Dis !  T’as vu Monte – Cristo ? (II)

La Bastide Vieille, 22/07/2024

Et Monte – Cristo, dans tout ça ?

Je dois avouer que je ne me souviens pas si j’ai lu, pour la première fois, le roman d’Alexandre Dumas intitulé « Le Comte de Monte – Cristo » en roumain ou en français !!

Très probablement en roumain. Parce que, un tel « monument » de la littérature internationale était traduit régulièrement même dans des pays… au-delà du rideau de fer.

En tout cas, je m’imagine ne pas avoir lu la version intégrale : un livre de 1400 pages en 6 volumes… ça marque pour la vie !

Bien-sûr, il y a eu d’autres « saga », comme par exemple, « Forsyte Saga » avec autant de volumes, sinon davantage, mais chaque volume portait un titre diffèrent. Je pense que mon « Monte – Cristo » ne comportait que trois volumes, en roumain.

Mais, à la même époque, et très probablement ce fût la raison pour laquelle j’ai décidé de lire le livre, est apparu sur les écrans roumains le film avec le même titre, tourné en France.

Etrangement, parmi la dizaine de versions existantes pour les films réalisés d’après le livre d’Alexandre Dumas indiqué, celle de 1961 est très, mais très rarement mentionnée.

« Le Comte de Monte-Cristo est un film francoitalien réalisé en deux époques par Claude Autant-Lara, sorti en 1961 :

  1. La Trahison
  2. La Vengeance »

Pourtant, il s’agit d’un film réalisé par un metteur en scène célèbre ( Claude Autant-Lara ) et jouissant d’une distribution de premier ordre.

 

Parmi les acteurs, il faut citer :

Louis Jourdan : Edmond Dantès/Monte-Cristo

Pierre Mondy : Caderousse

Claudine Coster : la princesse Haydée etc.

En particulier, Louis Jourdan a été

« un acteur français né le 19 juin 1921 à Marseille et mort le 14 février 2015 à Beverly Hills.

Après avoir débuté en France, il s’expatrie aux États-Unis dès la fin des années 1940 et fait ensuite l’essentiel de sa carrière dans le cinéma américain. »

Ceci est suffisamment inhabituel pour mériter d’être mentionné !

Parmi ses films les plus remarquables, il faut rappeler : Lettre d’une inconnue, Le Procès Paradine, Madame Bovary, Gigi, Can-Can et Octopussy… Et, parmi ses collègues d’écran ou metteurs en scène : Gregory PeckCharles LaughtonCharles CoburnEthel BarrymoreAlida Valli, Alfred HitchcockJoan Fontaine, Max Ophüls… etc., etc. 

Pas si mal ! Et pourtant… son « Monte – Cristo » est rarement mentionné !

Mais, moi je me souviens de l’avoir vu à Bucarest, à l’été ’62 ou ’63, comme la plupart des films « de cape et d’épée » de l’époque, le soir, sur grand écran, dans le stade « Dinamo » de la Capitale roumaine.

Un autre « Monte-Cristo », celui de Jean Marais, ne m’est pas inconnu !

« Le Comte de Monte-Cristo est un film francoitalien réalisé par Robert Vernay, adapté du roman éponyme d’Alexandre Dumas, sorti sur les écrans en 1954. Ce film a été diffusé en deux époques : 1) La Trahison, 2) La Vengeance. »

Encore une fois, un film franco – italien… en deux épisodes !

C’était la grande mode des années ‘50/’60 : partager un sujet en deux parties, même si elles étaient projetées « à la queue leu leu ».

On avait appris la formule correspondante dans les films italiens et, en racontant une histoire, même très courte, on agrémentait le récit d’un : « Fine al primo tempo ! Secondo tempo ! »

Cela faisait… « cultivé » !

Bien des années plus tard, j’ai découvert, à Bucarest, qu’une actrice roumaine faisait partie de cette production. Il s’agit de Génica Athanasiou dans le rôle de Fatima.

« Génica Athanasiou est une comédienne française d’origine roumaine, née Eugenia Tănase le 3 janvier 1897 à Bucarest, morte le 13 juillet 1966 à Lagny-sur-Marne. Elle a partagé la vie de l’écrivain et poète Antonin Artaud de 1922 à 1927 et celle du réalisateur Jean Grémillon de 1928 à 1940. »

J’ai découvert son existence… il n’y a pas si longtemps !

