Posté le 01/12/2007
Le texte joint a été écrit en 2007, en roumain.
Pendant près de 20 ans, j’ai hésité devant le choix de le publier en français… ou non ! Parce que, sa publication en roumain a généré des commentaires… fort contradictoires !
Et voilà que j’apprends la « Panthéonisation » de Missak et Mélinée Manouchian.
J’ai, quand même, attendu les articles et commentaires sortis à la veille de cet événement national, avant de prendre ma décision.
C’est le texte suivant qui a fait pencher la balance :
En particulier, les références aux articles de Stéphane Courtois qui y sont mentionnées, ainsi que l’article du même, publié le 21/02/2024, dans « Le Figaro » :
J’ai eu l’immense honneur de faire la connaissance de l’auteur du « Livre noir du communisme » par l’intermédiaire de Georges Filip – Lefort, Commandeur de la Légion d’honneur, ancien chef de la zone Rhône-Alpes FTP – MOI, qui a été mon ami pendant une douzaine d’années. Bon nombre d’informations contenues dans ce texte proviennent de celui que j’appelais « Mon Commandant » !
J’ai décrit, d’ailleurs, sa vie et quelques-unes de ses expériences dans les textes :
Luptă, luptă… asta-i viața! | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
«Bonjour, mon Commandant!», «Repos!» | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
C’est mon passé que l’on jette à la poubelle ! | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
Je souhaite que les lecteurs de ce texte ressentent autant d’émotion que moi, alors que je l’écrivais !
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, février 2024
Il y a de nombreuses années, lorsque j’étais lycéen, je passais chaque jour sur le boulevard Dacia à Bucarest, à l’intersection avec la rue Polonă. C’est ainsi que j’ai remarqué, à quelques dizaines de mètres seulement, sur la façade rouge d’un immeuble des années ‘30, une plaque de marbre blanc sur laquelle il était écrit en lettres dorées:
OLGA BANCIC
10 MAI 1912 – 10 MAI 1944
COMBATTANTE ANTIFASCISTE DE ROUMANIE
EXÉCUTÉE PAR HITLER À STUTTGART
PAR DÉCAPITATION.
SA VIE HÉROÏQUE, SA LUTTE ET SA MORT ANIMENT AUJOURD’HUI LE TRAVAIL DU PEUPLE ROUMAIN SUR LA VOIE DU PROGRÈS
Même si j’ai été impressionné par la mention « exécuté par décapitation », j’avoue que je n’ai pas prêté beaucoup d’attention au contexte, d’autant plus que la dernière phrase, représentative du discours communiste tout-puissant de l’époque, me faisait plutôt croire à un montage de propagande façon “Vasile Roaită”**** ou “Henri Barbusse”****.
Ce n’est que 40 ans plus tard, dans d’autres pays, en 2004, à l’occasion du 60e anniversaire de l’exécution des membres du « Groupe Manouchian », que j’ai découvert la véritable histoire d’Olga Bancic.
* * *
Olga Bancic, de son vrai nom Golda Bancic, est née dans une famille juive pauvre de Chișinau. (Bessarabie, aujourd’hui République de Moldavie)
Très jeune encore, Olga Bancic commence à travailler dans un atelier de tapisserie et s’engage dans les mouvements ouvriers. Après avoir participé à diverses grèves, Olga Bancic est arrêtée et condamnée à la prison. Dans la même période, Olga épouse Alexandru Jar*****, un poète communiste, qui deviendra plus tard l’un des membres actifs de la résistance en France.
Durant cette période, Olga Bancic et Alexandru Jar vivent à Bucarest et participent à l’activité des jeunes communistes. Arrêtée en 1933 lors d’une manifestation antihitlérienne, Olga Bancic fut condamnée et passa plusieurs mois en prison, après quoi elle quitta la Roumanie avec son mari pour se rendre en Espagne républicaine.
