Boulogne, le 24/12/2023
Je dois avouer que, ayant entendu parler (par écrit et en conférence) de cette œuvre, je rêvais de juger par moi-même de son impact. Même si l’on peut feuilleter des livres ou visionner des films documentaires, on ne peut pas se faire une opinion personnelle sans l’avoir vue personnellement.
Comme disait l’un de mes collègues de l’Ecole des Mines, en paraphrasant les vers de Joseph Marie Soulary, dit Joséphin Soulary, (né le 23 février 1815 à Lyon et mort le 28 mars 1891 dans la même ville). : « Toute chose que la main n’atteint pas n’est qu’un rêve ! »
Ou ce que Jacques Higelin affirme dans une de ses chansons : « Tout bonheur que la main n’atteint pas n’est qu’un leurre ! ».
Et, voilà que j’apprends que le Musée Guimet annonce :
« A la cour du Prince Genji » – 1000 ans d’imaginaire japonais
Exposition du 22 novembre 2023 au 25 mars 2024
Et, en marge : Hommage à Maître Itaro Yamaguchi
A la première occasion, j’ai couru voir l’exposition avec les images dont je rêvais depuis si longtemps !
L’exposition se présente sous trois sections :
-la première partie, la plus « historique », présente aussi bien des dessins et estampes d’après l’œuvre originale, comme des reproductions et interprétations du sujet traité à travers les mille ans de son existence, le tout accompagné de quelques objets d’époque,
-la deuxième partie reprend les thèmes du « Dit du Genji » dans la vision contemporaine des mangas,
-la dernière section, la plus inattendue, est un chant d’amour et un lien « surprise » entre le passé et la modernité de l’art et… de l’artisanat japonais !
Pour le comprendre, il faut faire un « retour sur image » d’un siècle et demi !
« Soixante et onze ans seulement après l’invention à Lyon, par Joseph-Marie Jacquard, du métier à tisser mécanique et programmable, (le Japon) l’adoptait sous l’ère Meiji (1875). C’était un juste retour des choses. En effet, comme raconté par le conte d’Alessandro Baricco dans son roman Soie, paru chez Gallimard en 1997, l’Empire du bout du monde s’était placé vers 1860 en pays fournisseur de vers à soie, sauvant ainsi la sériciculture française gravement touchée par une épizootie. »
Ainsi le rappelle un article du Figaro du mois de décembre.
Mais, il faut savoir que
« les rouleaux de Nagoya et de Tokyo se sont fragilisés. On ne les sort que rarement, leurs couleurs ont irrémédiablement passé.
Alors, pour leur rendre hommage, un maître de Kyoto issu d’une famille de tisseurs de soie, Itarô Yamaguchi (1901-2007), s’est voué à les raviver.
À l’âge de 70 ans et durant trente-sept ans, il ne s’est occupé que de cela, dessinant, préparant ses patrons et ses écheveaux de couleurs puis travaillant sur son Jacquard.
Ce grand œuvre a été, pour une toute petite partie, achevé par son fils Akira Nonaka. Et le résultat est là, clone intégralement déroulé sur plus de 30 mètres au milieu de travaux préparatoires et de certaines variations du Dit du Genji que l’on découvre sur des objets de laque (miroirs, boîtes à encens et même une écritoire à décors de chrysanthèmes et de feuilles d’érable issu de la collection de Marie-Antoinette). Et encore sur des estampes, des kimonos, un paravent de l’époque Edo (XVIe siècle), un palanquin venu du château de Compiègne. »
L’histoire de la décision d’offrir ce « chef-d’œuvre », le travail d’une vie, au Musée Guimet est tout aussi impactante !
« En 1995, maître Yamaguchi s’était rendu à Paris. Après être allé au Musée de Cluny pour contempler la tenture de la Dame à la licorne, il avait rendu hommage à Jacquard, remettant deux de ses rouleaux au Musée Guimet. Sept ans plus tard, le troisième rejoignait à son tour les réserves de l’institution. Le quatrième, achevé en 2008, vient compléter aujourd’hui la série. »
Il faut reconnaître que la qualité du dessin, autant que le choix des couleurs, qui brillent de tous leurs feux d’or et d’argent, ne peuvent laisser personne insensible ! Et, des écrans géants permettent de pénétrer au cœur de la technique microscopique de l’artisan, tout autant que les dessins préparatoires ou les laizes des tissus présentés.
