Paris, le 24/09/2021
…ou « L’Histoire n’est pas encore finie! » ?
Ce soir, je n’ai pas tellement le moral !
Avec, en prévision, une année de campagne pré et post électorale pour des présidentielles et des législatives, des semaines de « combinazioni » pour pousser tel ou tel candidat, des invectives et de fausses amitiés dans les médias, je n’ai pas l’humeur à rigoler !
Et pourtant ! Il y a dans l’air parisien une joie de vivre, un sentiment de liberté retrouvée, après une année et demi de pandémie qui me donnent envie de sortir et de profiter justement de cette liberté si chèrement gagnée.
Alors, j’ai décidé d’aller dans le quartier de l’Opéra.
Pourquoi ce quartier ? Simple !
J’ai lu, dans un numéro de la revue « Point de vue », un article qui annonce l’ouverture d’un nouvel hôtel dans ce quartier : « Hôtel Kimpton St Honoré ».
« L’adresse va aimanter le Tout-Paris dès son ouverture à la fin du mois d’août. A deux pas de l’Opéra, ce nouvel hôtel cinq-étoiles a investi un bâtiment Art nouveau, autrefois propriété de la famille Cognacq-Jay et inauguré en 1917 comme succursale de luxe de la Samaritaine. »
Ça tombe bien ! Non seulement que j’aime énormément le style « Art nouveau », mais les hôtels de luxe, que j’ai fréquenté à l’époque où je voyageais pour mon travail, m’ont habitué à cette ambiance.
Qui plus est, je me souviens de cet endroit du temps où il abritait le Musée Cognacq-Jay, qui, depuis une trentaine d’années, a déménagé dans le Marais.
« Le musée Cognacq-Jay est inauguré le 4 juin 1929 par le président de la République Gaston Doumergue.
Le 27 juin 1988, le musée ferme ses portes et ses collections sont transférées dans le Marais, à l’hôtel de Donon entièrement restauré pour l’occasion. Le musée rouvre au public le 18 décembre 1990 dans ses nouveaux locaux. »
Je me souviens assez bien des anciens locaux du musée, que je visitais régulièrement à l’époque où il occupait l’édifice sis Blvd. des Capucines.
D’ailleurs, encore aujourd’hui, la lourde porte en fer forgé, qui permettait, par un escalier trop raide, l’accès aux salles du musée, porte le monogramme « MJC ».
Une fois arrivé devant l’hôtel, j’ai été impressionné par l’architecture, les motifs floraux, les ferronneries tarabiscotées, les « bow-windows » et les céramiques multicolores de la façade.
Mais, j’ai été un peu étonné par la longue queue qui s’allongeait de minute en minute, devant la porte de l’hôtel.
J’ai demandé au portier, dont la mission principale était de vérifier… le Passe sanitaire des candidats à l’entrée :
« Il y a une visite guidée du nouvel établissement ? Il y a un artiste de réputation internationale qui y réside ? On y distribue des billets gratuits pour un programme TV ? »
« Pas du tout ! », l’on m’a répondu. « Nous avons une terrasse, au dernier étage, avec un bar d’où l’on peut admirer tout Paris et ses toits ! »
Eh bien ! Je me suis demandé si, vraiment, cela valait la peine de faire une heure de queue, alors que, rien que dans le quartier il y a plusieurs terrasses, dans des bâtiments dont je tairai le nom, avec une histoire et décoration contemporaines avec celle de l’hôtel du Blvd. des Capucines, d’où l’on peut jouir d’une vue « imprenable » sur les environs proches ou lointains!
Mais, quand « le Tout-Paris est aimanté », il faut être vu à cet endroit !
Moi, je compte laisser passer « l’effet de mode » avant de retourner admirer la décoration d’époque de l’hôtel !
Toutefois, je n’ai pas résisté à la tentation et j’ai jeté un œil à l’intérieur du lobby. Ce qui m’a impressionné le plus ont été les deux ascenseurs avec leur décoration ancienne typiquement « Art nouveau ».
