Feuilles de journal
La Bastide Vieille, le 17/04/2019
En 1995, dans la maison de mes beaux-parents, j’ai découvert un livre qui m’a beaucoup intéressé. Cet ouvrage, plutôt un album, s’intitulait « L’Eldorado du vin – Les châteaux de Béziers en Languedoc ».
Sur près de 200 pages, Jean-Denis Bergasse, l’auteur du livre, décrivait « …le mouvement architectural du Bitterrois au XIXe siècle, phénomène de « castellisation » lié aux alcools et aux vins », relevant son «exceptionnelle densité et diversité des réalisations ».
« Entre 1860 et la Première Guerre mondiale, les terroirs du Biterrois, mais aussi de Pézenas, d’Agde et de Narbonne, ont vu surgir de nombreux châteaux, symbole d’une prospérité soudaine et rarement égalée. »
Je connaissais Jean-Denis Bergasse, pour l’avoir rencontré plusieurs fois dans les manifestations mondaines (mariages, baptêmes, vernissages, conférences savantes…), dont il était un invité phare dans notre région.
Il maîtrisait avec aisance l’art et la manière d’entretenir un public néophyte sur des sujets tout aussi variés que l’histoire de la région, les coutumes et traditions locales, que de la vie mondaine et la généalogie des grandes familles biterroises. Mais je ne pouvais pas soupçonner, à l’époque, qu’il m’inviterait à rejoindre la « Société Archéologique de Béziers », dont il était le Président, et qu’il m’inciterait à décrire les liens entre le Languedoc et la Roumanie, ce qui, quelques années plus tard, allait devenir ma première publication en français.
Je ne pouvais pas savoir que Jean-Denis était particulièrement fier de cet ouvrage, qu’il considérait comme son « chef-d’œuvre », malgré la vingtaine d’autres livres et brochures publiés. Quelque temps plus tard, il allait me confier qu’à son avis, ce qui resterait de son travail d’historien, quand il ne sera plus de ce monde, ce serait « L’Eldorado du vin ».
Quand, en 1995, j’ai parlé à ma belle-mère de mon étonnement de découvrir, à travers ce livre, la richesse architecturale et décorative de la région, elle m’a répondu, du tac-au-tac : « Mais, je connais très bien ces châteaux ! Quand j’étais jeune-fille, j’ai dansé partout dans ces endroits ! »
Alors, je lui ai dit : « Très bien ! Nous sommes au mois de juillet ; je reviens en août pour 5 jours et j’aimerais visiter 5 châteaux. Un par jour ! ».
Je dois dire que Colette, sans rien préparer à l’avance, quelquefois avec un simple coup de fil au dernier moment, a tenu le pari et, ainsi, j’ai découvert quelques-unes des perles de la région entre Clermont l’Hérault et Capestang. Qui plus est, certaines de ces visites, comme celles de l’Oppidum d’Ensérune ou du château de Colombiers, ont eu des suites qui continuent jusqu’à aujourd’hui, passant par le « Prix de la Fondation ELF » ou de l’organisation des « Rencontres Franco-Roumaines en Méditerranée », pendant près de 20 ans.
Parmi les endroits visités en 1995, je compte aussi le « Château de la Tour » à Montady, même si nous n’avons pu admirer que la façade et un bout du parc, grâce à l’amabilité de la gardienne.
J’ai appris alors que le château était proposé à la vente, après avoir changé de propriétaire d’innombrables fois, à partir de 1956, quand il a quitté la famille de son constructeur. On m’a dit qu’il avait abrité un restaurant de luxe, qu’il avait appartenu à un milliardaire russe,… que sais-je ?
La fortune, ou plutôt l’infortune, de ces demeures, depuis que la richesse apportée par la viticulture n’existe plus, est si variée, qu’on peut se réjouir quand elles survivent encore et, qui plus est, en bon état, sans regarder de trop près leurs avatars !
Mais, le « Château de la Tour » se trouvant à quelques kilomètres seulement de notre maison, je passe et repasse d’innombrables fois dans ses alentours sans pouvoir le visiter depuis bientôt 25 ans !
Il a, d’ailleurs quelque chose de mystérieux, caché comme il est par un bosquet d’arbres centenaires, en plein milieux d’une plaine viticole. Ne dépasse, au dessus de la cime des pins, qu’un lanternon. On dirait la « Château de la Belle-au-bois dormant » !
