Rome, 07/06/2022
2 ans, 4 mois et 7 jours !
Voici le laps de temps depuis mon dernier passage à Rome !
Comment pouvais-je imaginer, à la fin du mois de janvier 2020, qu’un si long « arrêt » s’écoulerait entre ces deux visites ?
Surtout que je sortais d’une année si brillante, pendant laquelle j’avais voyagé autour du monde, parcourant 4 continents et quelques 10 pays.
C’est vrai que je n’ai pas été le seul au monde à être surpris par la pandémie déclenchée sur un obscur marché de Chine ! Mais, le savoir ne me console pas.
Enfin, voici le moment venu de reprendre quelques bonnes habitudes de voyage. Pour un premier essai, seulement en Europe. Nous verrons par la suite !
Bien sûr, l’étape « Rome » était un « must ». Non seulement parce qu’en 2020 ce fût mon dernier jour de voyage avant « une si longue absence », mais aussi pour « exorciser » un événement (prémonitoire ?) arrivé ce jour-là : le vol de mon portefeuille dans le métro de Rome !
On ne peut pas rester sur une défaite, même si cette « mésaventure » s’est (plutôt !) bien terminée. Mais, « du passé faisons table rase », comme dit une bien connue chanson révolutionnaire.
La question que j’ai eue le temps de « mijoter » dans ma tête pendant ces 28 mois, était : « Comment passer ma première journée à Rome, après cette longue interruption ? »
Dans une ville que l’on connaît depuis plus d’un demi-siècle, il n’est pas question, dans ces conditions un peu particulières, de revoir des musées, des expositions, des monuments… que l’on a vu et revu cent fois ! Il vaut mieux, plutôt, se balader au grès de l’inspiration du moment pour se ré-imprégner de l’atmosphère de la ville, après un si long « tremblement d’hommes ».
Le choix du point de départ était… une chose facile !
Depuis quelques années, après avoir fait le tour des différents quartiers de Rome, j’ai décidé de loger près de la Stazione Termini. Cela me permet d’arriver et de partir vers l’aéroport en train. Solution économique et pratique, qui évite les risques de rater mon vol, à cause des embouteillages monstres de la Ville éternelle.
Mais, cette fois-ci, je ne suis pas retourné dans mon hôtel traditionnel… pour casser la « malédiction » du vol du portefeuille. J’ai choisi donc… l’hôtel voisin, du nom de « Hôtel Marisa ».
Enfin ! C’était son nom historique, probablement depuis plus d’un siècle, puisqu’au moment de mon séjour, étant racheté depuis trois mois par des « pakis », il avait changé de nom !
Mais, l’ancien nom, ainsi que bon nombre de décorations intérieures (vitraux, ferronneries, mobilier…) du style « Art Déco », restait en place.
Sans que la nouvelle direction sache m’expliquer l’origine de ces superbes détails décoratifs, ni leur auteur, dont la signature est indéchiffrable.
Pourvu que les nouveaux propriétaires ne décident pas… de « faire moderne » !
* * *
La première étape de ma balade « à bâtons rompus » était le marché des livres et antiquités avoisinant la Piazza della Repubblica.
Ici, je trouve, à chaque fois, une vieille revue italienne, comme « Bella Italia », ou un disque de musique italienne des années ’60, une carte postale ancienne ou un livre de voyage dans la botte…
Cette fois-ci, je n’avais pas le temps de fouiller pendant des heures ! Mais, dans les quelques minutes de survol des étalages, un petit fascicule a attiré mon attention. Il s’agissait d’un livre intitulé : « Le favole fasciste » de Trilussa, édité en 1927.
Cet auteur ne m’est pas inconnu ! En 2020, j’écrivais, dans un texte intitulé :
La mia bella Fornarina al balcone non c’è più!!! (II)
« L’endroit, comme toute la zone du Trastevere, est un quartier populaire.
C’est aussi le cœur du « dialecte romanesco », qui me semble si familier ! Par moment, quand j’entends des passants du Trastevere parler entre eux, j’ai le sentiment de me retrouver… à Bucarest !