« En 2019, une exposition lui est consacrée à Bucarest, sa ville natale, dans le cadre de la saison France-Roumanie initiée par l’Institut français et le Musée national de la littérature roumaine : Génica Athanasiou (1897-1966). « La Vie passionnée d’une actrice roumaine dans l’avant-garde parisienne / Viața pasionantă a unei actrițe române din avangarda pariziană. »

Cette exposition inédite est présentée pour la première fois en France dans le cadre du Festival du film muet – Sound of Silent à Chartres, à partir du 31 mai 2023, accompagnée d’une programmation en hommage à Génica Athanasiou. »

Comme quoi, ce cher Monte-Cristo me réserve encore des surprises… près de sept décennies après le lancement de ses films sur les écrans du monde ! 

Mais, au début de la sixième décennie du XXe siècle, toujours à Bucarest, j’ai lu et relu le « Comte de Monte-Cristo », probablement en version roumaine.

Une (toute petite) anecdote me rappelle cette époque :

Selon une bonne habitude bucarestoise, qui perdure encore de nos jours, pendant la brûlante saison d’été, les habitants de la ville se rafraichissent en passant des heures au bord des lacs qui entourent la Capitale roumaine.

« De l’amont à l’aval, depuis Buftea (situé à Câmpia Vlăsiei, à environ 20 km de Bucarest) et jusqu’à Cernica, à partir de 1933, on a aménagé un certain nombre des 15 lacs artificiels (créés par la main par l’homme), dans le système “collier”, comme suit : Buftea, Mogoșoaia, Chitila, Străulești, Grivița, Băneasa, Herăstrău, Floreasca, Tei, Plumbuita, Colentina, Fundeni, Dobroiesti (également appelé Saint Pantelimon I), Pantelimon (appelé aussi Pantelimon II) et Cernica.

D’un bout à l’autre, ces lacs ont une longueur totale de 56 km et un dénivelé de 49 mètres, avec une superficie de 1500 ha et un volume d’eau de 44 millions de mètres cubes. Parmi les 15 lacs, 9 (Străulești, Grivița, Băneasa, Herăstrău, Floreasca, Tei, Plumbuita, Colentina et Fundeni) se trouvent dans le rayon territorial de la municipalité de Bucarest, sous l’administration de l’ALPAB (Administration des Lacs, Parcs et Loisirs de Bucarest).

 Il convient de noter qu’en dehors de ceux-ci, il existe d’autres lacs artificiels dans le rayon de la capitale, qui ne font cependant pas partie du « collier » de la rivière Colentina, mais qui constituent également des zones de loisirs appréciées.

Partie intégrante de la « ceinture verte de la capitale », le lac formé par la rivière Colentina appartient au patrimoine historique, culturel et spirituel de la zone métropolitaine Bucarest-Ilfov, étant une ressource économique et écologique inestimable.

Les lacs de la rivière Colentina, qui bordent le Nord de la ville de Bucarest. Dont le Lac Tei mentionné dans ce texte.

En 1933, pour des raisons économiques, des travaux hydrologiques ont commencé pour modifier l’apparence et la fonctionnalité de la rivière Colentina par la construction du lac réservoir Buftea en bloquant le cours d’eau et en dégageant le lit marécageux. Au même moment, les travaux d’aménagement du lac Herăstrău (ainsi nommé en raison de sa forme en forme de scie, « Fierăstrău » en roumain) ont commencé et les travaux ont été achevés en 1936.

La même année, les travaux d’aménagement des lacs Băneasa et Floreasca ont également commencé, et jusqu’en 1940, 7 des 15 lacs existants ont été construits, le reste étant complété entre 1968 et 1970. »

Dans ma jeunesse bucarestoise, je passais des journées entières au bord de ces lacs, pendant les mois d’été. Les vacances scolaires s’étiraient, à cette époque, entre le 15 juin et le 5 septembre. En dehors des trois semaines du mois d’août, pendant lesquelles nous partions dans les Carpathes, j’allais presque tous les jours « aux lacs ».

Au début, j’allais, accompagné de ma mère, vers 10h du matin, en prenant le tramway de porte à porte, au Lac Tei ou Floreasca, un jour sur deux. Mon grand-père, médecin, avait décidé qu’y aller tous les jours « c’est trop fatigant pour l’enfant » !

