Languedoc et Roumanie: du Félibrige aux « Rencontres en Méditerranée » – une histoire d’amour inachevée

par Adrian Irvin ROZEI, membre de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire, d’origine roumaine

This article evokes the literary relationship between Romania and the south of France, focusing on the contacts of Vasile Alecsandri, major Romanian poet and diplomat of the XIX-th century, with “Société Archéologique Scientifique et Littéraire” from Béziers. The second part presents a bird’s eye view of the artistic liaisons between Languedoc and Romania through the years.

sasl copertaDans le dernier quart du XIXème siècle, la  Roumanie, pays récemment apparu sur la carte de l’Europe, recherchait une reconnaissance internationale par tous les moyens.

Le fait militaire majeur qui a généré aussi bien l’indépendance du pays, que sa proclamation en tant qu’état souverain, a été la guerre russo-turque de 1877.

A cette occasion les armées roumaines alliées avec les troupes du tsar contre l’ennemi héréditaire, l’Empire ottoman, ont emporté à Grivitza et Plevna deux victoires historiques qui ont permis de changer le sort de la guerre. Par la suite, en 1878, les Principautés Unies ont eu leur indépendance reconnue par le Congrès de Berlin et, en 1881, le prince Carol I a proclamé le royaume sous le nom de Roumanie. En même temps que la reconnaissance politique du nouvel état, sa reconnaissance culturelle devait jouer un rôle tout aussi important afin d’assurer la présence de son caractère national dans le concert européen.

A ce titre, la France, puissance majeure européenne, état centralisé et unitaire de longue date, représentait le meilleur vecteur d’affirmation internationale pour le nouveau pays.

Mais, les relations franco-roumaines étaient bien plus anciennes. Déjà quelques deux mille ans auparavant, au moment de la conquête de la Dacie par les troupes de l’empereur  Trajan  – lui-même d’origine ibérique – les légionnaires de ses armées auraient été recrutées dans le nord de l’Espagne et dans la Septimanie. C’est ainsi qu’on explique la présence d’une langue romane à l’autre bout de l’Europe et ceci malgré le passage dans la région d’innombrables invasions des peuples migrateurs après l’abandon par Rome de l’ancien territoire dace.

Le fait est que, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, la jeunesse et l’intellectualité roumaines se tournaient vers la France, porteuse de la modernité à travers les idéaux de la Révolution française que les élites du pays avaient découverts grâce au passage des armées napoléoniennes dans la région. Les jeunes roumains éduqués à Paris revenaient au pays habillés selon la mode occidentale et parlant couramment la langue de Molière. Ils furent d’ailleurs surnommés par les « vieilles barbes » du pays –et ce n’est pas qu’une figure de style !- des « bonjouristes ».

Mais le vrai moment de gloire de la culture roumaine sur le sol français a eu lieu dans le Languedoc, à Montpellier en 1878, à l’occasion du concours de poésie pan latine.

Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, un mouvement de réhabilitation de la langue provençale, devenue seulement une langue de communication régionale, essayait de la ramener au niveau de gloire qu’elle avait connue au Moyen Âge.

Les contacts commencés entre les catalans et les provençaux se sont concrétisés par l’organisation de manifestations littéraires dont le but était la constitution d’un « esprit latin » commun à tous ceux qui parlaient des langues romanes.

En 1876, en Avignon, on a décidé que tous les quatre ans on organiserait des « Grands Jeux Floraux », à l’occasion des « Fêtes Latines » et Montpellier a été choisie comme siège de la première rencontre qui devait avoir lieu deux années plus tard. Ces manifestations étaient organisées par le félibrige qui s’était doté à cette occasion d’un statut définitif et dont le guide incontesté était Frédéric Mistral.

La plaque de marbre apposée sur l’Esplanade de Montpellier

La plaque de marbre apposée sur l’Esplanade de Montpellier

Pour le concours de poésie à la gloire de la « race latine », prévu en 1878, le poète catalan Albert de Quintana offrit une coupe d’argent comme prix attribué au gagnant.

Cinquante six poètes venant de différents pays de langue romane ont présenté leurs œuvres ; parmi eux il y avait trois roumains : un poète anonyme de Târgu Mures (Transylvanie), Romulus Scriban de Galatzi et Vasile Alecsandri, tous les deux de Moldavie. Frédéric Mistral, le célèbre poète provençal, a retiré son œuvre du concours afin de pouvoir faire partie du jury.

