La Bastide Vieille, 22/07/2024
« Non ! J’ai vu monter personne ! »
« Dis t’as vu Monte Carlo ?
Non j’ai vu monter personne
Dis t’as vu Monte Christo ?
Non j’ai vu monter personne
Mais j’ai vu le fils d’un voisin
Flirter avec une voisine
Il paraît que c’est son cousin… »
youtube annie cordy dis t’as vu monte carlo – Recherche Google
« MON DIEU ! lut Monte-Cristo, CONSERVEZ-MOI LA MEMOIRE ! »
« Le Comte de Monte-Cristo » vol. VI, pg. 216
Mon lien avec Alexandre Dumas (père) est, je peux le dire sans fausse modestie, viscéral. D’ailleurs, il me semble avoir raconté cette « aventure » de ma jeunesse… plus d’une fois.
Vers l’âge de 10 ans, j’avais découvert le bien-connu roman d’Alexandre Dumas intitulé « Les Trois mousquetaires ». A l’époque, j’étais élève dans une école primaire de Bucarest, en Roumanie.
Tout comme moi, bon nombre de mes collègues s’étaient entichés des aventures de D’Artagnan et de ses camarades à tel point que nous nous identifions aux personnages décrits par Alexandre Dumas dans son roman.
On a commencé par chercher et dénicher des accoutrements qui nous permettaient de nous déguiser en « mousquetaires du Roi ». On se dessinait, avec des allumettes calcinées, des moustaches à pointes retroussées, comme on l’avait vu dans des livres d’histoire de France… d’avant-guerre.
Le plus dur ce fût de trouver des épées, si nécessaires pour les combats… comme dans les films « de cape et d’épée », dont ceux de Jean Marais ou, plus tard, de Gérard Barray faisaient notre bonheur.
Heureusement, mon cousin et collègue de classe, Costin Cazaban, était le fils du grand acteur Jules Cazaban. C’est ainsi que nous avons obtenu un fleuret qui faisait partie de la « dotation » du « Théâtre Municipal » de la ville de Bucarest, dont mon oncle était le directeur.
Enorme déception ! La taille de la rapière obtenue dépassait, de loin, la dimension d’une arme que nous pouvions manipuler à nos âges.
Qui plus est, il faut rappeler que : « La rapière est une épée longue et fine, à la garde élaborée, à la lame flexible, destinée essentiellement aux coups d’estoc. La rapière, même si elle n’est pas faite pour trancher un homme en deux, est affûtée, et peut causer de sérieuses entailles si un coup à la volée atteint l’adversaire. »
Même s’il s’agissait d’un fleuret moucheté, la mère de mon cousin, Irina Nădejde Cazaban, elle-même actrice ayant l’expérience des coulisses du théâtre, n’était pas d’accord pour que nous jouions avec de tels objets !
Pour mémoire : « Le fleuret est une épée que l’on utilise pour s’exercer à l’escrime. Il est fait de telle manière qu’il est inoffensif. En effet, pour éviter que le fleuret soit une véritable arme on lui a mis à la pointe une forme de protection appelée mouche. Donc, lorsque l’on attaque quelqu’un avec un fleuret ce n’est pas pour le blesser. »
Il a fallu donc se contenter d’épées ou, plutôt, de sabres en carton ou contre-plaqué, davantage à la portée des jeunes de notre âge.
Peu importe ! On se retrouvait souvent, entre amis, dans la maison de Costin Cazaban ou dans un parc voisin, pour s’entrainer au combats… « comme les mousquetaires ». Un peu plus difficile était… la distribution des rôles : chacun voulait être… D’Artagnan ! Et chacun avançait des arguments qui lui semblaient « irréfutables » !
Mais, comme on ne pouvait pas se mettre d’accord, on abandonnait ce sujet pour « la prochaine rencontre ».
Sur ces bonnes paroles, la vie faisait son œuvre, le temps passait et je commençais à découvrir un nouveau « problème » en rapport avec l’œuvre d’Alexandre Dumas.
