Gloria! Oh, Gloria! Je n’ai pas su t’aimer!
Rio de Janeiro, le 28/03/2018
Pendant quelques mois, vers 1990, j’avais abandonné la plage de Copacabana, pour habiter à l’hôtel « Gloria », dans le quartier du même nom.
Cet hôtel a été construit en 1922, dans le but de devenir le plus élégant des établissements de ce type à Rio, près du centre-ville, à l’occasion des fêtes en l’honneur du centenaire de l’indépendance du pays. Il a été réalisé par le même architecte, Joseph Gire, qui a construit le Copacabana Palace. L’hôtel, comme tout son environnement, ont été profondément marqués par le style « Art déco », à la mode à cette époque.
Avec ses 680 chambres, l’hôtel « Gloria » a représenté un « land mark », pendant près d’un siècle.
Même s’il ne se trouve pas au bord de l’eau, « Gloria » jouit d’un dégagement vers la baie de Rio, qui lui confère une perspective « imprenable », surtout à partir des étages supérieurs.
Je me souviens d’un samedi soir, juste après mon arrivée d’Europe, quand, vers 18 heures, je me demandais ce que j’allais faire jusqu’à l’heure du dîner. Il faisait nuit, une chaleur moite et je me trouvais devant l’entrée de l’hôtel.
Alors, je me suis proposé d’aller jusqu’à la plage qui se trouve juste en face.
C’était une décision hardie, qui frisait l’inconscience ! Parce que l’hôtel est séparé de la plage par un grand terre-plein couvert d’une belle pelouse, mais qui est traversé par plusieurs bretelles d’autoroute ! Si je ne me trompe pas, ce terre-plein a été gagné sur la mer, spécialement pour permettre une plus grande fluidité du trafic automobile.
Au péril de ma vie, j’ai traversé la zone (probablement, grâce aux ponts et passages souterrains aménagés !) et je me suis retrouvé sur une superbe pelouse, entourée de palmiers.
J’ai remarqué ici de nombreux personnages, vêtus de blanc, qui s’adonnaient à un étrange manège. Ils entouraient une vieille grosse femme, elle aussi vêtue de blanc, qui semblait se concentrer, un gros cigare au bec.
Alors, l’assistance a commencé à chanter et danser. J’ai compris qu’il s’agissait d’une cérémonie vaudou.
J’étais fasciné!
Tout d’un coup, les participants ont formé un cercle, qui s’est mis à tourner. Et, un des participants s’est approché de moi, m’a pris par la main et m’a entrainé dans la ronde. Je ne savais pas quoi faire!
Je ne connaissais rien des habitudes, coutumes, règles de ces célébrations. Et, instinctivement, j’avais peur, d’un côté, de ne pas casser la magie du jeu, d’un autre côté, de ne pas trop me laisser entraîner dans un processus irrationnel.
Mais, malgré tout, je me suis laissé aller!
Et j’ai bien fait! Parce que, après un long moment très intense, la célébration s’est arrêtée et j’ai pu rentrer tranquillement à mon hôtel.
Toujours, à cette époque, j’allais « en voisin » à l’église de « Nossa Senora da Gloria do Outeiro », en empruntant le « Plan incliné », une sorte d’ascenseur que l’on rencontre souvent sur les « morros » de Rio.
Cette église a quelque chose de spécial! D’abord, par sa forme élancée, qui me rappelait une des églises de Bucovine: Dragomirna.
Ensuite, parce qu’on y entre par la sacristie, recouverte d’azulejos blanc et bleu, d’une grande sobriété. L’intérieur est, lui aussi tapissé d’azulejos, du plus pur style colonial.
Mais la grande surprise est la vue unique sur la baie de Rio. Le regard n’est arrêté par aucun bâtiment saillant depuis l’aéroport Santos Dumont jusqu’au Pain de Sucre! Et l’on peut contempler, du haut d’un vrai « mirador de silence », la vie qui grouille, dans les quartiers populaires d’en bas, tout comme l’élégance des immeubles cossus de Gloria ou de Flamengo.
C’est ça Rio! Un puzzle de choses contrastantes où les pièces les plus « dépareillées » se côtoient, sans se « marcher sur les pieds »!
* * *
Je ne pouvais pas revenir à Rio sans faire un tour à « Gloria ».
Mais, tout d’abord je me devais de retourner au monastère Sao Bento!
Cet endroit est un de mes favoris à Rio de Janeiro!
Pas seulement pour sa position inattendue. En effet, le monastère se situe sur un petit « morro » en plein centre du quartier des affaires. En seulement quelques minutes de marche, on passe du silence et du recueillement du monastère, à l’agitation des gratte-ciels de bureaux, surtout à l’heure du déjeuner, ou au quartier récemment rénové de la douane.
Mais, ce couvent bénédictin, fondé en 1641, me rappelle une histoire personnelle.
En 1988, après la naissance de notre fils Laurent, je n’ai pas voyagé pendant huit mois. Je voulais me familiariser avec mon nouveau statut de « père » et m’assurer de près que « tout fonctionnait ».
