Les La Tour de Saint-Quentin (II)

La Bastide Vieille, le 3 juillet 2023

 

Ce n’est pas le seul exemple du caractère difficile de Quentin de La Tour, au sommet de sa gloire !

«… il pouvait se permettre des caprices avec les grands :

 La Tour connaissait mal l’art des courtisans. Mandé pour faire le portrait de Madame de Pompadour, il répondit brusquement : « Dites à Madame que je ne vais pas peindre en ville. »

Un de ses amis lui fit observer que le procédé n’était pas très honnête. Il promit de se rendre à la cour au jour fixé ; mais à condition que la séance ne serait interrompue par personne. Arrivé chez la favorite, il réitère ses conventions, et demande la liberté de se mettre à son aise : elle lui est accordée. Tout à coup il détache les boucles de ses escarpins, ses jarretières, son col, ôte sa perruque, l’accroche à une girandole, tire de sa poche un petit bonnet de taffetas, et le met sur sa tête.

Dans ce déshabillé pittoresque, le peintre se met à l’ouvrage ; mais à peine a-t-il commencé le portrait, que Louis XV entre dans l’appartement.

La Tour dit, en ôtant son bonnet : « Vous aviez promis, Madame, que votre porte serait fermée. »

Le roi rit du reproche et du costume de l’artiste, et l’engagea à continuer :

 « Il n’est pas possible d’obéir à Votre Majesté, répliqua le peintre ; je reviendrai lorsque Madame sera seule. »

Aussitôt il se lève, emporte sa perruque, ses jarretières, et va s’habiller dans une autre pièce, en répétant plusieurs fois : « Je n’aime point à être interrompu. »

La favorite céda au caprice de son peintre ; et le portrait fut achevé. 

Il refusa également d’achever le portrait de mesdames de France parce qu’elles le faisaient attendre. »

Mais, de La Tour, malgré les apparences de rudesse, n’était pas un rustre.

« Il fréquentait aussi les diners du lundi de Marie-Thérèse Geoffrin, où il rencontrait Helvétius et Nollet qu’il nommait ses bons amis, CrébillonJean-Jacques RousseauDuclos, Voltaire, DiderotD’Alembert, Dupuis, La CondamineBuffon, le maréchal de SaxePaulmy d’Argenson, le comte d’Egmont, le duc d’Aumont, l’abbé Jean-Jacques Huber dont il aimait tant la conversation et dont il a été institué légataire, l’abbé François-Emmanuel, Pommyer, le financier OrryPiron, et le violoniste Mondonville et tant d’autres. »

Pour mémoire, j’ai eu l’occasion de raconter l’histoire des diners de Marie-Thérèse Geoffrin, dans un texte, intitulé :

Golpe a golpe, verso a verso… (I) | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net) publié en 2011 en roumain et, en 2023, en français.

Si l’on ne reconnaît pas de La Tour dans le célèbre tableau représentant les soirées de Mme Geoffrin, c’est parce que

« l’organisation de soirées prévoyaient la rencontre d’artistes, peintres, sculpteurs et architectes chaque lundi ; des scientifiques, des universitaires et des philosophes, ainsi que des dirigeants d’églises, étaient invités le mercredi. »

Donc, de La Tour n’aurait pas eu l’occasion de rencontrer dans ces soirées Dortous de Mairan, le membre de l’Académie française, originaire du département de l’Hérault. Ce qui, comme on le verra par la suite, aurait pu « avoir une certaine importance » !

En un mot, comme en cent, voici l’image de Maurice Quentin de La Tour, telle que gardée par la postérité :

«  Tous les témoignages de ceux qui approchèrent Maurice Quentin de La Tour convergent : un homme de petite taille à l’allure nerveuse, à la personnalité affirmée, un caractère difficile, tantôt bon, tantôt irritable et fantasque, sauvage à la Cour, bourru avec les puissants, insolent avec les riches, un esprit ouvert, mais autant généreux que méprisant, autant altruiste qu’égoïste, un personnage plein de manies, ne faisant rien comme tout le monde, voulant toujours se distinguer de tous, apparaissant autant original que bizarre, mais qui fut, cependant, un brillant homme du monde.

