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Prés de 40 ans ont passé. Mon rêve japonais est resté… un rêve !
Pendant tout ce temps, je revenais périodiquement aux « Jardins Albert Kahn », je visitais des expositions d’art classique japonais (surtout à Rome !) et j’ai même installé une décoration extrême-orientale dans notre grenier, dans le Languedoc.
Le choix d’une décoration japonaise est devenu, de nos jours, une chose très difficile. A cause de la multiplication des copies, faux, imitations… bon marché, qui inondent les boutiques à trois sous partout dans le monde, la frontière entre l’authentique et le kitsch est extrêmement difficile à tracer, à moins de disposer de ressources financières énormes. Ce qui n’est pas mon cas !
Ceci, d’autant plus que, même les œuvres les plus authentiques frisent, par moment, le goût douteux, selon nos critères européens.
Mais, la patience, voire l’obstination, ont payé !
J’ai ressorti des œuvres accumulées pendant des décennies : j’ai « hérité » d’une collection d’estampes, ayant appartenu à d’un grand artiste roumain, représentant les acteurs du théâtre « Kabuki », réalisées il y a plus d’un siècle ; nous avons trouvé des artisans prêts a exécuter des travaux dans le goût de ce que nous leur avons demandé et, par un pur hasard, l’existence, dans notre région, de pièces de mobilier exécutées par un fameux artiste spécialisé, pendant les années ’50, dans la production de meubles en laque de Chine.
Evidemment, on peut trouver tous ces objets à des prix ridiculement bas – « à donation », comme disait ma belle-mère !- puisque ce style n’intéresse plus personne. Ils préfèrent le « vintage » des années ’50. Tant mieux pour nous !
Et puis, il y a un an, j’ai découvert les jardins de la « Villa & Jardins Ephrussi de Rothschild » au Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Un des 9 jardins, qui forment l’écrin où brille la villa, est un jardin japonais.
J’ai parlé longuement avec un des trois jardiniers (à plein temps !) qui entretiennent ces jardins. Après avoir demandé son avis sur les problèmes de jardinage que nous rencontrons dans le Languedoc, je lui ai parlé de mon rêve caché. Cet homme, avec beaucoup de bon sens, m’a dit : « Vous pouvez avoir, vous aussi, un tel jardin ! Même si vous ne disposez que de peu d’espace, un jardin japonais peut se « caser » partout. »
Son conseil n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd !
J’ai commencé à envisager la constitution d’un tel jardin. Et « les autorités supérieures » ont donné leur accord… à la condition qu’il soit réalisé avec des ressources internes !
J’ai sélectionné, donc, une vingtaine de cailloux noirs de toute taille et forme, couverts de mousse et de lichens, de la zone volcanique qui descend des Cévennes jusqu’à Agde, au bord de la Méditerranée. Ils ont formé le cadre de mon jardin, puisque la règle dit qu’un « jardin Zen doit être parfaitement délimité ».
Ensuite, j’ai choisi trois petits rochers, de couleur rose et beige, de taille et formes très différentes, qui ont formé les îles de « ma petite mer ». En nombre impair et asymétriquement disposés.
Après quoi… j’ai attendu 9 mois ! Exactement la durée de gestation pour accoucher d’un enfant. Non ! Ce n’est pas prévu dans les règles « Zen » ! Mais, il fallait trouver le transporteur disposé à apporter le gravier depuis la carrière… gratuitement !
Pendant tout ce temps, nous avons visité plusieurs jardineries, carrières, sablières… pour choisir le gravier, sa forme, sa taille, sa couleur… Parce que les règles du Japon ne peuvent pas être transposées à l’identique dans le Languedoc. On ne peut pas utiliser, par exemple, un gravier de marbre blanc qui, en plein été brillerait de trop sous le soleil méditerranéen.
Toutes ces visites, ainsi que les conversations avec les préposés aux ventes de « sables et graviers décoratifs, galets, terre, tout venant, enrobé à froid », nous ont appris plein de choses. Mais, surtout, m’ont donné l’occasion de découvrir que la municipalité de Béziers, ayant décidé de remplacer le dallage de la Place de l’église de la Madeleine, en plein centre ville, les anciens pavés sont disponibles à la vente.
Cet endroit est plus qu’historique !