Pour accéder à la Via di Santa Dorotea, depuis le « Lungotevere » il faut partir de la Piazza Trilussa. Son nom rappelle le pseudonyme de
« Carlo Alberto Salustri (né le 26 octobre 1871 à Rome et mort le 21 décembre 1950 dans cette même ville), connu sous le nom de plume de Trilussa (anagramme de son nom Salustri), … un poète italien, célèbre pour ses œuvres en dialecte romanesco (dialecte parlé à Rome) de haute tenue littéraire. »
Parmi ses mots d’esprit, on cite souvent celui qu’il prononça un jour de 1950, quant il fut élevé au rang de « sénateur à vie » par le président de la République italienne, et alors qu’il se savait très malade : « On m’a fait sénateur à mort !».
Effectivement, il trépassa quelques trois semaines plus tard ! »
Il y a quelque temps, j’ai découvert qu’un personnage peu connu dans la littérature roumaine, Nicolae Vătămanu, qui a écrit un livre publié après sa mort en 1977, avait rencontré Trilussa en 1935.
Dans son volume de souvenirs, intitulé « Icoane şi fotografii de Bucureşteni » (Icones et photographies de Bucarestois), le Dr. Vătămanu écrit :
« Et la rencontre avec le plus grand fabuliste italien contemporain, avec le poète dialectal Trilussa, n’a pas été une pure aventure ? »
Dans le même texte, l’auteur roumain parle du combat antifasciste et anti-mussolinien de Trilussa.
« Cet homme avec tant d’influence auprès de ses concitoyens, a été tenté avec nombre d’honneurs par la dictature fasciste, qui souhaitait l’attirer de son côté. Trilussa a refusé systématiquement de s’enrôler dans un courent politique qu’il n’approuvait pas. Maintes fois, on lui a proposé la haute dignité de sénateur. Chaque fois, il lançait un sonnet ou une fable dirigée contre le régime. Et la nomination devait être reportée…
Parmi les plus insistants de ceux qui souhaitaient se l’approprier, on comptait le comte Ciano. Une fois, fatigué par les assiduités du gendre de Mussolini, Trilussa lui a demandé sèchement de le laisser tranquille, parce que, même comme ça, il avait fait suffisamment pour le fascisme.
–Comment ça?, s’est étonné Ciano.
–En restant de coté et en me taisant!, répondit le poète. »
Et voici qu’aujourd’hui, j’ai entre les mains un volume où l’on peut lire :
« Favole di tutti i tempi, forse, che noi chiamiamo fasciste per gusto, per la crudezza, per la violenza satirica di cui vivono ma sopratutto pel sentimento che le inspira e per cui troviamo l’anima del Poeta, vicina a noi, prima di noi, ad indicarci gli aspetti miserevoli della vita « degli altri » che non e, non sarà, la vita della gioventù fascista. Asvero Gravelli
(Des fables de tous les temps, peut-être, que nous appelons fascistes par goût, par crudité, par la violence satirique dont ils vivent, mais surtout par le sentiment qui les inspire et dans lesquels nous retrouvons l’âme du Poète, proche de nous, devant nous, pour nous signaler les aspects misérables de la vie ” des autres ” qui n’est pas, et ne sera pas, la vie de la jeunesse fasciste. Asvero Gravelli* )
Et, plus loin :
« A ciascuna di esse abbiamo apposto la data della creazione, non per affermare priorità di convincimenti politici del Poeta, poichè la satira… in ogni tempo, ma per stabilire l’atteggiamento spirituale di fronte alle cose della vitta, del nostro Trilussa, di cui lo spirito, la fede e l’ammirazione dedicata e devota pel Duce a nessuno sono ignote. »
(A chacune d’elles, nous avons apposé la date de création, non pas pour affirmer la priorité des convictions politiques du poète, en tant que satire… de tous les temps, mais pour établir l’attitude spirituelle face aux choses de la vie de notre Trilussa, dont l’esprit, la foi et l’admiration dédiée et dévouée au Duce sont connus de tous.)
Quel bel exemple de « récupération idéologique » forcée !
Cela me rappelle des expériences similaires vécues dans ma jeunesse, sous d’autres cieux. Mais, malheureusement, ce sont des habitudes qui n’ont pas disparues aujourd’hui !
*Pour mémoire :
Asvero Gravelli, né le 30 décembre 1902 à Brescia et mort le 20 octobre 1956 à Rome, est un journaliste, écrivain et homme politique Italien.
Une légende prétend qu’il serait le fils de Benito Mussolini, lequel avait 19 ans à sa naissance. Patrizia De Blanck, comédienne, affirme qu’elle pourrait être la fille naturelle d’Asvero Gravelli.
