On a retrouvé « l’Arlésienne » !

Les Allées Paul Riquet représentent depuis plus d’un siècle et demi le centre d’attraction de la ville de Béziers. A partir de 1838, date à laquelle la statue du fils de la ville qui a conçu et réalisé le Canal des Deux-Mers a été inaugurée au cœur de la Promenade, les bâtiments de prestige se sont multipliés dotant la cité d’un ensemble homogène qui est considéré par les spécialistes, avec les allées de Montpellier et celles d’Aix en Provence, comme le plus beau du Midi de la France. Cette vitrine de la ville moderne a généré aussi une vie culturelle et mondaine unique dans la région. Et chacun des édifices qui bordent les allées a une histoire plus ou moins captivante, qui peut intéresser ceux qui se passionnent pour le mode de vie à l’aube du XXe siècle.

Ainsi, jusqu’il y a peu de temps, on pouvait remarquer au n° 37 des Allées un immeuble qui dépareillait par rapport à ses voisins, connu sous le nom de « la maison Cauffopé ». Ayant la forme d’un éperon, bordé par la rue Boieldieu d’un côté et les Allées de l’autre, il ne comptait que trois étages prolongés par une sorte de tour abaissée qui servait de support à des panneaux publicitaires. Ce bâtiment avait abrité une bien connue pâtisserie, qui a fermée depuis longtemps.

L’immeuble avait été acquis en 1841 par un brasseur, Pierre Mathieu Cauffopé, dont les affaires prospères permirent l’achat de celui sis au n° 44, juste en face, qui marque l’angle entre les Allées et la place de la Citadelle.

Sa fille, Philippine Marie-Rose Cauffopé, née à Béziers en 1841, fit la connaissance d’un jeune homme, Frédéric Mistral, le neveu du fameux félibre, qui se trouvait en pension dans la ville. Entre les deux jeunes gens une idylle prit naissance et le mariage fut décidé. Plus que ça, un contrat de mariage fut signé le 14/11/1862 à Montpellier, qui définissait les obligations financières de chaque partie. Mais, peu de temps avant leur union, les parents du futur mari découvrirent une liaison de la fiancée et décidèrent de rompre le contrat.

Le jeune homme rentra chez ses parents au Mas du Juge à Maillane et, meurtri de chagrin, se défenestra. Tombé sur une table en pierre, il y trouva la mort. Quant à Philippine, à peine quelques mois plus tard, le 7 juin 1863, elle épousa Antoine Hérand, le fils d’un négociant brasseur, âgé de 29 ans.

Quelques temps plus tard, le poète Frédéric Mistral, raconta ce drame à son ami Alphonse Daudet, qui en fit le thème de sa fameuse « Arlésienne ». Qui, comme on l’a vu, aurait dû s’appeler « la Biterroise », mais qui, même travestie, généra l’ire  du fameux félibre.

Mais la Maison Cauffopé, à l’angle de la rue Boieldieu, continua à exister malgré son  manque de charme, surtout au niveau de sa pointe aval. Laquelle, en plus de son état de délabrement, cachait en partie la façade de l’immeuble des numéros 6 et 8 de la rue Boieldieu.

Cet immeuble, connu aussi sous le nom « le Kursaal », est représentatif pour le style « Belle Epoque ». Il a été construit en 1905, pour abriter la « Société des Grands Magasins parisiens ». Ici se trouvait depuis 1910, le cinéma « le Kursaal », qui a fermé ses portes il y a longtemps, comme tant d’autres salles du même type en centre ville. Après différents avatars, le reste du bâtiment a été abandonné en 1970 par la société de produits métallurgiques qui y avait installé ses bureaux, ouvrant la voie à de multiples changements d’affectation. Aujourd’hui, seul le rez-de-chaussée est occupé par un magasin d’alimentation. Mais, la façade du bâtiment, bien que dans un état d’abandon, garde encore les signes extérieurs d’un brillant passé architectural : un fronton sculpté, une marquise, un balcon en encorbellement et, surtout, d’énormes baies vitrées.

Alors, en 2014, la mairie de Béziers a pris une décision audacieuse. Ayant acquis l’immeuble Cauffopé, elle a décidé de démolir la pointe inesthétique et encombrante de l’édifice et d’aménager le terre-plein ainsi créé. Un petit parvis est ainsi en train d’être aménagé.

l'Arlésienne image 001Mais, le choix le plus original concerne la décoration de la façade ainsi créée.

Une peinture en trompe l’œil est en cours d’achèvement. Elle représente sur trois étages l’image d’une maison de rapport, tel qu’elles existaient il y a un siècle. Avec des fenêtres éclairées, des personnages derrière les rideaux, un fronton portant l’inscription « Maison Cauffopé » et, au rez-de-chaussée, une brasserie qui porte le nom de … « l’Arlésienne » !

Il ne reste plus qu’à restaurer la façade des « Grands Magasins » pour recréer une ambiance où Alphonse Daudet ne se sentirait pas dépaysé. Et, on peut l’espérer,

Frédéric Mistral lui accorderait son pardon !

                                                                                            Adrian Irvin ROZEI

                                                                                           Béziers, décembre 2015

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