No sport, …but « Belem » ! (IV)

Boulogne, le 30/05/2024

 

Il y a un autre grand voilier, qui ne participe jamais aux manifestations qui réunissent périodiquement les « tall ships » du monde. Et pourtant, c’est un des plus grands et, certainement, le plus richement agencé et décoré. Au point que même les robinets de la salle de bain de la « master bed room » soient… en or massif !

Je veux parler du fameux « Sea Cloud », selon sa dernière appellation.

J’ai « chassé » ce monument de la marine à voile… sur toutes les mers du globe, sans jamais pouvoir monter à son bord !

J’ai décrit cette aventure dans un texte, qui a été publié en roumain et en italien :

Torna a Surriento*… o all’ Excelsior Vittoria? | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)

Torna a Surriento* | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)

Voici un extrait de ce texte (en français !) ayant un rapport avec notre sujet :

« Mais même là, une surprise m’attendait !

En regardant vers la falaise, je découvre un splendide voilier. Son profil me paraissait familier ! 

Et j’ai immédiatement reconnu le célèbre Sea Cloud, peut-être le plus beau voilier que j’ai jamais vu, même si je connais presque tous ceux qui naviguent aujourd’hui sur les mers du monde. 

Sauf que Sea Cloud n’a jamais participé aux régates organisées ces dernières années, à l’occasion d’un quelconque événement maritime international (le Jour de l’Indépendance des États-Unis, en 1986 à New York, Les voiles de la liberté, en 1989 à Rouen, les Tall Ships’ Races ( Cherbourg, 2005), Saint-Malo (Cinquantaire, 2006), Toulon, en 2007 etc.).

Ainsi, en presque 35 ans, je ne l’ai rencontré que deux fois : en 1981, dans les îles Caraïbes et en 1988 à Athènes, dans le port du Pirée.

Mais son histoire est tellement passionnante qu’elle mérite d’être racontée !

Construit en 1931, Sea Cloud fait partie de la même génération de voiliers que le Mircea, le navire-école roumain.

Tous deux sont de type « barque », sauf que Sea Cloud mesure 102 mètres de long et possède 4 mâts, tandis que Mircea n’a que 3 mâts et mesure 82 mètres.

Sea Cloud a été construit pour le millionnaire américain Edward Francis Hutton et a bénéficié, dès l’origine, d’un confort et d’un luxe exceptionnels (pont en teck massif, baignoires sculptées en marbre de Carrare avec robinetterie en or massif dans les salles de bains, cheminées en marbre, lampes en cristal de Murano, miroirs aux murs et beaux meubles dans les cabines).

La famosa Sea Cloud  nel porto del Pireo (1988) e nel Golfo di Sorrento (2014)

Depuis son lancement, le Sea Cloud, qui a changé dix fois de nom en 73 ans, a connu une carrière aventureuse, car déjà dans les années 1930, étant donné que le propriétaire du navire était l’épouse de l’ambassadeur américain à Moscou, le voilier était amarré en permanence dans le port de… Leningrad et servait de point de rencontre aux diplomates. Un film hollywoodien de 1943 intitulé Mission à Moscou raconte ces événements.

Lorsque les États-Unis entrent en guerre, tous les yachts privés sont réquisitionnés par le gouvernement, qui décide… de l’offrir au président Franklin D. Roosevelt, sous prétexte qu’il s’agissait « d’un effort de guerre » !

Celui-ci, refuse au départ, mais en 1942 il accepte quand même. 

Ainsi, la même année, les garde-côtes américains l’achètent pour le prix symbolique de 1 dollar ! Et vend les voiles, démonte les meubles, voire la sculpture de l’étrave !

Cependant, en 1944, le navire fut restitué à son propriétaire, accompagné de la somme de 175 000 Dollars en guise de dédommagement pour la restauration !

Le coût de l’entretien devenant exorbitant, le navire fut vendu en 1955 au dictateur  Rafael Trujillo, qui l’utilisa pour des croisières familiales, alors qu’officiellement c’est… le siège du gouvernement dominicain ! 

A cette époque, le yacht a changé son nom pour Yate Angelita d’après le nom de sa fille, mais Trujillo a installé sur le pont une sorte de faux canon pour pouvoir prétendre qu’il s’agissait d’un navire de guerre, et ainsi éviter de payer les taxes portuaires !

Finalement Rafael Trujillo est assassiné en 1961, et sa famille s’enfuit sur le yacht vers l’Europe, mais le nouveau gouvernement envoie un appel par radio lorsque le navire est près des îles Canaries, et l’équipage décide de retourner en République Dominicaine. 

