La Bastide Vieille, le 20/01/2022
En 1967, quand je suis arrivé à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, j’ai remarqué que mes collègues mentionnaient souvent, dans leur discussions sur l’organisation politique et sociologique du monde, le nom d’un certain Alexis de Tocqueville. Et le titre de l’un de ses ouvrages, appelé « De la démocratie en Amérique ».
Je n’avais jamais entendu parler de cet auteur, encore moins de ses écrits !
Moi, j’étais resté à « la paupérisation continue de la classe ouvrière aux Etats-Unis, dans les conditions de la dernière phase du capitalisme monopolistique, d’Etat et en putréfaction » ! C’était ce que l’on m’avait appris, à peine quelques mois auparavant, dans les cours de « Socialisme scientifique », que je suivais, comme tous les étudiants de Roumanie, depuis quelques six ans.
J’ai compris très vite, que mes nouveaux collègues avaient étudié en profondeur l’œuvre de ce philosophe politique et homme d’Etat français du XIXe siècle, en vue de la préparation de leur examen d’entrée aux Grandes Ecoles.
J’ai eu la curiosité de savoir de quoi il parle et j’ai jeté un coup d’œil dans l’ouvrage précité. J’avoue que les affirmations de ce livre m’ont paru bien éloignées des préoccupations du moment, surtout que nous étions à la veille des « événements de Mai ‘68 ».
Par la suite, j’ai constaté et je le constate encore, que le nom d’Alexis de Tocqueville revient régulièrement à l’occasion des commentaires et débats sérieux au sujet de l’organisation politique de la démocratie d’Outre-Atlantique.
J’ai laissé, malgré tout, de côté ce sujet pendant bon nombre d’années.
Ce n’est qu’une fois qu’Internet, Google et Wikipedia ont apparu dans le paysage quotidien, que j’ai approfondi mes connaissances dans ce domaine.*
J’ai découvert ainsi que :
« Alexis-Henri-Charles Clérel, comte de Tocqueville, ou Alexis de Tocqueville, né le 29 juillet 1805 à Paris et mort le 16 avril 1859 à Cannes, est un philosophe politique, politiste, précurseur de la sociologie et homme politique français.
Né dans une vieille famille de la noblesse de Normandie, il suit des études de droit et devient magistrat en 1827. Dès 1825, il est persuadé que la poussée démocratique en France est inéluctable. En 1830, il obtient une mission du ministère pour aller étudier le système pénitentiaire américain, ce qui constitue son passeport pour aller découvrir les États-Unis et comprendre ce qu’il tient pour le meilleur exemple disponible de démocratie. De ce séjour de près d’un an, il tire « De la démocratie en Amérique », une analyse du système démocratique en général (de ses vertus, de ses risques et de sa dynamique) et de son illustration particulière américaine, qui connaît un immense succès à sa publication en 1835 et 1840. Cela lui vaut d’être élu à l’Académie des sciences morales et politiques à seulement trente-trois ans, puis à l’Académie française à trente-six. »
Parmi tant et tant de sujets abordés dans son livre, j’ai été, surtout, intéressé par les affirmations concernant un des principes de base de la société américaine, celui lié à l’égalité.
« Tocqueville croyait que l’égalité jouait un rôle essentiel dans la vie et l’organisation politique des Américains. La même égalité qu’ils percevaient, disait-il, faisait que personne ne pouvait exercer un pouvoir tyrannique parmi les autres, qu’il considérait comme l’idéal vers lequel la démocratie tend. Pour lui, dans les démocraties, la liberté et l’égalité étaient deux choses distinctes et les démocrates préféraient l’égalité à la liberté. « Quand l’inégalité est le droit commun d’une société, les inégalités les plus fortes ne frappent pas les yeux ; quand tout est à peu près de niveau, le moindre d’entre eux les blesse. »
Cela me paraissait d’autant plus intéressant que ces affirmations précédaient de près d’un demi-siècle la devise de la Révolution française : « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Mais, dans ma profonde méconnaissance de la (vraie) histoire politique française, je ne soupçonnais pas que le débat « Egalité vs. Liberté » était bien plus ancien dans ce pays !
