La Bastide Vieille, 22/07/2024
« C’était en 1968.
Quand l’été est arrivé, j’ai dû choisir l’endroit où j’allais passer mes premières longues vacances en tant que personne libre.
La décision n’a pas été facile du tout : je pouvais choisir n’importe quel pays du monde, sauf les pays communistes. Mais des moyens financiers limités et un peu de logique m’ont poussé à choisir entre l’Espagne et l’Italie. Et, en regardant les offres sur la liste des Œuvres universitaires, j’ai décidé d’aller à Rome. Et pour ne pas faire les choses à moitié, j’ai choisi un séjour de 15 jours.
J’ai atterri dans la capitale italienne après un long voyage, d’environ 24 heures, qui m’a permis de longer la côte, de Gênes à Rome, et ainsi commencer à découvrir le paysage maritime transalpin. Déjà dans le train, j’ai remarqué avec stupéfaction que je comprenais assez bien l’italien. Peut-être que dans une vie antérieure, j’avais été Italien !
À Rome, le petit hôtel que j’avais choisi parmi ceux proposés par les Œuvres universitaires, était situé en plein centre de la ville. En réalité, la « Pensione del Leoncino », comme cela se produit souvent à Rome, occupait un étage d’un immeuble résidentiel de la capitale, tandis qu’au rez-de-chaussée se trouvaient des magasins d’alimentation et de vêtements.
Je me souviens aussi d’un garage au coin de la rue, qui dérangeait les copropriétés avec ses voitures garées n’importe comment et qui empêchait la circulation déjà difficile du quartier. Les marchands ambulants étaient présents ici en toutes saisons avec leurs carrioles remplies de toute sorte de marchandises, auxquelles ils faisaient de la publicité en hurlant à tue-tête. Et si les voisins protestaient, ils rassemblaient leur fatras d’objets hétéroclites et repartaient quelques mètres plus loin.
Encore plus ! Dans le bâtiment où se trouvait ma maison d’hôtes, une propriété d’une grande valeur esthétique, avec des siècles d’existence, je rencontrais tous les jours des gens respectables, avocats, médecins ou notaires qui sortaient élégamment vêtus des lourdes portes en bois sculpté, que l’on pouvait admirer en montant les escaliers de ce petit château. J’avais tout le temps nécessaire pour les observer quand je montais ou descendais les escaliers.
À l’époque, les merveilleux ascenseurs aux portes en fer forgé comme dans les immeubles de luxe du centre-ville, ne se mettaient en marche qu’après l’introduction d’une pièce de 100 lires dans une boîte métallique, placée à côté de la porte et scellé dans la paroi de la cabine. Je ne sais pas comment faisaient les locataires permanents de l’immeuble. Je pense qu’ils avaient un jeton récupérable. Mais les étudiants de la maison d’hôtes, pour faire quelques économies, attendaient longtemps l’arrivée d’un locataire. Nous n’avions pas encore découvert le truc de Totò dans je ne sais quel film d’après-guerre, qui avait attaché un fil dans le trou d’une pièce de monnaie perforée et la retirait en vitesse lorsque l’ascenseur se mettait en marche. »
Voici comment je me souvenais de mon premier séjour à Rome, dans un texte publié, en italien et en roumain, en 2020, dans la revue des italiens de Roumanie « Siamo di nuovo insieme ».
Una via lunga 2000 anni! | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
Ce que je n’ai pas précisé dans ce texte, c’est que, dès le premier jour de mon arrivée à Rome, je me suis senti « comme à la maison ».
J’ai indiqué, par ailleurs, que « Peut-être que dans une vie antérieure, j’avais été Italien ! »
Eh bien, non ! C’était grâce au… Comte de Monte-Cristo !
Mais, j’ai mis longtemps avant de le comprendre !
Quand je suis arrivé à Rome pour la première fois, j’étais très proche de l’époque où je lisais et relisais le roman d’Alexandre Dumas précité.
Les noms de Ruspoli, Torlonia, Colona… me disaient quelque chose ! Tout comme des noms de rues et de places au cœur de la Ville éternelle : Piaza del Popolo, Corso, via Ripetta, Via Appia…
Mais, d’ici à imaginer que je côtoyais dès mon premier jour à Rome la résidence du comte de Monte-Cristo… « ça dépasse l’entendement ! », comme on dit dans « notre » Midi.