On prenait avec nous le nécessaire pour pique- niquer, dès l’arrivée à la plage on se mettait en maillot de bain et on restait ainsi… jusqu’au coucher du soleil !

Vers 15h30, apparaissait mon père, qui avait fini sa journée de travail, commencée à 7h du matin. On déjeunait à l’air libre, on faisait une petite sieste, « à la fraîche » sous les arbres de la forêt plantée autour des lacs et vers 17h, on commençait, avec d’autres familles d’amis, des activités sportives, culturelles, éducatives… jusqu’à la tombée de la nuit, vers 22h. 

Il y avait, bien sûr, des plages publiques… toujours bondées et « très populaires » ! Mais, le Ministère de l’Industrie alimentaire, où travaillait mon père, bénéficiait d’un « club privé », au bord du plus grand (en largeur !) des lacs bucarestois. Ici, on disposait de toute sorte d’installations sportives (courts de tennis, bowling, jeux d’échecs ou jacquet, cricket etc.), culturelles (bibliothèque, journal du jour, albums de photos ou artistiques etc.) Tout était gratuit pour les familles des « travailleurs » du Ministère et l’on pouvait inviter (en nombre raisonnable !) des amis ou des membres de la famille.

C’est dans cet endroit de rêve que j’ai appris bon nombre de jeux de société, j’ai lu mes premiers romans d’aventures ou d’amour, j’ai même « potassé » mes leçons de français en vue des « interrogations orales » pratiquées par mon père… après la sieste de l’après-midi !

Une des activités les plus prisées était, bien sûr, la natation. Quelques amis faisaient partie des clubs de voile ou d’aviron. Pas moi ! Déjà « « No sport ! ».

Mais, une bonne partie de l’après-midi était dédié à la natation.

Après avoir appris à nager dans un cours « officiel » de 15 jours, qui délivrait même un « Diplôme de nageur », je me suis perfectionné dans les eaux calmes du Lac Tei (Tieulles). 

Le lac Tei au début du XXe siècle…

Pour motiver mon ardeur sportive chancelante, mon père a « inventé » un défi : « Si nous arrivons à traverser le lac à la nage, peut-être que l’on pourrait s’entrainer pour traverser… la Mer Noire jusqu’en Turquie ! »

On peut rêver ? C’était tout aussi réalisable que le projet d’un ami qui comptait quitter la Roumanie caché dans la cage à lions d’un cirque !

Le fait est que par touches successives, je suis arrivé à traverser le lac à la nage !

…et aujourd’hui !

Un jour, arrivé près de l’autre rive, j’ai remarqué sur un terrain vague, un attroupement de jeunes dont l’allure et le comportement ne me disait rien qui vaille !

Je ne savais pas comment faire savoir à mon père, qui nageait à quelques encablures de moi, qu’il me semblait préférable d’opérer un demi-tour prudent.

Alors, j’ai employé une formule retenue du « Monte-Cristo », que j’étais en train de (re)lire :

 I believe now to Italian banditti.” (vol. II, pg. 305) 

Rappel du contexte du roman :

Albert de Morcerf, le fils de l’officier Fernand Mondego (plus tard devenu comte de Morcerf) et de Mercédès, l’ex- fiancée de Dantès, se trouve à Rome, en compagnie d’un ami, le baron Franz d’Epinay, qui souhaite lui faire découvrir les merveilles de la Ville éternelle. Sûr de lui, Albert dédaigne les conseils de leur aubergiste qui lui parle des risques de s’aventurer dans la campagne romaine, infestée de voleurs. 

« Peut-être, de sa vie, Franz n’avait-il éprouvé une impression si tranchée, un passage si rapide de la gaieté à la tristesse, que dans ce moment ; on eût dit que Rome, sous le souffle magique de quelque démon de la nuit, venait de se changer en un vaste tombeau. Par un hasard qui ajoutait encore à l’intensité des ténèbres, la lune, qui était dans sa décroissance, ne devait se lever que vers les onze heures du soir ; les rues que le jeune homme traversait étaient donc plongées dans la plus profonde obscurité. Au reste, le trajet était court ; au bout de dix minutes, sa voiture ou plutôt celle du comte s’arrêta devant l’hôtel de Londres.