Déjà Chateaubriand affirmait, dans ses « Mémoires d’outre-tombe », que : « Les Français n’aiment pas la liberté ; l’égalité seule est leur idole. »
Et ce débat, certes, un peu académique, se poursuit jusqu’à nos jours !
On peut rencontrer sur les « réseaux sociaux » des affirmations, en partant des écrits de Chateaubriand, qui proclament que :
« Les français préfèrent l’égalité et la liberté qui favorise les élites.
« Il n’est pas exact de dire que les français n’aiment point la liberté et idolâtrent l’égalité. Epris de justice sociale, ils ont choisi l’Etat républicain dont la vocation est de promouvoir un compromis et un équilibre entre la liberté et légalité. Il est vrai que Chateaubriand était un aristocrate » (08 mars 2019) »
Et encore :
“Chateaubriand avait tout compris. La devise de la France : liberté, égalité, fraternité est très belle, mais encore faudrait-il préciser que le mot EGALITE doit s’entendre au sens de : égalité des chances et non égalité = aucune tête ne doit dépasser (égalitarisme). C’est bien là le mal dont la France souffre depuis la Révolution qui n’est toujours pas digérée. Le 20ème siècle nous a montré, ici et là, ce que donnait l’égalité à tout prix. C’est pour cela qu’il ne faut pas tronquer la citation et donc ne pas oublier. Or l’égalité et le despotisme (nous dirions dictature aujourd’hui dictature… du prolétariat par exemple…) ont des liaisons secrètes (je dirais : entretiennent des relations perverses).” (12 octobre 2018)
Tout ça est très intéressant ! Mais, moi je voulais savoir comment Alexis de Tocqueville est arrivé aux conclusions mentionnées précédemment.
C’est ainsi que j’ai découvert que Tocqueville et son ami Gustave de Beaumont ont traversé l’Amérique depuis La Nouvelle-Orléans aux Chutes du Niagara, en passant par Washington, Philadelphie, Boston et Newport.
Mais, l’étape qui m’a intéressé le plus a été celle de Nashville !
Et pour cause !
Je suis allé à Nashville trois ou quatre fois pendant une quinzaine d’années.
* * *
Entre 1994 et 2007, j’ai été membre d’ISEE (International Society of Explosives Engineers).
Cette association, qui réunit l’ensemble des ingénieurs travaillant dans l’industrie des explosifs civils, est la plus importante organisation de ce type au monde. A la taille du marché américain des explosifs utilisés dans les mines, travaux publics, constructions etc.
Chaque année, ISEE organise au mois de janvier ou février sa « réunion annuelle », à laquelle il faut participer à tout prix !
C’est à cette occasion que l’on peut rencontrer tous ceux qui ont un mot à dire dans cette spécialité, venus des quatre coins du monde, découvrir les dernières avancées technologiques, échanger des avis avec des scientifiques qui ne sortent que très rarement de leur laboratoire, écouter les conférences des grands spécialistes dans ce domaine… en un mot, c’est la « grande messe » annuelle où tout le monde se connaît, où il faut « voir et être vu » pour exister dans cette profession!
Le problème des organisateurs de cette manifestation de prestige est que, ayant, malgré tout, des ressources limitées, ils sont obligés d’organiser la réunion dans un « moment creux » de l’année, quand les prix de location des salles sont au plus bas. D’où le choix des mois de janvier/février.
Cela détermine, indirectement, le choix de l’endroit : le « Sunny belt » (la ceinture ensoleillée), la région des Etats-Unis où le climat est plus clément à cette époque de l’année. Qui plus est, il faut choisir une ville et un hôtel qui puissent héberger entre 1200 et 1700 participants, avec des halls d’expositions énormes et en évitant, si possible, les voisinages un peu gênants des marchands de pompes funèbres ou d’accessoires pour mariages !
