Le Drac n’est pas si vert !*

La Bastide Vieille, le 18/10/2020

Ce texte a été publié dans le no. 37 – 42 de la revue « 3R – Rădăcini  Racines Radici » éditée par l’Association « Memorie şi speranţă » de Bucarest (Roumanie). 

La couverture de la revue « 3R » reproduit une photo de Sorana Coroamă. 

Sorana Coroamă-Stanca (24 janvier 1921, Chisinau – 7 janvier 2007,  Bucarest) était un auteur, réalisateur et scénariste roumain. 

Entre 1959 et 1965, elle a été exclue de la vie publique et du théâtre pour des raisons politiques (plusieurs membres de sa famille ont été persécutés par les autorités communistes) et a été forcée de travailler à la coopérative “Arts appliqués”, où elle fabriquait des perles et des boutons, pour survivre. 

Dans  les années suivantes, elle a été décorée de l’Ordre du mérite culturel classe IV (1967) “pour des mérites spéciaux dans le domaine de l’art dramatique” et de l’Ordre national “Service fidèle” au rang de chevalier (1er décembre 2000) “pour des réalisations artistiques exceptionnelles et pour la promotion de la culture, à l’occasion de la fête nationale de la Roumanie“. 

Au cours d’une carrière de quatre décennies, elle a dirigé plus de 190 représentations théâtrales, présentées en Roumanie, Allemagne, URSS, Pologne, Maroc…, a été enseignante et a écrit des pièces de théâtre. Sorana s’est impliquée dans la vie sociale et le développement culturel de la Roumanie.                                

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Comme beaucoup de monde ne le sait pas, « …la région Occitanie est riche de plus de 60 animaux totémiques. Certains d’entre eux, comme le Poulain de Pézenas et la Tarasque de Tarascon, bénéficient d’une inscription sur les listes du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO ».

Il suffit de mentionner seulement le Chevalet de Cournonterral, le Cochon de Poussan, la Baragogne de Saint-Christol, le Bouc de Paulhan, Le cheval marin d’Agde, L’alouette huppée d’Autignac, Le muge de Balaruc-le-Vieux, Le crapaud de Bassan, Le serpent de Bédarieux, L’âne de Bessan, Le chameau de Béziers, Le poulpe de Boujan-sur-Libron, Le cheval-bayard de Clermont-l’Hérault, Le pou de Conas… pour comprendre qu’il s’agit, tout aussi bien, d’animaux réels, comme de bêtes de fantaisie, mais qu’ils correspondent chacun à une ville ou un village de la région. Et que chacun a une légende, une histoire, des traditions qui y sont attachées…

Le boeuf de Mèze

Quelquefois, depuis des siècles, d’autres fois, depuis des décennies. Mais qui inspirent toujours la liesse populaire, quand ils sortent en procession, se promenant à travers leurs villages et  villes d’adoption.

Le chameau de Béziers

Bien sûr, les « animaux totémiques » que l’on promène sont des maquettes en bois ou en toile, en papier-mâché ou en carton, en tissu à fleurs ou en contreplaqué… Mais, chaque fois, elles pèsent des centaines de kilos et doivent être portées par plusieurs jeunes gens costaux et habiles. D’autant plus que ces maquettes dansent, font des ronds, sortent souvent des têtes ou des cous télescopiques, jettent, quelquefois, des flammes par les narines ou des feux d’artifices étincelants.  D’autre fois, elles sont chevauchées par des poupées ou même des enfants, toujours habillés de costumes traditionnels.

Le poulain de Pézenas

Tout cella représente des mois et des mois de répétitions et d’entrainements,  pour ce qui est de leur mobilité, et d’étude de documents anciens, de dessins et coloriages, pour la conception des maquettes, suivis de leur réalisation physique, pour ce qui est de l’objet en soi.

Le chevalet de Florensac

C’est dans ce but qu’un certain nombre d’associations se sont créées dans les villages, où l’on fait appel à toutes les bonnes volontés.

Mais, comme dit si bien « TOTEMIC », la Fédération des totems occitans et catalans :

« Cependant ce patrimoine est fragile. Depuis des siècles, il repose sur l’énergie de groupes passionnés et bénévoles qui ne bénéficient que de soutiens aléatoires dans des contextes historiques où ces traditions n’ont jamais été évaluées à leur juste valeur.
Il n’empêche que les populations locales n’ont jamais boudé leur reconnaissance.
Aujourd’hui, les acteurs de ce patrimoine totémique cherchent à se fédérer pour être capables de répondre aux exigences qu’impose la transmission dans une situation nouvelle où les publics se différencient et où les échanges se multiplient. »

Ainsi, une assemblée Générale constitutive de la Fédération TOTEMIC s’est déroulée au Théâtre de Pézenas le dimanche 2 juillet 2017, à l’occasion de la Ronde européenne des Géants et Totems.

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Parmi tous ces « animaux totémiques », certains ont une histoire de plusieurs siècles.

Par exemple, « L’Ane de Bessan », qui sort pour la Fête locale de Saint-Laurent, est une maquette en bois, tissu et fleurs, portée par quatre jeunes et vigoureux habitants du village.