Le dîner attendait ; mais comme Albert avait prévenu qu’il ne comptait pas rentrer de sitôt, Franz se mit à table sans lui.

Maître Pastrini, qui avait l’habitude de les voir dîner ensemble, s’informa des causes de son absence ; mais Franz se contenta de répondre qu’Albert avait reçu la surveille une invitation à laquelle il s’était rendu. 

Franz était résolu à attendre Albert aussi tard que possible. Il demanda donc la voiture pour onze heures seulement, en priant maître Pastrini de le faire prévenir à l’instant même si Albert reparaissait à l’hôtel pour quelque chose que ce fût. À onze heures Albert n’était pas rentré. Franz s’habilla et partit, en prévenant son hôte qu’il passait la nuit chez le duc de Bracciano.

La maison du duc de Bracciano est une des plus charmantes maisons de Rome ; sa femme, une des dernières héritières des Colona, en fait les honneurs d’une façon parfaite : il en résulte que les fêtes qu’il donne ont une célébrité européenne. Franz et Albert étaient arrivés à Rome avec des lettres de recommandation pour lui ; aussi sa première question fût-elle pour demander à Franz ce qu’était devenu son compagnon de voyage. Franz lui répondit qu’il l’avait quitté au moment où on allait éteindre les moccoli, et qu’il l’avait perdu de vue à la via Macello.

Rome la nuit… un siècle et demi plus tard !

….

— Alors il n’est pas rentré ? demanda le duc.

— Je l’ai attendu jusqu’à cette heure, répondit Franz.

— Et savez-vous où il allait ?

— Non, pas précisément ; cependant je crois qu’il s’agissait de quelque chose comme un rendez-vous.

— Diable ! dit le duc, c’est un mauvais jour, ou plutôt c’est une mauvaise nuit pour s’attarder…

— Eh ! bon Dieu, demanda la comtesse, qui court les rues de Rome à cette heure-ci, à moins que ce ne soit pour aller au bal ?

— Notre ami Albert de Morcerf, madame la comtesse, que j’ai quitté à la poursuite de son inconnue vers les sept heures du soir, dit Franz, et que je n’ai pas revu depuis.

— Comment ! et vous ne savez pas où il est ?

— Pas le moins du monde.

— Et a-t-il des armes ?

— Il est en paillasse.

— Vous n’auriez pas dû le laisser aller, dit le duc à Franz, vous qui connaissez Rome mieux que lui.

— Oh bien oui ! autant aurait valu essayer d’arrêter le numéro trois des barberi qui a gagné aujourd’hui le prix de la course, répondit Franz ; et puis, d’ailleurs que voulez-vous qu’il lui arrive ?

— Qui sait ! la nuit est très sombre, et le Tibre est bien près de la via Macello. » 

En un mot, comme en cent, Albert a été fait prisonnier par les « banditti romani » !

« L’aubergiste donna l’ordre à un domestique de précéder Franz avec une bougie. Le jeune homme avait trouvé à maître Pastrini un air effaré, et cet air ne lui avait donné qu’un désir plus grand de lire la lettre d’Albert ; il s’approcha de la bougie aussitôt qu’elle fut allumée, et déplia le papier. La lettre était écrite de la main d’Albert et signée par lui. Franz la relut deux fois, tant il était loin de s’attendre à ce qu’elle contenait.

La voici textuellement reproduite : 

« Cher ami, aussitôt la présente reçue, ayez l’obligeance de prendre dans mon portefeuille, que vous trouverez dans le tiroir carré du secrétaire, la lettre de crédit ; joignez-y la vôtre si elle n’est pas suffisante. Courez chez Torlonia, prenez-y à l’instant même quatre mille piastres et remettez-les au porteur. Il est urgent que cette somme me soit adressée sans aucun retard.

Je n’insiste pas davantage, comptant sur vous comme vous pourriez compter sur moi.

 P.-S. I believe now to italian banditti.