Comme conséquence immédiate, les mêmes villes et centres de conférences reviennent périodiquement : à Orlando, Las Vegas, Nouvelle-Orléans, Los Angeles… L’idée de retourner dans chacune de ces villes me réjouissait, d’avance !

Le T-shirt de la société TREAD, un fabricant américain de camions pour mélanges explosifs, spécialement conçu pour chaque réunion ISEE, me rappelle les dates et les localisations de chaque Conférence.
Ce sont des endroits où l’on peut, en dehors du temps de travail, parcourir des villes intéressantes, visiter des musées ou des sites historiques, éventuellement des parcs naturels ou d’attractions…
Le seul endroit que je craignais de voir « ressortir du chapeau » pour l’année suivante était… Nashville (Tennessee) !

Le T-shirt de la société TREAD, pour la Conférence de 2007…ma dernière!
Comment l’expliquer ? Simple !
Tout d’abord, notre réunion se tenait au « Gaylord Opryland’s Convention Center ».
« Gaylord Opryland Resort & Convention Center, anciennement connu sous le nom d’ Opryland Hotel, est un hôtel et un centre de congrès situé à Nashville, dans le Tennessee. Il appartient à Ryman Hospitality Properties (anciennement connu sous le nom de Gaylord Entertainment Company) et est exploité par Marriott International. Avec 2 888 chambres, c’est l’un des 30 plus grands hôtels au monde. »
C’est vrai que l’endroit est… spectaculaire !
« L’hôtel a été construit à l’origine pour soutenir le Grand Ole Opry , une institution de musique country de Nashville qui s’était installée dans la région trois ans auparavant. L’hôtel comptait alors 580 chambres et une salle de bal. Le Magnolia Lobby a été conçu pour ressembler à un grand manoir du Sud avec un escalier impressionnant et un lustre de style Tiffany.
En 1983-84, l’hôtel a été agrandi, ajoutant plus de 400 chambres et incorporant des installations pour répondre aux exigences du marché des réunions d’entreprise et des congrès. Un jardin d’hiver ressemblant à un jardin victorien a été ajouté. Cet atrium maintenait une température constante de 71 degrés (21,6°C) et abritait plus de 10 000 plantes.
En 1988, 2 acres et 797 chambres ont été ajoutées à l’hôtel. L’atrium Cascades a été construit, comprenant une cascade de 3,5 étages et plus de 8 000 plantes tropicales. Le hall Cascades s’est étendu avec 24 points de réception pouvant enregistrer 580 invités par heure si nécessaire.
Une extension de 4,5 acres achevée en 1996 a doublé la taille du complexe, ajoutant environ 1 000 chambres, 10 salles de réunion, une salle d’exposition de 289 000 pieds carrés et une salle de bal de 57 000 pieds carrés.
La marque de fabrique de cet ajout était le Delta Atrium sur le thème cajun, qui incorporait une rivière intérieure d’un quart de mile de long. Des bateaux plats ont été introduits pour transporter les invités le long de la rivière et devant une pièce d’eau qui comprenait des jets chorégraphiés en musique.
Lorsque l’expansion a été baptisée, des échantillons d’eau de plus de 1 700 rivières à travers le monde (y compris toutes les rivières enregistrées aux États-Unis) ont été versés dans le fleuve Delta. Le Old Hickory Steak House, construit pour ressembler à un manoir de style « antebellum », a également été ajouté. »
C’est vrai que, en arrivant pour la première fois dans un tel « monument », on ne peut qu’avoir le souffle coupé !
Rien que pour arriver à sa chambre, depuis la réception, et en traversant des jardins, des cafés, une serre, longeant une cascade… on met presque 15 minutes !