À 17 ans, il abandonne ses études et quitte sa maison pour participer à la prise de Fiume par Gabriele d’Annunzio. Il collabore à « Il Popolo d’Italia ».
Il prend position en faveur des lois raciales fascistes de 1938.
En 1946, il cofonde avec Giorgio Almirante le Mouvement social italien.
Il crée seul, en 1954, le Movimento Legionario Italiano, d’inspiration dannunzianiste.
* * *
Me voici à la Piazza della Repubblica !
C’est un endroit que j’aime bien traverser, même si c’est un danger de mort permanent, à cause de la circulation folle qui y règne.
Mais, le plus souvent, je longe la colonnade qui contourne la place.
Ici, je me souviens de la scène « culte » du film « Plein soleil » de René Clément, sorti en 1960.
C’est le moment où Maurice Ronet, qui joue en permanence le « décontracté » de naissance pour épater son ami, interprété par Alain Delon, fait semblant d’être aveugle, en manipulant une canne blanche dérobée en pleine rue. Tout ça, pour se moquer d’une fille, moitié naïve, moitié consentante. Quelle aisance ! Quel brio dans le jeu des acteurs !
Un moment d’anthologie cinématographique !
Plus loin, je passe devant la « Farmacia Repubblica ».
D’habitude, je jette un coup d’œil à l’intérieur pour admirer ses superbes boiseries, qui doivent avoir une centaine d’années. Cette fois-ci, on me propose un « Test COVID – 19 » à pratiquer tout de suite !
Merci, je préfère éviter ! Même si la tente blanche, installée devant la porte de la pharmacie est vide.
Je poursuis ma route.
Me voilà Via Orlando, devant la fameuse librairie « la Feltrinelli ».
Selon une vieille habitude, dès que j’arrive à Rome, je passe « à la Feltrinelli » !
Ici, je peux consulter les derniers succès littéraires d’Italie, compulser des guides, acheter des CD de musique italienne… en un mot « plonger dans l’ambiance du pays ».
Cette fois-ci, je ne peux/dois RIEN acheter ! Je trimbale déjà, dans ma valise, 22Kg, alors que la compagnie aérienne ne m’autorise que… 20kg !
Tout ça, c’est « la faute aux cadeaux » (surtout des livres !) reçus lors des étapes précédentes de mon voyage.
Et pourtant… je ne peux pas résister ! J’achète un petit fascicule intitulé :
« Da Coppedè alla Stazione Tiburtina ».
Un « sketchbook » qui sera mon parcours de demain. De superbes dessins et notes qui permettent de découvrir (ou revoir !) des « architetture realizzate a Roma dall ‘900 ai giorni nostri ».
Mais, je suis déçu de ne pas trouver le CD avec l’enregistrement du poème symphonique « Les Pins de Rome » d’Ottorino Respighi !
Je rêve de réécouter ce morceau, un vrai feu d’artifice d’orchestration, depuis que j’ai « installé » un pin parasol dans notre maison du Languedoc.
Qui sait ? Peut-être qu’en écoutant « I pini della Via Appia » mon pin voudra bien pousser plus vite !
Parce que, je me vois déjà en train de rêver, à l’ombre du pin, au retour des armées de Trajan, après la conquête de la Dacie :
(Tempo di marcia), sur les pavés de la Voie Appienne, une marche d’abord lointaine, se rapproche et des armées triomphantes défilent vers le Capitole. Ces légions faisaient passer au devant d’elles les prisonniers (pour le triomphe) et les blessés, et pour cette raison on ne savait dire d’emblée si l’armée était victorieuse ou pas. Cet aspect historique est rendu dans la musique par un début indécis (l’observateur romain ne sait dire si la victoire est acquise ou pas) et une suite nettement plus allante (l’observateur romain aperçoit alors les armées victorieuses).
C’est à ça que je rêvais, en regardant la fresque représentant l’empereur Trajan en Dacie, pendant ma jeunesse, à l’Athénée Roumain de Bucarest, en écoutant le poème symphonique de Respighi.
Peine perdue ! Ce disque n’est pas disponible ! Même à Rome ! Quelle tristesse !
Je me console en prenant quelques photos d’un livre intitulé : « Como scrivere in giapponese » ! Cela me servira à comprendre les principes de l’inscription de mon Torii, qui se trouve dans le même jardin.
Je peux continuer ma promenade !
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
Roma, juin 2022