Boulogne, le 20/04/2024
Mais, en arrivant à la Gare de l’Est, un autre souvenir a ressurgi de ma mémoire.
Après notre départ de Roumanie, mon père avait gardé le contact avec ses anciens collègues de travail. Il les informait par écrit de ses activités et eux le tenait au courant de la vie de son ancien département et de ses membres.
Un jour, nous avons reçu une lettre d’une dessinatrice technique, ancienne adjointe de mon père, qui nous annonçait son prochain passage à Paris, en route… vers le Maroc ! Elle nous priait de l’aider pour le changement de gare à Paris. Bien sûr que nous avons accepté et au jour et à l’heure indiqué dans la lettre, j’étais présent sur le quai de la Gare de l’Est.
Je ne me souviens pas comment j’ai fait pour reconnaître Gabriela !
Je ne l’avais jamais vue ! Très probablement, elle nous avait envoyé une photo.
C’est ainsi que j’ai découvert l’histoire de sa visite.
Gabriela avait fait connaissance, en 1968, au bord de la Mer Noire, d’un couple de Marocains venus en vacances en Roumanie.
Ils se sont liés d’amitié et elle a été invitée au Maroc pour de courtes vacances. Gabriela a fait les démarches nécessaires et, oh ! Miracle, a reçu l’accord des autorités communistes roumaines pour effectuer ce voyage. D’autant plus facilement qu’elle laissait derrière elle un fils d’une quinzaine d’années (Gabriela étant divorcée.)
Mais, comme elle n’avait pas droit à des devises fortes, elle a dû payer le voyage (aller-retour) en Lei et en train. D’où sa demande de l’aider pour le changement de gare à Paris !
C’est vrai que Gabriela avait réussi à changer au noir… 10 USD.
Mais, pendant les quelques heures d’arrêt, entre deux trains, à Vienne, elle n’a pas su résister à la tentation et a acheté… une (belle !) paire de chaussures !
Donc, elle est arrivée à Paris, en vue d’un voyage en train de plusieurs milliers de kilomètres, sans un sou en poche ! Chère Gabriela !
En entendant toute cette histoire, mon père est intervenu et a dit :
« Gabriela ! Tu es pour la première fois à Paris ! Tu ne peux pas partir sans faire, au moins, un petit tour dans la ville ! Tu vas rester chez nous trois jours et tu continueras après ton voyage. »
« Mais, les amis marocains m’attendent à une date précise ! »
« Pas de problème ! Nous irons à la gare, on va changer ton billet de train et on enverra un télégramme à tes amis pour leur annoncer ces changements ! »
Gabriela a accepté et, bien sûr, c’est moi, étant en vacances, qui me suis chargé de ces démarches et… de la promener dans Paris !
Je dois dire que j’y ai pris grand plaisir ! Gabriela était très sympathique, très débrouillarde, totalement ignorante des subtilités de la vie française et moi, arrivé en France depuis seulement deux ou trois ans, je m’amusais à guetter ses réactions à chaque nouvelle découverte. Même, si elle était davantage passionnée par les vitrines des Grands magasins, que par l’histoire de France !
Le fait est que, Gabriela a continué sa route en train jusqu’au Maroc. A Casablanca, grâce à ses amis, elle a trouvé un job dans une société d’ingénierie et, comme elle était une dessinatrice très douée, elle est restée six mois et a accumulé un petit pécule.
La voilà de nouveau à Paris, sur le chemin du retour.
Mon père lui a demandé : « Puisque tu t’es si bien débrouillé, pourquoi ne pas rester en Occident où la vie est plus facile qu’en Roumanie ? »
« C’est vrai ! Mais, je veux revenir à Paris avec mon fils ! »
« Très bien ! Mais, tu prends des risques ! Jamais on ne vous laissera sortir ensemble ! Tu ferais mieux de rester ici, commencer les démarches appropriées et, probablement, dans deux ans ils laisseront sortir ton fils !»
Ce que nous ne savions pas, à ce moment-là, c’est que Gabriela, à son passage par Cerbère, le dernier arrêt du train avant la frontière franco-espagnole, avait « charmé » …le chef de gare !
Tant et si bien que celui-ci est arrivé, quelques mois plus tard, avec armes et bagages, à Bucarest, avec l’intention ferme… d’épouser Gabriela !