C’est simple ! Sur le plan que l’on vous donne à la réception, au moment de l’enregistrement, qui vous indique le chemin à suivre pour rejoindre votre chambre, on a listé… 5 étapes. Qui comprennent, des indications du genre :
« 3* Quand vous sortez de la pièce, vous apercevrez un lobby avec un sofa et des ascenseurs (C3) à votre gauche,
4*Prenez cet ascenseur (C3) et montez au niveau 2 etc. etc. »
Heureusement qu’au bout d’un petit moment vous vous familiarisez avec la géographie du lieu et vous n’avez plus besoin ni de boussole, ni de compas pour retrouver votre chemin entre votre chambre et la salle de conférences où se tient la seule réunion de la matinée qui vous intéresse vraiment.
A condition de partir une bonne demi-heure à l’avance !
Et en espérant ne pas rencontrer votre plus important client du Pérou, en pleine négociation avec votre pire concurrent, dont vous préféreriez ignorer… jusqu’à l’existence !
Ce n’est pas tout !
Après 8 heures passées en déambulant dans les couloirs, où il fait TOUJOURS 21,6°C, grâce à l’air conditionné, qu’il vente ou qu’il neige dehors, vous avez envie de prendre une bouffée d’air frais et authentique. Vous pouvez, toujours, tourner autour de l’hôtel, au milieu de parkings… à perte de vue.
Mais, pour aller en ville… il faut prendre un taxi ! Parce que, un tel monstre ne peut être construit que « là où la main de l’homme n’a jamais mis le pied » !
Une fois arrivée en ville, bien après le coucher du soleil, quand le dernier (presque) inconnu « vous a lâché la grappe », vous n’avez que le choix d’un « saloon » avec des centaines de chaises au long des tables en bois rustique, avec un spectacle de « country music » en consommant les fameux « spare ribs » à la sauce cajun !
J’avoue qu’à ma première visite à Nashville, étant un débutant dans le monde de la « country music », j’ai essayé de me familiariser avec les « tubes » de Tammy Winette ou Johnny Cash.
Mais, malheureusement, les mois de janvier/février n’étant pas la bonne saison pour les spectacles et les concerts, les solistes que j’ai pu applaudir sur les scènes de Nashville étaient, plutôt, des « seconds couteaux ».
En un mot, comme en cent, Nashville n’est pas Las Vegas, encore moins la Nouvelle-Orléans !
Et pourtant ! Malgré tous ces contretemps, j’ai réussi à dénicher à Nashville… une perle rare !
Je veux parler de « L’Hermitage », la maison du président Andrew Jackson.
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, janvier 2022
*Une remarquable suite de six articles, intitulés « Sur les traces de Tocqueville », a été publié dans le journal « Le Figaro » au mois de juillet 2020.
F. D. de 59310 Orches écrit:
Salut à toi, Adrian, chroniqueur de la promo (gros niqueur disent les Alsaciens !)
On en découvre effectivement tous les jours, en ce qui me concerne il s’agit de la reine Marie de Roumanie, femme remarquable, décédée vers 1937 je crois. C’était à l’occasion de l’émission récente “Secrets d’Histoire”.
Bien amicalement !
A.M.D. de Versailles dit :
Ah, comme c’est curieux!
Après Flaubert je pensais écrire à propos de Tocqueville ….j’ai bien du mal en ce moment à trouver du temps pour écrire, mais j’y arrive quand même
et je me proposais de suivre un ordre chronologique ; ce n’est pas le cas !
J’ai d’ailleurs acheté dernièrement son livre sur la Démocratie en Amérique (existe en livre de poche). Un de mes neveux, avant de devenir archéologue, s’intéressait à l’Economie et a hésité … entre ses 2 voies très différentes.
Alors merci pour ton article très clair.
Je connais une personne au Chesnay descendant de la famille par sa mère.
Ce monsieur appartient à la Société d’histoire du Chensay- Rocquencourt
Il serait heureux de m’instruire en la matière, mais j’hésite car il est très embrouillé et confus. Il pense plus vite qu’il ne parle…