Arrivée à Paris en 1938, Olga Bancic s’occupe intensément de l’aide aux réfugiés républicains espagnols. En 1939, naît sa fille, prénommée Dolorès, en hommage à la célèbre combattante communiste espagnole Dolorès Ibarruri.
Au début de la guerre, Olga Bancic intègre le groupe FTP –MOI (Francs-Tireurs Partisans – Main d’Œuvre Immigrée).
Ce groupe, sous le nom de MOI (Mouvement Ouvrier International) avait été créé par le Parti communiste depuis le début des années 1930.
Comme me l’a confirmé un témoin oculaire de cette époque, ce n’est qu’après que Staline ait dissous le Komintern, faisant taire « l’internationalisme prolétarien » afin de glorifier la lutte de la résistance nationale, que le nom de l’organisation a changé… mais en gardant les initiales originales, par un jeu d’apparences si caractéristique du système communiste.
Le groupe était composé d’Italiens, d’Espagnols, de Polonais, de Russes, de Hongrois, de Roumains, etc., mais aussi de fils d’immigrés ou de jeunes Français cooptés au gré des rencontres fortuites de la jeunesse. La plupart des membres sont des juifs, des communistes, d’anciens participants à la guerre civile espagnole au sein des Brigades internationales.
Cependant, la participation au FTP-MOI reposait principalement sur des affinités personnelles, souvent indépendantes de la couleur politique.
Un exemple caractéristique est celui du chef de la zone Rhône-Alpes, Georges Filip (Lefort), né en Roumanie, âgé de 24 ans, seul Roumain parmi les 11 commandants interrégionaux, sans antécédents communistes, ni issus de la guerre civile espagnole.
En fait, deux tendances coexistaient dans la résistance française : la gaulliste, divisée entre différentes fractions, et la communiste, sous influence soviétique, mais qui ne commença réellement son activité qu’après juin 1941, avec la disparition du Pacte Ribbentrop-Staline et l’entrée des troupes allemandes en Union soviétique**.
Le premier chef militaire du groupe FTP-MOI, et créateur de sa section parisienne, fut, en mars 1942, Boris Holban, un Roumain originaire de Bessarabie, né en 1908, dans une famille de juifs russes réfugiés en Roumanie.
L’organisation FTP – MOI mise en place par Holban était composée de quatre détachements :
- le premier – composé de Roumains,
- le deuxième – de Juifs d’origine polonaise,
- le troisième – d’Italiens,
- le quatrième – de spécialistes des déraillements de trains.
Tous bénéficiaient de services de liaison (surtout les femmes), d’information et de fabrication de faux documents, et même d’un embryon de service médical. L’ensemble de l’organisation, composé d’env. 30 partisans, aidés d’une quarantaine d’autres militants, menèrent 229 actions contre les Allemands en vingt mois, jusqu’en novembre 1943. Le plus retentissant fut l’assassinat du général SS Julius Ritter, chef du Service du travail obligatoire (STO), qui avait envoyé des centaines de milliers de jeunes Français en Allemagne.
Malgré le danger constant, la qualité des liens entre les membres du groupe était exceptionnelle. Voici comment Arsène Tchakarian, membre du groupe entré dans l’histoire sous le nom de « Groupe Manouchian », le décrit :
“Il y avait une telle amitié entre nous, tous ces gens venus de partout, juifs, espagnols, italiens, allemands, arméniens et français, bien sûr, une amitié fraternelle, au-delà de tout ce qu’on peut imaginer.”
Cristina Boicu, agente de liaison roumaine, parle de la même manière, plusieurs années après la guerre.
Et à propos d’Olga Bancic, le même Arsène Tchakarian dit :
“Son nom de code était Pierrette, je ne savais pas qu’elle s’appelait Olga, ni qu’elle était juive, ni qu’elle était mariée à Alexandru Jar, un important manager du groupe FTP – MOI, ni qu’elle avait une fille cachée dans le pays. “Pierrette” avait la responsabilité du transport des armes. Les femmes qui portaient les armes avaient une mission bien plus dangereuse que ceux qui combattaient avec l’arme à la main, elles n’avaient aucun moyen de se défendre.