Quand, enfin, je me suis décidé à faire un grand voyage d’affaires, la première étape c’était Rio de Janeiro.
Avant de quitter la maison, un vendredi soir, mon épouse m’a dit: « Je pense qu’il a un peu de fièvre! »
Bon! Qu’es-que je fais maintenant ? Je pars ou je ne pars pas?
Je ne pouvais pas, quand-même annuler un voyage de 15 jours, autour de l’Amérique du Sud, sur une simple impression!
J’ai appelé de l’aéroport, …tout semblait rentré dans l’ordre! Quand-même, j’ai passé une nuit un peu agitée.
En arrivant à Rio, j’ai couru à la recherche d’un téléphone, d’une poignée de jetons… en poussant d’une main ma valise et en serrant une liasse de Cruzeiros dans l’autre!
Quand on m’a répondu depuis Paris, j’ai entendu une voix vaseuse qui marmonnait: « Ce n’était pas la peine d’appeler ! Il n’y a pas de problème! »
Après un court passage à l’hôtel Gloria, je suis allé au « Mosteiro de Sao Bento ». Et dans le foisonnement de dorures, peintures, angelots, sculptures… de l’église, la première chose qui m’a sauté aux yeux, a été la statue de Saint Laurent!
Avec son grill à l’épaule!
C’est vrai que le sujet ne m’avait pas beaucoup intéressé, jusqu’à ce moment. Mais, en le voyant, j’ai eu la révélation que Saint Laurent était mort… sur le grill!
C’est alors que j’ai décidé de nommer mon fils, de manière familière, « le merguez »!
Ça n’a pas plu, à la maison! Mais, j’ai continué, quand-même, quelque temps. Et j’ai commencé une collection de « Saint Laurents », …avec ou sans grill!
Je suis donc revenu, aujourd’hui, au monastère Sao Bento. Un gardien, que je n’avais jamais vu m’a arrêté :
« Vous ne pouvez pas entrer! C’est la Semaine sainte et il y a une cérémonie réservée aux moines! »
« Très bien! Mais la cérémonie ne va pas durer toute la journée ! »
« Bien sûr! Revenez dans trois quarts d’heure ! »
Il ne pouvait dire ça dès le début ?
Par la suite, j’ai remercié le gardien!
C’est grâce à lui que j’ai découvert, dans le port voisin, les 7 grands voiliers-école, en visite à Rio, que je cherchais partout, dans la ville.
J’avais vu le « Gloria » (encore elle ?) le bateau colombien et le « Cuauhtémoc », le mexicain, défiler dans la baie de Copacabana. Mais, personne n’a été capable de me dire… où ils sont ancrés !
Ainsi, j’ai pu admirer aussi:
« Esmeralda », le chilien,
« Cisne Branco », le brésilien,
« Libertad », l’argentin,
« El Cano », l’espagnol, et
« Bolivar », le vénézuélien.
Sans parler du quartier des douanes, en cours de restauration, devenu l’endroit rêvé pour les amateurs de « street-art » et des… photographes de mode!
Au retour à Sao Bento, j’ai retrouvé mon « Saint Laurent », …toujours avec son grill!
Et nous avons assisté tous les deux à la messe des moines bénédictins, …dite rien que pour nous. Il n’y avait personne d’autre dans l’église!
* * *
Revenu à l’hôtel « Gloria », j’ai failli avoir une crise cardiaque!
Cette perle de l’hôtellerie carioca est, aujourd’hui, …une ruine debout.
L’hôtel, fermé depuis 2008, a été vendu et racheté par différents investisseurs deux ou trois fois, en dix ans!
Maintenant, il est devenu une source de nuisances pour tout le quartier: l’eau accumulée dans jardins et sur les toits non-entretenus a permis la multiplication des moustiques, qui terrorisent les habitants du voisinage.
Mais, encore plus grave! À son époque de gloire, les propriétaires de l’hôtel avaient acheté un petit édifice voisin. Il s’agit d’un des plus beaux bâtiments « Art nouveau » que j’ai vu, parmi tous ceux que je « chasse » depuis des années, aux quatre coins du monde!
Son sort est tout aussi incertain que celui de l’hôtel « Gloria »!
J’espère qu’il ne disparaîtra pas, comme ceux que j’ai connu, dans les années ’70, sur la plage de Copacabana ou au centre de la ville de Sao Paulo!
* * *
Voilà! Toutes les bonnes choses ont une fin!
Mon séjour au Brésil s’achève ce soir. Ce fut un voyage de nostalgie et de découvertes.
J’ai peur que tous ces souvenirs ne flétrissent avec le temps. Heureusement, j’ai fait 2046 photos, que je pourrais consulter, de temps en temps, pour me les rafraîchir.
Mais, comme disait Saint-Ex., il y a déjà près d’un siècle:
« On ne voit bien qu’avec les yeux du cœur ! »
Adrian Irvin ROZEI
Rio de Janeiro, mars 2018