Service après-vente
Comme indiqué précédemment, ce texte a été écrit en 2009.
J’ai pu constater avec joie, que le sujet « Napoléon III et son image en France » est devenu entretemps « un sujet d’actualité » !
Mais, avant de regarder cette évolution dans le détail, il est bon de préciser quelques éléments en rapport avec l’action de l’Empereur des Français dans les Pays Balkaniques et, en particulier, sur le territoire de la Roumanie d’aujourd’hui.
Pour cette clarification, ma tâche est facilitée par un texte, publié dans la revue mentionnée précédemment : « 3R- Rădăcini, racines, radici » édité par l’Association « Memorie și speranță » dans son numéro 55 – 60 (juillet- décembre 2022) à Bucarest (Roumanie). »
Il s’intitule « A l’intersection des familles Rasponi, Bonaparte, Murat et Ghika » et il est signé par mon amie Madame Myriam Bulut-Ghika.
Voici le fragment qui nous concerne :
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EXTRAIT DE LA REVUE 3R N° 55-60 IULIE – DECEMBRIE 2002
(pp. 68-70)
2.3 L’intérêt particulier de Napoléon III pour l’unité roumaine
2.3.1 L’état des principautés jugé par la France
La France avait jugé sévèrement l’état des principautés de Moldavie et de Valachie.
Elle les voyait comme des régimes moyenâgeux en plein XIXème siècle. Elle les décrivaient comme suit. D’un côté, les grandes richesses étaient accaparées par le clergé orthodoxe et les moines dépositaires des Lieux Saints. La noblesse était composée de grands et petits boyards (7% de la population), possédant des terres, exemptés d’impôts et les seuls à bénéficier des droits politiques et civiques et les députés à l’Assemblée étaient nommés dans leurs rangs. De l’autre côté, les paysans (92 % de la population) payaient au gouvernement une taxe annuelle, aux communes une taxe par tête – capitation -, aux boyards un fermage jugé exorbitant en plus des jours de travail gratuits pouvant aller jusqu’à 50 par an. On leur demanda même de payer une taxe sur le feu de leur foyer ! S’ils quittaient leur terre, les boyards les prenaient[1].
Ce qui avait également frappé la France était le manque de culture aussi bien dans les classes privilégiées que dans les classes inférieures. On notait cependant une classe moyenne de petits boyards lettrés, de commerçants et de membres de professions libérales (1 % de la population), mais uniquement dans les villes[2].
Il n’y avait pas de routes, pas d’industrie, peu de commerce et la justice était au service des classes dominantes[3].
2.3.2 Les idées révolutionnaires françaises
Les idées révolutionnaires françaises se répandirent, dans les principautés moldo-valaques, à partir de 1820 grâce aux classes privilégiées, notamment de petits boyards, qui envoyèrent leurs enfants étudier à Paris, en particulier au lycée Louis le Grand. Ils furent élèves de Jules Michelet et d’Edgar Quinet. D’autre part, Lamartine patronnait la « société des étudiants roumains ». Rentrés en Roumanie les étudiants de Moldavie et de Valachie répandirent les idées révolutionnaires. La révolution échoua, en 1848, mais elle s’organisa clandestinement autour de sociétés secrètes. La communauté de langue – latine au milieu des peuples slaves – et de religion – orthodoxe – était un ciment puissant entre les deux principautés[4] .
2.3.3 La guerre de Crimée et l’impulsion donnée à Napoléon III
Les victoires françaises en Crimée, en dernier lieu à Sébastopol, permirent à la France de reprendre un rôle politique de premier plan après les échecs de Napoléon Ier. En fait, la diplomatie de Napoléon III consistait surtout à soutenir les peuples opprimés : l’Italie sous la domination de l’Autriche, l’Empire ottoman écrasé par la Russie, le Mexique menacé d’absorption par les Etats-Unis. Dans cette optique, les empires étaient appelés à disparaître. Ainsi, l’Autriche aurait dû offrir le libre choix à la Vénétie et à la Hongrie. Napoléon III voyait donc une paix générale dans une Europe d’Etats-nations homogènes, fondés sur les idées de la Révolution française. Dans ce but, il utilisait deux moyens : les congrès pour aplanir les difficultés et la consultation des populations par voie de plébiscite. En somme, on peut dire qu’il était un précurseur de la Société des Nations et de l’Organisation des Nations unies.
Il avait en tout cas pu mettre en pratique cette vision au congrès de Paris de 1856 qui scella l’indépendance de la Moldavie et de la Valachie vis-à-vis de la Russie[5].