Le chef du groupe préparait l’action, puis conduisait les camarades jusqu’au lieu de rendez-vous. Les femmes – Anna Richter, Olga Bancic – devaient, à l’heure convenue, apporter les grenades et les revolvers (nous en avions très peu). Ensuite, il fallait les récupérer, après l’action. Ce qui les exposait terriblement, car, après le choc d’un attentat, le quartier était immédiatement encerclé par la sécurité allemande, les bâtiments fouillés et certaines rames de métro arrêtées.
Les hommes qui avaient tiré prenaient immédiatement la fuite à vélo, mais Olga, qui attendait que les combattants aient fini leur mission, ne bougeait pas et récupérait les armes près d’une station de métro.
Dans certains quartiers, ces actions ont été très difficiles. C’était une époque où les résistants vivaient avec la peur de se faire prendre, ils étaient toujours aux aguets, ils ne faisaient confiance à personne.
Le danger était si grand que beaucoup de camarades avaient l’impression qu’ils n’arriveraient jamais au bout, jusqu’à la libération. Il fallait passer encore et encore à travers les mailles du filet. Ils pensaient toujours qu’ils seraient attrapés et fusillés. Les femmes étaient les plus attentives, elles prenaient le plus grand soin. Il y en avait dans le groupe qui n’avaient peur de rien, ceux dont les familles avaient été déportées, ce qui les rendait encore plus combatifs.
La plupart des militants avaient opté pour la clandestinité, notamment les Juifs, qui vivaient dans des conditions épouvantables. Le groupe prenait des risques terribles, car les actions étaient directes. Cela se faisait une fois par jour, parfois même deux.
Olga a participé à une centaine d’attaques contre l’armée allemande, soit la moitié des combats menés par le Groupe Manouchian.
Je ne savais rien d’elle, pour des raisons de sécurité. Il semblait que seul l’idéal lui importait. Le vendredi soir elle était toujours préoccupée. J’avais compris qu’elle avait un enfant quelque part, qu’elle allait voir le samedi. Une fillette de deux ans…”
En août 1942, Holban refuse d’exécuter l’ordre des autorités centrales FTP, qui réclamaient la multiplication des actions antinazies, et est remplacé à la tête du groupe par un Arménien, Missak Manouchian. Holban estimait que l’intensification des actions mettait en danger la sécurité de l’ensemble de l’organisation, déjà à la limite de l’acceptable. ***
Malheureusement, sa prémonition se révèle exacte : en novembre 1943, 23 militants sont arrêtés par la Gestapo, dont Olga Bancic, surprise en train de rencontrer Marcel Rayman, un autre leader du groupe.
Ce qui s’est passé ensuite n’est pas connu avec précision. Cependant, une partie de ces événements à résonnance historique ont été reconstitués, parfois de manière romancée, dans divers articles et livres, et en 1974 dans un film intitulé « L’Affiche rouge » de Frank Cassenti.
Les autorités françaises et allemandes décidèrent en 1944 de profiter de cette opération pour lancer une action de propagande. C’est ainsi qu’est apparue sur les murs de Paris une affiche, restée dans l’histoire sous le nom de « l’Affiche rouge », composée des photos de dix partisans du « Groupe Manouchian », accompagnée de leurs noms et de la liste des actions qu’ils ont menées.
L’affiche montrait également des images de catastrophes ferroviaires, des cadavres de “victimes des terroristes” et des armes utilisées. Les partisans photographiés avaient été soigneusement sélectionnés parmi les membres du groupe, de sorte qu’en plus de l’apparence « sauvage » souhaitée, ils portent des noms étrangers et difficiles à prononcer, de préférence des Juifs polonais ou hongrois, mais aussi un Italien, un Espagnol et un Arménien.
