Dis ! T’as vu Monte – Cristo ? (VII)

La Bastide Vieille, 22/07/2024

 

Maintenant, une fois le décor planté, on peut revenir à l’histoire de Monte-Cristo et de sa « protégée » Haydée.

La belle Haydée est supposée, selon Alexandre Dumas, être la fille d’Ali Tebelin, le Pacha de Janina.

« Ali Pacha, dit de Janina ou parfois de Tepelena, né vers 1750 et mort le 5 février 1822, est le gouverneur d’origine albanaise de la région de l’Épire au service de l’Empire ottoman.

Il tente de se rendre indépendant au début du XIXe siècle en initiant une guerre asymétrique avec l’Empire ottoman. Sa révolte est l’une des causes centrales qui mènent à la Révolution grecque, qui se déclenche à la faveur de l’instabilité et du fait que les armées ottomanes sont occupées en Épire.

Plusieurs légendes entourent son histoire. Il fut d’ailleurs le premier à les diffuser, voire à les inventer afin d’accroître la terreur qu’il inspirait.

Ali lui-même avait conté ses exploits au consul de France aux îles IoniennesJulien Bessières. Ses histoires ont été ensuite reprises et amplifiées par Alexandre Dumas pour sa collection de nouvelles Les Crimes célèbres et par Victor Hugo dans Les Orientales.

La fin d’Ali Pacha apparaît aussi de façon romancée dans Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas. »

L’affirmation « d’origine albanaise » est simplificatrice ! Parce que, les Albanais peuvent être musulmans ou chrétiens orthodoxes (Aroumains).

Il est certain que les autorités acceptées par la Sublime Porte et, surtout, ayant des hautes fonctions militaires, se devaient d’être musulmanes. Ce qui fût le cas d’Ali et de ses deux fils Moktar et Véli, respectivement pachas de Trikala et Morée.

Son épouse connue, mère de ses deux fils, était « la fille de Kaplan, pacha de Delvinë, (épousée) vers 1764 ou 1770 » .

Sa mort à Janina où se trouvait son palais, peut laisser entendre qu’Ali était d’origine Aroumaine.

En tout cas, selon Alexandre Dumas, sa dernière épouse et mère d’Haydée était grecque et chrétienne.

« – Continue, ma fille, dit le comte en langue romaïque.

Haydée releva le front, comme si les mots sonores que venait de prononcer Monte-Cristo l’eussent tirée d’un rêve, et elle reprit :

– Il était quatre heures du soir ; mais bien que le jour fût pur et brillant au dehors, nous étions, nous, plongés, dans l’ombre du souterrain.

Une seule lueur brillait dans la caverne, pareille à une étoile tremblant au fond d’un ciel noir : c’était la mèche de Sélim. Ma mère était chrétienne, et elle priait. »

Pour la suite, laissons Haydée poursuivre son récit :

« Albert la regarda avec curiosité, car elle n’avait point encore raconté ce qu’il désirait le plus savoir, c’est-à-dire comment elle était devenue l’esclave du comte…

Et Kourchid nous montra un de ceux qui avaient le plus contribué à la mort de mon père, continua la jeune fille avec une colère sombre.

— Alors, demanda Albert, vous devîntes la propriété de cet homme ?

— Non, répondit Haydée ; il n’osa nous garder, il nous vendit à des marchands d’esclaves qui allaient à Constantinople. Nous traversâmes la Grèce, et nous arrivâmes mourantes à la porte impériale, encombrée de curieux qui s’ouvraient pour nous laisser passer, quand tout à coup ma mère suit des yeux la direction de leurs regards, jette un cri et tombe en me montrant une tête au-dessus de cette porte.

Au-dessous de cette tête étaient écrits ces mots :

« Celle-ci est la tête d’Ali-Tebelin, pacha de Janina. »

J’essayai, en pleurant, de relever ma mère : elle était morte !

Je fus menée au bazar ; un riche Arménien m’acheta, me fit instruire, me donna des maîtres, et quand j’eus treize ans me vendit au sultan Mahmoud.