Voici comment décrit Alexandre Dumas l’endroit où vit le Comte pendant le Carnaval de Rome :
« En effet, qu’on se figure cette grande et belle rue du Cours, bordée d’un bout à l’autre de palais à quatre ou cinq étages avec tous leurs balcons garnis de tapisseries, avec toutes leurs fenêtres drapées ; à ces balcons et à ces fenêtres, trois cent mille spectateurs, Romains, Italiens, étrangers venus des quatre parties du monde : toutes les aristocraties réunies, aristocraties de naissance, d’argent, de génie ; des femmes charmantes, qui, subissant elles-mêmes l’influence de ce spectacle, se courbent sur les balcons, se penchent hors des fenêtres, font pleuvoir sur les voitures qui passent une grêle de confetti qu’on leur rend en bouquets ; l’atmosphère tout épaissie de dragées qui descendent et de fleurs qui montent ; puis sur le pavé des rues une foule joyeuse, incessante, folle, avec des costumes insensés : des choux gigantesques qui se promènent, des têtes de buffles qui mugissent sur des corps d’hommes, de chiens qui semblent marcher sur les pieds de devant ; au milieu de tout cela un masque qui se soulève, et dans cette tentation de saint Antoine rêvée par Callot, quelque Astarté qui montre une ravissante figure, qu’on veut suivre et de laquelle on est séparé par des espèces de démons pareils à ceux qu’on voit dans ses rêves, et l’on aura une faible idée de ce qu’est le carnaval de Rome.
Au second tour le comte fit arrêter la voiture et demanda à ses compagnons la permission de les quitter, laissant sa voiture à leur disposition. Franz leva les yeux : on était en face du palais Rospoli ; et à la fenêtre du milieu, à celle qui était drapée d’une pièce de damas blanc avec une croix rouge, était un domino bleu, sous lequel l’imagination de Franz se représenta sans peine la belle Grecque du théâtre Argentina.
— Messieurs, dit le comte en sautant à terre, quand vous serez las d’être acteurs et que vous voudrez redevenir spectateurs, vous savez que vous avez place à mes fenêtres. En attendant, disposez de mon cocher, de ma voiture et de mes domestiques. »
Le Palazzo Ruspoli se trouve au beau milieu du Corso.
« Le Palazzo Ruspoli est un palais aristocratique de style Renaissance du XVIe siècle situé sur la Via del Corso 418, à l’intersection du Corso avec le Largo Carlo Goldoni et la Piazza di San Lorenzo in Lucina, dans le Rione IV de Campo Marzio, dans le centre de Rome, en Italie.
Au XVIe siècle, le site du palais était la résidence de la famille Jacobbili, et en 1583, il fut vendu à la famille de marchands florentins Rucellai. Ils commandèrent l’achèvement du palais à Bartolomeo Ammannati. Il consolida la longue façade à trois étages le long de la via del Corso et ajouta une loggia le long de la cour intérieure, décorée de fresques de Jacopo Zucchi et utilisée pour exposer la collection de sculptures anciennes de la famille.
En 1629, le palais fut acquis par la famille Caetani ou Gaetani, qui commanda une rénovation de la façade le long de ce qui est aujourd’hui Largo Goldoni. Vers 1640, l’architecte Martino Longhi le Jeune fut chargé de construire l’escalier scénographique menant à la cour.
En 1776, le palais devint la propriété de la famille Ruspoli, qui possède encore aujourd’hui des parties de la structure. Au XIXe siècle, le palais abritait le célèbre Caffè Nuovo et était également la demeure de Napoléon III en exil. »
Le Palazzo Ruspoli occupe tout un pâté de maisons bordé par la Via del Corso, la minuscule piazzetta Largo Goldoni, Piazza San Lorenzo in Lucina et la Via del Leoncino.
C’est cette rue, que je décrivais plus haut, qui donnait son nom à la pension où j’ai passé mes premiers 15 nuits à Rome ! Et où je retourne à chaque passage à Rome, depuis 56 ans !
Il faut dire qu’il s’agit d’un endroit « stratégique » !
Comme je l’écrivais dans le texte précité en 2020 :
« La « Via del Leoncino », une petite rue de vingt numéros seulement, était située au cœur de la capitale italienne et seule une petite place appelée « Largo Goldoni » la séparait de la « Via del Corso ». Le Corso est la principale artère de communication de la ville, qui s’étend en ligne droite depuis la Piazza Venezia et le Forum, jusqu’à la Piazza del Popolo et l’enceinte démolie par le pape Alexandre III en 1655, à l’occasion de la visite de la reine Christine de Suède à Rome, pour créer un passage plus grand, la Porta del Popolo.
J’ai découvert alors que le long du Corso se trouvent des palais, des galeries marchandes, des cafés célèbres, des églises de différents cultes, des cinémas, des kiosques à journaux, des arrêts de bus, des restaurants de toutes catégories… et bien sûr certains des plus grands hôtels du pays et d’innombrables pensions, tout comme des « Bed and Breakfast » de « haut de gamme ».