Le grand prix a été attribué au poète roumain Vasile Alecsandri pour son poème intitulé « Oda gintei latine », en français : « Chant à la race latine ». Le commentaire de l’époque, par voie de presse, a été le suivant : « La nationalité, la gloire et la foi latine du lauréat en faisait une manifestation de pan latinisme politique ».

Le poème gagnant a été lu à l’occasion des manifestations organisées à Montpellier du 22 au 30 mai 1878 sur l’Esplanade du Pérou, « sous le grand toit du ciel, en face du soleil, en face de la mer d’Azur, en face des Alpes et des Pyrénées témoins des destinées de la Latinité ». Frédéric Mistral a lu un poème écrit à cette occasion dont quatre vers sont inscrits sur une plaque en marbre apposée près de l’Arc de Triomphe, au bout de l’Esplanade. Le passant peut y lire encore aujourd’hui le texte suivant :

ES AV PEIROV DE MOVNT-PELIE, MIRADOV DE LA TERRA D’OC QVE LOV XXV DE MAI MDCCCLXXVIII  FREDERIC MISTRAL DIGVET SOVN INNE A LA RACO LATINO

Aubouro_le_raco latino/Soulo la capo dou souleu!/ Lou rasin brun boui dins la tino/ Lou vin de Dieu gisclara leu.

On a récité ensuite les autres poèmes primés, dont celui de Romulus Scriban, qui avait obtenu le troisième prix. La soirée s’est poursuivie par un banquet pendant lequel on a lu le télégramme envoyé par vingt et un députés roumains, adressé à leurs « frères latins » en les invitant à Bucarest en septembre 1879.

Malheureusement, à cause de la guerre de 1877, encore en cours, Vasile Alecsandri et d’autres hommes de lettres roumains n’ont pas pu participer à cette célébration. Par contre le succès du poète roumain a eu un énorme retentissement en France et surtout en Roumanie. Son poème a été traduit dans d’innombrables langues depuis le provençal jusqu’à l’hébreu.

La revue « Convorbiri literare » du 1er juin 1878, fait le commentaire suivant :

« Grivitza et Montpellier sont aujourd’hui deux noms inséparables et tout aussi chers aux Roumains, parce qu’ils représentent deux brillantes victoires par lesquelles les Roumains ont affirmé leurs droits et leur volonté d’exister ».

En 1881, à l’occasion de la proclamation du royaume de Roumanie, le poète irlandais W.C. Bonaparte –Wyse a publié une ode, intitulée « On occasion of Roumania constituting himself as a kingdom », qui a été traduite aussi bien en français qu’en provençal.

Mais le sommet des relations provençal-roumaines a été atteint en 1882 à l’occasion des « Jeux Floraux » déroulés aussi bien à Forcalquier, Albi et Montpellier. Cette fois-ci Vasile Alecsandri était présent. Le 7 mai 1882, il a été reçu avec tous les honneurs dus à son rang et à ses nombreux mérites d’écrivain, homme politique, ami de la France et du félibrige.*

Il a déclamé à cette occasion son poème « Ronsard à Toulouse » dédié à M.Roque-Ferrier. On y trouve les vers :

« Il dit, dans  une langue divine
Comment, au temps des malheurs de la France,
Un sien ancêtre, le Ban Maracina
Né sur les bords verdoyants du Danube,
Vint monté sur un dragon,
Prendre part à la grande lutte
Qui devait sauver la France. »**

Dédicace de Roque-Ferrier sur un exemplaire de son livre traitant des présences littéraires roumaines dans le Midi de la  France. Document rencontré dans les archives de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers

Dédicace de Roque-Ferrier sur un exemplaire de son livre traitant des présences littéraires roumaines dans le Midi de la France. Document rencontré dans les archives de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers

Arrivé à Albi le 24 mai 1882, Vasile Alecsandri participe aux fêtes présidées par Frédéric Mistral et le comte de Toulouse, en lisant un nouveau poème, intitulé « Patru regine » (Quatre reines) qu’il traduit également en français.

A l’occasion du banquet qui suit les cérémonies, c’est Gabriel Azaïs qui lui adresse un « brinde », et Vasile Alecsandri répond en lui adressant des vers dédicacés : « Au poète et philologue Gabriel Azaïs ».

A l’occasion de ce voyage, il était prévu que Vasile Alecsandri fasse un détour par Béziers pour répondre à l’invitation de ses amis membres de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire. Mais les fatigues du voyage l’obligent à envoyer d’Avignon le télégramme suivant, le 18 mai 1882:

Mr Gabriel Azaïs, Béziers.