 Votre ami,

 albert de morcerf. »

Au-dessous de ces lignes étaient écrits d’une main étrangère ces quelques mots italiens :

« Se alle sei della mattina le quattro mile piastre non sono nelle mie mani, alla sette il conte Alberto avia cessato di vivere. *

« luigi vampa. » 

Cette seconde signature expliqua tout à Franz, qui comprit la répugnance du messager à monter chez lui ; la rue lui paraissait plus sûre que la chambre de Franz. Albert était tombé entre les mains du fameux chef de bandits à l’existence duquel il s’était si longtemps refusé de croire. »

Mais moi, au milieu du lac de Bucarest, je ne « refusais pas de croire au « italian banditti », même si, dans mon cas, il ne s’agissait que de voyous roumains. Nous avons fait, prudemment, demi-tour, même si j’étais quelque peu fatigué, après la première traversée du lac.

Par la suite, nous avons continué « l’entrainement » …en longeant le rivage !

* Si à six heures du matin les quatre mille piastres ne sont pas entre mes mains, à sept heures le comte Alberto aura cessé de vivre. 

*   *   *

Une bonne quinzaine d’année est passée depuis cette aventure !

Entre-temps, j’avais quitté la Roumanie, j’avais fini mes études d’ingénieur, commencées à l’Ecole Polytechnique de Bucarest et achevées à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, et j’avais débuté mon activité dans le domaine de l’exportation, dans le premier groupe français, la société ATO Chimie, une joint-venture entre Elf Aquitaine et TOTAL.

C’est dans cette société que j’ai fait la connaissance, à partir de 1975, de celui qui allait devenir mon meilleur ami, Michel Boulangeat.

Nous avons parlé, pendant les années qui ont suivi et jusqu’au départ définitif de Michel dans un monde meilleur, en 1995, de mille sujets. 

Parmi ceux-ci, des expériences de ma jeunesse en Roumanie. Très curieux de connaître ce pays, si étrange selon mes récits, Michel m’a proposé d’y aller ensemble en vacances à l’été 1978.

J’ai accepté, malgré quelques réticences, connaissant le fort caractère de mon ami et des contraintes de la Roumanie communiste de l’époque. J’ai organisé notre périple de quelques 2000 Km. à travers le pays, en essayant de mettre en valeur, tout autant les beautés naturelles et les souvenirs historiques, que les contact directs avec la population, grâce à mes anciens amis et collègues.

Je savais que, dans bon nombre de cas, je serai amené à faire les traductions nécessaires, quand nos interlocuteurs ne parleraient pas le français, l’anglais ou l’espagnol, langues que Michel pratiquait couramment, entre autres, grâce à ses longs séjours en Amérique Centrale et aux U.S.A.

Mais, je lui ai précisé, avant de partir : « Michel ! Pendant notre séjour en Roumanie, je traduirai TOUTES tes questions, sans rien occulter ou déformer. Mais, s’il te plait, tâche de ne pas poser des questions gênantes, pour nos interlocuteurs ou pour toi, en rapport avec le régime politique du pays et, surtout, avec les actions du « Génie des Carpathes » !

Nous avons vécu, pendant les deux semaines de notre voyage des expériences uniques, avec des moines d’un monastère « dissident », avec des jeunes filles roumano-canadiennes, avec des paysans de villages perdus dans les Carpathes, que l’on pouvait imaginer encore tel qu’au Moyen-Âge, avec des intellectuels au courant des dernières nouveautés de Paris, alors qu’ils n’avaient jamais mis les pieds en France etc., etc.

D’ailleurs, Michel, qui était un grand « fan » de Jacques Brel, avait apporté le dernier disque du chanteur belge, intitulé « Les Marquises », qui venait de sortir en France.

Le voyage a été un grand succès ! Même si Michel, indomptable comme d’habitude, nous a mis dans l’embarras plus d’une fois, par ses réactions devant les interventions étranges (pour un Occidental !) des autorités obtuses du pays.

La preuve : Michel a tenu à revenir en Roumanie, pour retrouver une « Sylvia Kristel brune » (selon ses affirmations !) avec qui il imaginait ouvrir une discothèque dans un bled paumé du nord de la Moldavie !

Rêves, rêves !

Pour mémoire :

« Sylvia Kristel, née le 28 septembre 1952 à Utrecht et morte le 17 octobre 2012 à Amsterdam, est une actrice et mannequin néerlandaise.

