La Bastide Vieille, le 20/01/2022
Rappelons, tout d’abord, qui était Andrew Jackson.
« Andrew Jackson, né le 15 mars 1767 près de Waxhaw (Caroline du Nord) et mort le 8 juin 1845 à Nashville (Tennessee), est un homme d’État américain, septième président des États-Unis de 1829 à 1837.
Gouverneur militaire de la Floride en 1821, après avoir été commandant des forces américaines durant la bataille de La Nouvelle-Orléans en 1815, il est à la base de l’ère démocratique « jacksonienne ». Il a été une figure importante qui domina la politique américaine dans les décennies de 1820 et de 1830.
Ses ambitions politiques combinées à une participation politique plus grande de la population amenèrent la création des partis politiques tels que nous les connaissons aujourd’hui.
Son héritage est vu de manière plus contrastée aujourd’hui, comme un protecteur de la démocratie populaire et de la liberté individuelle mais décrié par certains pour son soutien à la déportation des Amérindiens à l’ouest du Mississippi et à l’esclavage.
Renommé pour être impénétrable et dur, il était surnommé Old Hickory (faisant référence à la dureté du bois de noyer).
Basant sa carrière dans le Tennessee naissant, Jackson a été le premier président à être associé à la « frontière américaine ». Son portrait apparaît actuellement sur les billets de vingt dollars. »
Quant j’ai découvert que « l’Hermitage », la retraite et la dernière demeure d’un président des Etats-Unis du XIXe siècle, se trouve à quelques pas (à l’échelle américaine !) de mon hôtel, j’ai tenu à aller visiter l’endroit.
Dans les années ’90, l’organisation du congrès prévoyait une journée de « socialisation » : un tour organisé dans la ville, avec les participants désireux de connaître une capitale d’Etat.
Par la suite, devant le peu d’enthousiasme des « spécialistes des explosifs » pour ce genre d’activité, la « pause » a été supprimée ! «Efficiency first! »
Mais, j’ai eu la grande chance de profiter de ce moment de « respiro » des débuts, pour m’échapper de la foule et courir à « l’Hermitage » !
« L’Hermitage est un musée historique situé dans le comté de Davidson, dans le Tennessee, aux États-Unis, à 16 km à l’est du centre-ville de Nashville . Le site de plus de 1 000 acres appartenait à Andrew Jackson, le septième président des États-Unis, de 1804 jusqu’à sa mort à l’Hermitage en 1845. Il lui servait également de lieu de repos. Jackson n’a vécu sur la propriété qu’occasionnellement jusqu’à ce qu’il se retire de la vie publique en 1837.
C’est un monument historique national . »
C’est certain que, si l’on est intéressé par la vie dans le sud des Etats-Unis avant la guerre de Sécession, c’est un des rares endroits restés « dans leur jus » à visiter ! Parce que, bon nombre d’autres demeures de l’époque ont été ou dépouillées de leur mobilier, ou envahies par les constructions du voisinage, allant, quelques fois, jusqu’aux réservoirs de pétrole brut dans l’arrière plan.
Qui plus est,
« sous les colonnes blanches du porche, les visiteurs sont accueillis par des guides en costume d’époque. Les femmes en robe et coiffe de paille et les hommes en gilet et lavallière accompagnent les visiteurs à travers la grande demeure. Les pièces sont hautes de plafond, idéal, avant l’invention de l’air conditionné, pour atténuer la chaleur qui règne dans le sud des États-Unis. Avec ses boiseries sombres et ses lits à baldaquin, le décor est en soi déjà assez étouffant. «Le général Jackson a lui-même choisi le papier peint, qui représente des épisodes de la vie de Télémaque», dit la guide. »
Il faut préciser que, ainsi que l’on peut constater souvent aux Etats-Unis, les guides sont des bénévoles. Ils font partie d’une association des amis de l’endroit que l’on visite ou du « grand homme » que l’on vénère.
Ce n’est pas par hasard qu’Andrew Jackson était surnommé « le Président du peuple ». C’est probablement aussi pour cette raison que les habitants du Tennessee sont si fiers de « leur » président !
Qui plus est, la maison présente un mobilier plutôt simple, que l’on pourrait rencontrer en Europe dans des demeures moins prestigieuses que celle d’un « grand commis de l’Etat », mais, à 85%, authentique de l’époque du premier propriétaire !
Ceci est dû non seulement au fait qu’Andrew Jackson était, d’abord, un militaire très sobre, mais aussi parce qu’il avait perdu son épouse, Rachel, quelques jours avant son entrée à la Maison Blanche. Tous les deux sont enterrés dans un petit monument néo-classique, de style grec, comme l’essentiel de la décoration de la maison principale.
L’ensemble du domaine couvre près de 170 hectares. En parcourant ses recoins on peut découvrir les détails de la vie courante des propriétaires terriens de la première moitié du XIXe siècle, avec les jardins « à l’anglaise », des fermes et jardins potagers, couvrant les besoins alimentaires des habitants, les cabanes employées pour le séchage et le fumage des viandes et des jambons, la source d’eau fraiche, qui jouait aussi le rôle du « réfrigérateur » de l’époque.
