Paris, le 4/02/2018
Nous rigolons des cons avec Frédéric Dard
Souvenirs de prison avec le vieux Boudard
Audiard et puis Pagnol s’allument au Pernod
Je lève mon verre à Robert Doisneau
Ils sont bien plus vivants dans ma mémoire au moins
Que la majorité de mes contemporains
Si demain la faucheuse vient me prendre la main
Pourvu qu’elle me conduise au bistrot des copains*
(Paroliers : Jean-Pierre Bucolo / Renaud Pierre Manuel Sechan)
Au milieu des années ’60, alors que j’étais élève à l’Ecole Polytechnique de Bucarest, un de mes collègues est arrivé avec un petit livre à la main et m’a dit: « Tiens! Tu devrais lire ça ! Je pense que ça va te plaire ! »
Ce fut mon premier San-Antonio!
Si je me rappelle bien, son titre était : « Le gala des emplumés ».
Je ne pense pas me tromper, puisque ce livre est sorti en 1963, aux Éditions « Fleuve Noir », et je revois parfaitement sa couverture. Mais il avait été écrit en 1955.
J’ai commencé à lire le livre et je ne l’ai plus abandonné… jusqu’à la dernière page!
Ce qui me fascinait dans ce livre et ceux qui l’ont suivis, du même auteur, était non seulement l’intrigue policière, mais surtout l’ambiance du Paris populaire des années ’60: les bistrots avec les habitués accolés au zinc, les petits restaurants de quartier avec leurs nappes à carreaux, les rideaux « bonne femme » rouge et blanc, les marchés, la Foire du Trône…
Enfin! Tout un Paris que j’avais entrevu dans les films de l’époque, mais que je rêvais de voir, sentir, entendre… « pour de vrai ».
Je me demande encore, cinquante ans plus tard, ce que je pouvais comprendre de l’action du livre, connaissant le niveau scolaire de mon français. Surtout qu’il était truffé de mots d’argot et, surtout, du délire verbal de Frédéric Dard.
Mais, les blancs dans la lecture étaient probablement compensés par le feu de l’action.
Je n’ai jamais essayé d’utiliser un dictionnaire, qui, de toute façon, ne m’aurait pas servi à grand chose. Tout comme les connaissances de la langue française de mes parents. Qui aurait pu comprendre le français de San-A., dans la Roumanie des années ’60?
J’ai continué avec pas mal d’autres livres du même auteur.
Je cite de mémoire et aidé par la liste des écrits de San-Antonio:
–Des dragées sans baptême
-Descendez-le à la prochaine
-J’ai bien l’honneur de vous buter
-Fais gaffe à tes os
-Au suivant de ces Messieurs
-A tue… et à toi…
-Entre la vie et la morgue
-La rate au court-bouillon…
Et, bien sûr, celui qui portait le titre de ce texte !
Tous ces livres venaient du même collègue. Je n’ai jamais su comment il faisait pour se les procurer, alors qu’aucun écrit récent ne traversait la barrière de la censure. Peut-être qu’il avait quelques relations privilégiées avec l’Ambassade de France, à Bucarest. Ou, encore plus probable, avec un fils de « nomenclaturiste », qui étudiait le français, et avait, lui aussi, développé une passion pour San-Antonio. En tout cas, on ne posait pas ce genre de question, surtout si on ne voulait pas que la source tarisse.
Mais, pendant tout ce temps, mon collègue avait fait un « transfert » psychologique avec le Commissaire San-A. Il se comportait comme lui, tentait de s’habiller comme lui, même… de parler comme lui, en traduisant ses expressions en roumain. Ce qui donnait, souvent, des tournures cocasses.
Nos amis, n’étant pas dans la confidence, ne comprenaient rien à son manège. Et moi, qui n’avaient pas le droit de le trahir, j’étais obligé de me marrer… en tapinois! « Vaste tâche ! », comme aurait dit le Grand Charles.