Ils m’ont rappelé ceux de l’Hôtel Gresham Palace de Budapest, que je connais depuis une vingtaine d’années, juste après son inauguration en tant qu’hôtel.
« Le palais Gresham (en hongrois : Gresham-palota) est un édifice abritant le Four Seasons Gresham Palace .
En 1880, la compagnie d’assurance-vie Gresham Life Assurance Society, basée à Londres, achète la propriété, à un moment où il était illégal d’investir de l’argent dans des actions, mais où des revenus locatifs étaient un investissement judicieux. La société décide ensuite de construire son siège étranger sur le site dans un cadre plus grandiose. L’architecte local Zsigmond Quittner est chargé de concevoir la nouvelle structure, et en 1904 commence la construction du Palais Gresham, achevée en 1906.
À l’origine, le palais servait d’immeuble de bureaux, ainsi que de résidence pour de riches aristocrates britanniques liés à la société Gresham.
En 2001, il est acheté par la société d’hôtels Four Seasons, et ouvre peu après en tant qu’hôtel de luxe. Parmi les détails d’origine restaurés par la société actuellement propriétaire Quinlan Private, on trouve un grand escalier, des vitraux, des mosaïques, des ferronneries et des jardins d’hiver. »
On remarque tout de suite la ressemblance avec l’immeuble de l’Hôtel St. Honoré, construit quelques années seulement après celui de Budapest, et qui a fonctionné, aussi, comme édifice de bureaux pendant de longues années.
* * *
Une fois finie, un peu vite, la visite de l’Hôtel St. Honoré, j’ai poursuivi ma promenade dans la rue voisine, la fameuse Rue Daunou.
Mais ici, une grande déception m’attendait !
Je connais le restaurant « American Dream », qui s’appelait à l’époque « King Opéra », si je ne me trompe pas, depuis… des décennies !
Combien de soirées avons-nous passé à cet endroit ? Combien de shows typiquement américains avec des costumes bariolés et des musiques entrainantes avons-nous admirés ? Combien de « 4 Juillets » avons-nous célébrés ici, depuis 1969, comme l’indique le nom de l’établissement ?
« L’American Dream est le plus grand espace Américain de Paris : avec 1000 m2 et 450 places, il vous propose la meilleure cuisine US et Tex Mex et un sushi bar californien.
The American Dream est un bar mythique de Paris, près du métro Opéra, d’une devanture reconnaissable de loin… »
Seulement, en ce moment, la devanture est « une ruine debout » ! Et les colleurs d’affiches s’en servent pour leurs publicités ciblées !
Quelle tristesse !
Le panneau collé sur la façade annonce que celle-ci sera bientôt refaite. Il faut espérer qu’un tel endroit « mythique » ne sera pas « modernisé » à tout prix ! Même s’il n’est pas classé !
* * *
J’ai continué ma promenade dans le quartier.
Je ne pouvais pas ignorer le fameux « Harry’s New York Bar » ! Que je fréquentais assidument… il y a une quarantaine d’années, à Paris, à New-York ou à Venise !
« Il fut créé en 1911 par un ancien jockey américain, Tod Sloan, qui avait transformé un bistro pour le rebaptiser en « New York Bar ». Sloan s’était associé avec un propriétaire de bar new-yorkais, Clancy, qui, à l’approche de la prohibition aux États-Unis, décida de démonter les boiseries de son bar pour les transporter à Paris. Sloan a ensuite engagé Harry Mac Elhone (1890–1958), un barman écossais qui avait fait ses armes au Ciro’s Club de Londres. À cette époque, les touristes et artistes américains commençaient à affluer à Paris, et Sloan comptait bien les attirer au New York Bar où il souhaitait qu’ils retrouvent l’ambiance du pays. C’est ainsi qu’il devint le premier bar à vendre du Coca-Cola en France, en 1919. »
J’avais découvert son histoire et son existence grâce aux publicités remarquées dans les revues distribuées par les compagnies aériennes, qui proclamaient :
« Just tell the taxi driver: Sank Roo Doe Noo and get ready for the worst! », la phrase devant permettre à tout anglophone de se faire acheminer au 5, rue Daunou. C’était la phrase mythique publiée par le patron du bar, dans le « Herald Tribune », au milieu des années ’20.