Mais, si vous avez la chance d’y pénétrer, vous découvrirez que…la belle ne dort pas du tout !
* * *
Au mois de février, en arrivant devant la porte de notre maison, nous avons découvert un cycliste qui regardait notre pigeonnier.
En parlant avec lui, nous avons constaté qu’il s’agissait du Président de l’Association « Testas de geis » (Tête de plâtre !) de Cazouls-les-Béziers.
Cette association, située dans un des villages du biterrois avec quelques 5000 habitants se trouvant à seulement une dizaine de km de notre maison, a pour objet :
«la sauvegarde et mise en valeur du patrimoine littéraire, historique et archéologique, naturel et environnemental de Cazouls-les-Béziers et la région voisine, réalisation de, participation à toutes activités d’ordre culturel, telles que chantiers de toutes sortes, publications sur tous supports, expositions, conférences, fêtes populaires, spectacles, visites et excursions, sans limites territoriales ».
Il s’agit d’une de ces multiples associations, amicales, réunions… qui, sans tambours, ni trompettes, animent la vie de nos campagnes et sauvegardent, toujours présentes, des traditions locales et des contacts entre les gens de la région, formant le réseau vivant des liens centenaires de « la France profonde ».
Quelques jours plus tard, je découvrais, dans le programme 2019 de l’Association, qu’il était prévue une sortie :
« Samedi 13 avril : château de La Tour. A Montady, un très beau château pinardier du 19ème siècle dans un parc magnifique. Visite par la propriétaire, durée une heure. Si vous êtes intéressés, téléphonez au président des TDG avant la sortie pour confirmation de la date. »
Bien sûr que « j’étais intéressé ! J’attendais cette occasion depuis tant d’années ! Même si la formulation « château pinardier » ne me plait pas du tout. Je préfère que l’on parle des « châteaux du vin », comme j’ai eu l’occasion de l’écrire, dans un texte de 2015, intitulé : « Rendez-vous au «Particulier ».
C’est en préparant la visite, qui a eu lieu, finalement le 17/04, que j’ai découvert que
« … le domaine aurait été acquis en rente viagère, en 1785, par Pierre Fayet, riche négociant biterrois, qui le transmit à son fils Antoine Fayet. C’est celui-ci qui construit le premier pavillon néo-Renaissance. »
C’est son gendre, Louis Bellaud qui « le trouvant trop modeste » ( !) le fit englober dans le château que nous connaissons aujourd’hui, construit en 1887, d’après les plans d’un célèbre architecte montpelliérain, Léopold Carlier, à qui l’on doit un grand nombre de réalisations, dans le style « troubadour », dans la région.
Inutile de faire la description des différentes pièces du château.
Il vaut mieux préciser, pour le lecteur non familiarisé avec les gloires de la région, au tournant du XIXe et du XXe siècle, que les Fayet sont
« une famille de propriétaires viticoles alors que débute l’âge d’or de Béziers qui se caractérise par un développement économique vertigineux, une grande prospérité, un goût de la fête et de la musique qui permirent l’aventure lyrique du mécène Castelbon de Beauxhostes. »*
Le plus célèbre d’entre eux est Gustave Fayet (1865 -1925), devenu fameux pour son action, en tant que peintre et mécène :
« entré en relation et en amitié avec George-Daniel de Monfreid, peintre et collectionneur d’art français, l’ami de nombreux artistes et poètes dont Verlaine et surtout Gauguin. Sur les conseils éclairés de son ami, Gustave Fayet devient l’un des premiers collectionneurs des œuvres de Gauguin et son mécène qui soutient par ses mandats un Gauguin malade et désespéré au bout du monde. Il acquiert et possède alors des œuvres de Degas, Manet, Monet, Pissarro et surtout Odilon Redon. Il enrichit sa collection des œuvres de Cézanne, Matisse, Monfreid, Puvis de Chavannes, Fantin-Latour, Sisley, Picasso, Van Gogh dont il possèdera les Bohémiens, le Jardin de Daubigny et l’Autoportrait à l’oreille bandée et à la pipe. Curieux et éclectique dans ses choix, sur la fin de sa vie, Fayet développe aussi un goût pour les arts d’Extrême-Orient (bouddhas, art chinois et japonais), si bien qu’on peut le considérer comme le plus grand collectionneur du XXe siècle.