L'âne de Bessan

L’âne de Bessan

Il rappelle une tradition orale, qui réunit plusieurs légendes. Un historien du village parlait déjà en 1879 de « l’âne qui honore celui de l’étable de Bethléem, aussi bien que de celui qui avait servi à Jésus pour son entrée dans Jérusalem. »

Mais, une rumeur, bien plus ancienne, affirme qu’en l’année 730 un âne aurait prévenu les habitants du village de l’approche des hordes sarrasines. Ceux-ci, pour se venger, auraient précipité l’animal dans les eaux de la rivière l’Hérault. Ayant suivi le courant, il est arrivé jusqu’à Bessan où il a été accueilli à bras ouverts !

Bien plus drôle !

Une légende, datant du Moyen-âge, raconte qu’une fois par an, pour se moquer des autorités religieuses, les gens du village élisaient l’idiot de la contrée  comme « le prince ou le roi des fous » ! Il était promené ensuite sur un âne, à travers les rues, avant de pénétrer dans l’église. Alors, il prenait la place du prêtre, encouragé par les braiments du peuple, qui imitait les cris de l’animal.

Ensuite, tout le monde se précipitait dans le chœur, où l’on avait déposé force nourriture et vin.

Bien sûr que le clergé n’appréciait pas cette fête païenne, qu’il ne pouvait pas empêcher ! Il a exigé au moins que l’animal vivant ne rentre pas dans le lieu du culte. D’où la décision de le remplacer par un totem.

Mais, les anciens du village parlent, plutôt, d’un marché aux ânes. La tradition voulait qu’à cette occasion l’on décore le plus beau de ces quadrupèdes et qu’on le promène à travers les rues du village. Mais, si les textes ne précisent pas la date des premiers marchés aux ânes, on sait que la Foire de la Saint-Laurent a été autorisée par le roi François Ier en 1533.

Et il faut se rappeler aussi que, selon une vieille tradition, la fiancée était amenée, le jour de son mariage, à dos d’âne décoré !

Mais, de telles traditions, qui ont existé pendant des siècles, n’ont pas été toujours conservées.

Ainsi, en 1988, une association de Clermont-l’Hérault décida de faire revivre le Cheval-Bayard après plus d’un siècle et demi d’absence. « En effet, ce cheval qualifié de « bayard » ou « baiard » en occitan (ce qui signifie « baie brun »), et dont l’origine remonterait au ixe siècle, a été brûlé en 1815 ».  Malheureusement, cette « résurrection » n’a pas duré longtemps !

Par contre, d’autre « animaux totémiques » font leur apparition de nos jours.

Le « Midi Libre » du 14 août 2020, nous informe que « le samedi 15 août, l’association Culture et tradition organise une séance de dédicace à l’occasion de la sortie de la bande dessinée sur « La légende du Drac de La Salvetat ».

Il s’agit d’une truite monstrueuse, de plus de 200 kilos, dont l’idée est née en 2001, pour devenir, petit-à-petit, l’animal totémique du village !

Il semblerait que, ayant retrouvé une vieille légende, l’association précitée a décidé de faire du « Drac » la mascotte de l’endroit et, ainsi, rejoindre « la grande famille des Dragons et Géants du Sud de la France », plus connue sous le nom de TOTEMIC !

« Pour ces 20 ans d’existence, l’association a fait appel à Michel Roman, dessinateur connu dans les Hauts cantons, et de cette collaboration est née une BD qui restera désormais dans les témoignages écrits salvetois ».

Les lecteurs peu familiarisés avec la géographie du Département de l’Hérault, ne savent probablement pas que  La Salvetat-sur-Agout (occitan : La Salvetat d’Agot) est une commune française située en région Occitanie, dont le nom est attesté sous la forme ecclesiam de Salvetas en 1102.

Mais, surtout que

« La Salvetat-sur-Agout est une commune du parc naturel régional  du Haut-Languedoc et un village-étape sur le chemin de Saint Jacques, voie d’Arles. Lié au barrage hydroélectrique, le plan d’eau de la Ravièges, « Les Bouldouïres » accueille des milliers de vacanciers ».

Et, aussi, que l’endroit est connu à travers le monde pour « l’Eau de La Salvetat », mise en bouteille sur le site, par le groupe Danone. Ce sont donc les activités de pêche et loisirs nautiques qui ont motivé le choix de la « truite » comme animal totémique du village !

Mais, tout aussi bien, les habitants de la Salvetat pourraient ignorer qu’un autre « Drac » se niche à l’autre bout de l’Europe !

En effet, en roumain « drac » signifie « diable ou dragon » !

Et tout un chacun a entendu parler de Vlad Dracul, plus connu sous le nom de « Dracula ».

Vlad Dracul (alternativement: Vlad II ..,  né environ 1392 / 1394 . – décédé le 7 Décembre 1447) a été un prince de Valachie entre 1436 et 1442 et à partir de 1443 à 1447.

Vlad II a été nommé “Dracula”, après avoir été reçu, le 13 décembre 1431, dans  « l’Ordre du Dragon », fondé en 1408 par Sigismond, Saint Empereur Romain. L’ordre, créé par Sigismond, voulait augmenter le pouvoir politique de l’église et protéger les familles nobles hongroises et roumaines de l’Empire ottoman.

Je ne sais pas si Vlad Dracul aimait les truites !

Mais, un « Drac » de 200 kilos risquait de lui provoquer une indigestion !

Même accompagné de l’eau de la Salvetat, réputée pour sa légèreté !

 

Adrian Irvin ROZEI

La Bastide Vieille, octobre 2020

*On dit, en roumain, quand une situation est moins grave que ce que l’on craignait : « Le diable n’est pas si noir ! »

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