Feuilles de journal
La Bastide Vieille, 12/02/2018
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?
– Lamartine
Plus de cent fois, j’ai affirmé : « Oui ! Les objets inanimés ont une âme ! Et elle est vicieuse ! »
Même qu’un jour, ma patronne de l’époque, Sophie M., après une telle affirmation, m’a demandé : « Adrian, êtes-vous sûr que ce n’est pas votre âme qui est vicieuse ? »
Je n’en sais rien, pour ce qui est de la mienne, mais pour « les objets inanimés » j’en suis de plus en plus convaincu, jour après jour !
Tout un chacun connaît la « La « loi de l’emmerdement maximum » (LEM) ou « loi de l’emmerdement universel » (qui) est une extrapolation de la loi de Murphy ». Et l’exemple le plus souvent mentionné est celui de la tartine qui tombe TOUJOURS avec la face beurrée vers le sol, quel que soit son centre de gravité !
Mais celui-ci est un cas simple, voir simpliste.
Il y a des cas bien plus sophistiqués !
En voici un, qui me concerne directement :
Depuis toujours, je suis un grand amateur, sinon un fanatique, …des pendules.
Comme enfant, à Bucarest, nous avions une pendule de cheminée en marbre noir, surmontée de la statue d’un poète romain assis, portant fièrement sur la tête une couronne de lauriers, qui écrivait, le style à la main, sur une tablette du même métal dans lequel il avait été tourné. Je l’ai admirée, pendant des années, et un jour, j’ai décidé de l’appeler « Ovide » !
Cette admiration ne m’a pas empêché, toutefois, de découper un petit bout de papier, que j’ai introduit entre son style et sa tablette, sur lequel j’ai calligraphié : « Sunt un prost ! » (Je suis bête !, en roumain).
Mon « Ovide » est resté en Roumanie, à notre départ, vendu pour 3 sous et demi !
Bien des années plus tard, à Paris, j’ai acheté la pendule « ELF Aquitaine ».
Pourquoi ce nom étrange ? Tout simplement parce que, les actions « ELF », que l’on a proposé aux membres du groupe à un prix préférentiel, ayant doublé de valeur en quelques années, j’ai vendu la moitié et, avec l’argent obtenu, j’ai acheté… une pendule ! Ainsi, je peux admirer tous les jours, dans ma salle à manger, mes « actions ELF » qui, en plus, m’indiquent l’heure exacte !
Un jour, au début des années ‘90 à Strasbourg, en voyage d’affaires pour la journée, j’ai fait un détour par le « déballage » en cours, dans les rues de la ville.
Et, tout d’un coup, qu’est que je découvre, sur un trottoir, allongé par terre ? Mon « Ovide » ou un poète romain similaire à celui de Bucarest ! Ce n’était, peut-être, que la copie de ce qui est resté dans ma mémoire pendant une trentaine d’années.
J’ai demandé, tout de suite, au vendeur, s’il n’avait pas la pendule qui va avec. « Bien sûr ! Mais elle est dans un tel état que je n’ai pas osé la sortir de sa boîte en carton ! » J’ai demandé à la voir. Le corps de la pendule était en très bon état, mais il manquait le mécanisme et… les chiffres du cadran !
J’ai profité de cet état des choses navrant pour négocier un prix… très intéressant. Me voilà maintenant obligé de transporter, dans l’avion, la statue en métal et la pendule en marbre. Quelques 10kg !
Heureusement, à l’époque, les mesures de sécurité dans les aéroports n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, donc j’ai pu transporter mon « Ovide » dans la cabine.

Ovide s’est trouvé une fonction inattendue : il porte fièrement, autour de son cou, les colifichets de mon épouse !
Une fois arrivé à domicile, j’ai du trouver le spécialiste capable de compléter et réparer mon « Ovide » ou plutôt sa pendule. Parce que, comme disait Brassens, « c’est ma règle et j’y tiens ! », toutes mes pendules doivent marcher. Même si, quelques fois, je ne les remonte pas, pour ne pas avoir un « concert » de sonneries un peu encombrant. De toute façon, je les règle avec un décalage de quelques minutes, pour pouvoir profiter de leur son cristallin, l’une après l’autre.
C’est alors que mon père est intervenu !
En allant dans plusieurs « Foires à la brocante », il a fini par rencontrer un vieux monsieur, horloger maintenant à la retraite, mais toujours passionné par son ancien métier. Pour faire plaisir à mon père, qui lui a raconté mes expériences dans ce domaine, il s’est proposé pour « restaurer » ma pendule.
Nous lui avons fait confiance ! Il est parti avec la pendule sous le bras et, quelques semaines plus tard, il est revenu avec mon « Ovide » comme neuf !