2.3.4 Le projet d’union de la Moldavie et de la Valachie
Hippolyte Deprez, journaliste et écrivain qui avait beaucoup voyagé dans les principautés moldo-valaques, avait présenté à l’Empereur un projet d’union de la Moldavie et de la Valachie, mais avec une particularité : mettre à la tête un prince étranger, afin d’éviter les disputes du passé entre les grands familles roumaines. Mérimée – écrivain, historien, archéologue – sensibilisa l’impératrice Eugénie à cette idée qui avait déjà été pratiquée en Grèce et en Belgique. Le jeune boyard, Constantin Rosetti, lui fut présenté et Eugénie influença l’Empereur dans ce sens.
Napoléon III, auteur d’un ouvrage intitulé : « l’Extinction du paupérisme » voulait soulager la misère des populations en leur donnant un statut équitable. L’idée fut cependant accueillie avec réticence. La Grande-Bretagne voulait ménager l’Autriche et l’Empire ottoman en évitant un pays trop puissant à sa porte. Mais Napoléon III tint bon et proposa la création d’une commission présidée par un Français, Charles Talleyrand, fils d’un neveu du grand Talleyrand. La commission siégeait à Bucarest et devait proposer les bases de la future organisation des principautés. Il obtint la démission des deux voïvodes de Moldavie et de Valachie et l’Empire ottoman nomma des régents (caïmacams) : Alexandre Ghika en Valachie et Théodore Balș en Moldavie, ce dernier sera bientôt remplacé par Vogoridès, pendant que les deux assemblées élues (divans ad hoc) préparaient une constitution. Napoléon III pensait que les deux assemblées prôneraient l’union[6].
2.3.5 Napoléon III face à des difficultés
La Grande-Bretagne et l’Empire ottoman refusaient l’union. Les anciens étudiants moldaves et valaques de Paris la soutenaient. Ceux-ci découvrirent des anomalies et les injustices du régent Vogoridès. Ce dernier avait emprisonné des opposants, s’en était pris au clergé, mais il avait le soutien de la Grande-Bretagne et de l’Empire ottoman. Les comités unionistes furent dissous, les journaux furent interdits. On essaya de destituer le métropolite en voulant faire constater qu’il était fou, toutefois sans succès. On falsifia les listes électorales pour ne retenir que 10 % de votants. Les élections à un seul tour des grands électeurs en Moldavie eurent lieu le 19 juillet 1857. Le taux d’abstention fut record : 1662 électeurs s’abstinrent et 1023 votèrent. La politique de Napoléon III risquait d’échouer[7].
2.3.6 La diplomatie de Napoléon III
Napoléon III décida alors d’une entrevue éclair avec la reine de Grande-Bretagne, la reine Victoria. Le 6 août 1857, il débarqua à l’île de Wight. Il menaça de rompre les relations diplomatiques avec l’Empire ottoman et ordonna à son ambassadeur, Thouvenel, d’aller tirer du canon depuis un bateau, dans le port de Constantinople, pour montrer que les Français étaient prêts à agir. Les deux souverains se rencontrèrent à Osborne du 6 au 9 août 1857. L’Empereur français avait compris que l’Angleterre voulait empêcher la naissance d’un nouvel Etat, il insista donc sur l’inadmissibilité d’élections truquées. Les deux souverains jouèrent sur les mots et Napoléon III obtint l’accord de la Grande-Bretagne pour demander à l’Empire ottoman de faire annuler des élections truquées. La Grande Bretagne obtint la signature de Napoléon III sur un texte flou quant au maintien de la séparation des 2 Etats. Le texte était secret, mais la Grande-Bretagne le divulgua pour ne pas perdre la face, avec le commentaire selon lequel elle aurait gagné sur la substance alors que la France lutterait pour une ombre. Napoléon III fit semblant d’avoir perdu, mais, en fait, il avait obtenu de nouvelles élections en Moldavie et en Valachie.