En 1968 et en 2016 : Le paysage n’a pas changé ! Il y a que nous qui avons vieilli !
J’ai accumulé, pendant les six décennies de visites à Rome, un nombre incalculable de souvenirs à cet endroit.
Entre autres, à la « Galleria Colonna », devenue depuis « Galleria Alberto Sordi », décrite dans mes textes :
Incontri con Alberto Sordi: ieri, oggi, domani | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net) et
Tropa, tropa, tropa, trop’… (I) | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
Dès le lendemain de mon arrivée, en sortant le matin de mon hôtel, j’ai remarqué un attroupement au milieu de la place San Lorenzo in Lucina. A l’époque, comme aujourd’hui, juste à côté de l’église qui porte le même nom que la place, se trouvait un poste de « carabinieri ».
L’attroupement était dû au fait que, selon ce que l’on m’a raconté, un prisonnier qui a tenté de s’échapper, après un « interrogatoire musclé », en sautant par la fenêtre du premier étage, s’est écrasé au sol en tombant.
Et, ces anciens compagnons se sont rassemblés sous les fenêtres du poste de police pour exiger « justice » !
Nous étions tout au début des « années de plomb » et je ne pouvais pas imaginer la suite !
« En Italie, les années de plomb (italien : anni di piombo) recouvrent une période historique d’une quinzaine d’années, comprise entre la fin des années 1960 et le début des années 1980, pendant laquelle une tension politique poussée à l’extrême débouche sur des violences de rue, le développement de la lutte armée et des actes de terrorisme. »
Et, je ne pouvais pas savoir que, à peine quelques années plus tard, cette place allait être surnommé « il salotto di Roma » ! (Le salon de Rome)
« Salon en plein air et lieu de rencontre dans la capitale, la Piazza San Lorenzo in Lucina est située à côté de la Via del Corso, l’artère animée du shopping romain.
Au centre de la place se trouve la basilique du même nom, l’une des plus anciennes églises de la ville, construite sur une domus, probablement propriété de Lucina, une riche matrone romaine qui aurait fondé une « ecclesia domestica », un lieu de culte à l’intérieur d’une maison privée.
Une autre théorie relie le nom de la basilique à un ancien temple dédié à Junon Lucina, la déesse protectrice du Parthus. Selon la tradition, les femmes de la Rome antique puisaient de l’eau « miraculeuse » dans le sanctuaire, une coutume qui est confirmée par la découverte d’un puits, encore visible aujourd’hui dans le sous-sol. Nommée d’après le saint martyrisé en 258 sur un gril, conservée dans un précieux reliquaire, l’église conserve des œuvres de grands maîtres, tels que Gian Lorenzo Bernini, Carlo Rainaldi, Guido Reni et Ludovico Gimignani. »
Mais, cette présentation de la place, due à « Vivez Rome, découvrez Rome
Services touristiques et offre culturelle » de la ville de Rome, très synthétique, ne parle pas d’un certain nombre de particularités de cette basilique. J’avoue que j’ai mis des années avant de les découvrir ! Et pourtant !
« Le tombeau de Nicolas Poussin se trouve à Rome, dans l’église San Lorenzo in Lucina. Ce peintre français du XVIIe siècle, considéré comme l’un des plus grands maîtres classiques, est célèbre pour ses œuvres emblématiques. Son tableau “Les Bergers d’Arcadie II” a notamment suscité l’intérêt des chercheurs. Sur ce tableau, on retrouve la phrase énigmatique “ET IN ARCADIA EGO”, qui se trouve également gravée sur la dalle de Blanchefort.
Cette inscription mystérieuse relie Nicolas Poussin à l’énigme de Rennes-le-Château. Le tombeau de Poussin, voulu au XIXe siècle par Chateaubriand, porte cette même phrase. Si vous êtes passionné par l’histoire et les mystères, la visite de l’église San Lorenzo in Lucina à Rome pourrait vous révéler davantage de secrets sur ce grand artiste. »
C’est François René de Châteaubriant qui commandita ce tombeau alors qu’il était secrétaire d’ambassade à Rome, en 1828. D’innombrables indices laissent croire que celui-ci était un « initié ».
Je ne mentionnerai pas tous les détails géometriques et ésotériques qui entourent cette tombe. Leur nombre et description prendraient des pages et des pages !
Mais j’aimerais mentionner un phénomène étrange, qui relie l’emplacement du tombeau à la date clé du 17 janvier. Cette date se retrouve régulièrement dans l’affaire de Rennes-le-Château et en particulier sur la stèle de Blanchefort. Si l’on observe les différents méridiens du cadran solaire, la tombe de Poussin est effleurée par l’ombre d’un méridien le 17 janvier au moment du coucher du Soleil.
