En revenant de la Revue…*

Tengo miedo del encuentro
Con el pasado que vuelve
A enfrentarse con mi vida…

« Volver » tango de Carlos Gardel

J’ai quitté Saint Etienne au mois de juin 1970, à la fin de mes études à l’Ecole des Mines, et depuis 45 ans je n’y suis jamais retourné. Pourquoi ? Difficile à dire !

Pendant ce long laps de temps, j’ai voyagé dans d’innombrables pays et dans une grande partie des régions françaises. J’aurais pu quand même retourner, ne serait ce que pour quelques heures à Saint Etienne. Si je ne l’ai pas fait, c’est peut-être aussi parce que je craignais d’être confronté aux souvenirs de mes vingt ans.

Quand je suis arrivé à Saint Etienne en octobre ’67, j’avais justement 20 ans. Je venais d’arriver depuis à peine un mois en France. Pour moi, tout était nouveau, différent, étonnant. A la différence de l’énorme majorité de mes collègues, qui avaient passé toute leur enfance dans ce pays et qui se retrouvaient à Saint Etienne grâce au jeu des admissions au concours des Grandes Ecoles. Pour eux, Saint Etienne, Nancy, Toulouse ou Lyon, ça aurait été à peu prés la même chose, pourvu qu’ils intègrent une école d’avenir. Pour certains c’était plus important de se retrouver près des pistes de ski ou pas trop loin de la mer pour faire du bateau aussi souvent que possible. Mais pour moi, c’était une autre chose ! J’arrivais à Saint Etienne avec un lourd bagage de souvenirs, inculqués patiemment par mon père qui avait suivi les cours de l’Ecole, quarante ans auparavant.

Mais vivant à la Maison des Elèves (ME pour les initiés !), un cocon doré où nous étions choyés comme des coqs en pâte, je n’ai certainement pas fait assez d’efforts pour me « fondre » dans la vie stéphanoise. C’est vrai que la situation générale de la ville à cette époque n’était pas à envier !

L’activité minière de la région vivait ses derniers jours, l’activité métallurgique … on a vu dans les années suivantes ce qu’elle allait devenir, même « Manufrance » tirait vers la fin. Et l’Ecole des Mines était pratiquement le seul établissement universitaire de la cité. Par contre, les nuages de charbon obligeaient les bonnes ménagères à passer et repasser chaque jour le chiffon sur les meubles encrassés par une fine couche de poussière noire.

C’est probablement pour toutes ces (bonnes) raisons et d’une manière non avoué que j’ai évité de retourner à Saint Etienne depuis 45 ans.

Mais, en 2016, je ne pouvais plus esquiver le retour dans la ville de mes vingt ans puisque l’Ecole allait fêter son Bicentenaire et, qui plus est, mes collègues de promotion ont décidé d’organiser la réunion de notre classe d’âge, si longtemps attendue.

J’ai décidé d’arriver à Sainté un jour avant le début des festivités, afin de me donner le temps nécessaire pour sillonner la ville à ma guise, en recherchant « le temps des mes vingt ans », comme dit Brassens.

*   *   *

Quand je suis arrivé à Saint Etienne et je suis sorti de la gare … j’ai eu un choc ! Je n’ai rien reconnu ! Puis, j’ai pris un taxi pour aller à l’hôtel et de nouveau…

«Je ne reconnais plus
Ni les murs, ni les rues
Qui ont vu ma jeunesse
».

Serais-je venu pour rien à Sainté ?

Mais, l’hôtel choisi, en plein milieu de la Grand’rue (celle dont mon père me disait il y a quelques 50 ans qu’elle faisait 10 km en ligne droite !), m’a agréablement surpris. Les « Nouvelles Galeries », construites en 1894 au sommet de la gloire de la ville, ont été transformées en hôtel, gardant visibles, au cœur de la décoration « design », des éléments de la structure métallique d’époque, contraste du plus bel effet.

Nouvelles Galeries

Nouvelles Galeries

Alors, j’ai décidé de partir « à la découverte » de la ville sans plan et sans boussole, au gré des rues et de l’inspiration. Et, très vite, j’ai retrouvé mes marques !

D’abord, la Place Dorian, que j’ai connu encombrée de bus dont c’était le terminus et où on s’engluait dans le goudron fondu, les jours de grande chaleur. Aujourd’hui la place est joliment pavée, avec des bacs à fleurs qui mettent en valeur le côté éclectique des façades qui l’entourent (Art nouveau, Art Déco, classicisme…).

Place Dorian

Place Dorian

« Eclectisme » … le mot est lâché ! C’est probablement ce qui caractérise l’architecture stéphanoise. Parce que des édifices dans tous les styles des deux derniers siècles se côtoient, s’avoisinent, se bousculent …

Malheureusement, je n’ai pas retrouvé le « Helder », réputé salon de thé où je descendais de la ME une fois par mois, au milieu de l’après-midi, pour déguster une pâtisserie «à la viennoise », accompagnée d’un chocolat chaud surmonté d’un casque de crème Chantilly, parmi les dames d’un certain âge, gantées et chapeautées.

