Feuilles de journal
Athènes, le 11/06/2018
Melina Mercouri – Athènes, ma ville (1974)
Sachant que j’allais passer en Grèce dans les semaines à venir, j’ai commencé à ramasser des informations sur ce pays dans les magazines offerts par les compagnies de navigation aérienne, dés le mois de mars.
C’est ainsi que je suis tombé, dans la revue de « Paris Worldwide » du mois de mai, sur un entrefilet parlant de l’ouverture de l’hôtel « Electra Métropole Palace » et de la vue exceptionnelle sur tout Athènes, depuis le bar de son dernier étage. Mais, pas un mot sur sa localisation.
Quand j’ai trouvé son adresse sur Internet (Metropoleos 15), d’innombrables souvenirs ont surgi dans ma mémoire !
* * *
Au début des années ’70, j’avais pris une habitude étrange !
Dès que j’avais une semaine de vacances, je prenais le train en soirée à la Gare de Lyon, le lendemain matin j’arrivais à Milan, dans la journée je débarquais à Ancône, ensuite, je sautais dans le ferry pour Patras et, le jour d’après, me voilà à Athènes! De telles folies…on ne les fait qu’à 20 ans! C’est vrai qu’à l’époque il n’y avait pas de charters, mais, jusqu’à l’âge de 26 ans, on pouvait encore bénéficier des tarifs « étudiant ».
Fallait-il encore être inscrit dans un établissement d’enseignement supérieur ! On verra, par la suite, qu’en Grèce ce n’était qu’un « détail » facile à régler!
C’est ainsi qu’un jour, ou plutôt une nuit, car à cause de la mer déchaînée, des transports aléatoires en Grèce et de notre méconnaissance des habitudes et de la langue du pays, nous sommes arrivés à Athènes vers une heure du matin. Je parle d’un petit groupe de 4 ou 5 jeunes, rencontrés sur cette longue route, tous à peu près du même âge, qui avaient décidé de voyager ensemble.
Où aller à cette heure tardive de la nuit?
Heureusement, parmi nous, il y avait un jeune homme avec davantage d’expérience, qui a proposé: « Allons chez Mme. Cléo! »
C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés dans la rue Patrou, perpendiculaire sur « « Metropoleos », dans un petit hôtel où nous avons partagé à six la même chambre, à peine chauffée. À la guerre comme à la guerre!
Mais, dés le lendemain, j’ai changé pour une chambre seul.
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Mme. Cléo!
C’était un personnage à la Kazantzakis! D’ailleurs, elle me rappelait la « Bouboulina » de Zorba le Grec!
Avec un volume, à peu près, aussi haut que large, d’un âge difficile à définir, Mme. Cléo restait assise toute la journée dans un fauteuil confortable du lobby de son hôtel et surveillait le va-et-vient des clients et… le travail des réceptionnistes!
Parlant couramment toutes les langues du monde, toujours avec un châle tricoté sur les épaules, qu’il fasse 15 ou 35° C, elle était prête à donner des conseils, à raconter ses souvenirs, à déballer les histoires de la ville… qu’elle devait connaître depuis des décennies!
C’était exactement le personnage pittoresque dont j’avais besoin pour commencer à découvrir ce monde nouveau.
On a passé ensemble des heures en palabres de toute sorte!
Quand nous nous sommes mieux connu, Mme. Cléo m’a dit:
« Vous devriez prendre la chambre du dernier étage! En plus, elle est beaucoup moins chère ! »
« Qu’a-t-elle de si spécial ? », j’ai demandé.
« Allez voir! », répondit-elle.
J’y suis allé tout de suite. La chambre était minuscule. A peine si l’on pouvait tourner autour du lit!
Mais, elle était entourée d’une terrasse de quelques 200 mètres carrés, donnant directement vers l’Acropole!
Je n’ai pas hésité un instant. Je me suis installé dans la chambre et, tous les soirs, j’ai profité gratuitement, pour moi tout seul, du spectacle « Son et lumière » de l’Acropole.
Au début, je n’avais que la « lumière ». Ensuite, j’ai ajouté le « son » de mon choix, grâce à mon walkman. Ensuite, je suis arrivé avec mon verre de « gin and tonic » à la main.
Et tout ceci… en revenant chez Mme. Cléo pendant des années !
D’ailleurs tous mes amis, même mes parents, sont passés, les uns après les autres, chez Mme. Cléo !
Et puis, dans la même rue, grâce à ses recommandations, j’ai trouvé une agence de voyages qui, moyennant une photo et quelques sous, m’a fabriqué une « Carte d’étudiant » de l’Université d’Athènes, où je n’ai jamais mis les pieds!
Bien sûr, je l’ai renouvelée consciencieusement, année après année, jusqu’à l’âge limite des études. Elle m’assurait 50% de rabais sur les vols d’Olympic Airways et plein d’autres avantages en France. Merci Mme. Cléo !
