Feuilles de journal
Napoli, 4/10/2019
« Santa Maria del Parto (Sainte-Marie de l’Enfantement) est très peu visitée, malgré l’intérêt qu’elle revêt. », dit le guide de « Naples Insolite et secrète ».
Personnellement, ce qui m’a attiré l’attention dans ce lieu, à Mergellina, situé un peu en dehors du « cœur palpitant du Naples antique » submergé par l’afflux de touristes de tout poil, ce n’était pas les santons grandeur nature sculptés en 1520, ni l’imposant monument funéraire du grand poète Jacopo Sannazaro, qui fit construire l’église à ses frais.
Ce serait, plutôt, l’histoire du cardinal Diomède Carafa, un fameux écrivain, homme d’église et politicien du XVe siècle.
La légende affirme que Diomède est tombé fou-amoureux de Victoire d’Avalos, qui se jouait avec dédain de ses sentiments. A tel point que le cardinal en perdit la raison.
Il commandita alors à Léonard de Pistoia une peinture représentant la victoire de Saint Michel sur le diable.
Sauf que, et c’est ça qui fait l’originalité du tableau, le diable est représenté sous les trais d’une belle femme, justement l’objet des tourments du cardinal.
A partir du moment où l’œuvre fut achevée, Diomède Carafa se trouva délivré de son obsession. Il fit donc apposer sous le tableau une inscription qui dit : « et fecit victoriam alleluja » (j’ai enfin gagné).
Ce qui peut se comprendre, tout aussi bien, comme signifiant « la victoire de la religion sur le diable ».
Mais, cette aventure a donné naissance à une expression, employé encore de nos jours à Naples, « belle comme le diable de Mergellina », qui désigne « les mangeuses d’hommes » !
* * *
Quelques heures plus tard, je me trouvais au Pallazzo Zevallos Stigliano, dans la rue Toledo, en plein centre de Naples, dont Stendhal disait dans
« Rome, Florence et Naples » : « Je n’oublierai pas plus la rue de Tolède que la vue que l’on a de tous les quartiers de Naples : c’est, sans comparaison, à mes yeux, la plus belle ville de l’univers ! ».
Il avait, certainement, oublié qu’en 1800, comme il l’écrit dans « Vie de Henri Brulard », à propos de Milan il disait :
« Cette ville devint pour moi le plus beau lieu de la terre. »!
Si je suis venu visiter cet endroit ce n’est pas seulement pour admirer la dernière œuvre connue de Michelangelo Merisi, dit le Caravage, comme le font la grande majorité des visiteurs dans la cité Parthénopéenne.
Il faut dire que, partout où l’on se promène à Naples et surtout sur la façade du Palais, on voit des bannières vantant ce tableau.
C’est vrai que le « Martyre de Sainte Ursule » a fait l’objet d’une aventure cachée passionnante, qui s’étire sur quatre siècles, en croisant, mainte fois, l’histoire de Naples. Elle est aussi une des seules œuvres du Caravage qui peut encore être admirée dans la ville.
Le problème vient du fait que cette œuvre majeure cache bien d’autres, certes, moins connues, mais peut-être plus plaisantes à regarder.
Même l’histoire de l’endroit est exemplaire !
Le Palais Zevallos, construit en 1637, ne conserve de son architecture initiale que le portail construit par Cosimo Fanzago. L’intérieur a été maintes et maintes fois remanié, aux grés de ses affectations multiples et variées. Il a été même, au début du XIXe siècle, partagé en appartements, avant d’être racheté en 1898, par la « Banca Commerciale ».
Aujourd’hui, après avoir été restauré par la banque « Cariplo e Intesa », l’édifice abrite la pinacothèque « Gallerie d’Italia ».
Un des principaux attraits de ce palais, tel qu’il se présente aujourd’hui, est le mélange de styles, correspondant aux différentes périodes de sa restauration, qui s’est étiré sur plus d’un siècle !
L’endroit est à conseiller particulièrement aux amateurs du style « Art nouveau », connu en Italie sous les noms génériques de « floreale, arte nuova » et « stile Liberty ». L’escalier intérieur, la verrière, les ferronneries… sont des illustrations remarquables de ce genre, tellement en vogue il y a cent ans!
Et bon nombre de peintures ou sculptures, présentées ici, se rattachent aussi à cette période.
J’ai eu ainsi la chance de découvrir quelques « macchiaioli » (les impressionnistes italiens) et les gloires de l’art napolitain du début du XXe siècle : Gigante, Smargassi, Fergola, Palizzini, Morelli, Rosanno, Dalbono, Franceschini, Toma, Mancini, Migliaro…, tout comme les « vedutisti » Gaspar van Wittel ou Anton Sminck Pitloo.
Mais, mon préféré, ce fut Raffaele Belliazzi avec son « Putto vendemmiatore » (Enfant vendangeur).
