La Bastide Vieille, 29/05/2021
« Quand la réalité restait en deçà de leurs espérances, leur imagination prenait le relais, substituant à une authenticité décevante des aventures hautes en couleur dont ils se persuadaient avec le temps qu’ils les avaient vécues…
Pas question de blâmer ces raconteurs d’histoires exotiques pour leurs affabulations ou leurs entorses à la vérité, puisque au fil de leur plume ils nous transmettent la fièvre qui les gagne. »
Laurent Maréchaux – Ecrivains voyageurs
En 2017, j’écrivais, dans un texte intitulé « Les fenêtres démurées» :
„Je ne suis pas un prince indien et je n’habite pas un palais.
Mais, nous avons plusieurs fenêtres murées dans une grange qui a plus d’un siècle d’existence. Alors, j’ai décidé de voir ce qu’il y a derrière les fenêtres.
J’ai ouvert la première fenêtre et j’ai trouvé une vue sur le Bassin d’Arcachon et la dune du Pyla.
La deuxième fenêtre s’ouvrait sur une église en bois du nord de la Roumanie, la région du Maramures.
La fenêtre suivante donne sur un hôtel de l’île de Taboga, au Panama, dans l’Océan Pacifique, là où Gauguin avait passé quelques mois il y a plus d’un siècle.
Enfin, une autre fenêtre cachait la vue de la cathédrale de Carthagène, en Colombie, sur les bords de la mer des Caraïbes.
Il reste encore une fenêtre murée. J’ai décidé de ne pas l’ouvrir afin de donner libre cours à ma fantaisie en imaginant la multitude de paysages qu’elle peut cacher. C’est la part du rêve !
Si Bouddha n’avait pas eu la curiosité de regarder à travers les fenêtres de son palais, il aurait vécu heureux, jusqu’à la fin de sa vie.
Mais peut-être qu’il se serait ennuyé copieusement !”
* * *
Depuis ce temps, je vis « content et heureux » avec mes fenêtres démurées !
Mais, en les regardant, jour après jour, je me suis rendu compte… qu’il manquait des choses !
Tout d’abord, une vue du Moyen Orient ! C’est une région où j’ai « traîné mes guêtres » pendant plus de cinq décennies et où je retourne régulièrement, même si maintenant ce n’est plus pour travailler.
Seulement, je n’ai plus de fenêtre à recycler !
Qu’importe ? Il reste encore des espaces vides sur les mûrs du hangar.
Mais, comment choisir l’image que j’aimerais voir et revoir, jour après jour ?
Tout d’abord, j’ai pensé à une vue de Dubaï. Qui ne manque pas dans mes albums – photos, puisque j’y suis retourné presque tous les ans, depuis 1983.
A mon avis, les images de Dubaï ne reprennent, que les aspects modernes de la région. Et j’aurais aimé me souvenir, aussi, de sa très longue histoire.
Comment faire ?
En 2019, j’ai décidé de faire un voyage au Moyen-Orient. Ce voyage, construit autour d’une croisière dans le Golfe arabique, devait m’amener aux Emirats Arabes Unis, à Oman, en Jordanie et au Liban. Je me suis dit que ce serait la bonne occasion pour faire LA photo que j’aimerais accrocher dans notre hangar.
Ce voyage a été évoqué dans plusieurs textes, dont :
Toujours au cœur de l’actualité !
L’Aziza, je te veux si tu veux de moi !
Mais, je n’ai (encore !) rien dit sur mon passage en Jordanie ! Et pourtant, après d’innombrables hésitations, c’est de là-bas que vient l’image choisie pour représenter le Moyen-Orient !

Amman : l’antique et le moderne, la gastronomie et l’artisanat… tant de choses à voir !
La Jordanie est un pays que je connais depuis 1974, à l’occasion de ma première grande tournée de près de 3 mois, qui m’a fait traverser l’Egypte, le Liban, la Jordanie, Israël et (deux fois !) la Péninsule de Sinaï !
Pour ce qui est de la Jordanie, mon voyage m’a fait découvrir le pays du Nord au Sud, avec Amman, Pétra, Salt, Maan, Zarqa etc., etc.
J’y ai vécu des expériences uniques et passionnantes, que je tenterai de raconter… un jour !
Mais, mon chouchou a été et reste encore… Jerash !