J’avais lu et relu, « Les Trois mousquetaires » au point de connaître par cœur chaque détail de l’œuvre. Maintenant, je souhaitais découvrir la suite de l’histoire.
Pas de chance ! Ni « Vingt Ans après », ni le « Vicomte de Bragelonne » n’existaient en « version roumaine ». Certainement que, avant la Guerre, ces livres ont dû être traduits en roumain. Mais, …où les trouver ? A cette époque, dans la Roumanie communiste, il n’y avait pas d’antiquaires. Et, si ces livres existaient quelque part, le prix d’achat risquait d’être prohibitif.
Il ne restait qu’une seule solution : apprendre le français !
Facile à dire ! A l’école, j’apprenais, de grès ou de force, le russe, à partir de l’âge de 10 ans, et, l’année d’après au collège, on commençait l’apprentissage d’une deuxième langue étrangère, au choix, entre l’anglais, le français et l’allemand.
De nouveau, le sort ne m’a pas favorisé ! Je suis tombé sur une classe où l’on apprenait l’anglais.
Certes, mon père qui avait fait l’Ecole des Mines en France et qui parlait couramment cette langue (comme 3 ou 4 autres d’ailleurs), avait essayé à plusieurs reprises de me l’enseigner. Peine perdue ! J’étais trop paresseux pour fournir un tel effort !
Ont tenté, aussi, une tante, sœur de mon père, traductrice diplômée français/anglais/allemand – roumain, tout comme un « professeur particulier » grassement payé ! Rien à faire !
Mais, voilà que je n’avais plus le choix !
Alors, j’ai accepté de « travailler » le français avec mon père. Mais, à mes conditions !
Mon père a trouvé (où ?) un livre pour école primaire russe/français.
Je me souviens que la première leçon s’intitulait : « Maroussia va à l’école ».
Les premières lignes du texte de la première page, étaient :
« Septembre approche ! Bientôt, Maroussia (nom fréquent des jeunes filles soviétiques) ira à l’école. Sa mère lui a préparé son cartable, ses livres et ses cahiers. » etc., etc.
La procédure choisie par moi, et accepté « volens nolens » * par mon père, était la suivante :
Mon père me lisait un (court) texte de quelques lignes en français. Il me le traduisait en roumain. Je répétais les deux versions que je tentais de retenir.
Le lendemain, je retravaillais seul le texte, dont j’avais noté les mots inconnus, en français et en roumain. La traduction en russe…ne servait pas à grand’ chose. Seulement à lister les nouveaux mots à apprendre, mais pas leurs significations en roumain.
* Qu’on le veuille ou non.
Tirant son origine du latin avec “volens” (voulant) et “nolens” (ne voulant pas), l’expression originelle était “ne voulant, ne le voulant pas”. On utilisait cette expression dans la Rome Antique pour qualifier la fatalité des Dieux : quoi que l’on dise ou fasse, si une chose devait arriver, elle arrivait. Sa signification traverse les siècles et notre temps veut que l’on utilise sa forme traduite pour désigner les choses sur lesquelles on ne peut influer et celles que l’on doit subir.
Enfin, vers 16h ou 16h30, une fois mon père de retour de son travail, le déjeuner et la sacro-sainte sieste accomplies, nous nous mettions en position d’attaquer la leçon de français du jour.
Parmi les conditions que j’avais imposés, il y en avait deux auxquelles je tenais en particulier :
– nous allions travailler côte-à-côte, allongés sur le lit de mes parents.
Je dois préciser que, jusqu’à l’âge de 11 ans, j’ai partagé avec mes parents la seule chambre de notre « garçonnière », qui faisait office de chambre à coucher, de salon, de salle à manger et de bureau où j’apprenais mes leçons… Tout ça, parce que la loi communiste des années ’50 imposait un certain nombre de m2 par famille, au-delà desquels on avait l’obligation de partager son appartement avec des inconnus, pas toujours bien élevés. Ce que mon père a toujours refusé !
-pour écrire les mots à apprendre, j’ai exigé l’usage d’un grand cahier de comptabilité à couverture cartonnée et traits multicolores d’avant la guerre.