Qui ne rêverait de posséder au moins un petit bout d’un tel trésor !
Sans parler des kimonos ou autres objets présentés dans l’exposition !
Je dois avouer, humblement, que… je suis l’heureux propriétaire d’un tel trésor ! Enfin ! Toute proportion gardée !
Mais, pour expliquer tout ça, je dois faire un grand bond… dans le passé !
* * *
Certains pourraient s’imaginer que je fais référence à mon joli kimono, acheté il y a deux ans à Béziers, et qui, aujourd’hui, décore le grenier de notre maison du Languedoc.
Même s’il s’agit d’un objet en provenance directe du Japon, et qui éclaire l’endroit de ses couleurs chatoyantes, je ne peux pas le comparer avec des pièces ayant plusieurs siècles d’existence !
C’est vrai que, pour le mettre en valeur comme il se doit, j’ai dû assister à des séances d’apprentissage sur la manière de l’installer ou d’étudier les détails des collections de kimonos et yukatas présentés dans différents musées.
Sans parler du temps passé à feuilleter des livres proposés à la vente dans la boutique du Musée Guimet de Paris.
Non ! Je me réfère à tout autre chose.
L’histoire que je vais vous raconter remonte, pour ma part, au début des années ’80.
Je l’ai racontée, en son temps, dans un texte publié sous le titre :
De unde sare iepurele! | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
Il a été rédigé en roumain et il est trop long pour être reproduit ici en totalité.
Mais, voici le point qui nous intéresse, en rapport avec le texte présent :
En 1981, un correspondant inattendu m’a téléphoné depuis Paris !
Il s’agissait de Sorin Popa, le fils de l’écrivain Victor Ion Popa, que j’avais rencontré une vingtaine d’années plus tôt, dans la maison de mon oncle, l’acteur et directeur de théâtre Jules Cazaban.
En 1964, Sorin Popa venait de sortir de prison, après 16 ans de détention sévère. Ne sachant pas où aller, n’ayant aucune famille, Sorin était tombé comme d’un pommier dans la maison de celui qui avait été le grand ami de son père.
Près de 20 ans plus tard, à Paris, Sorin m’a expliqué qu’il était venu depuis la Roumanie pour « profiter du souvenir du passage de son père dans la France de l’entre-deux-guerres ». Il semblerait que non seulement que les pièces de Victor Ion Popa ont été jouées à la Comédie française, mais qu’il ait également été décoré de la Légion d’honneur. Ce qui semble très plausible, compte tenu de l’influence du roi Carol II de Roumanie à Paris.
D’ailleurs, encore aujourd’hui, la Roumanie n’est présente dans les collections de médailles du Musée de la Légion d’Honneur, que par une série complète de décorations des années ’30 offerte par le roi Carol II.
A cet effet, Sorin était arrivé avec environ 150 kg de documents, dessins, objets personnels, mais aussi certains ayant appartenu à son père. Le tout transporté dans d’énormes sacs en cuir le plus fin, dessinés et cousus par lui-même !
Toute cette histoire m’a semblé extrêmement étrange, dans le contexte de l’époque. Mais de la part d’un Sorin Popa, on pouvait s’attendre à tout !
J’ai décidé de l’aider, dans la mesure de mes possibilités, d’autant plus qu’il tirait terriblement le diable par la queue.
C’est ainsi que nous nous voyions périodiquement et que je suivais de près les activités de Sorin.
Comme il venait d’avoir 60 ans, il a pu bénéficier d’une décision du Conseil municipal de Paris, alors dirigé par Jacques Chirac, qui accordait une rente de 1000 FF par mois à tous les habitants de la ville ayant atteint cet âge, même s’ils n’étaient pas citoyens français.