Il est (presque !) inutile de mentionner le nom de tous les personnages célèbres qui ont fréquenté ce bar. Une courte énumération, quand même : Ernest Hemingway, Coco Chanel, Jack Dempsey, Rita Hayworth, Humphrey Bogart, le duc de Windsor…
Quand la préposée à l’accueil des clients, dont l’obligation principale consistait (encore une fois !) en la vérification du Passe sanitaire, m’a adressé la parole en anglais, je lui ai précisé que je ne répondrais dans cette langue que si elle peut m’indiquer la date de la dernière visite d’Ernest Hemingway !
Elle a écarquillé les yeux et, pour le peu, m’aurait répondu que « elle ne l’a pas vu cette semaine » ! Sur quoi, je lui ai montré la photo du grand écrivain sur le mur, au dessus de sa tête !
* * *
Entre temps, l’heure du dîner a sonné !
J’ai commencé à chercher un restaurant qui me conviendrait.
« Vaste tâche ! »
Ce n’est pas parce que les restaurants manquaient dans le quartier !
Mais, il faut s’entendre sur quel genre de restaurant l’on cherche !
Les restaurants à plusieurs dizaines d’euros pour un gratin de macaronis et où le videur à l’entrée vous regarde d’un œil torve s’il ne vous a pas reconnu d’après la liste de « beautifull people » qu’il a reçu de la Direction de la communication… trop peu pour moi !
C’est vrai que j’ai entendu récemment un fameux cuisinier, qui règne sur des dizaines de tels établissements, affirmer que : « Dans un grand restaurant, ce qui compte n’est pas ce que l’on mange, mais le souvenir que vous a laissé la soirée ! ».
A quoi le journaliste qui l’interviewait répondit : « C’est sûr que l’addition sera inoubliable ! »
Il y avait aussi, toujours dans le même quartier, des guinguettes où des étudiants fêtaient en pleine rue, sur des tonneaux en guise de table, la réussite de leurs examens. Mais, dans ces endroits, en dehors du fait que je n’avais pas prévu les « oreilles de lapin » exigées, l’idée de manger debout, une bouteille de bière à la main, ne m’inspirait pas trop !
Et puis, en errant comme une âme en peine dans les rues du quartier, voici que je tombe sur un endroit inattendu !
Un restaurant appelé « Comme un bouillon » !
« Un bouillon est un type de restaurant servant généralement une cuisine française traditionnelle, notamment le bouillon qui a donné son nom à ces établissements …
Le concept est de servir des aliments de bonne qualité rapidement et à des prix abordables.
Les premiers bouillons sont apparus en 1855 à Paris grâce à un boucher astucieux, Pierre Louis Duval. Il proposa un seul plat de viande et un bouillon aux travailleurs des Halles. En 1900, on pouvait trouver à Paris près de deux cent cinquante bouillons. Ils sont devenus la première chaîne de restaurants populaire. Certains autres bouillons, “de classe supérieure”, offraient une salle de lecture ou des animations.
À la fin du xixe siècle le style Art nouveau se répandit dans toute l’Europe, dans l’architecture, le mobilier et la décoration. »
Je fréquente ce genre de restaurant… depuis un demi-siècle !
Au début de ma vie parisienne, ce qui m’attirait ici c’était les prix étonnement bas. Ce sont d’ailleurs mes collègues de l’Ecole des Mines qui m’en ont parlé pour la première fois.
J’ai commencé avec le fameux « Bouillon Chartier… certainement le bouillon le plus connu de Paris … ».
A l’époque, le prix des plats principaux tournaient entre 1 et 3 Francs et les entrées et desserts coûtaient quelques dizaines de centimes ! Comme référence, en 1968, le repas au Restaurant universitaire de Saint-Etienne, subventionné par le CROUS, coûtait 1,10 FF.
