La Bastide Vieille, le 18/11/2020
Feuilles de journal
Le 10 septembre 1967, quand j’ai débarqué à Orly, arrivant de ma Roumanie natale accompagné de mes parents, j’étais au septième ciel !
J’attendais ce jour depuis 16 ans ! En effet, c’est en 1951 que nous avons fait la première demande pour quitter le pays.
C’était rien, à côté de l’attente de mon père. Il avait fait ses études d’ingénieur en France, qu’il avait quitté en 1931, et depuis il rêvait d’y retourner.
Moi, j’avais été élevé dans l’idée qu’un jour « nous vivrons en France », dés mon plus jeune âge. Ce qui fait que, par moment, je refusais de parler le roumain !
C’est vrai que les films de Fernandel, Louis de Funès ou Jean Marais ne faisaient qu’attiser cette envie.
A l’arrivée à l’aéroport, nous avons été attendus par un cousin de ma mère, qui nous a amené chez lui. Repas, palabres, souvenirs etc. ont fait passer l’après-midi comme un rêve.
Enfin, vers dix heures du soir, il nous a accompagné rue de Moscou, là ou il nous avait réservé une chambre dans un petit hôtel.
Quel drôle d’idée que de nous fourguer « rue de Moscou » ! D’autant plus que, et nous allions le découvrir dès le lendemain, la première rue que nous avons croisé en sortant de l’hôtel, c’était la « rue de Bucarest » !
C’est évident que, mon père et moi, malgré les émotions de la journée, n’allions pas renoncer à cette rencontre avec la « Ville lumière » tant attendue ! Par contre, ma mère a décidé de rester à l’hôtel pour se reposer.
Nous sommes partis au hasard des rues. Mon père n’avait passé que quelques jours à Paris, 37 ans auparavant, à la faveur d’une escapade depuis Liévin, l’endroit ou il travaillait. Il ne se souvenait de rien, pour ce qui est de la « géographie » de la capitale française.
Très vite, nous nous sommes retrouvés Place de Clichy.
C’était une de ces merveilleuses soirées de fin de saison, comme chante Yves Montand, «…les soirs d’été quand tout le monde aime bien se coucher tard… ».
Une foule bigarrée encombrait les trottoirs, devant les brasseries, les cinémas, les bars… On s’apostrophait d’un groupe à l’autre, à voix haute, quelques notes d’accordéon flottaient dans l’air, le cliquetis des bocks de bière et des verres de vin se faisaient entendre… C’était Paris, tel que je l’avais rêvé et imaginé !
Et pourtant, nous ne nous sommes pas attardés !
Nous avons continué vers la Place Blanche, en longeant la façade du « Wepler ».
Mon père aimait tellement cet endroit que, plus de 40 ans plus tard, à l’âge de 101 ans, quand une amie lui a proposé de l’accompagner dans Paris, il a choisi le « Wepler ». Ce fut sa dernière sortie dans la Ville lumière, quelques mois seulement avant son décès !
Au lieu de nous diriger vers le Moulin Rouge, comme auraient fait ceux qui connaissent la géographie de l’endroit, nous avons entamé la montée de la Butte.
Ici, énorme surprise !
Tout d’un coup, un grand silence, plus personne sur les trottoirs, un éclairage de la chaussée très, très discret. Et, en regardant sous le pont sur lequel nous nous étions engagés, on a découvert, dans la pénombre,… des tombes ! Des statues, des monuments funéraires, des pierres tombales envahies par le lierre…
Un endroit sinistre, qui te fait froid dans le dos !
Et, tout ça, en plein Paris, à deux pas des « fêtards » qui profitaient de l’ambiance survoltée d’une fin de semaine d’été !
Comment pouvions-nous savoir qu’on était en train de traverser le Cimetière de Montmartre ?
Et que, sous nos pieds, dormaient dans leur « demeure éternelle » tant de grands personnages !
Parmi eux, Sacha Guitry, dont la dernière épouse fut Lana Marconi, elle-même roumaine, avec la tombe juste sous nos pieds !
Aussi que, quelques vingt cinq ans plus tard, à deux pas dans le cimetière, une tombe virtuelle allait rappeler le souvenir des victimes roumaines du régime totalitaire que je venais de fuir.
Nous ne savions pas, non plus, qu’à quelques mètres de là, dans l’Avenue Junot, se trouvait la maison de Tristan Tzara. Avec une plaque apposée depuis sur sa façade, qui mentionne son passage dans le quartier.
Nous avons continué, toujours au long de la rue Caulaincourt, vers le sommet de la Butte.
Ici, les arbres qui bordaient la rue et les villas des années ’30, me rappelaient les quartiers chics de Bucarest. Trop tranquille pour nous !
Nous sommes donc revenus à la Place de Clichy.
Mon père, friand de parler avec un français de souche, dont il avait été « sevré » pendant tant d’années, était prêt à discuter… avec le premier passant !
Comme allait chanter Joe Dassin, quelques années plus tard, « Je m’baladais sur l’avenue le cœur ouvert à l’inconnu, j’avais envie de dire bonjour à n’importe qui… ».
La seule personne disponible, ce fut… un clochard !
Vieux, gros, graisseux, dépenaillé, il traînait, une bouteille de bière à la main, accompagné d’une petite chienne blanche, toute frisotée.
Mon père a entamé la conversation.
Et le clochard nous a affirmé, tout de suite : « Vous voyez ma chienne ?
Elle a trois ans, mais je peux vous garantir qu’elle est vierge ! ».
Bien contents de l’apprendre, nous sommes rentrés à l’hôtel.
A l’époque, je disposais d’un « Visa de transit » de 72 heures.
53 ans plus tard, ils n’ont toujours pas réussi à se débarrasser de moi !
Et je compte y rester… pour l’éternité !
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, novembre 2020
As-tu acheté une place au cimetière ?
Extra
Belle arrivée sur Paris
M.B.G. de Genève écrit :
Votre article est maintenant, pour moi, aussi nostalgique que pour vous. Et quelles coïncidences : le Wepler, c’est rare que je n’y aille pas lorsque je vais à Paris et que je n’aille pas non plus à la librairie de Paris place Clichy. Place Blanche, ce n’est pas pour moi le Moulin Rouge, mais le théâtre “des deux ânes”.
A.M. de Lège-Cap-Ferret dit :
Emoționant. Mulțumesc pentru aceasta poveste 🙂