Arrivé à peine de Gap très fatigué n’ai ni temps matériel ni forces venir Béziers. Veuillez vous prie exprimer mes regrets ainsi que ceux de mylord Bonaparte-Wyse aux honorables membres de la Société Archéologique
Alecsandri

En 1885, Vasile Alecsandri revient en France en tant que Ministre Plénipotentiaire, titre de l’Ambassadeur de l’époque qu’il garde jusqu’à sa mort, le 22 août 1890, survenue dans sa propriété de Mirceşti (Roumanie).

*   *   *

Celui qui aurait la curiosité de consulter les Bulletins annuels publiés par la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire à la fin du XIXème siècle découvrirait parmi les membres d’honneur le nom du poète roumain « Veséli Alecsandri, Sénateur à Mirceşti (Roumanie) » mentionné à partir de 1883 jusqu’en 1890.

Toujours parmi les membres d’honneur on retrouve Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature, celui qui avec six autres hommes de lettres avait lancé en 1854 le mouvement de réhabilitation de la littérature provençale, en fondant « le Félibrige », défini par une lettre ministérielle en date du 14 avril 1877 comme « une association littéraire destinée à encourager les lettrés et les savants dont les travaux ont pour but la culture et la conservation de la langue provençale ».

A l’époque de gloire de ce mouvement, pendant les dernières décennies du XIXème siècle, ses contacts suivis avec la Reine poétesse de Roumanie, Carmen Sylva, ont fait que celle-ci soit appelée « La Reine des Félibres ». C’est ainsi que différents félibres ont été décorés de l’ordre de la « Couronne de Roumanie ». Parmi eux, on compte en dehors de Frédéric Mistral, Joseph Roumanille, Quintana, Gabriel Azaïs ou Bonaparte-Wise, qui faisaient tous partie de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire. Tous ces membres éminents avaient participé, d’une manière ou d’une autre, au concours de poésie de langues romanes, gagné par Vasile Alecsandri, en 1878, avec la célèbre « Ode à la gente latine », à Montpellier.

Cachet qui scellait l’envoi d’une branche de laurier, cueillie sur la tombe de Virgile, expédiée par la reine-poétesse de Roumanie, Carmen Sylva, à Montpellier. Document rencontré dans les archives de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers

Cachet qui scellait l’envoi d’une branche de laurier, cueillie sur la tombe de Virgile, expédiée par la reine-poétesse de Roumanie, Carmen Sylva, à Montpellier. Document rencontré dans les archives de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers

Le 2 Septembre 1882 Alecsandri annonçait depuis Mirceşti la bonne nouvelle à son ami Gabriel Azaïs en ces termes (sur une carte de visite) :

Cher Monsieur et Confrère –
Je suis heureux de vous annoncer que S.M. le roi Charles vous a décerné le titre d’officier de l’ordre : la Couronne de Roumanie. Veuillez en agréer mes sincères félicitations
Vasile Alecsandri

Partie du portrait de Gabriel Azaïs, avec au revers l’insigne de sa décoration roumaine, citée dans le faire-part de son décès, reproduit ci-dessous.

Partie du portrait de Gabriel Azaïs, avec au revers l’insigne de sa décoration roumaine, citée dans le faire-part de son décès, reproduit ci-dessous.

Dans les années qui ont suivi, alors que Vasile Alecsandri, Ministre de Roumanie en France, habitait Paris, leurs liens se sont intensifiés. C’est ainsi que nous pouvons rencontrer pendant quelques années de suite, parmi les ouvrages reçus par la Société Archéologique Scientifique et Littéraire, la revue « ROMANIA » envoyée depuis Paris par le Ministère de l’Instruction publique. On y trouve aussi bien une brochure intitulée « ALECSANDRI », dans la série « Les Félibres », éditée à Gap en 1882, ainsi que l’ouvrage « La Roumanie dans la littérature du Midi de la France », signé Alphonse Roque-Ferrier, portant une dédicace qui dit : « A Messieurs les membres de la Société Archéologique de Béziers, hommage affectueux d’un confrère », en date de 1881.

Dans le Bulletin daté 1891-1892, est annoncée la disparition de « Veséli (sic) Alecsandri, membre honoraire décédé à Mirceşti (Roumanie), le 6 septembre 1890 ». Sur la même page, on annonce la perte de « Joseph Roumanille, membre correspondant décédé en Avignon, le 24 mai 1891 ».