Tout ça, pour m’assurer que les mots sont bien alignés et que le livre de classe serait bien posé sur le cahier, même si l’on n’avait pas de bureau ou table devant nous. Fantaisies, fantaisies !
Et… ce n’est pas tout !
Comme j’ai eu, jusqu’à l’âge de 23 ans, à la sortie de l’Ecole des Mines, une écriture style « pattes de mouche », je refusais d’écrire… même une ligne.
Mon père, offusqué par cette exigence, m’a dit : « Tu dois apprendre l’orthographe en français ! Donc, tu dois écrire les phrases apprises par cœur. »
« Pas du tout ! », j’ai répondu. « Je vais te réciter les mots… phonétiquement à la roumaine ! Ainsi, tu vas voir que je connais leur orthographie. »
Tout ça, donnait quelque chose difficile à reproduire par écrit !
Par exemple : « Une vieille maison », devenait « Ouné v.i.é.i.ll.é m.a.ï.s.o.n. ». Il faut préciser qu’en roumain il n’y a pas de « u », donc je le remplaçais par le son « ou » ! Toujours des fantaisies « à la Adrian » !
Bien sûr, les accents sur les lettres me semblaient inutiles… à 12 ans, comme à 77 ans ! Je n’ai commencé à les pratiquer que vers l’âge… de 23 ans ! Contraint et forcé !
Mon père, amusé par toutes ces « originalités », mais content de constater les progrès quotidiens de mon apprentissage… laissait faire !
Au bout de 3 mois, une fois les aventures de Maroussia apprises par cœur, j’ai décidé que « « je n’ai plus besoin de cours de français ! »
C’était vers 1963 ou 1964. Grâce à une famille de français, vacanciers rencontrés par mon père dans les rues de Bucarest, que nous avons commencé à recevoir, à la maison, le quotidien « L’Humanité », seul journal en français accepté par la censure. Il faut préciser que notre ami était communiste militant et rédacteur-en-chef du journal « La Marseillaise de Seine-et-Oise ». Nous recevions, aussi, son journal.
Je me souviens des premières pages du journal, cernées de noir, en juillet 1964, à la mort du secrétaire général du Parti Communiste français, Maurice Thorez.
Ce « généreux donateur » était convaincu que, vivant dans un pays communiste, nous partagions sa foi. Je raconterai une autre fois les aventures survenues un jour de septembre 1968, quand il m’a invité à la « Fête de l’Huma » à Paris.
Mais, 4 ou 5 années auparavant, j’ai commencé à lire, chaque jour, « L’Humanité » !
Ce n’est qu’un an plus tard, que j’ai commencé à recevoir « L’Express », chaque mois, comme je l’ai raconté dans le texte :
Le fiasco d’un surdoué… en 2023 ! (I) | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
Mais, tout ça nous a éloigné de mon cher Alexandre Dumas !
Pas pour longtemps !
Quelques trois mois après mes débuts avec « L’Humanité », j’ai attaqué les romans d’Alexandre Dumas !
Je dois préciser qu’à ma demande expresse, mon père a commencé à chercher dans notre entourage des amis qui possédaient ce genre de livre.
Très vite, il a découvert qu’une collègue de bureau avait gardé toute une série de romans d’Alexandre Dumas, édités avant la guerre, dans la collection « Bibliothèque rose », en France.
Cette dame était la mère d’une actrice, à l’époque un jeune prodige du théâtre roumain, Ilinca Tomoroveanu (21/08/1941 – 2/05/2019).
Elle est devenue, quelques décennies plus tard, en plus de son exceptionnel parcours théâtral et cinématographique, directeur artistique adjoint du Théâtre National “Ion Luca Caragiale” de Bucarest. J’ai eu l’occasion de lui raconter, en 2004, l’histoire inoubliable des livres de sa mère.
La despărţirea de Ilinca… | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
* * *
Pour la faire courte, pendant l’été 1965, en première année d’études à l’Ecole Polytechnique de Bucarest, j’ai lu quelques 11 000 pages d’Alexandre Dumas !
