Le tour du Moyen-Orient en six heures

Feuilles de journal

Paris, le 11/09/2016

 

Beyrouth, 18h00

Il y quelques semaines, j’ai remarqué sur les murs de la ville une affiche présentant une photo aérienne de la ville de Beyrouth. Il s’agissait de l’exposition de deux photographes réputés, Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, intitulée « Se souvenir de la lumière » (Two suns in a sunset).

Regardant de plus prés le parcours de ces deux artistes, nés en 1969, j’ai vu qu’ils « … construisent leur œuvre sur la production de savoirs, la réécriture de l’histoire, la construction d’imaginaires, mais aussi des modalités de la narration contemporaine en prenant appui sur l’expérience de leur propre pays tout en dépassant ses frontières. Le processus d’enquête auquel ils ont recours, leur questionnement sur le territoire, autant géographique qu’individuel, confèrent à leur œuvre une esthétique particulière. »

N’ayant rien compris à ce charabia, je me suis dit : « Allons voir sur place ! Je connais bien Beyrouth, où je suis allé maintes fois entre 1974 et 2005, ville que j’aime bien et dont j’espère que je trouverai des images actuelles. »

Sur place, j’ai découvert «une esthétique particulière » .

Les photos de la ville ne représentent qu’une toute petite partie de l’exposition. La seule salle qui présente quelques images de la ville est celle du « Wonder Beirut » (1997 – 2006), donc rien de nouveau pour moi.

ch-e-beirut-001_resizeSi, au moins, les photos exposées pouvaient me ramener en mémoire des lieux  que j’ai bien connu ! Mais, les artistes ont décidé de présenter des cartes postales de l’époque heureuse du Liban, les années ’60, « éclatées » par le souffle des bombes, aspergées de couleurs criardes, « des brulures sur des images idéalisées ». Un temps qu’ils n’ont pas connu eux-mêmes et dont on reconnaît à peine les lieux.

Quelle déception!

 

Jérusalem, 19h00

J’ai décidé ensuite d’aller voir le film « Ben-Hur », superproduction américaine, « remake » d’un célèbre succès de 1959, l’œuvre la plus « Oscarisé » dans l’histoire du cinéma. Si j’allais  voir ce film, ce n’était pas tellement pour le sujet de ce péplum, fameux surtout pour les épisodes de mise en scène spectaculaire (la bataille navale et la course de chars), mais parce que l’année dernière, visitant les studios de la « Cinecittà », j’avais admiré les décors impressionnants du film. La superproduction étant encore en cours d’achèvement, nous n’avons pas été autorisés à photographier les décors, qui devaient rester une surprise pour le spectateur. J’espérais toutefois reconnaître la reconstitution d’une partie de la ville de Jérusalem à l’époque du Christ, que j’ai arpenté dans les studios romains.
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Mais tout d’abord, j’ai découvert une avancée historique dans les salles de cinéma de « Gaumont ». Depuis peu de temps, non seulement qu’on peut acheter sa place à l’avance et/ou par Internet, mais on vous propose de choisir votre fauteuil sur le plan de la salle ! Merveilleuse découverte, qui vous évite de longues files d’attente, quelquefois sous la pluie, en écoutant les bavardages sans intérêt de vos voisins. Cette invention est une pratique devenue courante depuis des années dans d’autres capitales européennes.
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Profitant de la demi-heure ainsi sauvée, je suis parti en goguette sur les Champs-Elysées. 

J’ai découvert ainsi que le fameux restaurant « L’Alsace », un des rares établissements de ce genre encore ouvert à minuit sur « la plus belle avenue du monde », est fermé pour travaux. Alors qu’il a été clos pendant des mois et complètement rénové il y a moins de deux ans ! 