D’ailleurs, à cette époque, Olympic appartenait à Aristote Onassis et son portrait trônait au mur, dans toutes les agences. J’avais pris l’habitude, en entrant, de le saluer avec un bruyant: « Salut, Papa! » Ça faisait son effet et améliorait la qualité du service!
C’est toujours dans la rue Metropoleos que j’ai découvert une construction étrange.
Entre les piliers en béton d’un gratte-ciel des années ’50, se cachait une église, plutôt une chapelle en briques, qui semblait très ancienne. Pendant des années je l’ai vue toujours fermée, mais un jour, non seulement qu’elle est devenue accessible, mais un mur de verdure est apparu devant sa porte, délimitant un espace sur le trottoir, un parking, en quelque sorte.
C’est ainsi qu’un jour, bien des décennies plus tard, vers l’année 2000, j’ai vu stationnée devant la chapelle, une Coccinelle noire, qui brillait de tous ses feux de VW toute neuve. En regardant de plus près, j’ai découvert d’après sa plaque d’immatriculation, qu’il s’agissait de la voiture du… métropolite de Grèce !
Je suis passé pendant des années devant cette minuscule chapelle, dont l’emplacement m’intrigue toujours. Et, bien des années plus tard, je l’ai montré à mon épouse, ainsi qu’à mes fils, quand est arrivé leur tour de connaître la Grèce.
Je ne raconterai pas l’histoire de l’église du « Saint Pouvoir » (Aghia Dynami), qui date du XVIè siècle et a été construite sur des fondations probablement beaucoup plus anciennes.
Mais, depuis une dizaine d’années, j’avais constaté avec amertume que le Ministère de l’Education, qui la chevauche, était fermé et en état de « ruine debout ».
Eh bien, c’est justement dans ce bâtiment que vient d’ouvrir le tout nouveau « Electra Métropole Palace »! Dans la rue parallèle à mon vieil hôtel « Chez Cléo »!
Bien sûr, Mme. Cléo a disparu depuis longtemps ! Après une période, dans les années ’80, quand elle a généré l’ire des habitants du quartier : je ne sais pour quelle raison, ils avaient recouvert les murs du terrain abandonné, mitoyen avec son hôtel, d’inscriptions injurieuses à son égard.
Le fait est que, l’hôtel a été vendu, agrandi, rénové… et les prix ont doublé !
J’ai continué à loger à l’hôtel « Athos », selon son nouveau nom, jusqu’il y a dix ans.
Malgré mon prix spécial, longuement négocié vers 1995, au fameux « Grande Bretagne » de la place Syntagma, où débouche la rue Metropoleos, dés la fin de mon travail, je déménageais à l’hôtel « Athos », et je reprenais ma chambre « de jeune homme », avec la vue sur l’Acropole.
Nostalgie! Mesures d’économie ? Qui sait? Le fait est que la chambre chez l’ex- « Mme. Cléo » coûtait… quatre fois moins cher que celle du « Grande Bretagne »! Et, pendant les weekends, c’est moi qui payais !
J’ai pu suivre ainsi, pas à pas, la « gentrification » du quartier (comme on dit aujourd’hui avec un barbarisme importé de je ne sais où!).
Si, en 2011, j’ai été choqué par l’état de la rue, au cœur de la crise grecque (un magasin sur trois était en faillite, dans « Metropoleos », et les graffitis et l’affichage sauvage se multipliaient à tout va!), depuis deux ans j’ai constaté une nette amélioration.
Tout est redevenu propre, les affaires reprennent et, surtout,… les hordes de touristes ont refait leur apparition dans le quartier. Il faut dire qu’il s’agit d’un endroit stratégique, de passage entre la zone des musées (Leoforos Sofia) et le quartier des restaurants et bars de Plaka.
Je ne pouvais que courir au nouveau « Electra Métropole », au plus vite!
En effet, ma petite chapelle est toujours là, l’entrée de l’ex-Ministère de l’Education est devenue un escalier de grand luxe et la décoration intérieure du lobby, dûe à des grands artistes grecs est impressionnante.
Et la vue de nuit sur l’Acropole… aussi bien que chez « Mme. Cléo »! Rien de nouveau pour moi!
Sauf que, la terrasse de l’ « Electra Métropole », se trouvant quelques étages plus haut, permet de découvrir les toits d’autres monuments du quartier.
Ainsi, à deux pas, se trouve la Cathédrale Métropolitaine d’Athènes.
Ce n’est pas un édifice très spectaculaire par sa taille. D’ailleurs, elle a été inaugurée en 1864, après 20 ans de travaux, alors que la Grèce n’était devenue indépendante que depuis seulement un petit demi-siècle.