Il m’a rappelé mes « putti musiciens » de notre jardin dans le Languedoc. Sauf que celui-ci est en marbre blanc, alors que les nôtres sont en pierre agglomérée. Que faire ? Je n’ai pas les moyens de « Cariplo e Intesa » !
Ensuite, j’ai découvert Carlo Brancaccio avec son tableau « Napoli via Toledo : impressione di pioggia ».
En sortant du musée, j’ai pu comparer la vue du peintre, en 1888 – 1889, avec celle d’aujourd’hui. Rien n’a changé en 140 ans ! Seulement les balcons de l’édifice de gauche, reliés par une coursive.
Une autre surprise m’attendait dans les salles du musée : la peinture de Salvatore Postiglione intitulé « Il Diavolo e l’Aqua Santa ».
La ressemblance de ce « diable » avec celui de l’église Santa Maria del Parto est saisissante ! Au moins, pour ce qui est de l’anecdote.
Postiglione aurait-il été missionné par un cardinal de 1887 ? Fut-il la victime de la même mésaventure ? Qui lo sa ?
En tout cas, la « pécheresse » du XIXe siècle s’en sort beaucoup mieux que celle du XVe ! Elle a le sourire aux lèvres !
* * *
Paris, 31/10/2019
Je n’aurais, probablement, jamais entendu parler de Vicenzo Gemito, si je n’étais pas abonné à la revue « Antiquariato ».
Et pourtant, une exposition des œuvres de cet artiste a été inaugurée au Petit Palais, à Paris, le 15/10/2019 ! Dans un silence assourdissant. Même « l’Officiel des spectacles » n’en parle pas ! Et aucun document de présentation, en dehors d’une lourde monographie, n’accompagne « la Mostra ».
Je n’ai découvert le numéro d’octobre de la revue « Antiquariato » qu’en rentrant à Paris, le 15/10. De toute façon, cela n’aurait servi à rien d’apprendre l’existence de cet artiste à Naples : les principales œuvres de Gemito se trouvent, en ce moment, à Paris !
Avec plus de 130 œuvres exposées, la « Mostra » de Paris passe en revue toute l’activité du sculpteur napolitain. Qui sort, ainsi, de l’ombre ! Même si, en son temps, il fut admiré par un Degas ou Rodin.
En 1941, De Chirico, qui avait la vision de sa valeur, écrivait :
« Il faudrait un musée spécial pour de tels artistes, autrement que de rencontrer leurs chefs-d’œuvre en vente dans les vitrines des chemisiers. Mais pour Gemito, comme pour d’autres, veniet felicitor aetas. »
Il est vrai que le sort de ce sculpteur a été une longue série d’évènements malheureux.
Né le 16 juillet 1852 et abandonné le jour suivant dans un hospice pour enfants trouvés, Vincenzo a la chance d’être remarqué par un sculpteur napolitain pour la qualité de ses dessins. Par la suite, bon nombre de ses admirateurs trouvèrent qu’il était « davantage sculpteur dans ses dessins que dans ses statues ».
Quelques années plus tard, à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1878, Gemito émerveille Paris avec ses sculptures. Non seulement par sa technique du modelage, mais aussi par le sujet de ses œuvres : pécheurs, joueurs de cartes, garçonnets, fillettes, bergers…, les personnages de la vie quotidienne de son pays.
D’ailleurs, le titre de l’exposition de 2019 est « Vincenzo Gemito (1852 – 1929). Le sculpteur de l’âme napolitaine ».
C’est, aussi, son malheur !
Malgré diverses tentatives de sortir de ces thèmes, avec plus ou (plutôt) moins de succès, Gemito traîne, même en Italie, une image de « sculpteur régional ». La cote de ses œuvres a été aussi handicapée par d’innombrables copies posthumes. Ce n’est que dernièrement, en 2018, qu’un « Masque d’Alexandre le Grand » a atteint les 30 000 Euro en vente chez Sotheby’s.
Et il s’agit de sa dernière période, quand il s’était dédié davantage à la reproduction d’après antique.
D’ailleurs, la fin de sa vie a été obscurcie par des décès parmi ses proches et des dépressions à répétition.
On peut espérer que sa « venue à Paris » de maintenant aidera à sa sortie de l’oubli.
En tout cas, l’effort accompli, par les Musée de Capodimonte, des responsables de livres d’art chez Gallimard et de grands amateurs d’art, afin de nous présenter un artiste moins « médiatisé » que ceux des expositions voisines (El Greco, Toulouse-Lautrec), mérite notre reconnaissance.
En espérant que Gemito ouvrira la voie à d’autres artistes napolitains tout aussi peu connus en dehors de leur région !
Adrian Irvin ROZEI
Paris, octobre 2019