— Auquel, dit Monte-Cristo, je la rachetai, comme je vous l’ai dit, Albert, pour cette émeraude… » 

Alors ?  Pas de « tribu valaque », ni d’éducation en langue aroumaine, à moins de considérer que « l’arménien » et « l’aroumain » …c’est la même chose !

On est en droit de se poser la question existentielle :

 « Le paradoxe de l’œuf et de la poule est un très ancien paradoxe : « Qu’est-ce qui est apparu en premier : l’œuf ou la poule ? ».

Si on vous répond « C’est l’œuf », vous demandez « Mais qui a pondu cet œuf ? ».

Si on vous répond « C’est la poule », vous demandez « Mais cette poule sort bien d’un œuf, non ? ».

Le paradoxe vient du fait qu’aucune réponse ne paraît satisfaisante. » 

Transposé à notre film : « C’est parce qu’Anamaria est Roumaine, que l’on a transformé Haydée en valaque ou parce qu’on a trouvé la fable valaque plus exotique, que l’on a choisi une Roumaine pour l’interpréter ? » 

Une interview d’Anamaria, publié dans « Point de Vue », nous donne un début de réponse :

« Mathieu Delaporte et Alexandre de La Patellière s’étaient d’abord lancés dans un casting international, du nord de l’Afrique au Maghreb en passant par les pays de l’Est. Ils ont fini par songer à moi parce que je suis roumaine. Je leur ai proposé un essai en partant de mon accent que j’avais perdu en arrivant en France. Cela me faisait un peu peur. Il ne fallait pas me ridiculiser. Celui de mon père est plus prononcé, celui de ma mère un peu plus subtile. Pour m’aider, je l’ai enregistré lisant le texte et j’ai essayé de l’imiter. La Roumaine en moi était très fière de mettre un peu de son pays dans un film d’une telle ampleur ! »

Il n’y a que les auteurs du scénario qui peuvent répondre à cette question !

Mais, si tout ce micmac est la conséquence d’une bonne connaissance du monde balkanique … « chapeau bas » !

Les suites de ce choix, qui a probablement échappé à la grande majorité des spectateurs, sont… « multiples et variés ».

Par exemple, un détail minuscule : les blouses roumaines portées par Haydée dans le film. Alors qu’Alexandre Dumas écrit : « Quant à sa toilette, c’était celle des femmes épirotes, …une veste à longues raies bleues et blanches, à larges manches tendues par les bras, avec des boutonnières d’argent et des boutons de perles ; enfin une espèce de corset laissant, par sa coupe ouverte en cœur, voir le cou et tout le haut de la poitrine, et se boutonnant au-dessous du sein par trois boutons de diamant. Quant au bas du corset et au haut du caleçon, ils étaient perdus dans une des ceintures aux franges soyeuses qui font l’ambition de nos élégantes Parisiennes. »  

Mais, ce que j’ai remarqué, dès la première apparition de Haydée à l’écran, ce fût la chanson qu’elle interprète, s’accompagnant à la guitare (alors que Dumas parle de « guzla », un instrument de musique typiquement balkanique).

Dans la longue liste de remerciements mentionnés à la fin du film, on parle de « Dorul » de Vasile Alecsandri. Ceci me fait un énorme plaisir !

« Vasile Alecsandri, né le 21 juillet 1821 à Bacău (MoldavieRoumanie), mort le 22 août 1890 à Mircești, est l’une des grandes figures de la renaissance culturelle roumaine. Poète, dramaturge, folkloriste, diplomate et homme politique, il est considéré comme le créateur du théâtre et de la littérature en Roumanie, après avoir été une personnalité marquante de la principauté de Moldavie dont il a soutenu l’union avec la Valachie. Il était membre de l’Académie roumaine. » 

Une fois de plus, il s’agit d’une grande personnalité roumaine avec qui j’ai des liens …permanents !  Grâce au contacts soutenus qu’il a développé avec le monde félibréen et, en particulier, avec Fréderic Mistral et la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire (SASL) de Béziers, dont j’ai l’honneur d’être membre depuis plus de 15 ans.

D’ailleurs, mon premier texte en français a été écrit et publié à la demande du président de SASL, feu Jean-Denis Bérgasse.