Editions d’époque du poème de Vasile Alecsandri, vainqueur à Montpellier: « Cântul Gintei Latine ». Document rencontré dans les archives de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers

Editions d’époque du poème de Vasile Alecsandri, vainqueur à Montpellier: « Cântul Gintei Latine ». Document rencontré dans les archives de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers

*   *   *

Dans ce même Bulletin, un article concernant l’activité littéraire de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire rend compte du mémoire : « Notes pour servir à l’histoire de Capestang, par un Capestanais ». Cette étude, écrite par Fernand Pigot, passe en revue « un aperçu des origines, de l’histoire féodale, communale et religieuse de cette ville, dont le château appartenait à l’Archevêque de Narbonne et dont le chapitre collégial était important ». Comme dit le rédacteur du Bulletin : « Ce travail révèle un esprit désireux de connaître et de faire connaître l’histoire de son pays afin de le faire mieux aimer. N’est-ce pas là un acte recommandable ? Pour l’aider à poursuivre avec constance l’œuvre qu’il a entreprise, à la condition de ne pas négliger le côté archéologique, la Société attribue une médaille de bronze à l’auteur, M. Fernand Pigot, de Capestang ». Fernand Pigot (1867-1928), jeune passionné par l’histoire de sa ville, n’avait que 23 ans quand il  reçu cette médaille !

Par la suite, il  fit une carrière exceptionnelle littéraire et journalistique. En dehors des activités de viticulteur, il a été félibre, conférencier mutualiste, un des pionniers du « Crédit Mutualiste Agricole », banque qui poursuit de nos jours son activité sous le nom de « Crédit Agricole », correspondant de Radio France, mécène des arènes de Béziers, fondateur de la revue « L’escola dels Titans », directeur de journaux en langue occitane « Lou Camel » et française « Le Petit Biterrois ».

En 1907, à l’occasion de la révolte des viticulteurs du Languedoc, Fernand Pigot s’est distingué par sa tentative d’unification des mouvements revendicatifs des quatre départements méditerranéens, en les visitant et en prononçant partout des discours en langue d’Oc. Il a été un des collaborateurs et amis de Marcellin Albert, le leader du mouvement populaire de 1907.

Le 26 février 1926, C. Papp de Maros-Csüged, propriétaire d’une maison internationale de commerce à Béziers, adressait la lettre suivante à Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères de Bucarest :

« Habitant depuis 20 ans Béziers et ayant fait la guerre en France, où je me suis engagé, je me suis définitivement établi dans cette ville. De nombreux Roumains sont établis où résident temporairement à Montpellier, Béziers, Narbonne, soit comme étudiants, commerçants ou ouvriers manuels. Ils ont parfois besoin de visas du consulat de Roumanie. Malheureusement, il n’existe qu’un consulat, à Marseille, ce qui les oblige à se déplacer et leur occasionne des frais de voyage très onéreux. J’ai l’honneur de signaler à la Haute bienveillance de Son Excellence, Monsieur Fernand Pigot, publiciste – félibre, 33, avenue de la République, à Béziers, honoré de la Couronne de Roumanie, le 9 février 1901. Ce dernier accepterait de remplir les fonctions consulaires à Béziers.

Estimé par tout le pays, il s’est occupé depuis longtemps des étudiants Roumains qui sont à Montpellier et tous les sujets Roumains qui lui ont été signalés. Aimant profondément ce qui est Roumain et vient de Roumanie, il a fait dans les milieux littéraires et commerciaux où il est très estimé, une grande propagande en faveur de la Roumanie. Son action a toujours été désintéressée et constante. Espérant que Votre Excellence mettra à l’étude notre demande, nous sommes avec respect Votre dévoué serviteur ».

Après les formalités de rigueur, suivant la proposition de son Excellence Monsieur I. Mitilineu, Ministre des Affaires Etrangères, le roi de Roumanie, Ferdinand, signait à Sinaia, le 29 octobre 1926, le décret qui décide de «  la création, le 1er Octobre 1926, d’un consulat de deuxième catégorie (honorifique) de Roumanie, à Béziers (France) ».  Par le même décret, le roi décide que Monsieur Fernand Pigot est nommé le même jour Consul Honorifique de Roumanie, comme titulaire de l’office consulaire nouvellement créé.

Nous disposons d’une copie de la lettre adressée par la Légation Roumaine de Paris, datée du 25 janvier 1927, accompagnée du « formulaire de fiche personnelle et du serment complété par Monsieur Fernand Pigot avec un fac-similé en double exemplaire avec sa signature ».