Ce dernier était Missak Manouchian, le « chef de gang », crédité de 56 attentats, 150 morts et 600 blessés. L’affiche portait le titre laconique :
« Des libérateurs ? » et, sous les images : “La Libération par l’armée du crime ».
En réalité, le Groupe Manouchian capturé par les Allemands était composé de 24 partisans, originaires de Pologne, Hongrie, Italie, Espagne, Roumanie, Allemagne, France, dont douze juifs. La seule femme du groupe était Olga Bancic, mais son sort allait être différent de celui de ses camarades.
Le procès du groupe Manouchian eut lieu en février et tous les membres furent condamnés à mort le 19/02/1944. Les 23 hommes ont été exécutés au Mont Valérien, en banlieue parisienne.
Ils ont eu au moins la chance, comme ils l’avaient demandé, de mourir ensemble.
Dans le cas d’Olga Bancic, la situation était différente.
Les Allemands n’ont jamais exécuté de femmes en France. À la page 103 du « Manuel de droit pénal de la Wehrmacht », il est indiqué :
« … les malades mentaux et les femmes enceintes ne peuvent être condamnées à mort ; le jour du verdict, le juge fixe l’heure de l’exécution et la communique aux intéressés, mais non au condamné ; l’exécution des hommes se fait par balle, mais les femmes seront décapitées. »
L’exécution par décapitation avait été choisie en raison de son « châtiment brutal, infâme et déshonorant réservé aux traîtres et aux opposants allemands au régime nazi ».
Plusieurs histoires, probablement romancées, décrivent la longue période passée par Olga Bancic à attendre l’exécution capitale, près de trois mois.
Une version parle d’une promesse de commuer la peine de mort en échange de quelques informations sur l’endroit où les armes du groupe étaient cachées. Peu probable !
Il est certain qu’Olga Bancic fut transférée en Allemagne, à Karlsruhe, où elle arriva le 20 mars 1944.
La voici enfermée dans une cellule constamment éclairée, jour et nuit, mais où on lui propose des cigarettes et de l’alcool à volonté. Quand elle demande « Pourquoi ? », on lui répond : « Parce que c’est la cellule des condamnés à mort. »
Fin avril, l’avocat commis d’office l’informe que la date d’exécution a été fixée au 10 mai 1944. C’est son anniversaire, alors qu’elle aurait eu 32 ans. L’avocat la prévient que “la décapitation est une manière humaine de procéder”.
En effet, cette opération s’accompagne d’une cérémonie compliquée et solennelle en Allemagne. Même le bourreau est vêtu d’une redingote noire, coiffé d’un haut de forme et de gants blancs.
Seulement, sous le Troisième Reich, ce métier « très facile » était devenu une corvée ! Si entre 1907 et 1937, 333 condamnés furent exécutés en Allemagne, durant les douze années du régime hitlérien, 41 000 condamnations à mort furent prononcées !
Ainsi Reihart, le bourreau de la ville de Munich, qui devait également officier à Dresde, Weimar, Brugchsal, Vienne et Stuttgart, est contraint d’abandonner la décapitation à la hache et de recourir à la guillotine, ce qui lui permettait d’obtenir un rendement plus élevé !
C’est de cette manière que, les autorités allemandes réussirent à procéder à Stuttgart, entre le 26 mars et le 24 août 1944, à 375 exécutions capitales, dont, bien entendu, certaines par balle.
L’exécution d’Olga Bancic a lieu le 10 mai 1944, à 5 heures du matin.
Mais avant de mourir, Olga Bancic écrivit une dernière lettre, adressée à sa fille Dolorès, dans laquelle elle disait, dans un français hésitant :
« Ma chère petite fille, mon cher petit amour,
Ta mère t’écrit la dernière lettre, ma chère fille, demain à 6 heures, le 10 mai, je ne serai plus.
Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir. Sois fière de ta mère, mon petit amour. J’ai toujours ton image devant moi. Je vais croire que tu verras ton père, j’ai l’espérance que lui aura un autre sort. Dis-lui que j’ai toujours pensé à lui comme à toi.