Languedoc et Roumanie : du Félibrige aux « Rencontres en Méditerranée » – une histoire d’amour inachevée

Par la suite, j’ai écrit d’autres textes où l’on mentionne Vasile Alecsandri, comme :

La Béziers, cu şi fără Alecsandri… | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)

Laurul magic al lui Virgiliu | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)

Nòsti lengo soun sorre… | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)

Capestang, mon amour! | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net) etc.

Dans ce dernier texte, on peut lire :

« Tous ces éminents membres avaient participé, d’une manière ou d’une autre, au concours pan-latin de poésie remportée par Vasile Alecsandri en 1877 avec la célèbre « Ode à la gente latine ».

Dans la période qui a suivi, lorsque Vasile Alecsandri, ministre roumain en France, vivait à Paris, leurs contacts se sont intensifiés, se matérialisant par la visite de l’ambassadeur en Provence. C’est ainsi que l’on peut trouver, plusieurs années de suite, parmi les ouvrages reçus à la Société Archéologique, la revue “ROMÂNIA”, envoyée par le ministère de l’Instruction publique à Paris. »

Depuis quelque temps, l’on m’a fait l’honneur de classer mes écrits, offerts à la SASL, près de ceux envoyés, il y a un siècle et demi, par Vasile Alecsandri.

Mais, ce qui m’a « interpellé » dans la chanson interprétée par Haydée dans le film c’était l’auteur et l’interprète de la chanson.

Anamaria Vartolomei déclare dans une interview que « je chante faux et ne danse pas »

J’ai découvert, une fois de plus, dans la longue liste des participants à cette importante réalisation :

Dorul (Chanson d’Haydée) (youtube.com)

Dorul (Chanson d’Haydée) · Jérôme Rebotier · Gülay Hacer Toruk

Les intonations et la consonance turque de la musique forment un sujet qui reste à éclaircir (pour moi !).

*    *   *

Le film réalisé par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, me réservait d’autres surprises, que je ne pouvais même pas soupçonner avant de l’avoir visionné ! 

La toute première, ce fût quand j’ai découvert l’endroit où habitait la belle Catalane.

Je me souvenais des paroles de Mercédès, qui vivait dans un des endroits les plus pauvres de Marseille « derrière une butte nue et rongée par le soleil et le mistral, le village des Catalans. » :

« — Vous vous trompez, Fernand…   Une fois soldat, que ferez-vous de moi, c’est-à-dire d’une pauvre fille orpheline, triste, sans fortune, possédant pour tout bien une cabane presque en ruines, où pendent quelques filets usés, misérable héritage laissé par mon père à ma mère et par ma mère à moi ? Depuis un an qu’elle est morte, songez donc, Fernand, que je vis presque de la charité publique ! Quelquefois vous feignez que je vous suis utile, et cela pour avoir le droit de partager votre pêche avec moi ; et j’accepte, Fernand, parce que vous êtes le fils d’un frère de mon père, parce que nous avons été élevés ensemble, et plus encore parce que, par-dessus tout, cela vous ferait trop de peine si je vous refusais. Mais je sens bien que ce poisson que je vais vendre et dont je tire l’argent avec lequel j’achète le chanvre que je file, je sens bien, Fernand, que c’est une charité. » 

Et, voilà que je retrouve Mercédès dans sa riche famille, celle du comte de Morcerf, et qui plus est, je reconnais le château d’Engaran, qui se trouve dans le département de l’Hérault, près de Montpellier, là où je passe chaque année une bonne partie de ma vie, depuis plus de vingt ans !

C’est une très bonne nouvelle : la mise en valeur du patrimoine de ce département, que j’aime tant, ne peut que me réjouir.

Les sites des tournages du film dans les départements de l’Hérault et de l’Aude

Mais était-ce nécessaire de faire une telle entorse à l’image que souhaitait donner Dumas du monde simple des pêcheurs Catalans ? Qui allait de pair avec la droiture du père de Dantès ?

Cela donne à réfléchir sur les intentions des auteurs du script !

Par la suite j’ai reconnu, dans les chevauchées de Monte-Cristo, le massif de la Clape, toujours dans le même Languedoc, côté Aude, que nous visitons périodiquement en allant à la mer. 