Selon la tradition orale, conservée dans la famille de Fernand Pigot, cette nomination n’était pas due seulement aux mérites précités du nouveau consul, mais aussi au fait que celui-ci avait acheté 3000 chevaux en Roumanie !

En tout cas, pendant quatre ans, le drapeau roumain a flotté sur la façade de la maison sise au 33, rue de la République (aujourd’hui « 22 août 1944 », date de la libération de cette ville), siège officiel du consulat où Fernand Pigot habitait dans les périodes où ses occupations, essentiellement viticoles, ne le retenaient à Capestang, berceau de la famille. Les caves de sa propriété de Capestang, appartenant toujours à ses descendants, peuvent être visitées encore de nos jours, parce que Madame Marie Cros, l’arrière petite-fille du consul, a installé ici un agréable restaurant, appelé « La table du vigneron ».

Façade du château de Capestang, après la restauration de 2011

Façade du château de Capestang, après la restauration de 2011

Malheureusement, le 22 juin 1928, un accident stupide fait que Fernand Pigot perde la vie,  à Béziers, dans le local du consulat. Mais la Légation de Roumanie à Paris n’a appris le décès de Fernand Pigot que le 28 septembre 1929. Le 2 octobre 1929, le Ministre plénipotentiaire chargé d’affaires, B. Cantacuzène, adresse à Monsieur Al. Vaida Voevod, Ministre des Affaires Etrangères ad intérim, une lettre dans laquelle il affirme que « étant donné que les travaux consulaires sont fort peu nombreux à Béziers, je pense qu’il n’est pas nécessaire de le remplacer ».

Toutefois, le 29 septembre 1930, la Légation de Paris répond à la note reçue du Ministères des Affaires Etrangères français qui donnait son accord pour la nomination de Monsieur Guy Henri, au poste de consul à Béziers. Mais une note manuscrite indique sur le même document que « à la suite du décès de l’ancien consul Fernand Pigot, le consulat de Béziers est supprimé depuis 1929 ».

Etrangement, une note transmise le 20 avril 1940, (dix ans plus tard !) par le «  Ministre Royal des Affaires Etrangères de Bucarest à Monsieur Richard Franasovici, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de sa Majesté le Roi à Paris », dit :

« J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint un acte authentifié récemment par une personne dont la signature est inconnue par ce Département et qui s’intitule « attaché consulaire » auprès du consulat roumain de Béziers, en priant Votre Excellence de bien vouloir entreprendre une recherche pour déterminer qui est cette personne ». Suit la description des démarches entreprises après le décès de Fernand Pigot, en précisant que depuis 1929, « …dans tous leurs travaux (Ministères et Ambassades n.n.) ont arrêté de mentionner le consulat de Béziers parmi les consulats de Roumanie existant en France. Vu ce qui précède, je prie votre Excellence de bien vouloir disposer que l’on prenne des mesures appropriées afin que les cachets et emblèmes du consulat de Béziers soient retirés des mains des personnes qui les détiennent aujourd’hui sans une autorisation légale, communiquant en même temps de manière officielle au Quai d’Orsay que ce consulat a cessé d’exister depuis l’année 1929 ».

Probablement que les évènements dramatiques qui ont suivi pendant cinquante ans, d’abord dans toute l’Europe et par la suite en Roumanie, ont laissé dans l’ombre l’étrange sort du consulat de Béziers.

*   *   *

En 1838, grâce à la souscription ouverte par la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire, une statue de Pierre-Paul Riquet, le génial concepteur et bâtisseur du Canal du Midi, la voie d’eau qui relie la Méditerranée à l’Océan Atlantique, était inaugurée sur les Allées de Béziers. Une de ses descendantes, Marie Henriette Valentine de Riquet, comtesse de Caraman-Chimay, devenue Princesse Bibesco , finira sa vie à Bucarest et sera enterrée en 1914 dans le parc du château de Mogoşoaia, en quelque sorte le Versailles roumain.

*   *   *

 Dans les décennies qui ont suivies les manifestations de Montpellier, ont été publiées d’innombrables articles, discours, conférences, études, traduits du roumain en provençal. Malheureusement, le temps passant et l’importance du mouvement félibrige diminuant, leur nombre a été de plus en plus réduit. Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, un groupe d’intellectuels roumains de Montpellier a tenté de ressusciter ce lien historique publiant en Roumanie quelques études concernant la littérature occitane, mais la chute du « Rideau de Fer » a arrêté cette initiative.