Je vous aime de tout mon cœur. Tous les deux vous m’êtes chers. Ma chère enfant, ton père est pour toi une mère aussi. Il t’aime beaucoup. Tu ne sentiras pas le manque de ta mère.
Mon cher enfant, je finis ma lettre avec l’espérance que tu seras heureuse pour toute ta vie, avec ton père, avec tout le monde. Je vous embrasse de tout mon cœur, beaucoup, beaucoup.
Adieu mon amour.
Ta mère.
Olga »
La lettre d’Olga, écrite peu avant son exécution, est arrivée longtemps après, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, entre les mains de sa fille.
Je ne sais pas ce qu’est devenue Dolorès, mais il semblerait que dans les années ‘70, elle vivait avec son père en Roumanie.
* * *
La première décision annoncée par le nouveau président de la République française, Nicolas Sarkozy, dans les heures qui ont suivi son investiture, a été la recommandation adressée aux enseignants de France que le 22 octobre de chaque année la lettre de Guy Môquet, écrite quelques heures avant son exécution par les Allemands en 1941, soit lue en classe.
La décision de Nicolas Sarkozy a surpris l’opinion publique et le monde politique français. Après le premier moment d’émotion, représenté par la lecture de cette lettre devant le monument dédié à la résistance, situé dans la clairière où plusieurs partisans ont été exécutés dans les environs de la capitale française, chacun a tenté de se rappeler qui était Guy Môquet, connu notamment pour la station de métro qui porte son nom.
Guy Môquet est né le 26 avril 1924 dans une famille de militants communistes de la région parisienne. Son père, Prosper Môquet, était fier d’avoir été élu député du Front populaire en 1936. La vie de Guy Môquet fut bien trop courte pour lui laisser de grands souvenirs ou lui permettre de participer comme acteur important à des événements exceptionnels. On sait cependant qu’étant élève au lycée « Carnot » à Paris, il eut des activités sportives et qu’en 1939 il adhéra à l’organisation des « Jeunesses communistes ».
En octobre 1939, son père est arrêté, emprisonné et son poste de député lui est retiré, accusé « d’attitude anti-française » en raison du soutien apporté à l’ennemi allemand, sur ordre de Moscou. Emprisonné en Algérie, il sera libéré par le général De Gaulle après son arrivée à Alger en 1943.
Le 13 octobre 1940, Guy Môquet avait été arrêté alors qu’il distribuait des manifestes à la gare de l’Est à Paris.
A cette époque, alors que le Parti communiste français défendait ouvertement les intérêts de Moscou, les manifestes distribués ne parlaient pas tant des actions contre l’occupant allemand que de la lutte pour la libération des prisonniers communistes et « condamnaient la « guerre impérialiste », provoquée par les magnats industriels pour obtenir de nouveaux profits ». Et ils affirmaient que « par haine contre la classe ouvrière, ils ont trahi notre pays et l’ont forcé à subir une occupation étrangère ».
Arrêté, torturé, à seulement 16 ans, Guy Môquet est conduit de prison en prison pendant un an. En octobre 1941, lorsque le commandant des forces allemandes en Loire-Inférieure est assassiné par un groupe de jeunes communistes, le ministre de l’Intérieur du gouvernement de Vichy choisit 50 militants communistes à exécuter en signe de représailles. Il estime qu’il est préférable de choisir les communistes pour éviter que “50 bons Français ne soient fusillés”.
Le 22 octobre 1941, Guy Môquet est exécuté à Chateaubriand, en compagnie de 27 autres camarades. Il était le plus jeune de ce groupe, n’ayant que 17 ans. Guy Môquet a affronté le peloton d’exécution avec énormément de courage, refusant d’avoir les yeux bandés. Il a même déclaré : “Je laisserai un souvenir dans l’Histoire car je suis le plus jeune des condamnés“.
