Boulogne, le 20/04/2024
Pour ce qui est de la présentation du quartier de La Défense, ceci ne me posait aucun problème.
Non seulement que je travaillais à cet endroit depuis près de deux décennies, mais j’avais suivi pas-à-pas l’évolution architecturale, logistique, sociologique, culturelle, gastronomique… que sais-je ?, du quartier, mais, qui plus est, j’avais mis au point un « trajet touristique » que j’infligeais, de grès ou de force, à mes clients préférés, qui venaient me voir à La Défense !
Pourquoi ça ? Simple !
Il est de « bon ton », pour les touristes qui viennent à Paris d’ignorer… tout ce qui est moderne. L’architecture de la ville s’arrête… à Haussmann !
Alors que La Défense cache des perles d’architecture, d’art et touristiques modernes… le reflet d’une évolution qui s’étire sur (bientôt !) un siècle !
Pour ma présentation, j’étais aidé, jusqu’à une dizaine d’années, par une exposition cachée dans les entrailles de La Défense, qui rassemblait les plans, les maquettes, les projets (réalisés ou avortés !) depuis… les années 1930 !
Passionnant ! A la condition d’avoir un « mentor » qui puisse vous raconter les anecdotes (dites et non – dites !) qui rendaient la vue des « objets inanimés » … pleines d’âme !
Comme disait un certain Alphonse de Lamartine :
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme » est le début d’un vers célèbre du poète français Alphonse de Lamartine. Il exprime le sentiment d’attachement que l’on peut éprouver pour des choses sans vie, qui ont été témoins de notre vie ou de notre amour. C’est une question rhétorique qui suggère que les objets peuvent avoir une âme qui s’attache à la nôtre et nous force à les aimer. »
Moi, je suis encore attaché… à mes souvenirs de La Défense, et j’y retourne de temps en temps, même si par moments
« Je ne reconnais plus,
Ni les murs, ni les rues
qui ont vu ma jeunesse… »
comme chante… qui déjà ?
A l’époque, le tour organisé pour mes clients s’achevait, sans changement, par un déjeuner sur le Toit de l’Arche, dans un restaurant qui, sans être « gastronomique », était de bonne qualité. Et, à la fin, je leur présentais Paris d’en haut de l’Arche, en leur disant, d’un ton grandiloquent :
« Messieurs ! Tout Paris est à vos pieds ! »
Je vous jure que, plus d’une fois, ils avaient la larme à l’œil !
Quant à mes patrons, ils appréciaient surtout… la note de frais très réduite !
Bien sûr ! Eux, ils invitaient leurs visiteurs à la « Maison du Danemark », où le repas valait deux fois plus cher et faisait la promotion… du saumon scandinave ! Moi, je considérais que j’avais autre chose à leur « vendre ». Et je me sentais obligé de parler, non seulement de « la vitesse de détonation du nitrate d’ammonium dans des solutions aqueuses à 18°C », mais aussi de l’histoire de « la Ville lumière » !
Et, pour autant que je me souvienne, personne ne s’est jamais plaint !
Même qu’ils se sentaient obligés d’en faire autant… quand je leur rendais visite dans leur pays !
* * *
J’ai donc accepté avec joie la proposition de ma chère correspondante suédoise.
J’ai choisi de donner R.V. aux « jeunes lycéens en classe terminale de l’ Östra Reals Gymnasium » au Karlavägen 79 de Stockholm » au pied de l’immeuble où je travaillais, à 17h.
Je surveillais leur arrivée depuis la fenêtre de mon bureau. Quand tout le monde était là, j’ai « convoqué » mes collègues dans mon bureau et leur ai dit :
« Messieurs, toutes ses jeunes filles blondes aux yeux bleu de 18 ans n’attendent que moi ! »
« Adrian, tu nous raconte des cracks ! »
« Vous voulez voir ? »
Je suis descendu et, après avoir salué poliment la dame, j’ai demandé aux jeunes de faire un signe d’ « au revoir » de la main vers la fenêtre de mon bureau.
Le lendemain, en arrivant au bureau, j’ai été noyé de mille questions.
Je me suis contenté de répondre : « C’est « L’enlèvement du Sérail » ! »
Et M. W., qui savait à quoi je faisais référence… n’a pas dit un mot. Mais, je suis sûr qu’il a… avalé de travers !
* * *
Une fois le tour de La Défense fini, sur les marches de l‘Arche, comme d’habitude, Mme. Holtzberg m’a invité pour le dîner au restaurant.
Eh, bien ! Elle avait choisi…le « Bouillon Chartier » !
Je connaissais cet endroit, que j’avais découvert grâce à l’un de mes collègues de l’Ecole des Mines, Jean-Claude Beaurain, un Parisien à 100%.