Mais, j’y vais régulièrement, peut-être en souvenir de ce jour de 1948, quand le roi Michel de Roumanie a épousé ici la princesse Anne de Bourbon-Parme. Chassé de son pays par les sbires communistes, arrivés au pouvoir grâce aux chars soviétiques, le vaillant roi, qui a tenté en vain de leur tenir tête plus de trois ans, a dû subir ici un autre affront. La famille de Bourbon a refusé de participer au mariage… parce-que Michel était orthodoxe! Il n’avait peut-être pas assez « d’ancienneté » dans le métier, lui qui venait de quitter le trône, alors qu’eux avaient été renvoyés avec armes et bagages… depuis un siècle !
C’est toujours sur la place de la Cathédrale que j’ai suivi pendant quelques années l’étrange ballet de… la statue de Constantin XI Paléologue, dernier défenseur de Byzance.
Mort de manière inconnue, les armes à la main, pendant l’invasion turque, l’empereur est toujours attendu par ses admirateurs qui rêvent qu’il reviendra à la tête d’une armée et qu’il entrera dans sa ville par la porte d’Or, là où il serait mort.
En attendant, sa statue, installée au fond de la place, face à la Cathédrale, a changé deux fois d’emplacement, va savoir pourquoi !
On peut, d’ailleurs, voir encore, sur le dallage de la place sa localisation intermédiaire.
En tout cas, la source qui passe à ses pieds aujourd’hui, permet aux clochards de la ville de faire leur toilette à moindre frais.
J’espère que ce n’est pas ça le motif de l’ire du Basileus!
Mais, une autre surprise m’attendait dans la revue « Electra », offerte gracieusement par la chaîne d’hôtels du même nom à ses clients et visiteurs qui en font la demande.
Un article, illustré de photos d’époque, rappelait le passage à Athènes de quelques personnages illustres d’il y a plusieurs décennies. Parmi eux, Liz Taylor, Jackie Kennedy, Cary Grant… Mais, surtout, on y trouve la photo de Sophia Loren, en 1956, à l’occasion du tournage de son premier film hollywoodien, en Grèce.
Mais, avec Sophia Loren, j’avais rendez-vous le lendemain, dans les îles du Golfe Saronique!
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Hydra, le 12/06/2018
Hydra est probablement la plus ancienne île touristique de Grèce.
Mais, aussi, une des plus « historiques »!
Les « armatolos » de Hydra avaient fait fortune pendant des siècles en faisant commerce avec les rives de la Méditerranée et pas toujours de la manière la plus avouable! Le fait est que, ils ont soutenu la lutte d’indépendance antiturque avec argent, armes, navires et ont donné à la nation Grecque quelques-uns des plus remarquables héros de la guerre anti-ottomane.
Mais, au milieu du XXè siècle, leur gloire et richesses étaient devenues un lointain souvenir. Il fallait trouver à tout prix une autre source de revenus. Ça tombait bien, la Grèce comptait se lancer dans le « business » du tourisme!
Il fallait donc attirer le touriste américain dans les îles, si possible pas trop loin d’Athènes, les moyens de transport n’étant pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Hydra remplissait toutes les conditions requises.
C’est comme ça qu’en 1956, le bien connu metteur en scène hollywoodien, d’origine roumaine, Jean Negulesco, a été choisi pour tourner à Hydra un film « touristique », appelé « Boy on a dolphin », en français « Ombres sous la mer ».
La vedette féminine était une jeune italienne de 26 ans, qui promettait de faire aussi une grande carrière internationale: j’ai nommé Sophia Loren!
Si l’on ajoute la présence sur les lieux du tournage de Carlo Ponti, aux débuts de son idylle avec Sophia, on comprend l’intérêt historique du film.
L’action, une sombre histoire de trafic d’objets d’art, avait beaucoup moins d’importance. Ce qui est resté dans les mémoires des spectateurs de l’époque, en dehors de la beauté des paysages de l’île, ce fut la scène où Sophia sort de la mer avec un chemisier léger, tout mouillé. À quels détails tient le début d’une carrière cinématographique !
Étrangement, je ne suis allé, pour la première fois, dans l’île de Hydra qu’en 2001!
Alors, après une semaine de travail en Grèce, j’ai décidé de passer un weekend à Hydra.
Je n’ai pas lésiné sur les moyens, d’autant plus que c’était mon patron qui payait, et j’ai choisi comme hôtel le « Bratsera », qui se situe en plein centre du vieux village, débordant du charme traditionnel des îles grecques. J’ai passé la plupart du temps sur le balcon de ma chambre, en rédigeant, pas mon « Compte-rendu des visites », mais un article sur des histoires gréco-roumaines!
Je suis revenu à Hydra en 2010.