Mais, avant de mourir, Guy Môquet a eu l’occasion d’écrire une lettre adressée à la famille, dans laquelle il dit :
“Ma petite maman chérie,
mon tout petit frère adoré
mon petit papa aimé”
“Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean. J’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino (NDLR -ses frères de combat). Quant au véritable je ne peux le faire hélas !
J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui je l’escompte sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t’ai fait ainsi qu’à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée.
Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme.
Dix-sept ans et demi, ma vie a été courte, je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine.
Je ne peux en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, en vous embrassant de tout mon cœur d’enfant. Courage !
Votre Guy qui vous aime
* * *
Guy Môquet, par sa sincérité, par son si jeune âge, par la détermination dont il a fait preuve jusqu’au dernier moment de sa vie, jusqu’à la naïveté de son dernier message, est devenu un symbole de la résistance française, même pendant la guerre. Des photos et des dessins représentant le jeune résistant circulaient déjà quelques mois après l’exécution, en secret, tout comme les photos du général De Gaulle.
En effet, le général De Gaulle adresse au père de Guy Môquet, en 1956, quelques lignes dans lesquelles il dit :
“Nous n’avons certainement pas perdu le souvenir de notre jeune Guy, de sa mort pour une France si courageuse et cruelle.”
D’innombrables rues en France, ainsi qu’une station de métro parisienne, portent aujourd’hui le nom du jeune héros.
Ainsi, la décision du président français concernant la lecture de la lettre d’adieu du jeune Guy dans chaque classe, à l’occasion de l’anniversaire de son exécution, est apparue comme une décision de bon sens, qui ne pouvait que fédérer l’ensemble de la société française autour de quelques valeurs traditionnelles de la nation, symbole pour la jeune génération et lumière allumée contre l’oubli.
Puisqu’il s’agissait en outre d’un jeune militant communiste, on pouvait s’attendre à ce que l’aile gauche de la société, et notamment le Parti communiste français, en perte de vitesse depuis des années, applaudisse des deux mains cette initiative.
C’était un calcul erroné, qui ne tenait pas compte de l’état sclérosé de la société française (et pas seulement !). Immédiatement, le Parti communiste et surtout l’une de ses courroies de transmission, le syndicat des enseignants (de gauche), ont commencé à manifester.
Dans l’impossibilité d’attaquer un symbole national, pour boycotter cette action ils ont inventé toutes sortes d’arguments, commençant par “le désir de récupérer notre héros”, continuant sous le prétexte de “la liberté de choix des pédagogues” et terminant par “le manque de temps pour expliquer le contexte dans lequel le message a été rédigé”.
Pendant plusieurs semaines, avant et après le 22 octobre 2007, les journaux, la télévision et la radio ont commenté, débattu, analysé, interviewé sur ce sujet.
Ce n’est ni le lieu, ni le moment d’évoquer les avantages et les inconvénients de ces débats.
Il convient cependant de mentionner deux faits :
– le texte de la lettre de Guy Môquet a été lu dans 93% des lycées (selon les statistiques du ministère de tutelle, contredites bien sûr par le syndicat des enseignants, mais sans aucun chiffre pour étayer ses affirmations),
– dans d’innombrables régions de France, des lycéens ont participé à des commémorations, des conférences, des projections liées à l’histoire de la résistance française en présence des héros de cette épopée qui, même si elle n’est pas très lointaine dans le temps, semble être une « histoire ancienne » pour les jeunes d’aujourd’hui.
L’une des déclarations les plus intéressantes de la fin de la journée de commémoration a probablement été celle d’une lycéenne de l’âge de Guy Môquet, au moment de son martyre, qui a affirmé :
« Je me sens beaucoup plus impliquée que si je le lisais dans un livre. Cela m’impressionne qu’il ait eu autant de courage au même âge que le mien… »
* * *
A Bucarest, sur la maison de l’ancienne rue Olga Bancic, la dalle de marbre a été arrachée du mur au milieu des années 1990. Les traces des tiges métalliques avec lesquelles elle avait été fixée subsistent. Qui a pris la décision de la supprimer ? Et changer le nom de la rue ?