Et même les habitations des esclaves noirs de la plantation. Malheureusement, il ne reste rien des champs de coton, qui faisaient la richesse du domaine en ce temps-là.
Une anecdote rapportée depuis un siècle et demi, raconte un moment particulier de la retraite du Général Jackson, titre qu’il préférait à celui de « Président ».
« En 1825 à Nashville (Tennessee), le général Jackson fit visiter sa modeste demeure au général Lafayette et à son fils durant le voyage triomphal de 1824 et 1825.
Jackson présenta à Lafayette deux pistolets que celui-ci avait offerts à George Washington en 1777. Lafayette en éprouva une véritable satisfaction en les retrouvant entre les mains d’un homme digne d’un pareil héritage.
À ces mots, le visage de Jackson se couvrit d’une modeste rougeur, et son œil étincela comme au jour d’une victoire. « Oui, je m’en crois digne », s’écria-t-il, en pressant à la fois sur sa poitrine ses pistolets et les mains de Lafayette ; « si ce n’est par ce que j’ai fait, c’est du moins par ce que je désire faire pour ma patrie… ».
Une autre anecdote affirme que :
« À la fin de son second mandat, en 1837, Jackson retourne dans sa maison au Tennessee. Après avoir servi dans l’armée, être devenu un héros et après avoir été président pendant huit ans il déclare qu’il rentre chez lui avec « à peine 80 dollars dans sa poche ».
* * *
Et pourtant, Andrew Jackson ne trouve pas grâce aux yeux d’Alexis de Tocqueville !
En pratique, Tocqueville et Beaumont n’ont rencontré Andrew Jackson qu’au début de son premier mandat, à Washington.
Si l’on croit l’affirmation de l’historien Henry William Brands de l’Université du Texas, à Austin, et biographe du général Jackson:
«Son élection marque le début de la véritable démocratie aux Etats-Unis. Pour la première fois, le vote populaire a désigné un président qui n’était pas issu des élites de Virginie ou du Massachusetts, comme tous ses prédécesseurs. Le système de 1787 était une république, après 1828, il commence à devenir une démocratie.»
La principale raison est que Andrew Jackson était tout le contraire des élites de la côte Est des Etats-Unis, la (presque) aristocratie qui avait fondé le pays.
Son arrivée à la fonction suprême a été une confrontation permanente avec cette élite. Et c’est ainsi, par la bouche de John Quincy Adams, le président malheureux que Jackson a détrôné, que Tocqueville et Beaumont sont avertis qu’il faut « se méfier de ce rustre » !
D’où le commentaire acerbe d’Alexis de Tocqueville :
«Le général Jackson, que les Américains ont choisi deux fois pour le placer à leur tête, est un homme d’un caractère violent et d’une capacité moyenne, rien dans tout le cours de sa carrière n’avait jamais prouvé qu’il eût les qualités requises pour gouverner un peuple libre: aussi la majorité des classes éclairées de l’Union lui a toujours été contraire. Qui donc l’a placé sur le siège du président et l’y maintient encore? Le souvenir d’une victoire remportée par lui, il y a vingt ans, sous les murs de La Nouvelle-Orléans.»
La courte audience que le président accorde aux deux politiciens français, à la Maison Blanche, n’arrange pas les choses. D’où le portrait au vitriol qui dépeint : «un vieil homme de soixante-six ans, bien conservé, qui semble être resté vigoureux de corps et d’esprit. Ce n’est pas un génie. Il a longtemps été un duelliste et un impulsif».
Evidement, par rapport aux fastes de la cour de France, à la même époque, le « général-président », tout comme sa résidence, la Maison Blanche, que Tocqueville considère « une belle demeure, mais pas un palais », font un peu « sous-préfecture » !
Mais, l’obsession de Tocqueville reste, toujours, la tyrannie de la majorité pour les sociétés démocratiques.
«Le général Jackson est l’esclave de la majorité: il la suit dans ses volontés, dans ses désirs, dans ses instincts à moitié découverts, ou plutôt il la devine et court se placer à sa tête».
Etrange obsession, pour quelqu’un qui appelle de ses vœux un monde plus démocratique, mais aussi terrible prémonition des excès de la démocratie, qui allaient voir le jour un siècle plus tard !
* * *
Comment pouvais-je imaginer, à l’époque où je voyageais à Nashville, que les « faits et gestes » d’un président américain décédé il y a près de deux siècles, allaient donner naissance à des polémiques, voire des violences de rue, tant d’années après?
C’est devenu un « lieu commun » de nos jours de chercher dans les tréfonds de l’histoire la justification des actes d’aujourd’hui.
Et Andrew Jackson n’y a pas échappé !
Son passé de propriétaire d’esclaves et, surtout, la brutalité de son comportement envers les indiens, l’ont transformé en « cible désignée » pour une certaine gauche américaine.
A l’occasion de leur passage à Memphis, les deux philosophes politiques français ont assisté, eux-mêmes, à l’horrible épisode de la traversée du fleuve Mississippi, en plein hiver, par les Indiens expulsés sur l’ordre du général Jackson.