Enfin, en 1967, j’ai quitté la Roumanie et, peu de temps après, je me suis retrouvé à Saint-Etienne, pour mes études.
Très vite, je me suis inscrit à la bibliothèque municipale et, parmi les livres choisi, il y a eu des « San-Antonio ».
Maintenant, ma tâche était devenue beaucoup plus facile!
Un de mes collègues, un « parigot », maître ex-argot, non seulement qu’il me fournissait les livres nécessaires à ma formation linguistique, mais il me guidait et corrigeait dans les méandres de cette langue parallèle.
C’est grâce à lui que j’ai découvert « Le petit Simonin » ou « La méthode à Mimile », Michel Audiard et Boby Lapointe.
D’ailleurs, c’est toujours lui qui m’imitait en repettant: «Je crrrrrois que…! » Et ajoutait, en me montrant du doigt: « Nous sommes tous des chauds…latins! » Affirmation qui ne me disait rien, mais qui faisait rigoler mes copains, qui avaient davantage de lettres (françaises) que moi!
C’est toujours avec Jean-Claude que j’ai découvert René Cuisinier, plus connu sous le nom de « René la branlette », grand humoriste des années ’60.
Cher Jean-Claude ! « Que la terre lui soit légère! », comme on dit en roumain pour ceux qui nous ont quitté.
C’est encore à la fin des années’60 que j’ai approfondi ma culture « san-antoniesque » en étudiant les ouvrages de son adjoint, Bérurier, dit « le gros », « l’enflure » etc., etc. C’est en lisant « Le STANDINGE » que j’ai achevé mon éducation du savoir-vivre « à la française » !
« Pas des bonnes manières de mamz’elle Chochotte, mais de ses bonnes manières à lui (Béru!) ».
Et, en étudiant son « Histoire de France », j’ai appris ce qu’aucun prof n’a jamais dit à ses élèves en classe!
Tous ces ouvrages étaient illustrés par des dessins de Dubout, autre grande trouvaille de la « culture » de cette époque.
Puis, peu de temps plus tard, j’ai découvert les adaptations au cinéma d’après les livres de San-Antonio. Tout d’abord « Sale temps pour les mouches », puis « Béru et ces dames ».
Malgré la présence au générique de Gérard Barray, Jean Richard, Philippe Clay, que je connaissais depuis la Roumanie, et de Paul Preboist, que je découvrais, je n’ai pas été convaincu par leur prestation. Des caractères aussi « grotesques » ou, plutôt, « grands guignolesques », comme ceux crayonnés par la plume de Frédérique Dard ne peuvent pas être présentés à l’écran par des êtres en chair et en os. Même s’il s’agit d’excellents acteurs!
Seule chance aurait été un film à partir des dessins de Dubout. Mais cela n’a pas été réalisé ! Quel dommage!
Dans les années suivantes, j’ai continué à lire, de temps à autre, des San-A. Mais de moins en moins souvent!
Les livres de Frédérique Dard ont glissé, petit à petit, vers un « esthétisme » de plus en plus gênant. Il y avait de moins en moins d’action, mais de plus en plus de pages d’élucubrations, le plus souvent linguistiques, qui, pour pouvoir être suivies, demandaient de tremper ses pieds dans un bac d’eau froide et une bouillotte de glace sur la tête ! On aurait dit « Le carnet de la comtesse » du « Canard enchainé » !
Je suis passé donc à d’autres lectures!
Et puis, en 1988 j’ai découvert, par je ne sais quel miracle, que Frédéric Dard avait publié un nouveau roman.
Cette fois-ci, il ne s’agissait plus d’un San-Antonio, mais d’un livre présenté sous son vrai nom. Cet auteur, on ne peut pas plus prolifique, a publié d’innombrables ouvrages qu’il a signé « Frédéric Dard ». Alors… pourquoi ai-je remarqué celui-ci ?
Je sais! Les mauvaises langues diront que j’ai subodoré qu’il y a une histoire roumaine là-dedans ! Totalement faux!