Elle est surtout connue pour avoir incarné à douze reprises (quatre fois au cinéma, huit à la télévision) le rôle-titre de la série érotique Emmanuelle entre les années 1970 et 1990. » 

Mais, sa conclusion synthétique, à la fin du séjour, fût : « Le pays est splendide ; les gens sont charmants ; le système est absurde ! »

C’est à cause de cette affirmation que je répète, à chaque fois, lorsque je parle de cette idéologie, aujourd’hui, comme d’antan : « ce système absurde ! » 

Mais, pour ce qui est de notre sujet d’aujourd’hui (Le Comte de… qui vous savez !), j’aimerais me souvenir d’une petite anecdote.

Nous avons parcouru en Roumanie quelques 2000 Km., en commençant par la Dobroudja.

« La Dobrogée ou Dobroudja (en bulgare : Добруджа, en roumain : Dobrogea , en turc: Dobruca, Dobrogée dans les documents français anciens) est une région historique d’Europe, appelée Mésie inférieure puis Scythie mineure dans l’Antiquité, aujourd’hui partagée entre le Sud-Ouest de l’Ukraine (delta du bras de Chilia), l’Est de la Roumanie (Dobroudja du Nord) et le Nord-Est de la Bulgarie (Dobroudja du Sud). »

Je me vois encore à l’aéroport « Mihail Kogàlniceanu », où notre vol-charter avait atterri, avec Michel et son disque sous le bras, à la recherche d’un… tourne-disque ! Il venait de l’acheter au « duty-free » d’Orly et il souhaitait l’écouter… sans plus attendre, alors que la voiture de location, une « Dacia 1200 » (la copie conforme de la Renault 1200, fabriquée dans le pays, sous licence) n’était pas disponible… avant 1 ou 2 heures ! 

Qui aurait pu imaginer que, un demi-siècle plus tard, cet aéroport, perdu dans la steppe balkanique, deviendrait un élément-clé de la défense aérienne de l’OTAN ! 

« L’aéroport international Mihail-Kogălniceanu (code IATA : CND • code OACI : LRCK) est un aéroport de Roumanie qui dessert la ville de Constanța ; il est situé à une vingtaine de kilomètres au nord de cette ville. Il doit son nom à Mihail Kogălniceanu (1817-1891) …

Istanbul et Londres notamment sont desservis (par des vols directs), de même que des destinations domestiques. 

La base aérienne 57 de l’armée de l’air roumaine (Baza 57 Aeriană), unité équipée de chasseurs russes Mikoyan MiG-29, y était installée.

Entre 2001 et 2003, l’aéroport a servi de point de transit de militaires et de matériel des États-Unis vers l’Irak et l’Afghanistan et a accueilli près de cinq mille GI’s. Une base aérienne américaine y a été installée à partir de fin 2005 et devrait comporter un effectif d’environ cinq cents soldats, modifiable si nécessaire.

Depuis le 28 février 2022 l’opération Aigle commandée par le colonel Minguet du 27e BCA se déploie sur la base, cinq cents militaires français en fer de lance pour coopérer avec les militaires roumains. Le déploiement se fait dans le cadre de la Force de réaction de l’OTAN et comprend aussi des unités à Cincu et Bucarest. C’est cette base que le président Macron a visitée le 15 juin 2022. »

Après avoir traversé la Moldavie, la Transylvanie et la Valachie, nous sommes arrivés à Bucarest. Ici, j’avais prévu deux jours de repos, avant de retourner à Mihail-Kogălniceanu, abandonner notre Dacia 1200 et reprendre l’avion pour Orly.

Quand je dis « abandonner » … je n’exagère que très peu ! La voiture, à peine sortie des bancs de montage de l’usine de Piteşti, à la réception deux semaines auparavant, avait perdu quelques enjoliveurs, mais nous a vaillamment transporté depuis les chemins en terre battue des sommets des Carpathes, jusqu’au cœur du Delta du Danube, sur un bac-transporteur improbable !  

A Bucarest, j’avais prévu dans le programme, une demi-journée de « relaxation » au bord des lacs mentionnés précédemment.

Mais, une décennie après mon départ de Roumanie je n’avais plus d’accès au Club du ministère de l’Industrie alimentaire.

En revanche, j’ai trouvé un ancien collègue de l’Ecole Polytechnique, devenu entre-temps conférencier universitaire, qui nous a invité au « Club des étudiants », au bord du même Lac Tei, juste en face de mon ancien « paradis de l’été » !

Qui plus est, cet ancien collègue, féru de tennis, a proposé à Michel une partie sur les courts du Club.