Pour une fois dans l’histoire de l’art, grâce à Castelbon de Beauxhostes pour le spectacle lyrique et à Gustave Fayet pour la peinture, Béziers et la province précèdent Paris. Devenu Conservateur au musée de Béziers, dès 1901, il organise dans sa ville natale une exposition qui rassemble les grands exclus de l’époque : Cézanne, Gauguin, Redon, Van Gogh et Picasso. Les deux premières rétrospectives consacrées à l’exilé des Marquises, d’abord à Weimar, en 1905, puis à Paris, en 1906, et qui vont bouleverser l’histoire de la peinture, n’auraient pu se tenir sans lui.
En 1908, il acquiert l’Abbaye de Fontfroide (au sud de Narbonne), qu’il s’attache à restaurer et y installe des œuvres commandées à ses amis peintres, notamment Odilon Redon ainsi que des vitraux qu’il réalise en collaboration avec le maître verrier Richard Burgsthal. Tout en commençant et en poursuivant les travaux de restauration et de décoration de l’abbaye, Gustave Fayet en fait dès 1909 un foyer artistique que fréquentent Odilon Redon, Burgsthal, Bauzil, Henri de Monfreid, Aristide Maillol ou encore les compositeurs Maurice Ravel et Déodat de Séverac. »
On comprend, dans ces conditions, l’état d’esprit et les goûts qui régnaient dans la famille des propriétaires du « Château de la Tour », qui, par ailleurs, possédaient de nombreuses autres demeures dans la région.
C’est comme ça que s’explique la variété des décors à l’intérieur du château : un salon chinois, un salon mauresque, une salle à manger d’inspiration chinoise, sans parler des superbes boiseries, de l’imposante cheminée, des vitraux et de l’escalier à la française !
Bien sûr, on peut y trouver une magnifique cheminée en marbre style « art nouveau » ou un « oculus » peint sur le plafond, avec des angelots qui vous regardent d’un air amusé !
Au-delà des décorations remarquables, mais que l’on peut retrouver dans d’autres châteaux similaires de la région, ce qui impressionne le visiteur dés le premier coup- d’œil depuis le parc, est l’équilibre de la façade. Qui regarde le soleil « droit dans les yeux », avec ses deux tours, une carré et l’autre ronde, celle qui culmine par le lanternon que l’on aperçoit depuis les vignes qui entourent l’édifice.
Il faut préciser aussi que les propriétaires actuels du château, depuis 1996, ont su préserver la qualité de la décoration en soignant dans les plus petits détails les formes et couleurs d’origine, en cherchant sans cesse l’artisan capable de conserver ou reproduire un décor, aujourd’hui plus que centenaire.
Mais, le sentiment qui s’y dégage, en visitant le parc ou le château, est celui de la pérennité. Il ne s’agit pas d’un monument figé et confit dans son passé !
On y entend le rire des enfants, on y voit passer les chevaux qu’ils montent et, j’imagine, l’agitation, autour de la piscine, à la belle saison. Parce que, toute la famille du propriétaire des lieux, habite le domaine, depuis les grands-parents jusqu’aux petits-enfants !
Et c’est ça la garantie de la durée, pour l’avenir du château !
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, avril 2019
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Petits souvenirs,
Ma ravissante cousine Dominique Fayet, petite fille de Gustave, m’a donné mes premiers cours de danse lors du mariage de Colette à Bernard. Elle avait environ 18 ans à l’époque, et moi 12 ans .
J’ai fais suivre ce message à Annick Gefriaux ,amie de Dominique Fayet, épouse Fage.
Merci, Adrian, de cette histoire. J’étais ravi d’apprendre plus de la vie de Gustave Fayet, parce que, comme vous avez remarqué, c’est lui qui a sauvé l’abbaye de Fontfroide. L’abbaye est un chef-d’oeuvre de l’art cistercien. J’y ai pédalé de la BV en 2013, c’est une très belle église située dans une vallée charmante parmi les vignes des Corbières. Nous devons sa rénovation et son bon état aujourd’hui à M. Fayet. Chapeau!