telles soirées.

J’y serai certainement la prochaine fois ! 

                                                      Adrian Irvin ROZEI

                                                        Paris, mars 2016

*Tristeza (Quero de novo cantar) chanson de Vinicius de Moraes, paroles Sergio Mendes

Une autre chanson célèbre de la même époque, à laquelle j’ai ajouté trois vers de ma composition, disait:

    Si tu vas à Rio,

    N’oublie pas de monter là-haut…

     Où va à la Bastille

     Quand les sons d’un orchestre

     Font résonner le fado! »


 

Monique de Rueil dit :
Merci de cet envoi en tous points intéressant ….. Endroit à découvrir, grâce à vous ! Amitiés, Monique.

Serge de Boulogne dit :
Bonsoir Adrian,
Sympa ton texte…! Le mode “nouvelle” permet une lecture aisée et pleine d’intérêt !
Serge

Jacques de Nevers dit :
Comment tu fais pour te rappeler et te souvenir avec autant de précision???
Jacques

Ion de Rio de Janeiro dit :
Merci et Bravo! Très joli.
Tenha una felis Pascua e receba uma abraço a compartilhar com todos os seus queridos.

Henri de St Cloud dit :
Les grandes rencontres des grands voyageurs…Henri

Jean Marc de Maison Laffitte dit :
Extra Adrian
Nous irons y faire un tour …. Jean Marc

Adrian de Neuchâtel dit :
Frumos articol! Merci!
La portughezi îmi mai place celebrul vin Mateus rosé, dar detest atât de mult mirosul sardelelor la gratar (îmi da senzatia sa vars), încât prefer vinul…fara portughezi. Am avut un portughez în vila în care locuim care mi-a amarât viata cu fumul de la gratarul lui de sardele câtiva ani, asa ca stiu despre ce vorbesc…

Am gasit ca portughezii seamana cu românii într-o privinta. Social, sunt foarte stratificati si între o familie de burghezi/aristocrati si o familie de muncitori diferenta de obiceiuri si comportament este la fel de mare ca si în România. Dar, vorba elevetianului, fara a generaliza, caracterul portughezilor este mai înclinat catre un fel de a fi pe care eu îl numesc “fara scrupule”. Adica au o morala a lor aparte, probabil, mai putin apreciata pe restul continentului. Sunt mult mai mult înclinati spre a însela, de pilda, si te lovesc “sub centura” fara nici o reticenta. Repet, fara a generaliza… Adrian

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