« La Clape, quant à elle, est un massif montagneux situé entre Narbonne, Armissan, Vinassan, Fleury, Gruissan et la mer Méditerranée. Son nom signifie « tas de cailloux » en occitan. Le point culminant de la Clape est le Pech Redon, qui atteint 214 mètres d’altitude. »

J’ai eu l’occasion de retourner mainte et mainte fois dans cette zone, depuis la Grande-Motte jusqu’à Gruissan, voire jusqu’à Port-la- Nouvelle, là où embarquaient mes chargements de Nitrate d’ammonium vers le Moyen-Orient, avec des amis venus de France et des quatre coins du monde ! 

Mais, la plus grosse surprise fût au moment où, à plusieurs reprises, j’ai reconnu un endroit, toujours dans le département de l’Hérault, avec lequel nous avons, ma famille et moi, un lien particulier !

Je veux parler de la cité de Villeneuvette !

« Villeneuvette est une commune française située dans le département de l’Hérault, en région Occitanie. Sa manufacture de draps puis d’uniformes militaires à partir de 1803, y est implantée depuis le XVIIe siècle et son histoire se confond avec celle de la commune (dont le nom en occitan est : La Fatura). Créée en 1673 sous Louis XIV, la manufacture de Villeneuvette est déclarée manufacture royale en 1677 par Colbert. » 

Si je suis si attaché à cet endroit, ce n’est pas seulement parce qu’il se trouve à quelques kilomètres de la maison où mon épouse a passée toute son enfance. 

Le cœur de Villeneuvette et l’hôtel- restaurant “La Source” en 1989

Mais aussi parce que c’est ici que j’ai invité diner les personnes, famille et amis, qui allaient participer à notre mariage. 

Comme je n’avais pas de maison dans la région, j’ai choisi ce lieu de rêve, habité par l’ambiance, le décor et l’esprit du passé, pour nous rassembler, la veille du grand jour en 1986.

Depuis, nous y revenons régulièrement, souvent accompagnés par des amis, venus de partout, mais aussi en famille pour nous rappeler cette journée inoubliable. Ainsi, nous pouvons suivre, pas-à-pas, les restaurations entreprises par la mairie de Villeneuvette, comme par les nouveaux propriétaires.

Parce que, les anciennes maisons des tisserands, qui ont arrêté la production de tissus il y a 70 ans, ont été vendues « par appartements » et maintenant une bonne partie des habitations sont occupées par des familles, à l’année ou pour les vacances. 

C’est l’église Notre-Dame-de-l ‘Assomption de Villeneuvette, édifice inscrit au titre des monuments historiques en 2014, qu’il m’a semblé reconnaître de prime abord, au moment de la célébration du mariage (inachevé !) de Mercédès avec Edmond Dantès.

Plus tard, j’ai reconnu la fontaine, au milieu de la place centrale du village.

C’est une image que je vois… tous les jours !

Il y a quelques années, j’ai trouvé une gravure, non signée, mais numérotée 10/52, avec l’inscription « La fontaine de Villeneuvette » sur le passe-partout, chez un antiquaire du Pont de Saint-Cloud, près de Paris.

Je l’ai acheté, sans même discuter le prix -quelques Euros ! – mais j’étais curieux de savoir comment cette œuvre d’art est arrivée… si loin de la localisation de l’emplacement de la fontaine.

L’antiquaire m’a demandé de revenir dans quelques jours, le temps nécessaire pour faire les investigations de rigueur. A mon retour, elle m’a indiqué que c’est une amie, propriétaire d’une maison de vacances à Sète, qui a réalisé le petit tableau que j’avais acheté. Sans accepter de m’indiquer son nom !

Peu importe ! Depuis ce jour « La fontaine de Villeneuvette » est accrochée sur le mur, devant mes yeux, au-dessus de mon bureau du Languedoc !

Et, je la regarde… tous les jours ! 

*    *    *

A suivre…

 

Adrian Irvin ROZEI

La Bastide Vieille, août 2024

One thought on “Dis ! T’as vu Monte – Cristo ? (VII)

  1. Très beau texte intéressant pour un illettré que je suis.
    Les VERNAZOBRES ont une histoire à Villeneuvette semble-t-il???
    Amitiés à toi et Sabine que j’embrasse.
    Henri

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