Je me vois, encore aujourd’hui, à la base nautique des étudiants de Bucarest, qui se trouve au bord du plus grand lac qui frôle la capitale roumaine, en train de lire un des livres de Dumas, alors que mes camarades jouaient au tennis.
C’est grâce à ces lectures que j’ai découvert l’histoire (romancée) de la France. Et, quelques trois ans plus tard, à l’Ecole des Mines, j’ai impressionné mes camarades par mes connaissances !
« On apprend bien l’histoire de France en Roumanie ! », ont-ils commenté.
Moi, modeste, j’ai évité de préciser les « tenants et aboutissants » de l’origine de ce savoir !
Il y a quelques années, je suis tombé, chez un antiquaire de Béziers, sur une édition des œuvres historiques d’Alexandre Dumas. Quelques 50 volumes, joliment reliés, avec des couvertures cartonnées rouge et or. Le tout était proposé pour la modique somme de 50 Euro.
J’ai hésité en long moment ! Dois-je les acheter, en souvenir de mes… 15 ans ? Cela faisait beaucoup d’espace occupé ! J’ai renoncé !
Mais, d’abord, j’ai compté les romans que j’avais lus dans les années ’60. J’ai totalisé plus de la moitié des titres proposés à la vente !
Puis, il y a quelques semaines, parmi les livres abandonnés dans le sous-sol d’un centre commercial de Boulogne, j’ai découvert une dizaine de volumes édités par « Nelson » et « Calmann-Lévy » en 1934, parmi lesquels quelques « Dumas » d’avant-guerre, identiques à ceux qui « m’ont appris le français » dans ma jeunesse.
Là, je n’ai plus hésité ! J’ai emporté tous les volumes disponibles de la série des mousquetaires (Les Trois…, le Vicomte…, Vingt Ans…) même si elle était incomplète !
Pour ce qui est des romans de Dumas qui appartenaient à Mme. Tomoroveanu mère, comme toutes les bonnes choses, un jour je suis arrivé à leur fin. Réalité objective, que je refusais de toutes mes forces !
A ce moment, mon père, avec une grande habilité, m’a glissé entre les mains un volume…. de Jules Verne ! Je n’ai pas pu résister à la tentation et… je l’ai lu. Et, c’est comme ça que je suis tombé… dans une nouvelle addiction !
J’avais pris le pli !
J’étais (partiellement !) guéri de ma « Dumasite aigue » !
Ce qui ne m’a pas empêché de lire (ou relire !) certains livres de Dumas, une fois installé en France.
A l’occasion de la préparation de ce texte, j’ai regardé attentivement la liste des « Œuvres complètes d’Alexandre Dumas, publiées dans la collection Michel Lévy ».
« Les Œuvres complètes d’Alexandre Dumas sont une véritable mine littéraire. Elles ont été éditées en 301 volumes par Michel Lévy à partir de 1860.
Cette collection comprend non seulement les célèbres romans de Dumas, mais aussi des essais historiques et d’autres ouvrages hétéroclites. Parmi les titres les plus emblématiques, on trouve les Trois Mousquetaires, le Comte de Monte-Cristo et la trilogie des Valois. Si vous souhaitez explorer ces œuvres, vous pouvez consulter des versions en ligne ou découvrir des éditions illustrées. Dumas reste un auteur incontournable, dont l’écriture continue de captiver les lecteurs du monde entier. »
Cette fois-ci, c’était la minute de vérité !
Si ma mémoire est bonne, je n’ai lu « que » 18 titres d’Alexandre Dumas !
En y comptant même les « Impressions de voyage » (dont « Le Coriccolo », si cher à mon père ! , ou « Le Speronare »), qui m’ont apportée des amitiés uniques :
Le sort sourit aux audacieux | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net) ou
La Galita, l’isola gemella di Ponza | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
Aussi bien que : « Propos d’art et de cuisine » ou son « Grand dictionnaire de cuisine », que je mentionne à tout moment… quand je suis attablé avec des amis !
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, août 2024
E.R.G. de Paris écrit:
Merci Adrian… véritable personnage d’Alexandre Dumas !