Inutile de décrire les complications de ce séjour ! Sachant qu’à l’époque il était interdit aux Roumains d’héberger un Occidental !
Mais, Gabriela, si débrouillarde, a soudoyé le milicien du quartier, qui venait même prendre un petit verre chez elle, en présence du chef de gare de Cerbère… sans remarquer rien d’anormal !
Nous, qui étions informés par différentes sources « non-officielles » d’une partie de ses aventures, avec les allées et venues du chef de gare à Bucarest, nous nous amusions à fredonner le célèbre refrain :
« Le chef de gare est amoureux
Chanson de Jean Ferrat
le chef de gare est amoureux youtube – Recherche Google
Quand il sort le matin d’la gare, chacun sourit chacun se marre
Quand il passe au milieu d’la rue, chacun murmure il est cocu !
Chacun chantonne il a des cornes, sa connerie n’a pas de bornes
Chacun le croit dur de la feuille, chacun se met le doigt dans l’œil !
Plaignez pas l’imbécile heureux, le chef de gare est amoureux !…
Chacun raconte à sa manière les safaris de sa panthère
Elle a la cuisse hospitalière, oui mais quand même elle exagère
Tout le monde est passé dessus, à part les trains, bien entendu
Chacun décrit, chacun relate sa façon de lever la patte !
Plaignez pas l’imbécile heureux, le chef de gare est amoureux ! etc… »
Malheureusement, malgré toutes les démarches accomplies, de part et d’autre, Gabriela n’a pas reçu les autorisations nécessaires pour épouser « l’élu de son cœur » qui, au bout d’un certain temps, a perdu patience et a abandonné cette affaire trop compliquée !
J’ai revu Gabriela, plusieurs fois à Bucarest à l’occasion de mes « visites au pays » dans les années ‘70. Elle regrattait de ne pas avoir écouté les conseils de mon père! Mais,… un peu tard !
A ma connaissance, elle n‘est jamais ressortie de Roumanie, au moins jusqu’à la chute du régime communiste.
Mais, à ce moment, je l’avais perdue de vue !
* * *
En sortant de la Gare de l’Est, j’ai cherché de l’autre côté de la rue, un restaurant agréable qui pourrait abriter le R.V. avec mon ami hongrois dans les conditions précédemment indiquées.
Je me souvenais que, dans les années soixante-dix, quand je revenais en fin de semaine, pendant un stage d’un mois et demi dans une usine de Metz, je dînais régulièrement d’une choucroute dans une brasserie alsacienne, juste en face de la Gare de l’Est. Comme c’était une des meilleures choucroutes de ma vie, j’y revenais avec grand plaisir.
Cette fois-ci, je n’ai pas retrouvé ma « brasserie alsacienne ».
Par contre, j’ai découvert le restaurant « Bouillon Chartier » !
Encore une vieille histoire… mais si amusante !
En juin 1971, j’étais à Stockholm pour participer à un congrès international en rapport avec le blanchiment de la pâte à papier.
A l’époque, j’étais Chef produit pour le chlorate de soude, dont le principal usage était… justement le blanchiment de… etc., etc.
Excellent moment, pas tant pour le contenu des dissertations, que pour les banquets, dîners de gala, visites des monuments de la capitale suédoise… En particulier, le banquet d’adieu qui a eu lieu dans la salle où, tous les ans, sont décernés les Prix Nobel.
Tout ça, sans parler du week-end qui précédait le congrès et celui qui le suivait, pour lesquels j’avais « concocté » un programme de « réjouissances » comportant la visite du Château de Drottningholm, suivie par une courte croisière-dîner sur un superbe bateau en bois des îles, et un dîner chez mon vieil ami suédois Töre, après une journée de ballade dans l’archipel sur son voilier.
En un mot, comme en cent : « Business as usual ! », pendant mes « voyages d’affaires ». Ce dur emploi du temps a été bouclé en 7 jours, du 11 au 17 juin 1991.
Un petit détail : pour le second week-end, j’avais fait venir mon épouse, toujours « au frais de la princesse » ! Et je ne parle pas de la famille royale de Suède !
Pour les quelques jours du congrès, j’étais accompagné par un de mes collègues, le « grand spécialiste » de la technique du blanchiment…, pour lequel les membres du « Département Oxygénés », dont je faisais partie, avait une trèèèès grande estime. Un vrai professeur Nimbus, même si son nom était « Prof. W. » !