Il a fallu attendre le changement de régime en Roumanie, en 1989, pour voir apparaître à partir de 1995 un nouveau pont culturel entre les deux régions si éloignées de l’Europe latine.

« Les Rencontres Franco Roumaines en Méditerranée », arrivées en 2010 à leur quinzième édition, ont présenté à l’occasion de leurs réunions annuelles des centaines de conférences, expositions de peinture, sculptures ou photographies, des concerts de musique classique, folklore ou rock, des débats littéraires ou concernant des problèmes de société, des évocations d’artistes, écrivains ou philosophes, des présentations gastronomiques, géographiques ou d’évènements historiques etc. , etc. L’organisation de ces rencontres, qui ont pour but de faire connaître les aspects les plus variés de la vie artistique et sociale roumaine en Languedoc est assuré par  « l’Association Dacia-Méditerranée », dont le siège se trouve à Sète, mais qui a présenté ces manifestations culturelles dans une douzaine de villages du département de l’Hérault. En 2009, des artistes du Languedoc se sont déplacés en Roumanie pour rejoindre des participants locaux afin de présenter un programme culturel varié au public moldave. Les « Rencontres » se sont déroulées aussi bien en français qu’en roumain devant un public enthousiaste totalisant près de deux mille personnes.

:« Invitation au voyage » : affiche des « Rencontres Franco-Roumaines » en 2011

« Invitation au voyage » : affiche des « Rencontres Franco-Roumaines » en 2011

Des comptes-rendus de toutes ces manifestations ont été publiés dans des périodiques roumains édités dans une dizaine de pays, depuis la Nouvelle-Zélande jusqu’au Danemark. Des émissions enregistrées dans des studios de Radio Roumanie International, aussi bien en roumain qu’en français ont fait connaître l’existence de ces « Rencontres » aux auditeurs des quatre coins du monde.  Quant à l’avenir de cette amitié devenu séculaire, nous laisserons le mot de la fin au poète E. Jouneau, qui disait en 1884 dans un poème intitulé « Prouvènço e Roumanìo » :

« Li pople s’amaran, li pople saran libre,
Quand je diran enfin, coume fan li felibre,
Qu’es de pas e d’amour que vièu la liberta ».

Adrian Irvin ROZEI

*Pour mémoire : Vasile Alecsandri a été l’auteur de plus d’une centaine de poèmes en roumain et en français, de plusieurs pièces de théâtre aussi bien comiques ou dramatiques, de livres de voyage, de volumes de prose. Il a édité plusieurs revues littéraires, a été membre de l’Académie Roumaine et auteur des paroles de l’hymne national royal. A la demande du premier prince régnant des Principautés Unies, A.I.Cuza, et en tant que Ministre des Affaires Etrangères il a plaidé la cause de l’Union en France, Grande Bretagne et Piémont. Il a brillamment accompli la charge de Ministre plénipotentiaire de Roumanie à Paris entre 1885 et 1890. Considéré comme « poète national » en son temps, il a été même un éphémère candidat au trône de Moldavie.

**Selon la théorie difficile à prouver avec des documents historiques défendue par Vasile Alecsandri, l’ancêtre de Ronsard (en roumain Mărăcine) aurait été un prince d’Olténie, appelée aussi « la Petite Valachie ». Si non e verro,… ! Par ailleurs, en 1872, Vasile Alecsandri publie à  Jassy, capitale de la Moldavie, le poème historique « Dumbrava Roşie », qui porte la mention : « Vendu au bénéfice des souscriptions faites afin de libérer le territoire français ».

Notes bibliographiques :

  • « Le mouvement littéraire félibréen et la Roumanie » de Eugène Tanase Documents du CIRDOC Béziers
  • « Capestang, mon amour ! » de A.I. Rozei Annuaire du MNIR vol. XXI  2009 Bucarest
  • « Nòsti lengo soun sorre » de A.I. Rozei Altermedia 14 Novembre 2009
  • « Odă gintei latine » de A.I. Rozei Altermedia 15 Août 2009
  • « Prouvènço e Roumanìo » de E. Jouveau  Armana Prouvençau 1884

Article publié dans le numéro spécial  «Hommage de la Société Archéologique de Béziers à ses fondateurs» en 2011, ainsi que dans l’annuaire 2012 du «Musée National de Roumanie »  vol. XXIV

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