Il a trouvé un mécanisme d’époque XIXe siècle, les chiffres et, même, les aiguilles qui manquaient ! Mais, et ceci restera toujours pour moi un point d’interrogation, il s’est trompé, en installant, pour le chiffre « quatre », un « IV », au lieu du traditionnel « IIII » ! Comment un homme de métier avec tant d’années d’expérience ait pu faire une telle erreur ? Mystère total !
En tout cas, incapable de changer quoique ce soit, j’ai gardé ma pendule dans l’état. C’est certainement… une rareté !
Je n’insisterai pas trop sur les autres pendules que j’ai glanés par-ci, par-là.
Ni sur celle acheté chez un brocanteur d’Aix-en-Provence, que j’ai transporté en train jusqu’à Avignon, puis en TGV, jusqu’à Montpellier, puis en bus et en voiture sur autres 80km.
Ni sur la comtoise, héritée d’une tante de mon épouse. Pour la mettre en marche, après quelques bonnes dizaines d’années d’arrêt, nous avons fait appel à un vieux monsieur, encore une fois horloger à la retraite, mais… anglais !
Habitant depuis fort longtemps le Languedoc, Charles avait auparavant une boutique à Londres, si réputée qu’il avait réparé même la montre à gousset… du prince Charles. Il faut dire que ses prix étaient aussi en ligne avec les services rendus à la famille royale d’Angleterre ! Mais, il a su fabriquer, dans son atelier, une pièce qu’on ne pouvait plus trouver sur le marché.
Ni sur la pendule en marbre noir, type « borne », de la fin du XIXe siècle, que j’ai acheté chez un brocanteur de Béziers, pour la modique somme de… 29Euro !*
Quand j’ai fait remarquer à la patronne du magasin que la pendule n’avait pas de balancier, elle m’a sorti de sous le comptoir une boîte en carton, en me disant :
« Voici une dizaine de balanciers d’époque. Choisissez celui qui vous convient ! »
Eh bien, en fouillant dans ses « réserves » de balanciers, j’ai trouvé celui qui correspondait à ma (nouvelle !) pendule.
Il faut dire que, entretemps, j’avais étudié longuement le sujet !
Ceci m’a permis, en 2018, à l’occasion d’une visite à Rome, de jouer le spécialiste… dans le palais du président de la République italienne.
Comme peu nombreux sont ceux qui le savent, il est possible de « Visiter le Palais du Quirinal à Rome, le Palais des Papes, des rois et des présidents de la République ! Le Palais du Quirinal ou « palazzo del Quirinale » est situé sur l’une des 7 collines de Rome, celle du Quirinal. C’est la plus haute des collines. Le palais est la résidence du président de la République italienne. »
Au mois de mai 2018, le Palais du Quirinal présentait une exposition temporaire, intitulée : « Segnare le ore. Gli orologi del Quirinale ».
Exposition passionnante, mais réservée à ceux qui parlent la langue de Dante !
Parce que, le président Mattarella a décidé, en 2015, que le palais de la Présidence de la République, « appartenant à tous les italiens », devrait être ouvert à la visite, au moins partiellement, en permanence.
Ainsi, sur réservation anticipée, on peut visiter le Quirinal. D’ailleurs, le président lui-même a inauguré l’exposition des horloges, le 2 mai 2018.
« Sur le plus de deux cents exemplaires conservés, quarante-huit exposés, en grande partie de fabrication française, appartenant à une période chronologique située entre la fin du XVIIe et la fin du XIXe siècle et concernant en particulier le style Louis XV, sont des interprètes significatifs d’une “légèreté du temps » typique de l’époque », comme dit la présentation de l’exposition.
J’étais, donc, on peut le dire « en pays de connaissance » ! Ce qui m’a permis, non seulement de poser plein de questions au guide, d’apprendre plein de choses sur l’art de la fabrication des horloges et pendules à travers l’Europe, mais, surtout, d’admirer quelques exemplaires de facture exceptionnelle, rarement disponibles à la vue de tout un chacun.
Mais, ma pendule préférée est celle que mon épouse a héritée de sa tante.
Il s’agit d’une pendule avec deux colonnes en marbre noir dit « de Bruxelles », surmontées, au dessus du mécanisme, par un aigle en bronze aux ailes déployées.
Le « marbre de Bruxelles » serait :
« … un matériau noble de chez nous, le marbre noir. En Belgique, il n’est extrait qu’à la carrière de Golzinne, dans la commune de Gembloux. Un marbre réputé et apprécié bien au-delà de nos frontières. On en trouve au Taj Mahal en Inde, au Vatican, à Versailles par exemple. Pour trouver ce marbre wallon, il faut descendre à septante mètres sous le sol. »
En tout cas, cette pendule, selon la tradition familiale, ornait déjà le bureau du grand-père de mon épouse, il y a plus de cent ans. Et, selon son type de mécanisme, elle doit dater de la première moitié du XIXe siècle.