En étudiant, comme à chaque fois, le programme des évènements culturels de la semaine, j’avais constaté qu’un soir où l’on n’avait pas de programme officiel, on donnait à l’Opera de Stockholm « L’enlèvement du Sérail » de Mozart. Fantastique opportunité de connaître un bâtiment plus qu’historique, tout en écoutant la musique sans pareil de Mozart !
Que peut-on rêver de plus ?
Par politesse, même si, un peu à contre cœur, j’ai proposé à Monsieur W. de m’accompagner. Cet homme de grande science m’a regardé d’un œil distant et m’a répondu : « Je ne vais pas à l’Opera à Paris ! Pourquoi irais-je à l’Opéra de Stockholm ? »
Soulagé, je suis allé assister au spectacle tout seul !
Mais, mauvaise surprise ! Les places étaient toutes vendues.
Alors, je me suis souvenu de mes bonnes expériences roumaines !
J’ai ressorti la formule classique « N’aveți un bilet în plus ? » (Vous n’auriez pas un ticket en trop ?)
En quelle langue ? Probablement en anglais ! Ce n’était pas le moment de fignoler !
Très vite, une dame BC. BG. m’a proposé une place. J’ai sauté sur l’occasion, en me « félicitant » de la décision de Monsieur W. S’il avait été présent, la bienséance, ou la bonne éducation, m’aurait imposé de la lui offrir. Puisqu’il était plus âgé et plus haut gradé que moi !
Quelle chance ! Mais, à partir de ce jour, aussi « grand savant » qu’il était, à mes yeux, il ne valait pas un kopek !
Dans la salle, j’étais assis, bien sûr, à côté de la dame qui m’avait proposé la dernière place pour l’opéra de Mozart.
Et, à l’entracte, nous sommes allés ensemble prendre le verre de champagne offert avec la place. C’est une habitude courante dans bon nombre de théâtres d’opéra dans le monde.
« Comment ? L’alcool, même en quantité infime est un poison grave pour la santé ! », diraient les wok-istes d’aujourd’hui ! Mais, il y a 30 ans, on ne vivait pas encore sous leur férule.
C’est ainsi que j’ai découvert que mon élégante voisine était professeur de français dans un réputé lycée de Stockholm. Nous avons, bien sûr, continué en français, en parlant de la musique de Mozart, de la mise en scène et même de l’histoire de l’Opéra de Stockholm, intimement liée au passé de la Suède par l’intermédiaire de Gustav III, son fondateur.
En nous quittant, j’ai laissé ma carte de visite de travail à mon aimable interlocutrice.
* * *
Trois mois ont passé !
En septembre 1991, je recevais de Stockholm la lettre jointe, qui disait :
« Monsieur,
L’été ’91 vous m’avez acheté le billet d’une amie indisposée pour l’Enlèvement du Sérail à l’Opéra de Stockholm. Pendant l’entracte vous m’avez beaucoup impressionné avec votre connaissance sur l’architecture de l’Opéra.
La semaine du 26 octobre au 1e novembre je ferai un séjour d’études approfondies à Paris avec un groupe de 22 lycéens de Östra Real, tous en terminale. Nous projetons de visiter la Sorbonne, l’Assemblée Nationale, la Bourse, Peugeot etc.
La matinée du lundi le 26 nous ferons un peu le tour de la ville, l’après-midi nous projetons une visite de la Défense.
Je me permets de vous écrire pour vous demander si vous auriez la possibilité de nous voir et de dire quelques mots au groupe sur l’aménagement de La Défense. Je vous en serais très reconnaissante.
Dans l’espoir de recevoir une réponse favorable, je vous prie de croire, Monsieur, à l’expression de mes sentients distingués.
Margareta Holtzberg »
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
Boulogne, avril 2024
C.P. din București scrie :
Asta … e de-ale Şeherezadei, nu întâmplător are strecurată o “șopârlă” orientală cu seraiul lui Mozart !
Aștept urmarea cu oarece curiozitate: am impresia că Défense nu este tocmai “ta tasse de thé”🤭🤫 şi mă întreb dacă vei fi încercat – și reușit – să le influențezi planul suedez, deturnându-i spre o felie mai istorică și mai culturală de Paris.
D.C. din Paris comenteazà:
Bună ziua, întâmplările povestite de Dv au mereu un caracter surprinzător. Vă citesc cu plăcere.
Al Dv. cu tot binele