C’est au « Helder » que les élèves des Mines organisaient périodiquement un « happening » rodé de longue date. Un élève bien habillé, en costume de ville et portant nœud papillon, s’installait à une table, commandait gâteaux et café qu’il consommait avec élégance. Puis il allait vers les toilettes d’où il ressortait au bout de quelques minutes, se dirigeant vers la caissière, avec les pantalons sur les chevilles, réclamant à cors et à cris du papier toilette ! Pour la grande honte des dames attablées.

Ensuite, j’ai retrouvé la Place Marengo, devenue Place Jean Jaurès. Je ne sais pas pourquoi, il y a une habitude stéphanoise de changer les noms des lieux publics. Même la Grand’rue a été tronçonnée en je ne sais combien de segments (Gambetta, Général de Gaulle, Général Foy…) et qui quelquefois se superposent. On peut y trouver même la « rue Aristide Briand et de la Paix » ! Comme dans la chanson de Fernandel qui parlait de « l’Hôtel d’Abyssinie et du Calvados réunis ».

La Place Marengo m’a rappelé les exploits du bizutage avec notre collègue Raymond Amour allongé sur une statue représentant une femme nue, que les policiers s’efforçaient de faire descendre en tirant dans tous les sens. Tout comme le pédalo installé dans un des bassins de la même place par nos collègues de première année, qui battaient des pieds pour faire mousser la lessive abondamment déversée dans l’eau. Et les flics qui s’agitaient et sifflaient autour du bassin sans oser y entrer, en se mouillant les pieds, pour les faire déguerpir.

J’ai continué ensuite à travers la vieille ville, bien restaurée et mise en valeur, avec certaines rues devenues piétonnes. De manière étrange à Saint Etienne, les salons de thé se sont multipliés de telle façon qu’il est plus facile de boire un chocolat chaud qu’un bock de bière.

Vieux Sainté

Vieux Sainté

Toujours dans la vieille ville, j’ai découvert de nombreuses façades en trompe l’œil.

Ce que je n’avais pas retenu pendant mes trois années stéphanoises c’est la présence de quelques édifices construits dans le plus pur style « Art nouveau » avec des façades décorées de céramiques polychromes et de « bow-windows » rappelant Nancy ou Bruxelles.

Architecture 1900

Architecture 1900

Je ne parlerai pas du Zénith, des multiples musées, célébrant tout aussi bien l’Art contemporain, les Arts et l’Industrie, le Vieux Saint Etienne ou la tradition minière de la ville… Les guides touristiques sont faits pour ça !

Mais ce qui m’a le plus émerveillé et peiné a été l’Hôtel des Ingénieurs.

En plein cœur de la ville, entre le Vieux Sainté, l’avenue de la Libération, symbole de l’époque doré de la cité, et à deux pas de la Grand’rue, l’immeuble qui a abrité pendant un siècle l’Association des Anciens élèves de l’Ecole des Mines, se dresse fier de ses sculptures et bas-reliefs, au coin de la rue du Grand Moulin. Mais ce « land-mark » de la vie stéphanoise, n’appartient plus, depuis une dizaine d’années, à notre Association.

Hôtel des ingénieurs

Hôtel des ingénieurs

Comment avons-nous pu abandonner un tel symbole ?

Et devant ce monument de notre passé, j’ai compris que la ville de Saint Etienne ne pourrait pas se passer de son Ecole des Mines et que l’Ecole des Mines ne peut pas exister sans la ville de Saint Etienne !

Adrian Irvin ROZEI

Saint Etienne, février 2016


*Titre d’une bien connue chanson de 1900, dont le refrain pourrait être légèrement modifié en :

Gais et contents nous marchions triomphants
En allant à Sainté le cœur à l’aise
Sans hésiter car nous allions fêter
Voir et complimenter les « Mines » françaises.

——–

Henri de St Cloud a écrit :

Merci pour cette visite guidée d’une ville où je n’ai jamais mis les pieds.

Souvenir et émotion.

Guy de Saint Etienne a écrit :

Ai bien aimé ton rapport de visite de Saint Etienne que j’aimerai partager sur ma page Facebook. M’en donne tu l’autorisation?

Ileana de Bucarest a écrit :

Foarte frumos scris articolul tau. Nu stiam ca a fost si tatal tau la aceiasi scoala. Frumos,sa mergi pe aceleasi urme de pasi. Imi inchipui cum a fost revederea locurilor tineretii tale.

Jacques de Nevers a écrit :

Ton récit à Saint Etienne ressemble au mien: émigré arrivé du Caire seul, sans histoire passée de mon père, qui rêvait de voyager en Europe.

Mais…..c’était tellement cher…..très bien écrit ton récit ….tu te fais plaisir sans rien attendre de personne…bravo Adrien!!!

François du Nord a écrit :

Merci Adrian ! Toujours aussi lyrique, bravo !

Roger d’Aix en Provence a écrit :

Merci Adrian pour ta prose très touchante.

 Jean-Jacques de Sainté a écrit :

Bravo aussi à Adrian pour son montage sur Saint Etienne. Il a attiré l’attention du vieux stéphanois que je suis sur des aspects nouveaux de cette bonne vieille ville industrielle.

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