Après le premier règlement, Sorin a envoyé au maire de Paris un triptyque en bois pyrogravé représentant un Pégase en vol surmonté de la citation « Ce que j’ai promis, je le tiendrai ! » signée « Jacque Chirac » !
Une autre fois, Sorin apparut avec un air mystérieux.
Après toutes sortes d’hésitations, il m’avoua le véritable but de sa venue à Paris. Il avait été convoqué à la « Securitate », où on lui avait demandé de se rendre à Paris. Là, il allait « infiltrer les milieux roumains, se lier d’amitié avec Paul Goma, l’inviter à boire un verre et… l’empoisonner » !
L’histoire avec son père n’était qu’une couverture aux yeux du monde. Le fait qu’il ait passé tant d’années en prison devait être un argument suffisant pour éliminer les éventuels soupçons de sa future victime.
J’allais tomber de ma chaise !
Mais Sorin m’a raconté que, dès son arrivée, il s’est adressé aux Services spéciaux français, avouant toute cette conspiration et demandant l’asile politique.
Maintenant, il souhaitait s’adresser à l’ambassade américaine, auprès de laquelle il espérait obtenir le visa d’entrée aux États-Unis.
Toute l’argumentation de Sorin reposait sur le fait qu’à la fin de la guerre, il aurait sauvé un pilote américain abattu avec son avion en Roumanie.
Le fait est qu’après quelques mois, Sorin a obtenu l’autorisation d’entrer aux États-Unis. Où il s’est envolé directement… depuis Vienne, après d’autres aventures folles, trop longues à décrire ici en détail.
Je l’ai revu à New York en 1984.
Sorin, toujours aussi actif et écervelé, même s’il avait presque 65 ans, toujours “maigre et dur comme un fil de fer”, toujours nerveux et agité, venait de se battre dans un bar avec des Roumains avec lesquels il n’était pas d’accord sur je ne sais quel sujet de politique roumaine !
Depuis, je ne sais pas ce qu’il est devenu !
* * *
Mais, avant de quitter Paris, Sorin m’a laissé “un cadeau empoisonné” ! Comme il n’avait pas vraiment d’endroit où dormir ces derniers temps, j’ai insisté auprès de Michel Boulangeat, mon excellent ami, pour qu’il reste dans son appartement deux semaines pendant que celui-ci partait en vacances.
En échange, Sorin aurait dû réparer quelques 4 fauteuils, fatigués par le temps.
Connaissant l’exceptionnelle dextérité manuelle de Sorin, confirmée même par Mme Ceauşescu, j’étais sûr qu’il ferait du bon travail.
Non seulement, qu’en deux semaines, Sorin n’a réparé qu’un seul fauteuil, mais, qui plus est plus, il a laissé une note de téléphone d’environ 4000 FF à mon ami !
Cependant, comme Sorin Popa n’avait nul endroit où déposer tous son barda, avant de partir, il a tout partagé entre Michel et moi, personne ne pouvant stocker les quelques 150Kg qu’il laissait derrière lui.
Avec la ferme promesse qu’« il reviendra bientôt pour les récupérer !».
J’attends depuis plus de 40 ans !
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
Boulogne, décembre 2023
Tras leer el artículo y sin perder un segundo, llamo a mi hijo aficionado al arte japonés, y nos vamos juntos al Museo Guimet. Gracias Adrian Rozei, muchas gracias! Estrella
A.B. de Boulogne écrit :
Haha ha !!🤣 je revoie encore les gestes de Sorin Popa pour ficeler les fameux fauteuils et les recouvrir de la tapisserie a fleurs anciennes choisie par la mère de Michel… !
Au fait, est ce que son barda est toujours dans le grenier de Parenche ou tu as tout repris ?
A.I.R. de Boulogne répond :
A ma connaissance, le grand sac en cuir de Sorin Popa est resté, rempli de ses affaires, dans le grenier de Parenche. J’aurais beaucoup aimé savoir ce qu’il y a dedans. S’il n’a pas été jeté à la poubelle depuis 30 ans !
Il y avait aussi la machine à écrire Underwood avec des caractères roumains, sur la cheminée de votre chambre.
Tempi pasati!