Comment expliquer, comprendre et justifier de tels comportements, si ce n’est en se remémorant les origines modestes de Maurice Quentin de La Tour ? L’enseignement qu’il avait reçu dans sa jeunesse tant de ses professeurs que du milieu familial s’était révélé très tôt insuffisant face à des modèles le plus souvent d’une haute dignité et d’une grande intelligence.

De même, au cœur de cette société mondaine des salons, dont il aimait tellement la compagnie, les bonnes manières adroitement empreintes d’un certain snobisme ne suffisaient-elles pas à dissimuler ses évidentes lacunes en bien des domaines ? Il le ressentait profondément et en souffrait d’autant plus qu’une soif d’apprendre presque démesurée l’avait toujours habité. Aussi était-il vraiment ce “touche-à-tout, grand liseur, barbouillé, indigestionné de lectures et d’études” que nous a décrit le docteur Ronot.

Et même s’il était très imbu de sa personne, il alliait à son sens aigu et inné de la psychologie une réelle curiosité d’esprit pour les sujets les plus divers.

L’un de ceux qui le comprirent le mieux reste, semble-t-il, Diderot.

Ses considérations vont jusqu’à trahir chez lui une forme de fascination pour cet artiste hors du commun, à propos duquel il avoue : “C’est un rare corps que ce La Tour ; il se mêle de poésie, de morale, de théologie, de métaphysique et de politique. C’est un homme franc et vrai“.

Un peu plus tard, il s’étonnera encore de “Cet homme singulier qui apprend le latin à cinquante-cinq ans, et qui a abandonné l’art dans lequel il excelle pour s’enfoncer dans les profondeurs de la métaphysique qui achèvera de lui déranger la tête“. On est en 1769.

Pour ce qui est du tableau de Marie-Suzanne Giroust, il est intéressant de donner quelques précisions.

Marie-Suzanne Giroust, qui avait épousé en 1759 le peintre suédois Alexandre Roslin, eut l’idée originale de se représenter elle-même en train de faire le portrait de celui dont elle fut l’élève.

Une fois de plus, voici un personnage qui m’est familier !

Elle apparaissait déjà dans un texte, écrit en 2010, intitulé :

Non erubesco evangelium (I) | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net) a la place de Henriette, un grand amour de Casanova.

« Henriette dans une édition de poche de France. Malheureusement, l’image sur la couverture n’est pas celle de l’héroïne, mais un tableau représentant Marie-Suzanne Giroust (1734-1772), dit “La Dame au voile”, en 1768, peint par le célèbre artiste suédois Alexander Roslin, contemporain de Casanova. »

Mais, en pratique, je vois tous les jours le « portrait » de Marie-Suzanne Giroust, sous forme de « Dame au voile », sur mon frigo… en magnet !

Zoe Ghika et Marie-Suzanne Giroust en magnet sur mon frigo!

Tout ça, parce que son mari, Alexander Roslin, était un peintre ayant vécu à la cour des rois de France, comme à Saint-Pétersbourg où il a fait le portrait de Zoe Ghika, une des dames d’honneur de la tzarine. Celle-ci, était d’origine roumaine, ce qui m’a donné l’occasion de décrire son histoire et celle de son peintre, dans un texte publié au Danemark en 2006 :

Mona Lisa din Stockholm | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)

Je revoie, d’ailleurs, avec un grand plaisir, l’autoportrait de Roslin au Musée Jacquemart-André à Paris. Portrait que Pierre de Nolhac connaissait, certainement.

Roslin dans les meubles de son époque, au Musée Jacquemart-André

Tout cela me fait penser que Roslin a dû rencontrer Quentin de La Tour, que son épouse a « portraituré ».

A suivre…

Adrian Irvin ROZEI

La Bastide Vieille, juillet 2023

One thought on “Les La Tour de Saint-Quentin (II)

  1. MBG de Genève écrit:
    Merci d’avoir reparlé de Roslin et du portrait de Zoé Ghika, l’ancêtre de l’assassin de Raspoutine: Félix Youssoupov. Beaucoup le contestent, mais le principal intéressé l’a reconnu ( après son procès ! et en France! ) selon un auteur qui l’a connu par hasard alors que le noble personnage avait glissé sur une crotte de chien et que l’auteur improvisé du livre l’avait secouru!

    Meilleures salutations

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