Cette fois-ci, la pendule marchait parfaitement, au moment où nous l’avons eu !
Je l’ai installé dans ma chambre et j’adorais entendre sa cloche, avec un son léger et musical, frappant les heures, en pleine nuit. Je la remontais, une fois par semaine, et elle faisait consciencieusement son métier… de pendule !
Jusqu’au jour où, en la remontant, j’ai entendu un bruit sec et la pendule s’est arrêtée ! J’ai compris, tout de suite, que le ressort avait cassé.
Que faire ? Je ne pouvais pas supporter l’idée de « sa mort » !
Alors, on a commencé la recherche d’un horloger prêt à se charger du remplacement du ressort.
Cette opération a pris… une bonne année ! Nous avons montré « la grande malade » à quelques cinq « grands docteurs de la science horlogère».
Deux d’entre eux ont jeté l’éponge tout de suite.
Un troisième, l’a gardé un mois, puis a déclaré… qu’il ne savait/pouvait pas faire. Et il nous l’a rendue… rafistolé avec un fil en plastique rouge !
Mais, le coup de grâce ce fût avec le cinquième, qui m’a demandé, pour la réparation,… 500 Euro !
Là, j’ai failli avoir une crise cardiaque ! Comment ? On peut acheter une pendule en marbre, d’époque « Napoléon III », dite « de notaire », pour 29 Euro, et moi je dois payer 500 Euro simplement pour remplacer un ressort ? Je suis peut-être fou, mais pas imbécile !
J’ai tourné et retourné le problème dans tous les sens ! Comment trouver une solution ?
Au bout d’un moment, j’ai eu un éclair de génie. Je le confesse, sans fausse modestie : « Et si j’essayais en Roumanie ? ».
Après une courte « étude de marché », on m’a recommandé un horloger de confiance et bon connaisseur du métier. J’ai fait démonter le mécanisme, je l’ai apporté avec moi à Bucarest et montré au « spécialiste ». Après une longue consultation, temps pendant lequel je me rinçais l’œil avec les horloges et pendules de son magasin, il a annoncé : « Je sais où trouver ce type de ressort ! Si c’est en Roumanie, ce sera 150Euro. Sinon, je dois le faire venir de Vienne et ce sera 200Euro ! »
Que faire ? Je n’avais pas le choix ! J’ai dit « oui ! » et j’ai attendu six mois, jusqu’à mon prochain passage à Bucarest.
L’horloger a trouvé le ressort en Roumanie, a fait la réparation et moi je suis rentré à la maison, content et heureux, sans avoir pu vérifier si la pendule fonctionnait. Enfin, nous avons trouvé, au fin fond des Cévennes, un horloger prêt, moyennant finances, à assembler le tout et vérifier la bonne marche de l’engin.
J’avoue qu’en revenant après une semaine chez l’horloger, j’avais le cœur serré ! C’était… le « quitte ou double » !
Eh bien, ce fût le « double » ! La pendule marchait parfaitement ! « Je l’ai vu, de mes yeux vu », et l’horloger me l’a confirmé.
En rentrant à la maison, je portais ma pendule… « comme un enfant de chœur porte un Saint Sacrement ! » (Brassens dixit !)
Une fois posée sur la table où elle officiait d’habitude, la pendule a fonctionné deux minutes… puis s’est arrêtée ! « C’est pas grave ! La table n’est pas horizontale ! », je me suis dit. Je l’ai tournée, callée, déplacée, vérifié son horizontalité, ainsi que celle du sol…, rien à faire ! Ma pendule refuse de fonctionner !
Sauf, si elle est installée de travers, avec son côté qui me regarde ! Et, dans ce cas, elle marche parfaitement, sans retarder ou avancer… depuis 15 jours !
Ce qui est tout a fait inhabituel pour une pendule qui, normalement, s’arrête au bout de 8 jours.
Je lui ai accordé quelques semaines de repos. Qui sait ? Le changement d’air ou d’altitude, la fatigue du voyage… Rien à faire ! Elle ne veut marcher que de travers !**
Et après tout ce cinéma, vous allez me dire que les « objets inanimés n’ont pas une âme vicieuse » ?
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, février 2018
*Une pendule « borne » identique est proposée sur e-bay au prix de 199Euro plus 20 Euro de livraison !
** Oui ! Mais deux semaines sans s’arrêter !
Bon courage pour la bonne heure d’été.