Il y a bien longtemps, quand j’avais huit ou neuf ans, en tout cas bien avant 1956, année du début de la déstalinisation dans les pays de l’Est, il y avait dans mon livre de classe à Bucarest, en Roumanie, un texte qui m’a tellement impressionné qu’aujourd’hui encore, tant d’années plus tard, il est resté gravé dans ma mémoire.
Ce texte, intitulé « La station Tamara », racontait l’histoire d’une petite fille, de son prénom Tamara, qui vivait au long de la ligne du chemin de fer Moscou-Vladivostok, quelque part au fin fond de la Sibérie. Son père, cantonnier de son état, était obligé par le règlement de sortir plusieurs fois par jour de sa maisonnette et se présenter au garde-à-vous, avec le fanion dans la main gauche et saluant de la main droite près du képi, à chaque passage d’un train qui, bien entendu, ne s’arrêtait jamais dans ce lieu perdu, au milieu de la steppe russe.
Et ainsi passèrent les saisons, l’été brûlant de la taïga ou l’hiver avec ses vents acérés venus du Pôle Nord, soulevant des congères de neige qui atteignaient par moment plusieurs mètres de hauteur. Tamara se plaisait bien dans ce paysage de rêve, nageant en été dans les étangs voisins, patinant en hiver sur la glace des mares gelées ou dévalant en traîneau les pentes enneigées du voisinage.
Jusqu’au jour, vers l’âge de sept ans, où c’est posé le problème de la scolarisation de Tamara.
Au début tout c’est passé sans difficulté majeure: la mère de Tamara lui apprit à lire et à écrire et son père les premières notions d’arithmétique, voire d’histoire et de géographie.
Mais vers l’âge de dix ans, Tamara ne pouvait plus continuer de cette façon. Non seulement que les matières devenaient de plus en plus complexes, mais en plus Tamara ne rencontrait jamais des enfants de son âge ou, comme on dirait aujourd’hui, « elle n’etait pas socialisée!».
Mais que faire ? La ville la plus proche se trouvait à quelques dizaines de kilomètres de la maison de Tamara. Il était hors de question d’y aller à pied et son père, qui aurait pu l’accompagner en charrette à cheval, était obligé d’être présent à son poste aux heures de passage des trains.
C’est alors que Tamara eut une idée originale !
Ayant lu dans les livres pour enfants, largement diffusés par la propagande stalinienne de l’époque, tout l’intérêt que portait le « Petit Père des peuples » au sort de la jeune génération, Tamara décida d’écrire personnellement à Staline!
Et prenant sa plus belle plume, elle exposa son problème et cacheta l’enveloppe sur laquelle était écrite l’adresse :
Camarade STALINE
Kremlin
MOSCOU
A peine quelques semaines plus tard, juste avant le début de l’année scolaire, Tamara recevait une lettre du Kremlin, qui lui confirmait que son message avait attiré toute l’attention du Généralissime, Maréchal de l’Union Soviétique, Secrétaire Général du Parti Communiste etc., Joseph Vissarionovitch Staline. Et que celui-ci avait donné l’ordre qu’un train s’arrête une minute, tous les matins, devant la maisonnette de Tamara pour l’emmener à la ville la plus proche et, de la même façon, le soir, pour qu’elle puisse rentrer chez elle. Quant à cet arrêt, décidé en haut lieu, l’administration des Chemins- de- fer soviétiques, dont l’horaire officiel se devait d’indiquer chaque point du parcours du train, il fut baptisé : « Station Tamara »!
* * *
Je n’imaginais pas à ce moment, quand j’avais l’âge de Tamara, que quelque cinquante ans plus tard et à l’autre bout de l’Europe, je serai obligé d’employer les mêmes méthodes pour arriver à mes fins !
Au fait, en plein mois d’août 2003, à la suite de l’inconscience d’un voisin irrespectueux, mon appartement de Paris a été en grande partie détruit par un dégât des eaux. Devant la perspective des trois mois de travaux, prolongés par quelques autres mois exigés par les expertises, contre-expertises, estimations des pertes, états des lieux etc., nous avons décidé que mon épouse et mes enfants iraient s’installer dans la maison de ma femme, à la « Bastide Vieille », près de Capestang, en pleine région du Languedoc, dans le Midi de la France.
Endroit merveilleux, un hameaux où habitent à peine une dizaines de familles, perché sur un minuscule monticule au cœur de la plaine du biterrois, la « Bastide Vieille » est entourée par des vignes qui s’étendent à perte de vue.