Comme dit la présentation de l’Office du tourisme :
« Cette église des XIe et XIVe siècles, fut le théâtre du plus sanglant épisode de l’histoire de Béziers : le 22 juillet 1209, l’armée de la “croisade des Albigeois” menée par Simon de Montfort, y extermina une partie de la population biterroise, hommes, femmes et enfants, qui s’y étaient réfugiés. Grâce à d’importants travaux, sa simplicité romane lui a été rendue en 1999. Mais toutes les transformations de l’époque gothique se lisent dans la pierre… aussi bien que quelques stigmates encore apparents de l’incendie déclenché par les Croisés, il y a 800 ans. »
Mais, auparavant, un autre événement tragique s’y était déroulé :
Au mois d’août 1167, Raimond Ier Trencavel, vicomte de Béziers de 1129 à 1167, d’Agde de 1129 à 1150, de Carcassonne et d’Albi de 1150 à 1167, se porte au secours de son neveu Bernard Aton VI, vicomte de Nîmes, menacé par le roi d’Aragon. Au moment du départ, un incident éclate entre un de ses soldats et un bourgeois de Béziers. Raimond, sous la pression de son armée qui menace de déserter, punit le bourgeois. À son retour, le vicomte est assassiné le 15 octobre 1167 par les bourgeois de la ville, alors qu’il se trouve en l’église de la Madeleine.
Comment aurais-je pu résister à la tentation de garder un souvenir de cet endroit si historique, d’autant plus que la grand-mère de mon épouse a habité sur la Place, jusqu’à la fin de sa vie !
Je me suis donc empressé d’acquérir le dernier ensemble de 7 pavés disponible, avant qu’il ne soit décomposé en pierres séparées, pour être vendues en tant que décoration de jardin ! Et j’ai reçu, en prime, 5 pavés « indépendants », en granit rose, gris et noir, avec les formes les plus représentatives pour ses composants.
Mais, la plus grande surprise a été constituée par la découverte de deux bornes en granit, probablement avec la même origine, que j’ai imaginé, tout de suite, comme décoration, pour mettre en valeur une haie de buis, dans notre jardin.
Après les mêmes 9 mois d’attente, elles ont trouvé, immédiatement, leur place.
L’aventure du « jardin japonais » n’était pas encore finie avec l’installation du gravier, son lissage et le traçage des vagues.
Une longue étude sur l’aménagement des jardins japonais, m’a convaincu d’y ajouter une lanterne, en forme de pagode, taillée dans une lave volcanique, d’une hauteur de 80cm. Et, de manière intermittente, un lampion recouvert de caractères japonais, accroché au-dessus du jardin***.
J’ai profité de l’existence de quelques tuyaux en argile, qui servaient d’antan à l’arrosage de la vigne, pour marquer la séparation vers la haie de lauriers roses et blancs, qui bordent l’endroit. Non sans avoir vérifié qu’une telle décoration est pratiquée au Japon.
De toute façon, comme dit un bien-connu jardinier européen, on vous affirmera toujours, par les commentateurs chagrins, qu’un « jardin Zen ne peut être conçu que par un jardinier japonais ». Alors qu’on trouve des milliers de jardins similaires, contemporains ou traditionnels, à travers le monde, dans ce style !
Maintenant, il ne nous reste plus qu’à tailler le prunier nain, qui borde le jardin, pour éviter que ses feuilles ne « tâchent » le gravier****.
Et d’attendre que la nature fasse son œuvre :
-que l’eau de pluie lave la « Lactance », cette poussière blanche qui s’est mélangée avec le gravier,
-que l’herbe pousse autour du jardin,
-que les lauriers ne gèlent pas l’hiver prochain et fleurissent, comme d’habitude, et, enfin, que le prunier se couvre de fleurs, au printemps, comme au Japon…
J’ai tout le temps devant moi et la patience nécessaire…
Je suis devenu totalement… « Zen » !
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, septembre 2018
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***Dans un premier temps, le seul lampion disponible indique : « Ici, boissons fraîches ». Pourquoi pas !
**** Un projet pour l’installation d’une copie-miniature du « pont du Mikado » du Palais impérial de Tokyo, est à l’étude. Celui-ci restera dans l’esprit du pont du jardin « Albert-Kahn » de Boulogne.
J’ai l’éternité devant moi !