Avant 1989, les « histoires roumaines » ne m’intéressaient… que de très, très loin.
« La vieille qui marchait dans la mer » est BEAUCOUP plus qu’un roman à « suspens ».
C’est une vraie étude psychologique, c’est une étude de meurs, c’est un exercice de perspicacité… le tout, doublé d’une intrigue policière qui vous prend à la gorge, page après page. Et tout se joue… sur le fil du rasoir, jusqu’au dernier paragraphe du bouquin.
Il est vrai que, au début du livre, l’assistant de Lady M., « la vieille qui… », est un ancien diplomate roumain, Pompilius, qui affiche tous les travers du monde de sa naissance. Mais, ceci n’est qu’une goutte -fort bien esquissé !- dans l’océan de traits de génie qu’affiche le livre.
C’est, peut-être, pour tout ça que, une fois de plus, je n’ai apprécié qu’à moitié la transcription cinématographique du roman, en 1991. Malgré le jeu très fin de Jeanne Moreau et de Michel Serrault.
Aussi, parce-que le final avait été quelques peu modifié, par rapport au livre, probablement pour mettre davantage l’accent sur l’action. Néanmoins, ce rôle a apporté à Jeanne Moreau le « César de la meilleure interprète féminine », en 1992.
* * *
Pendant près de trente ans, j’ai oublié les histoires de San-Antonio.
En septembre 2017, à l’occasion du déballage annuel organisé dans notre résidence, je suis tombé sur un voisin qui proposait à la vente un carton plein de « San-Antonio » des années ’60 – ’90. Ça doit être l’héritier d’un « fan » du Commissaire, qui tente de se débarrasser d’un poids mort!
Je me suis dit que ce serait amusant de relire un de ces romans… 50 ans après ! D’autant plus que l’investissement n’était pas rédhibitoire ! Les livres étaient proposés à la vente… pour 1,5 €/pièce!
J’ai cherché, bien entendu, les titres qui me disaient quelque chose. Et, de préférence, dans une version des années ’60.
Ainsi, j’ai choisi:
–Des dragées sans baptême et
–Le fil à couper le beurre
aux Éditions « Fleuve noir », imprimés en 1965.
Qui sait? Peut-être qu’ils sont déjà passés entre mes mains!
Les livres ont dormi tranquillement dans un tiroir, jusqu’au mois de décembre.
En partant aux États-Unis, je me suis dit que ce serait une saine lecture… pendant les sept heures de vol.
En effet! J’ai retrouvé, dans le premier de ces volumes le plaisir que ressentais en les lisant, il y a un demi-siècle.
C’était un titre des débuts et l’action prenait encore le pas sur le jeu de mots… pour le plaisir du jeu de mots.
Le second… commençait déjà à déraper !
Mais, « le geste est précis et j’ai du ressort », comme chante Aznavour !
On reconnait un maître de l’écriture! Et on comprend pourquoi il a vendu des millions d’exemplaires.
C’est sûr que de tels ouvrages ne sont pas appelées à sortir dans la « Pléiade ».
Mais depuis que Michel Audiard et Frédéric Dard ne sont plus là… il nous manque quelque-chose!
Adrian Irvin ROZEI
Capestang, février 2018
*Dans les commentaires à « Mon bistro préféré », un certain Christian Dorin, inconnu dans notre village, a marqué : Rdv au café de la paix à Capestang !
Je vous jure que ce n’est pas mon pseudonyme ! LOL !
–
Service après vente
Une fois achevée la rédaction de ce texte, je retrouve, un peu par hasard, dans ma bibliothèque, le livre « La vieille qui marchait dans la mer », dans sa version 1990.
Je constate qu’il est signé « San-Antonio ». Et pourtant, le célèbre Commissaire n’y apparaît pas !
La mémoire peut jouer des tours, quelquefois !
Tant pis pour moi !
Mais, les avis des critiques littéraires de l’époque valent la peine d’être mentionnés :