Un serveur aimable m’a expliqué que le restaurant, ainsi que toute la chaîne des « Frères Blanc », a été vendu et que le nouveau propriétaire a décidé de refaire la décoration en totalité. ch-e-alsace-001_resize

Comme, pendant les travaux, le service est assuré en terrasse, j’ai pu assister à l’effort du chasseur pour éloigner des mendiants, se prétendant syriens, qui importunaient les clients. Il m’a semblé reconnaître ces professionnels de la sébile, qui viendraient  plutôt des rives du  Danube.

A la terrasse des restaurants, j’ai remarqué aussi les habitués venus des pays du Golfe, faciles à reconnaître d’après leurs vêtements.
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Je ne parlerai pas de la qualité du film visionné. Il suffit de préciser que nous étions 12 spectateurs dans la salle et que cette production se dirige vers un record original : le plus gros déficit dans l’histoire de cinéma américain, de l’ordre de la centaine de millions de dollars !

 

Le Caire, 21h30

Profitant du climat d’une grande douceur de la nuit de septembre, j’ai décidé de dîner à la terrasse de « Léon de Bruxelles », le « roi de la moule/frites » belge.

A la table voisine, une jeune femme au visage méditerranéen, qui ne parlait pas le français, faisait des efforts désespérés pour se faire comprendre en anglais par le serveur.  Celui-ci, qui était tunisien, comme je l’ai appris par la suite, baragouinait à peine l’anglais. La dame a tenté un moment de se faire comprendre en  arabe, mais leur arabe… n’était pas le même. A ce moment dramatique, je suis intervenu, pour essayer de l’aider. 

Cet ainsi que j’ai découvert que la dame était la secrétaire de l’ambassadeur égyptien au Canada et qu’elle était en vacances pour deux semaines en Europe. 

Nous avons entamé une longue discussion, passionnante pour moi d’autant plus qu’elle habitait au Caire dans le quartier de Héliopolis, construit par le baron Empain il y a plus d’un siècle. 

Pendant 30 ans, à chaque passage vers l’aéroport du Caire, je m’arrêtais devant son château, construit d’après le modèle d’un temple indien, et je déplorais son état d’abandon. J’ai appris que (malheureusement) rien n’a changé !
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Nous avons continué en évoquant le « Café Groppi », où j’allais prendre mon petit déjeuner, la place Middan Tahrir, où j’habitais au « Nile Hilton », le « Bar à l’américaine », avec sa décoration des années ’30, le cinéma « Metro », la Synagogue de la rue Adly, le « Square Attaba », avec la Poste centrale…

Puis, on est passé aux restaurants de poulet à la broche d’Andreas et « Felfela », le fallafel prés de Kasr-el-Nile.

Ont suivi la Citadelle et « Mena House », avant de passer à Alexandrie, la Corniche, l’hôtel « Palestine », le Fort de Quaitbey. On s’est souvenu ensemble de l’Hôtel Cecil, place Saad Zoghul, là où sont passés Somerset Maugham, Winston Churchill, Lawrence Durrel, et ou on me réservait toujours la chambre 207, celle de Nahas Pacha. Et encore de San Stefano, Agami, la plage et les restaurants de poissons.

On a divagué même en évoquant Sidi Abdel Rahman,  El-Alamein, au bord de la Méditerranée  et loin, très loin Marsa- Matrouh.
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On n’est pas allé jusqu’à l’oasis de Siwa, en plein désert du Sahara, car je ne suis jamais arrivé si loin. 

Les heures passaient, les clients quittaient le restaurant et les serveurs nous ont fait comprendre que l’heure de la fermeture avait sonné. 

Moi, j’avais beaucoup de mal à revenir à Paris. 

Et je serais bien parti de suite en voyage au Moyen-Orient. 

Mais retrouverai-je encore mes souvenirs d’antan ? 

Mon interlocutrice d’un soir affirme que « rien n’a changé ».

J’aimerais tant que ce soit vrai !

 

                                                   Adrian Irvin ROZEI

                                                  Paris, septembre 2016

 PS: Si certaines photos ont été floutées, c’est pour préserver… la sécurité de l’auteur de ces lignes !

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