Rien que le nom du lieu a de quoi faire rêver !
A l’horizon, d’un côté, les contreforts des Cévennes, avec la célèbre “femme couchée » qui à donné le nom du massif, dessinent une ligne bleutée sur le ciel, le plus souvent couleur azur, plus ou moins marquée en fonction de la brume de chaleur, des nuages gris, de la nuit étoilée ou des lumières des villages environnants. De l’autre côté, là où les vignobles s’éparpillent jusqu’à la mer, un mur ondoyant de platanes marque le passage du Canal du Midi, lien historique entre la Méditerranée et l’Atlantique, ruban d’argent qui traverse la région depuis trois siècles.
Quel endroit merveilleux pour passer ses vacances !
Oui, mais quand il s’agit d’y habiter toute l’année, il faut aussi remplir quelques conditions essentielles!
Entre autres, tout comme chez Tamara, notre héroïne de la Sibérie profonde d’il y a cinquante ans, il faut assurer la scolarisation des enfants ! Rien de plus simple !
A Capestang, au bord du Canal du Midi, à peine quelques kilomètres de la « Bastide Vieille », il y a un collège fréquenté par 700 élèves et la Mairie a organisé un ramassage scolaire. D’ailleurs il est prévu que le bus s’arrête tous les matins à la « Bastide Vieille », vers 7h55 « près des poubelles », afin de prendre et emmener les élèves à la ville. Et il revient au même arrêt « près des poubelles », après 17h du soir. C’est normal, cinquante années sont passées depuis l’aventure de notre Tamara et nous ne vivons plus dans les mêmes conditions !
Seulement, il y a un hic!
Quand vers la fin du mois d’octobre, une fois les enfants inscrits au collège, nous appelons la société qui se charge du ramassage scolaire pour avoir la confirmation de l’horaire, on nous répond que « ce n’est pas possible » !
« Vous comprenez, cette année il n’y a aucun enfant scolarisé à la « Bastide Vieille »! Or, les trajets des bus ayant été établis au début de l’année scolaire, il est hors de question d’apporter des changements en cours d’année, même s’il s’agit du début du trimestre ! ».
Moment de panique ! Que faire ? Toutes les solutions sont envisagées, d’autant plus que la voiture achetée ne sera livrée que dans quelques temps !
On réfléchit même à la possibilité d’écrire au « Petit Père des Peuples » ou, en son absence, au Président de la République, au Président du Conseil Général de l’Hérault etc., etc.
Enfin, après moult coups de fils et moments d’émotion, une employée de la société des transports de Béziers, principale ville du voisinage, une femme de bon sens, décide que l’arrêt « La Bastide Vieille » sera remis sur le trajet du bus, comme c’était le cas les années précédentes! Et toujours au même endroit, « près des poubelles »!
Depuis ce jour, nous appelons familièrement cet endroit : « La station Tamara »!
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, novembre 2003
Am citit abea acum “La station Tamara”. Te admir pentru stilul in care povestesti, si lungimea potrivita a textelor. Mi-a adus aminte de cartile traduse din ruseste pe care trebuia sa le citim in timpul scolii. De ex: Vasia Trubaciov si tovarasii sai, unde spre sfirsit Vasia arunca o grenada sub un tanc nemtesc. Citind-o de nu stiu cite ori intr-o vacanta mare in care afara nu era nimeni pentru ca erau cu totii plecati ( vorbesc de “tovarasii mei” ) am capatat complexe de inferioritate din cauza ca eu nu aveam nici grenada si nici tanc nemtesc. Singura vitejie pe care puteam s-o fac era sa fur prune dintr-un prun care crestea in gradina ministerului de externe, cu crengi spre afara, peste cusca militianului, cind locuitorul custii pleca si el sa faca pipi.
Iar linia ferata Moscova – Vladivostoc, imi aduce aminte de un banc:
– intr-un compartiment din trenul Moscova – Vladivostoc, relativ nou data in functiune, dupa decenii de constructie, muncitori care au murit in grig sau arsita, s.a.m.d., isi stau vis-a-vis doi calatori. Dupa o tacere lunga, lunga, incotro? intreaba unul. La Moscova, raspunde celalalt. Pauza lunga. Si dumneata, incotro ? La Vladivostoc, vine raspunsul. Pauza lunga, lunga. Pina cind unul dintre ei zice cu maaare admiratie: Kakaia Tiechnika !!!!