Saint-Étienne, 19 septembre 2016
Ma visite à Saint-Étienne du mois de septembre avait plusieurs buts.
Tout d’abord, remplir mon engagement, pris en février 2016, quand j’ai constaté que la section « langue roumaine » de la bibliothèque de notre Ecole était vide. J’ai écrit à la direction le 15 mars, lui proposant d’offrir une sélection d’une dizaine de livres en roumain. On m’a suggéré de les apporter le 17-18/09, à l’occasion des « Journées du Patrimoine ». C’était une excellente proposition !
A cette occasion, l’Ecole avait organisé une « Journée portes ouvertes » et une exposition autour du thème « Les mineurs dans les Guerres Mondiales ». J’ai pu profiter, tout d’abord, d’une visite « libre » dans les salles de l’Ecole. J’avoue qu’en février j’étais trop ému pour profiter pleinement de la même visite. J’ai eu aussi des révélations concernant l’activité, pendant cette période, de nos professeurs et anciens. *
Mais la grande surprise a été la découverte dans le détail de l’action du Big* pendant cette sombre époque. Même si je possédais quelques informations sur ce sujet, grâce au fascicule sur l’Ecole dans la guerre ’39-’45 édité il y a quelques années.
Grâce à un de nos camarades, j’ai appris qu’une conférence et une exposition sur Louis Antoine Beaunier (1779-1835), le premier directeur de l’Ecole, devait se tenir le 18 septembre aux Archives Départementales de la Loire.
J’ai découvert ainsi, non seulement la personnalité exceptionnelle de ce personnage inscrit sur la façade de notre établissement, mais aussi la conjoncture historique menant à la création de « l’Ecole des Mineurs » (nom à sa fondation de l’Ecole des Mines de Saint-Étienne). On a pu aussi consulter les plans des gisements de charbon stéphanois au début du XIXème siècle, ainsi que des documents, décrets et règlements qui ont marqué la création de notre école.
Mais, tout à la fin de l’exposition était présenté un document exceptionnel : « Tableau nominatif des élèves titulaires sortis brevetés de l’Ecole des Mineurs de Saint-Étienne depuis sa fondation en 1817 ». Le registre comprend, écrit à la main avec une superbe calligraphie comme on n’en fait plus, la liste complète de dizaines de promotions depuis la toute première, en 1817 !
Bien sûr, j’ai voulu savoir si nous apparaissions dans ce listing. Et, avec l’accord et l’aide du conférencier, j’ai tourné les pages du Registre. Tout à la fin, après une pause d’un siècle, j’ai trouvé une page barbouillée au stylo bille bleu. Elle porte en tête la mention « 69 » et comprend la liste des élèves –ingénieurs qui précède la notre. Complétée à la fin d’une dizaine de noms de fantaisie du genre : « Roux-Combalusier », « Neltner », « Tristan et Iseult », « Guichard et Perrachon », etc.
Quant à la page suivante, avec l’en-tête « 70 », elle ne comprend qu’un seul nom : « GANDON D’EMISSION », avec la mention : « ça, c’est notre chef !».
Je ne ferai aucun autre commentaire. Mais je pense que ceux qui se sont permis de souiller un document historique avec une ancienneté de 150 ans, sous prétexte de blague de potache, se souviendront certainement. Et ils sortiront du rang, pour se dénoncer, faisant un pas en avant !
* * *
Dans la même exposition, j’ai découvert sur une table un petit fascicule intitulé « ENSM Répertoire méthodique 6 ETP 1-606 », daté 2016, rédigé par plusieurs étudiants « Master 2 métiers des Archives » sous la direction de deux conservateurs du Patrimoine. Ce fascicule comporte des listes de documents, référence photos, biographies … du passé de l’Ecole, récemment classés et répertoriés. En particulier, on y trouve la liste des documents concernant les Anciens élèves, promo par promo, depuis la création de l’Ecole.
Plus que surpris, j’ai décidé de rester un jour de plus afin de consulter, en salle de lecture, certains de ces documents. En particulier, ceux concernant mon père, Ionel et mon oncle, Aurel, élèves de l’Ecole entre 1927 et 1930.
Cela n’a pas été une chose facile ! Je passerai sur les formalités d’inscription, la recherche des côtes (tous ces documents, récemment enregistrés à l’occasion du Bicentenaire, ne sont pas encore classés !), la consultation de plusieurs gros classeurs comprenant des centaines de documents…
Mais mon entêtement a payé ! Vous imaginerez facilement mon émotion quand je suis tombé sur des documents (lettres, certificats, attestations…) écrits il y a 90 ans de la main de mon père.
Je me suis même souvenu d’une anecdote qu’il m’a souvent raconté : un jour, un des profs qui trouvait que les deux jumeaux se ressemblaient beaucoup, lui a demandé : « Vous n’avez jamais tenté de passer un examen, l’un à la place de l’autre ? »
Alors mon père lui a répondu d’un ton goguenard : « Bien sûr ! Tout ça est réglé depuis longtemps : moi je passe les écrits et mon frère les oraux ! »
Eh bien, ce n’était pas tout à fait faux ! Dans les dossiers consultés, les lettres étaient toujours écrites par mon père. Qui quelquefois signait même à la place de son frère !