Selon Wikipedia :
« Jerash ( arabe : jaraš, جرش) est le chef-lieu de la province de Jerash dans le royaume de Jordanie. La population de l’agglomération dépasse 120 000 habitants. La ville moderne s’est établie autour du site de l’antique cité de Gérasa, parfois francisée en Gérase. »
Ceux qui souhaiteraient en savoir davantage, peuvent consulter la page : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jerash
La raison pour laquelle je suis un « fan de Jerash » et cela depuis près d’un demi-siècle, est que :
« Gérasa a été fondée à la fin du ive siècle av. J.-C. Ses habitants ont prétendu que la ville avait été fondée par Alexandre le Grand en faveur de vétérans de son armée. Cette prétention s’est exprimée tardivement sous la forme d’une monnaie frappée pendant le règne de Caracalla au nom « d’Alexandre de Macédoine, fondateur de Gérasa ». Néanmoins la cité n’a pris son essor qu’au iie siècle av. J.-C., les fouilles n’ayant pas permis de trouver les traces d’un établissement antérieur.
La ville fit partie de la Décapole… Elle est prise par le Nabatéen Arétas III en 73 av. J.-C., et enfin par les Romains (Pompée) en 63 av. J.-C. Ces derniers en firent une ville opulente : Gérasa reçut même la visite de l’empereur Hadrien en 129. »
« La visite de l’empereur Hadrien en 129 » ! Ce serait déjà une raison suffisante pour m’enticher de cet endroit !
Mais, pas seulement !
« Un grand nombre de monuments ont été dégagés et, souvent, reconstitués :
L’arc d’Hadrien (25 m × 21,5 m), construit à l’entrée sud de la ville à l’occasion de la visite de l’empereur Hadrien en 129, reconstitué après 1980 par des archéologues jordaniens.
L’hippodrome : c’est probablement l’un des plus petits du monde romain… Les deux grands temples de Zeus et d’Artémis furent construits essentiellement au milieu du iie siècle apr. J.-C…
Un autre temple, sous l’église Saint-Théodore, était probablement dédié à Dionysos.
Le forum ovale est sans doute le plus grand forum de l’Empire romain : faisant à la fois office de place publique, d’agora et de marché… c’est un élément architectural essentiel de l’urbanisme de la ville puisqu’il permet, par un effet de style, de faire la jonction visuelle entre le cardo maximus et le sanctuaire de Zeus qui, grâce à la forme particulière de la place ovale, semble se trouver dans la continuité de la voie principale de la cité. »
Etc., etc.
J’ai visité cet endroit trois fois, depuis ma découverte de 1974.
J’ai poussé le vice jusqu’à faire un « stop-over », en 2001, en Jordanie, entre Beyrouth et Dubaï, via Tel-Aviv, dans le cadre d’un voyage d’affaires, rien que pour visiter cet endroit !

Une rareté: un Tag d’enregistrement de bagage « Beyrouth – Tel-Aviv via Amman » en 1997 !
Cette fantaisie a failli me coûter cher, parce que, l’agence de voyage du Groupe TOTAL, par paresse, et malgré ma demande expresse, n’a fait qu’un seul dossier pour tout le parcours. Ce qui a fait qu’à l’aéroport de Beyrouth l’on m’a posé la question : « Pourquoi allez-vous en Israël ? ».
Pensez-vous que c’était le moment de répondre : « Pour vendre des explosifs ! »
Et, bien sûr, j’ai eu la même mésaventure à l’aéroport de Tel-Aviv !
En tout cas, ce passage de seulement une dizaines d’heures, m’a permis de prendre un taxi, de filer à Jerash, visiter le site et revenir à l’aéroport pour m’envoler vers Tel-Aviv !
Mais, en 2019, j’avais une motivation supplémentaire !
Un autre endroit « mythique » du Moyen-Orient que j’adorais et que j’ai visité trois fois entre 1974 et 2011, est Palmyre, en Syrie.
Quand j’ai appris la destruction de la cité de la reine Zénobie, en août 2015, j’ai été malade pendant quatre jours ! C’était, à peine, quelques années après mon dernier passage dans ce lieu! Et, je crains fort, le dernier de ma vie !
Parce que, comme dit si bien Annie Sartre-Fauriat :
«… je crains qu’une nouvelle catastrophe culturelle ne s’annonce avec les projets de restauration et de reconstruction portés notamment par la Russie. Veut-on vraiment reconstruire le temple de Bêl avec des matériaux d’aujourd’hui ? Comment retrouver l’âme de ce monument qui a été un temple païen, puis une église, puis une mosquée et qui gardait tout cela inscrit dans ses murs ? Veut-on refaire ses poutres historiées qui étaient les seuls témoignages de ce qu’étaient les rites religieux à Palmyre ? On va créer quelque chose qui s’apparentera davantage à Las Vegas où l’on peut aller voir Venise ou Paris en miniature. Je préférerais qu’on laisse le site en l’état. Une recréation virtuelle du site permettrait davantage de saisir sa dimension historique dans son ensemble, plutôt que la reconstruction d’un temple ici, d’une tour là pour attirer le touriste qui ne verra au finale que des monuments sans âme, sans patine et sans aucun intérêt. »
De toute façon, il n’était pas question d’aller en Syrie ! Et, malheureusement, la pratique démontre que tout moment d’accalmie dans la région doit être mis à profit pour visiter des sites qui risquent… de ne plus être visitables demain.