Tocqueville en parle dans son livre :
«Les Indiens menaient avec eux leurs familles, ils traînaient à leur suite des blessés, des malades, des enfants qui venaient de naître et des vieillards qui allaient mourir. (…) Je les vis s’embarquer pour traverser le grand fleuve et ce spectacle solennel ne sortira jamais de ma mémoire. (…) Leurs chiens (…) poussèrent ensemble d’affreux hurlements, et s’élançant dans les eaux glacées du Mississippi, ils suivirent leurs maîtres à la nage.»
Malheureusement, de tels moments horribles ont parsemé l’histoire du monde sur tous les continents et à toutes les époques. Et ceci n’est pas une excuse, ni une justification.
Mais, leur choix, souvent sélectifs, empêche de se faire une opinion sur un personnage ou une époque dans son ensemble. C’est, aussi, l’avis de Henry William Brands, qui dit : «En cherchant dans l’histoire des munitions pour les combats politiques d’aujourd’hui, on s’interdit de comprendre quoi que ce soit».
Mais, les « instrumentalisations » du passé ne sont pas l’apanage d’une seule idéologie !
A la recherche d’une justification de sa lutte contre « l’Establishment » politique de Washington, Donald Trump a choisi Andrew Jackson comme figure emblématique de son combat. Et il a affiché le portrait du « général-président » dans le Bureau ovale de la Maison Blanche.
Que Joe Biden s’est empressé d’enlever, pour le remplacer par celui de Roosevelt, dès son arrivée !
La règle du « spoil system** », n’est pas une invention américaine, même si elle a été officialisée sous la présidence de Andrew Jackson. Elle existait déjà à l’époque de la reine Hatchepsout, dans l’antiquité égyptienne, et de manière bien plus brutale !
Mais, on pourrait souhaiter qu’elle se limite, de nos jours, au remplacement des fonctionnaires et des portraits officiels dans les lieux publics.
Pas du tout !
Nous apprenons, dans le journal télévisé de TV 5 Monde du 23 juin 2020, que :
« États-Unis : la statue d’Andrew Jackson vandalisée devant la Maison Blanche
Des manifestants à Washington ont tenté lundi 22 juin de mettre à terre une statue, située devant la Maison Blanche. Il s’agit d’une représentation de l’ancien président américain Andrew Jackson, un personnage controversé, notamment pour son passé esclavagiste. »
Et, dans la foulée, bon nombre d’autres figures historiques du passé des Etats-Unis, comme le général Grant ou Georges Washington, sont sur la sellette !
Pour ce qui est du souvenir d’Andrew Jackson, la tâche de ses adversaires s’avère ardue. A ce jour :
- Une statue en bronze de Jackson a été inaugurée à Washington, D.C.en 1853.
- Jackson Park, l’un des parcs les plus prestigieux de la ville de Chicagofut nommé en son honneur.
- Jackson, dans le Mississippi, fut ainsi baptisée en son honneur et sa statue trône sur l’hôtel de ville.
- Jacksonvilleen Floride lui doit son nom, la ville ayant été rebaptisée lors de la cession de la Floride aux États-Unis par l’Espagne.
- Deux navires ont porté son nom :
- Le USRC Jackson(en), un cotre du United States Revenue Cutter Service en service de 1832 à 1865.
- Le USS Andrew Jackson(en), un sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Lafayette en service de 1963 à 1989.
Mais, comme nous disions dans la Roumanie des années ’60, quand l’histoire du pays était réécrite en fonction des intérêts politiques du jour :
« L’avenir est certain (la victoire du « futur radieux de l’humanité » !) ; le passé est imprévisible ! »
Adrian Irvin ROZEI
La Bastide Vieille, janvier 2022
* * « Le système des dépouilles (spoils system) est un principe selon lequel un nouveau gouvernement, devant pouvoir compter sur la loyauté partisane des fonctionnaires, substitue des fidèles à ceux qui sont en place.
Il est mis en place aux États-Unis sous la présidence d’Andrew Jackson (1829–1837) qui, après son élection, remplace la quasi-totalité des membres de l’administration fédérale.
Il considère en effet que le peuple donne mandat au gagnant pour choisir les fonctionnaires dans ses rangs. De plus, il croit que le service public ne doit pas être réservé à une élite mais accessible à tous. »
Top Adrian très bon narratif je l envoie à Thomas qui étudie à NY il faut qu il apprenne de toi à se faufiler pour aller satisfaire sa curiosité
Amitiés et remerciements JM
C.P. de Bucarest dit:
Foarte instructiv.
Si seulement quelq’un voulait apprendre quelque chose de l’histoire…
Dar (nu mai știu cine a zis) “singurul lucru pe care îl învățăm din istorue este că… nu învățăm nimic din istorie”.
Așa că … reste de mise formula din România anilor ‘60 (și a celor de mai târziu) pe care o evoci în final, ce bine că mi-ai amintit-o, nu de alta, dar parcă devine din ce în ce mai actuală, la scară din ce în ce mai largă (globală, nu-i firesc să fie așa în era globalizării?!?)