On the Road Again*

Feuilles de journal

Paris, 9/09/2016

J’ai découvert l’existence du courant littéraire intitulé « Beat Generation » il y a quelques années, grâce à Harold Chapman avec qui je suis en contact directement ou indirectement, depuis le début des années ’70.

Harold, aujourd’hui un photographe de réputation internationale, a habité Paris pendant la décennie des ’50 et a eu l’occasion de rencontrer la plupart des membres de ce groupe dans l’hôtel pouilleux du Quartier latin où ils habitaient. Ses photos sont l’unique témoignage du passage des principaux membres du groupe à Paris : à cette époque aux Etats-Unis leurs œuvres sentaient le soufre et en France ils étaient totalement inconnus, aucun de leurs écrits n’étant encore traduit en français.

J’ai eu l’occasion de raconter cette aventure, vue à travers mes contacts avec Harold Chapman, dans un article intitulé : « Objectif : Beat ».

Ainsi, quand j’ai vu que le « Centre Pompidou » à Paris annonçait une exposition intitulée « Beat Generation », je mourrais d’impatience de la voir. Malheureusement, je n’ai trouvé qu’aujourd’hui le temps pour le faire, à prés de deux mois de son ouverture ! 

Affiche-titre de l’exposition et mur avec les photos de Harold Chapman au « Beat Hotel »

Affiche-titre de l’exposition et mur avec les photos de Harold Chapman au « Beat Hotel »

L’exposition présentée par le Centre Pompidou, entre le 22 juin et le 3 octobre 2016, se compose de neuf sections intitulées : « New York », « On the road », « Californie », « City lights, « Mexique », « Tanger »,  « Looking for mushroms », « Paris », « Dreamachine ». C’est un parcours de globe-trotter qui correspond aussi bien aux contrées traversées par les membres du groupe, qu’à leur permanente fuite en avant, à la recherche de leurs phantasmes ou phobies.  D’ailleurs le manifeste-phare de ce mouvement, le roman « On the road » de Jack Kerouac, qui a jeté sur les routes du monde toute une génération de jeunes à la fin des années ’60, est présenté dans sa totalité –un « tapuscript »  de plus de 36 m !- dans le cadre de l’exposition. 

Comme dit si bien la présentation de cette manifestation, qui ne se limite pas à une exposition, mais qui est accompagné par des visites commentées, des conférences, des concerts/lectures et des rencontres « en vivo » : 

« … les beats apparaissent aujourd’hui comme les acteurs d’un mouvement culturel parmi les plus importants du 20e siècle. Les œuvres littéraires beat, accueillies avec mépris et suspicion, font aujourd’hui partie des chefs-d’œuvre de la littérature américaine. Le terme beat, emprunté à l’argot, signifie «cassé, pauvre, sans domicile ». Il reconduit le mythe romantique et bohème de la génération perdue. » 

En ce qui me concerne, je suis allé voir l’exposition avec deux buts avoués :

  • chercher la présence des membres du groupe à Paris,
  • chercher les éventuels liens avec les dadaïstes/surréalistes roumains de cette époque. 

D’ailleurs ces deux sujets se croisent dans le temps et dans l’espace. 

Pour ce qui est du premier sujet, j’ai du attendre la dernière salle de l’exposition avant de trouver les photos de Harold Chapman et une (fort sommaire) reconstitution d’une hypothétique chambre du « Beat Hôtel » à Paris, rue Gît-le Cœur. Avec des images prises dans la décennie ’50, alors que le parcours débute par des photos de 1964 ! 

Mais le tout se termine en beauté avec la célèbre photo, prise au « Beat Hôtel » par Harold Chapman en 1957, qui représente Allan Ginsberg sur son lit, assis en tailleur, sous les images de Rimbaud et de la reproduction d’un tableau de Cézanne –ses idoles-, esquissant un sourire de contentement et avec le regard perdu dans un improbable lointain. 

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Quant aux contacts avec les artistes roumains de l’époque, le texte de Jean-Jacques Lebel, un des « co-commissaires de l’exposition » ( !) publié dans le catalogue de l’événement et intitulé « Dadaïstes, surréalistes, clochards célestes et compagnie » nous explique tout. 

Il était inévitable que des jeunes écrivains américains ayant une telle admiration pour les artistes avant-gardistes du Paris de l’après-guerre ne les rencontrent, au moins dans les rues de la ville. 

On raconte même que

« … Carl Solomon – dédicataire de Howl, poème-manifeste de Ginsberg –) s’est identifié à Artaud après la tragique séance du théâtre du Vieux-Colombier où ce dernier, en 1947, a vécu en public une crise psychotique. Solomon en fut bouleversé au point de se faire interner dès son retour à New York en exigeant qu’on lui   administre des électrochocs, comme Artaud. »

Et quand on connaît les liens entre Ilarie Voronca et Antonin Arthaud… ! 

Tout aussi bien, sont mentionnés les contacts avec Man Ray,  Marcel Duchamp, Wilfredo Lam,  Breton… et la nébuleuse des surréalistes parisiens. 

Mais, Jacques Lebel ajoute :

« Breton, alité avec la grippe, nous fît faux bond, mais Elisa, son épouse souriante le remplaça, avec un plaisir manifeste. Ghérasim Luca se joignit à nous –il connaissait déjà Ginsberg et Corso pour les avoir reçu chez lui à trois reprises et avoir peint avec eux en 1957 une œuvre violement expressionniste… » 

Et, plus loin :

« Mais la plupart des commentateurs ultérieurs se voient obligés d’évoquer les mots tirés d’un chapeau en 1920 par Tristan Tzara, lequel, revenu en mauvais état de sa lugubre période stalinienne,  se baladait souvent vers 1957, boulevard Saint-Germain, où Ginsberg et Corso l’ont croisé. » 

Tout ceci nous amène naturellement à nous poser la question de la continuité entre le mouvement  dadaïste/surréaliste et le courant « Beat Generation ». Jacques Lebel y répond :

« On ne peut pas parler de filiation mais plutôt invoquer les affinités concrètes entre l’écriture automatique des surréalistes et la « spontaneous prose » ou la « spontaneous Bop prosody » de Kerouac. » 

Moi j’irais plus loin ! 

Sachant que les mêmes causes produisent les mêmes effets, on peut penser que les atrocités de la Première Guerre mondiale ayant généré le rejet manifesté artistiquement par le dadaïsme/surréalisme, il était normal que celles de la Deuxième conflagration secrètent la « Beat Generation ». 

Et il ne nous reste plus qu’a attendre la fin de la Troisième, commencé le 11 septembre 2001, pour découvrir sa traduction artistique.

Je suis prêt à parier qu’elle prendra plutôt la forme d’un retour aux valeurs traditionnelles, nos chers « beatniks » et leurs épigones ayant jeté le bouchon un peu trop loin. 

Qui vivra, verra ! 

                                                         Adrian Irvin ROZEI

                                                        Paris, septembre 2016 

* Ce titre, au-delà du livre de Jack Kerouac, fait référence à la chanson homonyme de Willie Nelson et Johnny Cash (1980), reprise en France par Bernard Lavilliers en 1988

One thought on “On the Road Again*

  1. J’ai beaucoup aimé Adrien, tes appréciations sur la période d’après guerre et la “beat generation”
    A+
    Jacques

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