D’ailleurs, Jean-Claude, un vrai personnage de roman, m’a fait découvrir plein d’autres « merveilles », parmi lesquelles Renée Cuisinier (dit La Branlette), Harold Chapman, le « Beat Hôtel »… et plein d’autres choses encore ! C’est lui qui disait, en me jetant un sourire narquois à mon arrivée de Roumanie : « Nous sommes tous des chauds… Latins ! »
Et il m’imitait, en roulant les « r » : « Je crrrois que… ! »
Pauvre Jean-Claude ! Il nous a quitté pour un monde où j’espère que son humour est apprécié davantage que dans le nôtre, il y a une petite dizaine d’années. R.I.P.
Mais, en 1991, je n’y avais pas mis les pieds…depuis une vingtaine d’années. Ce fût une vraie (re) découverte. En si charmante compagnie !
* * *
Le 7 décembre 1992, je recevais à mon bureau une lettre de Stockholm qui disait :
« Cher Monsieur Rozei,
J’ai bien reçu les belles photos et mes élèves et moi, nous vous en remercions cordialement. Elles sont un bon souvenir de notre visite de la Défense rendue si agréable par toutes vos gentillesses et attentions. L’après-midi et le soir que nous avons passé ensemble étaient un grand succès, un début parfait de notre séjour à Paris.
Le reste de la semaine s’est très bien passé. Nous avons même dîné ensemble à Nos ancêtre les Gaulois mercredi soir. La raison – le 18e anniversaire d’une des jeunes filles.
Tous mes élèves me joignent pour vous exprimer nos meilleures vœux pour la nouvelle année, et nous vous présentons nos bien sincères salutations.
Margareta Holtzberg
P.S. Je reste à votre disposition pour une éventuelle visite à Stockholm par vous et Mme Rozei. »
La lettre était accompagnée d’une liste portant les noms des 22 élèves et de leurs signatures.
Quelle élégance !
* * *
En découvrant le « Bouillon Chartier » devant la Gare de l’Est, je me suis dit que c’est l’endroit idéal pour la rencontre avec mon ami hongrois.
Il était 17h., le restaurant était pratiquement vide, j’ai commencé à chercher l’endroit idéal pour une loooongue conversation en perspective et le dîner en fin de soirée.
Mais, prudent, je me suis adressé au comptoir principal pour m’assurer que mes contraintes soient acceptables pour les « autorités locales » !
On m’a répondu :
-vous ne pouvez occuper une table que si tous les clients sont arrivés en même temps,
-vous ne pouvez pas rester après la fin du repas,
-nous ne faisons aucune réservation. « Premier venu, premier servi ! » etc., etc.
Je me suis rappelé d’un restaurant du Blvd. Saint-Germain, dans les années ‘80, qui s’appelait « La Vieille trousse ». Dès que l’on payait, on entendait une voix qui clamait haut et fort : « T’as payé, tu peux t’en aller ! »
Merci ! Tout ça… c’est pas pour moi !
Et, comme disait un de mes meilleurs amis de l’époque : « Tirons-nous, vite fait ! »
Heureusement, le restaurant voisin « le Café de l’Est », qui indique sur la façade « restaurant de 11h à minuit », a accepté mes conditions ! Et, nous y avons passé… 5 heures ! En buvant, mangeant et… en bavardant à notre rythme !
C’est un vrai restaurant de gare ! Pas comme le « Bouillon Chartier », une « usine à bouffe » qui a remplacé depuis la pandémie la « brasserie alsacienne » de ma jeunesse.
* * *
Toutes ces histoires nous ont fait perdre « le cap » de ma route !
Je suis venu à la Gare de l’Est (aussi) pour chercher les murs peints… le « Street-Art » parisien.
Dans le livre de Thom Thom & Chrixel, la promenade no. 4, intitulée « Le renouveau des murs de l’Est » commence à la rue des Récollets.
Il s’agit de « l’un des premiers murs mis en place par le Conseil de Quartier… ». Si c’est ce que je découvre, il fait bien son âge ! C’est le problème intrinsèque lié à un « art éphémère » : faut-il conserver, restaurer, refaire… ou changer,
remplacer, mettre au goût du jour ?
Mais, ces derniers temps, avec la polémique générée par le remplacement proposé de la peinture de Chagall sur le plafond de l’Opéra de Paris, on découvre que le débat concerne même des œuvres censées être « pérennes ».
D’ailleurs, les auteurs du livre mentionné disent : « Le temps a passé mais les attentats de 2015 trouvent encore un écho fort sur les murs des Xe et XIe arrondissements. » Dans un monde où, jour après jour, une catastrophe remplace une autre dans l’actualité, on peut se demander quelle doit-être la « durée de vie » d’un tel souvenir ?