Je connaissais bien le « Club des étudiants » ! De 1964 à 1967, alors que j’étais élève à l’Ecole Polytechnique, je fréquentais avec assiduité cet endroit, bien plus grand que le club de mon père, avec des installations sportives et culturelles beaucoup plus modernes et fournies, là où les jeunes de mon âge et de tous les établissements universitaires de Bucarest présentaient des spectacles et des expositions, surtout à la belle saison. 

C’était l’endroit idéal pour se relaxer en plein été ! Je me souviens de mon « été Dumas », quand j’ai lu des milliers de pages de ses romans sur la terrasse du Club. Je me vois à cet endroit en lisant « Le Collier de la Reine » et « Mémoires d’un médecin : Joseph Balsamo ».

Rien que ces deux romans, totalisaient… 8 volumes (3 et 5), donc… quelques 2500 pages et… un certain temps de lecture ! Toujours en « Bibliothèque rose », qui présentait l’avantage d’être éditée sur du « papier cigarette » tellement fin et donc plus facile à transporter.

Le jour de notre visite au Club, Michel est apparu, comme d’habitude, avec ses « Weston » et ses chaussettes blanches à rayures bleu/blanc/rouge, comme pour défendre sur le court « l’honneur de son pays » !  

Pour les chaussures Weston, il affirmait, pince sans rire, qu’elles étaient si chères et si précieuses que, le soir « il les enfermait dans le coffre-fort pour éviter qu’elles ne disparaissent pas » !

C’est vrai que, à cette époque, je regardais les vitrines de la boutique Weston sur les Champs-Elysées et j’étais impressionné par le prix des chaussures, qui pouvait avoisiner le salaire d’un ingénieur débutant ! 

Un demi-siècle plus tard, rien n’a changé, sauf la localisation de la boutique!

Je me souviens aussi de la « légende urbaine » qui affirmait que le premier jour ouvrable de chaque année, seul moment où Weston soldait les invendus de la saison précédente, la queue s’allongeait entre la rue La Boétie et la rue Washington ! Et, on murmurait que, même des grands patrons, arrivaient dès 5 heures du matin pour s’assurer qu’ils seraient les premiers au moment de l’ouverture, vers 10 heures !

Mais, pour ne pas être vus et reconnus, ils attendaient dans leurs voitures garées sur les Champs, et c’étaient les chauffeurs qui faisaient la queue… jusqu’à dix minutes avant l’heure de l’ouverture !

Se non è vero, è ben trovato !, comme disent les Italiens.

Et que nous avions modifié en « Se non è vero, è ben Trovatore ! » en faisant allusion à l’opéra de ce cher Verdi ! 

Avec ses Weston et ses chaussettes tricolores, Michel arborait un superbe maillot de bain, comme je n’avais jamais encore vu ! Il descendait jusqu’au-dessus du genou et sur un fond blanc et rouge, comportait de fines rayures gris et bleu !

C’est vrai que… ça en jetait ! En voyant mon regard admiratif, il m’a dit :

« Tu ne le reconnais pas ? C’est un « Vilebrequin » !

Je n’avais aucune idée de « ce qu’est qu’un « Vilebrequin » !

« Vilebrequin est une marque française, spécialisée dans la confection de maillots de bain et de prêt-à-porter masculin et féminin. Elle fut créée en 1971 à Saint-Tropez par Fred Prysquel, photographe et journaliste sportif automobile, qui lui donna alors le nom d’une pièce de moteur, le vilebrequin.

Présente aujourd’hui dans 52 pays avec plus de 150 boutiques, la marque Vilebrequin se positionne comme marque de luxe dans l’univers du costume de bain. La marque propose une gamme variée des coupes (Moorea, Merise, Master, etc.), motifs et couleurs pour toutes les générations (à partir de 12 mois jusqu’au 5XL). 

En 1971, Fred Prysquel, photographe et journaliste automobile, dessine et découpe le short de bain de ses rêves sur une nappe en papier à la terrasse d’un célèbre café tropézien. Inspiré des maillots des surfeurs, il introduit le boxer-short, bien loin des slips de bain traditionnels de l’époque. Coupé dans une toile de spinnaker (un tissu initialement réservé aux voiles des voiliers et des cerfs-volants), ce nouveau maillot, coloré et original, sèche vite au soleil et le succès est au rendez-vous dans la petite boutique et sur les plages de Saint-Tropez. Le modèle baptisé Moorea devient dès lors l’icône de la marque. »

Je peux jurer qu’aucun de mes amis vivant à la fin des années ’70 en Roumanie ne devait savoir « ce qu’est qu’un Vilebrequin », conçu à peine quelques années auparavant à St.-Tropez !