Le nom du navire est donc à nouveau changé en Patria.

Ensuite, le gouvernement dominicain met le coûteux yacht en vente et, après cinq ans, le magnifique voilier trouve un acheteur, qui le transforme en “voilier -charter”. 

Après de nombreuses vicissitudes, Sea Cloud devient la propriété d’un groupe d’actionnaires hambourgeois. Aujourd’hui, il dispose de 32 cabines, donc il ne peut embarquer que 64 passagers, mais dispose d’un équipage de 40 personnes. Un vrai yacht de luxe !

Je n’ai évidemment pas pu visiter l’intérieur du navire, réservé exclusivement aux personnes disposant de moyens exceptionnels.

Mais en 1988, dans le port du Pirée où était ancré le Sea Cloud, j’ai réussi, après de nombreuses négociations, à monter sur le pont du navire. 

Encore une expérience unique ! 

*   *   *

Je ne reprendrai pas le détail des autres rencontres ponctuelles avec certains des « tall ships » déjà mentionnés précédemment dans ce texte.

Mais, je voudrais venir, enfin, à mes histoires d’hier et d’aujourd’hui du bateau qui m’a décidé de mettre « sur papier » cette compilation de souvenirs avec les Grands voiliers de ma vie.

Et pourtant, il ne s’agit pas du plus grand, ni du plus armé de tous ces bateaux ! Mais, il s’agit de l’un des plus anciens, avec une histoire et un destin… unique !

Je veux parler du « BELEM », le plus grand voilier de la marine française !

Faisons, d’abord, les présentations de rigueur:

« Belem est un trois-mâts barque français.

Elle a effectué son voyage inaugural en tant que cargo en 1896, transportant du sucre des Antilles , du cacao et du café du Brésil et de la Guyane française jusqu’à Nantes , en France.

Belem a échappé à l’éruption de la Montagne Pelée à Saint-Pierre, Martinique, le 8 mai 1902.

En arrivant à Saint-Pierre avant l’éruption, le capitaine Julien Chauvelon a constaté que les rades étaient pleines de navires. N’ayant aucun endroit où ancrer le navire, Chauvelon décida avec colère de jeter l’ancre quelques kilomètres plus loin, au large d’une plage, qui lui servait d’abri lors de l’éruption du volcan.

Elle a été vendue en 1914 à Hugh Grosvenor, 2e duc de Westminster, qui l’a convertie en son luxueux yacht de plaisance privé, équipé de deux moteurs auxiliaires Bolinder Diesel de 300 CV chacun.

En 1922, il devient la propriété de Sir Ernest Guinness, de la famille Guinness, qui le rebaptise Fantôme II et révise le gréement à partir d’un gréement carré.

Guinness a été contre-commodore du Royal St. George Yacht Club, à Kingstown, en Irlande, de 1921 à 1939. Il a été vice-commodore de 1940 à 1948. L’hon. AE Guinness a emmené le Fântome II lors d’une grande croisière en 1923 avec ses filles Aileen , Maureen et Oonagh.  Ils ont navigué sur les sept mers en effectuant un tour du monde via les canaux de Panama et de Suez, y compris une visite au Spitzberg . Lors de son approche du port de Yokohama alors qu’elle naviguait dans l’océan Pacifique, la barque a réussi à échapper à une autre catastrophe : un tremblement de terre qui a détruit le port et certaines parties de la ville de Yokohama. Guinness est décédée en 1949. Le Fântome II était amarré sur les routes de Cowessur l’île de Wight .

En 1951, elle fut vendue au comte vénitien Vittorio Cini , qui la nomma Giorgio Cini en hommage à son fils décédé dans un accident d’avion près de Cannes le 31 août 1949. Il était gréé sur un barkentine et utilisé comme voilier-école jusqu’en 1965, date à laquelle il fut considéré comme trop vieux pour une utilisation ultérieure et fut amarré sur l’île de San Giorgio Maggiore, à Venise .

En 1972, les carabiniers italiens ont tenté de le restaurer dans son gréement de barque d’origine. Lorsque cela s’est avéré trop coûteux, il est devenu la propriété du chantier naval. En 1976, le navire a été réaménagé en barque.

Finalement, en janvier 1979, il revient à son port d’attache sous le nom de Belem remorqué par un remorqueur de mer français, battant pavillon français après 65 ans. Entièrement restauré dans son état d’origine, il entame une nouvelle carrière de voilier-école. »

Moi, j’ai rencontré le Belem trois fois dans ma vie.

 

A suivre…

Adrian Irvin ROZEI

Boulogne, juin 2024

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