On trouve à Rome un autre monument emblématique : l’obélisque du Montecitorio.
« L’obélisque du Montecitorio est un obélisque égyptien de Psammétique II, provenant d’Héliopolis et transporté à Rome sous Auguste. Il se trouve réérigé sur la piazza di Montecitorio, devant le palais du parlement italien…
C’est en 1748, sous le pape Benoît XIV, qu’il fut à nouveau mis au jour, devant le no 3 de la piazza del Parlamento (plaque commémorative). Il fut finalement réérigé sous le pontificat de Pie VI (entre 1787 et 1792) au milieu de la piazza di Montecitorio, devant le palais du même nom, siège du parlement italien depuis 1871. Les divers fragments n’ayant pas permis de reconstituer la totalité de l’obélisque, surtout à la base, il lui fut adjoint du granite emprunté aux restes de la colonne Antonine, située aux environs immédiats. Ainsi complété, le monument offre un aspect des plus satisfaisants.
L’obélisque est surmonté d’une sphère de bronze ajourée à pointe, avec bande zodiacale et étoiles de bronze rapportées ; dans le pavement de la place a été incrustée une méridienne sur laquelle se projettent les rayons du soleil passant à travers la fenêtre ménagée dans le globe de bronze. Pour toutes ces raisons, le monument est connu sous le nom d’« obélisque solaire » ; il n’empêche que l’imprécision de l’ensemble est proverbiale.
Sa hauteur est de 22 m (34 m avec le piédestal et le globe). Poids : 230 tonnes. »
Eh bien, l’ombre de l’obélisque du Montecitorio semble indiquer avec sa pointe, plusieurs monuments et emplacements historiques, parmi lesquels l’Ara Pacis, le mi-chemin de l’Equinoxiale, entre le 21 mars et le 23 septembre, et, entre le 15 et le 19 janvier, la tombe de Poussin, dans la Basilique San Lorenzo in Lucina !
Ce qui ne manque pas d’intriguer les amateurs de phénomènes ésotériques !
Il y a dans la même église un autre emplacement dont je n’ai découvert l’existence que depuis peu. Il concerne :
« Josef Mysliveček, surnommé « Il Divino Boemo », un compositeur originaire de Bohème, né le 9 mars 1737 à Prague et mort le 4 février 1781 à Rome. « De son temps, il connaît la gloire avec quelques-uns de ses opéras, puis rencontre la maladie et tombe dans l’oubli. »
« Il est acclamé à travers toute l’Europe (Munich, Vienne et Prague notamment) avec ses trente opéras composés. Il est alors le compositeur le plus prolifique de l’opéra italien.
Atteint de la syphilis (d’autres sources affirment de la gangrène contractée lors d’un accident en route vers Munich pour répondre à l’invitation du Prince-électeur comte palatin Maximilien Ier), avec une situation financière déclinante, Mysliveček termine péniblement sa vie à Rome.
Il est inhumé à la basilique San Lorenzo in Lucina à Rome. »
C’est juste en face, de l’autre coté de la place, que j’ai pris l’habitude de dîner ou, tout simplement, de prendre une boisson rafraichissante en lisant le journal du jour. Comme font tant d’habitants du quartier !
C’est pour ça que la place Piazza San Lorenzo in Lucina est surnommé « il salotto di Roma » !
Mais, un autre édifice, bien plus moderne, a attiré mon regard dès 1968.
Il s’agit de la rénovation et l’agrandissement du Cinéma Teatro Corso (anciennement Lux et Umbra, puis Étoile), par le grand architecte Marcello Piacentini (né à Rome le 8 décembre 1881 et mort le 18 mai 1960 toujours à Rome ) « une de ses premières et plus intéressantes réalisations », selon la revue « Bell’Italia » d’octobre 2005.
Mais, l’édifice a subi le même sort que toutes les salles de cinéma des « centre-ville » :
« Le Spazio Etoile, au numéro 41, et ce qui reste de l’historique “Lux e Umbra Select”, première salle de projection à Rome au début du XXe siècle, est devenu un cinéma-théâtre « Corso » pour 1300 spectateurs. L’élégante façade (1919) de l’architecte Marcello Piacentini se distingue, fraîchement restaurée, comme le reste de la structure, rouverte il y a seulement un an et demi par la Fondation Memmo comme un espace culturel raffiné (5 000 mètres carrés sur deux étages) pour expositions, revues, événements et conférences. », selon la même revue de 2005.
Depuis 2012, « l’espace culturel raffiné » est devenu : Louis Vuitton – Etoile Maison
Sans commentaires…
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, août 2024