Depuis, je chasse, pas-à-pas, le « design » et les modèles des « Vilebrequin », dans les vitrines et boutiques de cette marque de luxe sur les plages… du monde entier. Je dois avouer que, quelques années plus tard, quand Michel ayant grossi et n’entrait plus dans son Vilebrequin, j’en ai hérité. Ce qui m’a permis de pavaner sur les plages de Rio ou de Miami ! 

J’ai laissé Michel et mes amis profiter des courts de tennis du Club. Le sport, une fois de plus, …trop peu pour moi !

Comme je n’avais pas pris de livre pour profiter, comme dix ans auparavant, de la tranquillité de la terrasse ombragée avec vue vers le lac, je suis allé fouiner dans la bibliothèque du Club. 

J’ai balayé du revers de la main les volumes reliés ne cuir rouge et or des discours du Génie des Carpathes au derniers Congrès du Parti Communiste Roumain, bien en vue sur le devant des rayons de la bibliothèque.

Mais, un peu en retrait, j’ai trouvé mon bonheur : « Le Comte de Monte-Cristo » en version intégrale ! Bien sûr, en roumain. 

Quel bonheur !

Dans une fraction de seconde, j’avais rajeuni de 15 ans ! 

A suivre…

 

Adrian Irvin ROZEI

La Bastide Vieille, août 2024

 

One thought on “Dis !  T’as vu Monte – Cristo ? (II)

  1. A..-M. D. de Versailles écrit:
    En effet l’on comprend pourquoi ce roman est aussi important dans ta vie en plus de l’intérêt littéraire sur fond historique qu’il peut présenter : tu as fait preuve de mérite, mais ton Papa veillait …

    J’ai aussi des souvenirs … Ns n’avions pas encore la TV à Montberthault, d’ailleurs personne n’avait fait le saut vers la modernité dans le village. Sauf … le voisin d’en face !
    Un « vieux « monsieur charmant veuf, vivant seul dans une petite maison …
    Une personne au physique imposant, mais au visage très doux, tout rond et tout rose aux beaux yeux bleus, plein de candeur et surtout une moustache qui barrait ce visage souriant et avenant. Bien sûr il avait combattu en 14 et avait gardé ce style de l’époque … et des souvenirs qu’il cherchait à oublier.

    Lui, Monsieur B., avait fait l’acquisition d’un poste et il n’était pas possible qu’il gardât pour lui seul cette avancée dans le progrès pour la grande joie de la plupart des habitants.
    Le jeudi déjà les enfants se pressaient chez lui et même qq. adultes mais, en ce qui nous concerne, nous nous rendions dans cette salle de spectacle improvisé, pour suive le feuilleton du comte de Monte Christo le samedi soir …
    Nous n’étions pas les seuls ! Serrés les uns contre les autres avec les commentaires à l’accent bourguignon, qui entravaient notre intérêt et la difficulté de suivre le film gênés aussi par ceux placés devant …(nous avions commencé à suivre le feuilleton chez nous au Chesnay ). Sauf mon oncle qui avait une mauvais vue et profitait d’ une place d’honneur tout près du poste ! Ecran petit en noir et blanc évidement … !

    Un temps que les moins de” 40 “ans ne peuvent pas connaitre !
    Mais le plus improbable c’est que les poules de M.B avaient libre accès dans la maison, et dans la journée elles utilisaient le poste comme Perchoir ..!!!
    Chassées elle revenaient ….et je les ai vues justement le jeudi..
    Le samedi soir évidemment ces demoiselles étaient couchées chez elles dans le poulailler, mais des traces attestaient leur présence de la journée …par terre et sur le Saint des Saint !
    Une époque de transition … entre la vie paysanne d’autrefois et l’apparition du cinéma chez soi !

    Le comte de Monte Christo me laisse des souvenirs aussi, mais pour moi pas d’efforts intellectuels particulier… Juste ceux des moments touchants d’un petit village perdu dans l’ Auxois au temps jadis …et la figure d’’une belle personne !

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