Quelle catastrophe ! En pleine crise, même pendant un long weekend, les boutiques fermées, les restaurants clos, même mon cher « Bratsera » avait mis la clef sous le paillasson !
Seul point positif, les seuls marchands ouverts ne parlaient plus pendant 20 minutes au téléphone, quand tu entrais dans leurs boutiques, et s’inquiétaient (pas beaucoup !) de tes souhaits.
Je voulais revenir à Hydra à l’automne dernier, mais j’ai découvert qu’après le 1èr novembre, les bateaux se font rares!
J’ai décidé donc d’y aller en juin. Eh, bien! M’y voilà !
Sauf que le ferry n’existe plus ! Il a été remplacé par un « hydrofoil », qui fait du bruit, tremblent de toutes parts, où l’on voyage dans une boîte, et qui sent le mazout à plein nez. Adieu le plaisir d’écouter de la musique (grecque!) en regardant la mer! Bonjour à l’air conditionné !
J’ai retrouvé avec grand plaisir mon île d’antan. Et, bon signe pour l’économie du pays, les marchands ont repris leurs interminables conversations téléphoniques ! Avec qui parlent-ils pendant des heures? Probablement avec d’autres marchands, de la même île ou d’ailleurs.
Comme mon bateau, au départ de l’île, a eu trois heures de retard, j’ai eu tout le temps pour admirer le coucher du soleil (magnifique!), les nouveaux hôtels de luxe, qui ont poussé comme des champignons après la pluie, et les restaurants avec des tables superbement dressées et fleuries, comme pour des mariages.
C’est quoi la crise?
* * *
Je connais suffisamment bien l’île de Hydra pour ne pas avoir besoin de courir comme un dératé sous un soleil de plomb. Ou de faire « 3 Iles dans une journée », tel que proposé par les agences de voyages d’Athènes. Moi, j’ai fait tout çà « à la fraîche », au mois d’octobre, il y a 20 ans!
J’ai choisi donc de passer 3 heures, en attendant le coucher du soleil, à la terrasse de mon restaurant préfèré, au cœur même du village.
C’est un endroit stratégique ! Sur une place ombragée, on peut suivre le passage des ânes, qui transportent, tout aussi bien, les ballots des habitants de l’île, comme les valises des touristes de passage.
On y voit les locaux qui se croisent, ceux qui viennent prendre un verre ou les « séminaristes » en costume/cravate, qui s’échappent un instant de leur congrès pour respirer un air « non-conditionné »!
Tout ça, sous le regard attentif des chats, qui ne dorment que d’un œil !
J’avoue que je ne suis jamais entré dans le restaurant, qui pourtant, affirme qu’il existe depuis 1825!
Mais, cette-fois ci, je l’ai fait. Surprise! Au mur m’attendait la photo de Sophia Loren, à l’époque des « Ombres sous la mer »!
Et, à côté d’elle, la photo d’Alan Ladd, l’autre vedette du film, qui a eu la bonne idée de la dater, sous sa signature : Nov. 56.
Sur le même mur, j’ai remarqué aussi une photo, beaucoup plus récente, puisque en couleur, avec des personnages dont le visage m’était familier: Mélina Mercouri et Pierre Mauroy.
Pour m’assurer, j’ai posé la question au patron du restaurant. Celui-ci, âgé d’une quarantaine d’années, m’a répondu évasivement :
« Je ne me souviens pas! C’est un homme politique grec. J’avais seulement cinq ans! Revenez demain! Mon père sera ici, il se souvient de tout! »
Quel dommage ! Ces gens ont dû assister à des moments historiques et cela ne les intéresse pas! C’est ainsi que la mémoire des lieux dépérit.
Eh bien, oui! Cette scène a eu lieu en 1982.
Les ministres socialistes de France et de Grèce, récemment arrivés au pouvoir, avaient décidé d’organiser une réunion des ministres de la Culture des pays européens… à Hydra!
Pour la Grèce, était présente Mélina Mercouri et pour la France, Jack Lang, que l’on aperçoit, d’ailleurs, sur la droite de l’image.
L’invité d’honneur était Pierre Mauroy, à cette époque premier ministre en fonction.
On peut retrouver d’ailleurs, sur Internet, le « Journal télévisé » de l’époque, qui rend compte du déroulement et des conclusions de la rencontre.
Il s’est passé alors un incident cocasse!
Mélina, au sommet de sa gloire, trouvait que ses amis socialistes français étaient moins chaleureux qu’à l’époque où elle les fréquentait en France.
Elle a confié son sentiment à Pierre Mauroy, qui lui aurait répondu :
« Tu comprends? À l’époque tu étais exilée. Maintenant, tu es ministre de la Culture! »
Ce qui semble accréditer l’idée qu’en France il vaut mieux être exilé !
Tout au moins, pour une certaine classe politique !
A suivre…