La façade de l'(ancienne) rue Olga Bancic à Bucarest, en 2007
Deux personnalités historiques aux trajectoires si proches peuvent-elles être traitées de manière si différente, aux deux extrémités de l’Europe ?
Car le jour de l’exécution de Guy Môquet sera dédié, à partir de 2008, à la mémoire des jeunes résistants. Et pour donner suite à une opération de négociation, si à la mode ces jours-ci, un compromis a été trouvé avec les différentes autorités intéressées et il se perpétuera dans les années à venir.
Faut-il attendre l’élection d’un nouveau président à Bucarest pour qu’enfin puisse avoir lieu un véritable débat, comme celui qui a eu lieu en France, sur l’héritage du passé ? Et, si possible, sans réécrire l’histoire « à la mode d’aujourd’hui », telle que nous l’avons vécue pendant des décennies sous le communisme ou, ces dernières années, dans le monde occidental.
Un débat qui, sait-on jamais ?, débouchera peut-être sur la lecture de la lettre d’adieu d’Olga Bancic dans les lycées du pays !
Adrian Irvin ROZEI
Paris, octobre 2007
–
Notes:
* Les morts ne vieillissent jamais (le titre de ce texte, écrit en roumain, était, dès l’origine, rédigé en français)
** Maurice Druon, Compagnon de la Libération, l’un des premiers et des plus célèbres résistants, ancien ministre gaulliste, aujourd’hui secrétaire permanent de l’Académie française, a déclaré lors des récents débats sur ce sujet : “… Est-ce une entreprise communiste ? Et, alors ! Revenons à (l’esprit) de l’époque. Le plus important était de tenir le coup.”
Note explicative 2024 :
*** A l’approche de la fin de la guerre, le Parti Communiste français, selon les ordres de Moscou, souhaitait prendre la « part du lion » dans la présentation du combat antinazi par rapport au mouvement gaulliste. Voilà pourquoi il fallait multiplier les actions, même en mettant en danger, encore davantage, la vie des résistants !
**** “Vasile Roaită” ou “Henri Barbusse” : personnages réels, qui ont bénéficié d’une légende plus ou moins authentique, mis au pinacle par la propagande stalinienne des années ’50 en Roumanie, qui, par la suite, s’est avérée inexacte.
***** Alexandre Jar (1911-1988), ancien des Brigades internationales et écrivain, mari d’Olga Bancic. Après la guerre il retourne en Roumanie. Dolorès Jacob rejoint son père en Roumanie en 1970. Après la mort de son père en 1988, elle émigre en Israël, en 1989.
J.-M. R. de Villach (Autriche) dit :
Très bon article
Vraiment il n y avait pas de quoi discuter lorsque tu as fait cet article en Roumain c était bien vu !
Je suis à fond dans cette période des années staliniennes un peu par hasard
J ai lu et relu ces trois bouquins qui en disent long sur le Komimtern devenu le Komimform KI …surtout celui de Valtin ! Le travail de Werth est aussi passionnant on a du mal à imaginer les témoins de telles tragédies sont toujours vivants et aient pu surmonter de telles monstruosités mais pourtant avec la reconnaissance faciale et autres traceurs d activée on va peut être revoir de telles extrémités ?
In homme averti en vaut deux !
Amitiés
A.D. du Languedoc écrit :
Touchant. Bien écrit en détail. Je suis bouleversée.
Bonne soirée à vous,
M.B.G. de Genève dit :
Bonjour Adrian,
Bravo pour avoir fait sortir des vérités peu connues. Encore une fois le rôle occulte de femmes méritantes !
Toutefois quand il n’y a qu’à l’Est de la Roumanie que l’on dit encore honorer activement la lutte contre le nazisme, mieux vaut se méfier de certains honneurs. Quant au Président, soit il méconnaît l’histoire soit il veut renforcer certaines voix populaires au détriment des populistes.