C’est ainsi que j’ai découvert la décoration typique « Art nouveau » restée « dans son jus » depuis près d’un siècle.
Par la suite, j’ai fréquenté d’autres bouillons parisiens : « Bouillon Julien», le «Bouillon Racine » ou le « Petit Bouillon Pharamond ».
Petit à petit, ce qui m’attirait ici, c’était le cadre, davantage que les prix bas. D’ailleurs, avec l’accroissement de la fréquentation touristique, les prix avaient tendance à augmenter… en proportion !
Ce qui m’a sauté aux yeux, dès le premier moment, dans le « bouillon » de la rue de Choiseul, a été la décoration en céramique polychrome, typiquement « Art Nouveau » de la façade.
J’étais un peu étonné de ne l’avoir jamais remarqué ! Mais, comme ces derniers temps on « reconstruit » des décorations d’époque… qui n’ont jamais existé, je me suis proposé de poser la question à la serveuse.
« C’est normal ! Nous ne sommes ouverts que depuis trois mois. »
«Et auparavant ? »
« La décoration était recouverte d’un contreplaqué ! »
C’est formidable ! Une si belle décoration avait été sacrifiée sur l’autel de la (fausse) « modernité » ! Avec cette restauration… ça commençait bien !
La suite s’est avérée tout aussi intéressante : les prix des plats et leur style ressemblaient vraiment aux « bouillons » que j’avais connus dans ma jeunesse. Mais, avec les présentations et assaisonnements d’aujourd’hui.
Tout ça m’a donné envie de savoir un peu plus sur le parcours des propriétaires du lieu.
C’est ainsi que j’ai appris que, après plusieurs expériences dans la restauration bordelaise, ce jeune couple a tenté « l’aventure américaine », en ouvrant un restaurant français à San Diego en Californie.
Au bout de trois ans, des conjonctures familiales les ont fait revenir en France. Et aujourd’hui les voilà en train de se lancer dans « l’aventure du bouillon parisien » !
Au vu du résultat, j’ai promis que je reviendrai… avec des amis !
* * *
Pendant notre rapide conversation, la table voisine s’est remplie.
Une dizaine de jeunes gens, à qui on distribuait des chapeaux pointus et colorés en carton, au fur et à mesure de leur arrivée, ont investi les lieux. J’ai vite compris qu’ils fêtaient l’anniversaire de l’un d’entre eux.
Comme j’avais déjà une certaine expérience du menu, je me suis permis de leur donner quelques conseils, en insistant sur la qualité de l’aïoli.
C’est ainsi que j’ai appris que mon voisin de table est ingénieur et travaille chez un bien connu producteur d’eau en bouteille. La ressemblance avec celui que j’étais il y a une quarantaine d’années, quand je développais le marché des eaux en bouteille de PVC au Moyen-Orient, m’a sauté aux yeux !
Bien sûr, entretemps on a abandonné le PVC en faveur du PET, mais les problèmes de recyclage des bouteilles usagées sont restées exactement les mêmes.
J’essaye, par tous le moyens, d’expliquer à ceux qui veulent « jeter le bébé avec l’eau sale du bain » qu’il y a des solutions pour régler ces problèmes, avec, en égale mesure, des moyens techniques et des efforts pour éduquer les utilisateurs.
Le rapide échange de vues avec mon interlocuteur m’a rassuré : l’emploi majoritaire du PET recyclé est une première victoire. Pour ce qui est de l’éducation des utilisateurs… c’est à nous tous de faire l’effort nécessaire !
Sans nous laisser « embobiner » par des théories vaseuses où l’idéologie prend le pas sur les réalités de l’évolution des technologies !
* * *
La fin de cette soirée, plutôt mal commencée, m’a rassuré !
Les conversations informelles avec mes jeunes interlocuteurs, décidés d’aller de l’avant, en sont la preuve.
Notre « Histoire n’est pas encore finie! »
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
Paris, septembre 2021