2.3.7 L’unité de facto
Le 10 et le 22 septembre 1857 eurent lieu les secondes élections des représentants aux divans de Moldavie et de Valachie. Le 19 octobre 1857, le divan moldave votait à l’unanimité une motion solennelle pour l’union, à destination des 7 puissances garantes. Le 7 novembre 1857, le divan valaque fit de même. Néanmoins, les 2 constitutions furent différentes, contrairement à ce qu’attendait Napoléon III. Il s’agissait alors de voter pour élire les deux nouveaux régents. Chaque représentant de chaque grande famille présenta son candidat. La dispersion des voix fit qu’aucun d’eux ne fut élu. Le 17 janvier 1859 à Iași, en Moldavie, pour sortir de l’impasse, on présenta le nom d’un petit boyard, alors obscur, colonel de Moldavie, Ion Cuza. L’idée fut soutenue par Constantin Rosetti – celui qui avait des relations au sommet avec la France – et Cuza fut élu. Le 5 février 1859, lors de l’élection du régent en Valachie, on proposa le même candidat qu’en Moldavie : Cuza. Il fut élu. L’union de la Moldavie et de la Valachie fut ainsi réalisée en fait[8].
2.3.8 Le suivi exercé par Napoléon III
La régénération de la Roumanie fut une préoccupation constante de Napoléon III pendant 15 ans. Durant les 6 ans de règne de Cuza, il continua à conseiller ce dernier et à envoyer en Roumanie des coopérants de haut niveau. Lorsqu’en 1866, Cuza fut contraint de démissionner, Napoléon III veilla à ce que l’union ne vole pas en éclats. Il mit en place une commission à l’issue de laquelle Charles de Hohenzollern, le futur Carol Ier fut élu. Mais quel était l’intérêt de Napoléon III dans toute cette affaire ? II avait répondu que l’intérêt de la France était « partout là où il y a une cause juste et civilisatrice à défendre ».[9] Peut-être cette phrase a-t-elle, en cette année, résonnée à l’oreille de l’actuel Président français ?
–
[1] www.napoleon.org « le site d’histoire de la Fondation Napoléon »/ « Quand Napoléon III suscita la naissance de la Roumanie » par Abel Douay et Gérard Hertault
[2] ibidem
[3] ibidem
[4] ibidem
[5] ibidem
[6] ibidem
[7] ibidem
[8] ibidem
9 ibidem
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Un volume intitulé „Napoléon III. La modernité inachevée” vient d’être publié par Thierry LENTZ aux Editions Perrin.
Qui mieux qu’un écrivain familiarisé de longue date avec ces sujets peut donner un avis répresentatif sur ce livre?
Voici le texte publié dans le „Figaro Magazine” du 11 novembre 2022 par Jean Sévillia dans sa rubrique „La page d’histoire”.
Le texte s’intitule:
„NAPOLEON III Réhabilité„
Avec le sous-titre : « Jugeons Louis-Napoléon Bonaparte non plus seulement d’après le coup d’Etat de 1851 ou le désastre de Sedan, mais sur son œuvre modernisatrice. »
Une autre chronique générée par le même volume peut être lue sous la plume de Paul François PAOLI dans le « Figaro Littéraire » daté 24/11/2022.
Son titre est : « Napoléon III le mal-aimé » et il est suivi par le sous-titre : « Thierry Lentz revisite brillamment le rôle de l’empereur, qui fût positif à bien des égards. »
* * *
Entre le 19 et le 20 novembre 2022, a eu lieu le « Salon du livre d’histoire de Versailles ».
Un des sujets abordés dans le cadre prestigieux de l’Hôtel des Gendarmes, à deux pas du Château et de l’Hôtel de Ville de Versailles, dans le cadre du « Cafés des auteurs », était présenté dans le programme de la manifestation sous le titre : Thierry Lentz Napoléon III, La modernité inachevée (Perrin).
Bien entendu, cette présentation a attiré toute mon attention ! Elle s’est déroulée sous le sigle « Timeline » et a été animée par Richard Fremder.
L’auteur du livre a disposé d’une (courte !) demi-heure pour présenter son ouvrage, en développant l’essentiel des affirmations qu’il défend dans son volume avec une connaissance remarquable du sujet et avec une verve qui gardait en permanente haleine l’auditoire.
A la fin de la présentation, je me suis permis de soulever deux questions, liées aux aspects de la relation de Napoléon III avec les Principautés danubiennes :
-l’image de l’œuvre de l’Empereur vue de l’étranger, dans le monde d’aujourd’hui,
-les « liens » de Napoléon III avec la Colonne Trajane de Rome.
Thierry Lentz a compris très vite… où je voulais en venir !
Sa réponse, ainsi que la teneur des questions, peuvent être entendues encore, grâce aux enregistrements réalisés par les équipes de la chaîne de podcast Timeline 5000 ans d’Histoire et diffusés ensuite « sur cette chaîne et sur notre site histoiredelire.fr ».
Adrian Irvin ROZEI