Mais, toujours les mêmes auteurs écrivent : «Sans constituer un pèlerinage, ce parcours de deux heures vous permettra d’explorer les faubourgs qui, pour se reconstruire et se réinventer, ont pu compter sur le street art. »
Bon ! Voilà une fonction de plus pour un « art éphémère » !
Je dois avouer qu’en deux heures, je n’ai pas réussi à parcourir même pas un tiers du trajet proposé ! C’est vrai que je ne cherche pas dans ses promenades QUE les œuvres Street-Art.
Je suis d’ailleurs obligé de marcher « le nez en l’air », au risque de me faire bousculer par un vélo ou une trottinette, voire carrément écraser par une voiture, pour découvrir de nouvelles œuvres ou… des publicités ou enseignes d’il y a un siècle ! Sans parler des atlantes, mascarons, balcons en fer forgé… d’un autre temps.
Dans la rue des Récollets, je découvre un mur peint qui n’est pas répertorié dans mon livre. Pendant que je prends un selfie avec la peinture, un jeune homme, adossé à la rambarde voisine, m’interpelle :
« Vous aimez ça ? »
Je lui réponds : « La peinture me semble toute fraîche ! »
« Je l’ai finie ce matin ! »
C’est ainsi que j’ai pu, pour la première fois, parler avec un auteur connu d’œuvres Street-Art !
Il s’agit de Yannick Martin « Visual Artist » de Marseille, qui signe ses réalisations « WHA-T », invité à exercer son savoir-faire sur les murs du quartier. Excellente occasion d’apprendre un peu plus sur le parcours d’un jeune artiste et la genèse de ses œuvres.
Je ne passerai pas en revue, une par une, les œuvres du passage des Récollets, du Faubourg-Saint-Martin, du passage Dubail ou de la rue des Vinaigriers… D’autant plus que certaines ont disparues, d’autres sont inaccessibles à cause des travaux de voierie ou presque effacées par le temps et les intempéries.
Mais, avant d’arriver au Canal Saint-Martin, je ne résiste pas au plaisir de mentionner une autre forme d’art, si chère à mon cœur : les panneaux en céramique ! Comme ceux que j’ai installé dans notre maison du Languedoc !
Au no. 50 de la rue des Vinaigriers, dans le restaurant « La Paëlla » on peut admirer un mur entier couvert d’un panneau représentant une scène traditionnelle de labour dans la péninsule ibérique.
Un de mes grands plaisirs, et un grand défi, est de tenter de reconnaître de loin le pays de provenance de ces céramiques ! Et de vérifier, en m’approchant, si j’ai deviné ou si je me suis trompé !
Il faut dire que, pour trouver les azulejos « de mon cœur », j’ai parcouru cinq pays sur trois continents pendant des mois et des mois.
Comme je l’ai raconté dans un texte posté sous le titre :
3 ans, 6 mois et 20 jours… (I)
3 ans, 6 mois et 20 jours… (II) en 2019.
Eh, bien ! J’ai reconnu, dans le restaurant de « Spécialités espagnoles Paëlla -Bar à Tapas -Cocktails » un panneau d’azulejos fabriqué au Portugal à Caldas da Rainha, pas loin de Lisbonne, par « Oficina Brito » !
Mais, j’ai découvert aussi, sur les murs du restaurant, les peintures d’un artiste contemporain, hautes en couleurs, CEKJA (Jacques en verlan !).
Quelle bonne surprise !
Je ne mentionnerai qu’au passage la « fameuse » (pour les amateurs de peintures murales contemporaines !) pointe « Jean-Poulmarc’h ». Tout comme, au long du Canal, la passerelle Arletty, l’Hôtel Citizen ou la bien connue reconstitution de l’Hôtel du Nord.
Mais, en suivant le Quai De Jemmapes, j’ai retrouvé la Cristallerie Schweitzer, dont j’avais longuement parlé dans un (long) texte publié récemment :
Encore une fois, c’était fermé ! Alors que l’on se bat pour éviter la fermeture définitive de ce « patrimoine du quotidien » !
Cela m’a rappelé une vieille anecdote :
« Un vieux juif priait, jour après jour, le Bon Dieu en répétant :
Dieu ! Tu es si puissant, si fort ! Fais-moi gagner le gros lot à la Loterie nationale !
Au bout d’un long moment, notre bonhomme entendit une voix venue d’en haut qui disait :
« S’il te plaît ! Aide-moi ! Achète un billet ! »
En plus court : « Aide-toi et le Bon Dieu t’aidera ! »
Adrian Irvin ROZEI
Boulogne, avril 2024
Top Adrian comme d hab : l’authentique rivalise avec le documenté et le croustillant Amitié JM