Pour les oraux…qui peut encore nous le dire, après 90 ans ?
Mais les documents consultés m’ont livré un autre secret : l’endroit où se trouvait le logement de nos deux compères pendant les trois années de leurs études. J’avais entendu dire que leur logeur s’appelait « M. Fourchiron », mais maintenant je sais qu’ils habitaient au 43, rue Michelet.
C’est étrange ! En février dernier, j’avais beaucoup traîné dans le coin sans une raison précise. J’ai même photographié le monument du génocide arménien pour l’épouse de l’un de nos collègues et j’ai failli assister à un spectacle de magie dans le square qui se trouve devant le 43, rue Michelet. Mais, cette fois-ci, j’ai poussé la porte du 43. Rien n’a changé depuis un siècle, même si la façade a été ravalée ! Et les portes sur le palier présentent les mêmes sonnettes style « Art Déco ».
Aux Archives Départementales, j’ai pu consulter aussi les dossiers des camarades de mon père, que j’ai connu dans les années ’60 ou ’70, ou dont j’ai entendu parler. J’ai passé en revue les dossiers des élèves français (Laravoire, Buret, Bruder, Taffanel de la Jonquière, les frères Moreau, Joyeux…) ou des étrangers (Sassi, le Grec, Loupou, Mosco, Hirsch et Dumitrasco, les Roumains, Zaki, l’Egyptien, Xéga, l’Albanais, Leung Pin, le Chinois…).
Qui se souvient des hommes ?***
* * *
Et puis, j’ai eu une idée « aussi sotte que grenue », comme disait notre collègue Jean Leroy. Pourquoi ne demanderai-je notre registre, celui de la Promo ’70 (devenue ’67 par un miracle difficile à comprendre !).
Mais ça, c’est beaucoup plus complexe !
Comme nous sommes nombreux à être encore en vie, ces documents sont classés « secret défense » et ne pourront être consultés que 50 ans après le décès du dernier d’entre-nous. Vous vous rendez compte ? Si on arrivait à savoir qui était « rupinard » et qui était « merdoyant » !
Mais par un tour de passe-passe, dont j’ai le secret, j’ai obtenu mon classement, qui ne m’a jamais intéressé.
Maintenant, je sais que je suis sorti 54ème (ex-æquo) sur 58 élèves. Le coup passa si près…
Quant à vous, chers collègues, vous savez ce qu’il vous reste à faire : mourrez au plus vite pour que je puisse, dans 50 ans, consulter les registres !
Adrian Irvin ROZEI
Saint-Étienne, septembre 2016
* Surnom de Louis Neltner, directeur de l’Ecole de 1943 à 1971.
**Ceux qui seraient intéressés par les milles détails aujourd’hui connus de cette épopée, peuvent s’adresser à Rémy Révillon, qui a fait un travail remarquable pour la mémoire de l’Ecole et non seulement sur ce sujet.
Service après vente
De retour à Paris, j’ai retrouvé les mémoires de mon père ou l’on parle longuement de son passage à l’Ecole, de la vie d’étudiant à cette époque, du programme des cours, des stages à la mine, des célébrations et des fêtes…enfin, un témoignage haut en couleur de son temps. Trop long pour être reproduit ici, il pourrait faire l’objet d’une publication, à l’occasion de la célébration du cent-cinquantenaire de L’Association des Anciens élèves, prévue pour 2017.
Je ne résiste pas à la tentation de reproduire ici quelques lignes mentionnant le logement où les deux frères ont passé leur première année, qui n’a pas bougé d’un pouce depuis !
« Nous étions la première génération dont les cours se tenaient dans le nouveau local de l’Ecole, celui qui agrandit, est actuellement en service. On était la promotion 1927. L’Ecole n’était pas seulement plus petite, mais elle n’avait pas de Maison des Elèves. Nous logions à nos frais chez l’habitant, dans des chambres louées au mois. Par raison d’économie nous avions une seule chambre pour nous deux. C’était toujours la meilleure pour laquelle on nous enviait. La première de ces chambres appartenait à une demoiselle assez âgée qui n’a jamais été mariée, nommée Mlle Fulchiron, au 43 de la rue Michelet. On l’a changé en seconde année pour une autre, un peu plus loin dans la même rue. On avait une chambre pourvue d’une entrée directe de l’escalier et d’une antichambre, avec chauffage au gaz…
A l’entrée de l’immeuble, dans l’escalier qui menait d’abord aux toilettes bien mal odorantes, ensuite au premier étage se trouvait notre appartement, nous avions une boîte aux lettres en bois dans le mur de l’escalier. Revenus bien plus tard en France après 40 ans, nous sommes allés à St Etienne avec ma femme pour revoir les lieux de ma jeunesse. J’ai trouvé inchangée la topographie des lieux. La boite aux lettres en bois dans le mur était restée exactement comme je l’ai laissée. Elle a résisté aux temps. Nous avions changé. »