J’ai donc choisi Jerash… à plusieurs titres.
Et dans mon périple, j’ai décidé de ne passer en Jordanie que… 48 heures ! « Comment ? Tu n’es pas allé voir Petra ? »
Eh, non ! Non seulement parce que j’ai vu Petra… trois fois, depuis 1974, mais surtout parce que je craignais la foule de touristes, qui auraient gâché non seulement mon plaisir, mais surtout l’image et les souvenirs de cet endroit d’exception, engrangés à une époque où « if it’s Monday, should be Jordan ! » n’était pas encore la règle du touriste pressé !
D’ailleurs, à l’occasion de l’un de mes passages à Jerash, dans les années ’80, presque seul dans les ruines de la cité antique, j’ai entendu une dame crier à son fils de quelques 5 ans : « Ionel, nu te urca pe bolovanii ăia ! » (Jeannot, ne monte pas sur ces cailloux !).
J’ai découvert ainsi que j’avais à faire à une Roumaine. Elle avait épousé un étudiant jordanien, faisant ses études en Roumanie, qu’elle l’avait suivi dans son pays et qu’elle parlait à son fils en roumain et à sa belle-famille, en arabe.
Alors qu’en 2019, j’ai croisé un groupe de pauvres retraitées roumaines, à qui la guide faisait la morale, parce qu’elles s’étaient éparpillées parmi les ruines ! « O tempora, o mores ! »
Mais, pour éviter ce genre d’incident, cette fois-ci j’ai négocié avec un chauffeur de taxi, la veille, l’heure de départ, le prix, la durée du voyage.
Le lendemain matin, le taxi m’attendait devant la porte de l’hôtel, à l’heure convenue. Mais, ce n’était pas le chauffeur avec qui j’avais négocié ! J’étais un peu inquiet : autre négociation, autres conditions… ?
A ce moment, mon téléphone a sonné. C’était mon chauffeur de la veille qui m’appelait pour me confirmer qu’il avait une course plus « importante » et qu’il avait envoyé son beau-frère. Mais, que les conditions restaient inchangées. Et qu’il viendrait le lendemain pour m’accompagner à l’aéroport. Parce que, selon mes habitudes, j’avais négocié un forfait pour deux voyages, largement en dessus du prix annoncé sur les affichettes de l’Office du tourisme jordanien.
Qui plus est, le chauffeur m’a offert un détour, en fin de journée, par le Mont Nébo, l’endroit d’où Moïse a aperçu la Terre Sainte, pays dont il n’allait jamais fouler le sol !
Je reconnais que j’ai eu droit à un « traitement personnalisé » !
Seul inconvénient, mon chauffeur, qui était un barbu de quelques 120Kg, s’est arrêté plusieurs fois devant des mosquées, à l’heure de la prière, et m’a abandonné dans la rue, pendant qu’il remplissait ses obligations religieuses. Mais, à chaque fois, il m’a offert des biscuits et un Coca, en s’excusant pour ce retard non programmé !
Moi, j’étais aux anges ! « I love to mix with the natives! », comme disait un de mes amis français.
Encore une fois, j’ai eu énormément de chance !
Nous étions au début du printemps et il avait plu pendant 5 jours ! Mais, depuis deux jours il faisait un temps magnifique : soleil et chaleur raisonnable.
Tous les habitants d’Amman étaient sortis en famille, regroupés par dizaines autour d’un barbecue, avec les enfants qui jouaient et couraient partout, dans l’herbe verte, quelques fois au bord de l’autoroute.
Et les ruines antiques étaient entourées de plantes en pleine fleur, d’un jaune vif, qui grimpaient, au long des murs, parfois jusqu’à plus d’un mètre !
Quelle beautée ! Et en supplément, de bon matin, j’étais presque seul dans la ville antique. Même pas une dame attentive à la santé de son époux pour lui crier : « Jojo ! Mets ta laine, il fait frais ! », comme j’avais entendu auparavant en haut de l’Acropole !
En quittant Jerash, je savais déjà quelle serait la photo à installer sur le mur de la Bastide ! Mais, dans un esprit « démocratique », j’ai fait trois variantes, pour laisser choisir aussi les autres « bénéficiaires » de mon voyage.
Quelle chance ! Nous avons sélectionné la même photo !
La voilà, dans son cadre !
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, mai 2021