De Dortous à Cantemir… (I)

…ou « Golpe a golpe, verso a verso! »

La Bastide Vieille, mars 2023

Texte publié dans la revue « 3R – Rădăcini/Racines/Radici » numéros 61 – 66, janvier – juin 2023, édité par l’Association « Memorie și speranță » à Bucarest (Roumanie).

Ce texte est un hommage et un souvenir attachés à la mémoire de Jean-Denis Bergasse.

Jean-Denis Bergasse, né à Béziers le 18 septembre 1946 et mort le 2 juillet 2011 à Cessenon-sur-Orb, est un écrivain et historiographe français.

Jean-Denis Bergasse a commencé son activité professionnelle dans le notariat avant de se consacrer aux recherches historiques et généalogiques. Il a présidé la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers et publié de nombreux travaux sur l’histoire régionale. 

Tout un chacun peut trouver sur Internet la liste de ses ouvrages.

Pour ma part, j’ai découvert, à travers son livre « L’Eldorado du vin, les châteaux de Béziers en Languedoc » (1994), la grande richesse architecturale de notre région. Il considérait lui-même que cet ouvrage sera le plus important de tout ce qu’il avait écrit et qu’il restera, même après sa disparition, « son livre de référence ». 

Par la suite, je l’ai rencontré, maintes et maintes fois, dans les « châteaux du vin », à l’occasion de séances de la « Société archéologique… », à   Cessenon ou chez des connaissances communes. 

C’est Jean-Denis qui m’a proposé de devenir membre de cette illustre « société savante », ce que j’ai accepté avec joie en 2008.

C’est, d’ailleurs, dans les pages d’un numéro spécial de la revue de la Société, intitulé « Hommage à ses fondateurs Jacques (1778 – 1856) et Gabriel Azais (1805 – 1888) », que j’ai publié mon premier texte en français. 

J’ai eu, grâce à mes voyages répétés au Pérou, le grand plaisir de lui apporter une information et des photos du souvenir de l’un de ses ancêtres, l’amiral Bergasse du Petit-Thouars : 

« Abel-Nicolas-Georges-Henri Bergasse du Petit-Thouars, ou Dupetit-Thouars, né le 23 mars 1832 à Bordeaux-en-Gâtinais (Loiret) et mort le 14 mai 1890 à Toulon, est un officier de marine français. Sauveur de Lima pendant la guerre du Pacifique (1879-1884), il est considéré comme un héros au Pérou.

Il se trouve lors de son voyage de retour à Lima, au Pérou, au moment où les troupes chiliennes vont s’emparer de la ville pendant la guerre du Pacifique. Par son attitude ferme et décidée, il empêche les excès et sauve cette capitale d’une destruction sanglante.

L’Avenida (du) Petit Thouars, avenue importante de Lima, porte son nom. Parallèle à l’avenue Arequipa, elle traverse les districts de San IsidroMiraflores, Lince et Cercado de Lima. »

Qui plus est, l’uniforme de l’amiral Dupetit-Thouars se trouve dans un musée de la ville de Lima.

C’est grâce à une invitation de Jean-Denis Bergasse, en participant à un colloque tenu à Paris, que j’ai découvert l’existence de Jean-Jacques Dortous de Mairan. Et pourtant, la ville de Maureilhan, qui le considère comme le plus réputés de ses fils, ne se trouve qu’à moins de 3 kilomètres de notre résidence dans le Languedoc ! 

Malheureusement, Jean-Denis nous a quittés par surprise, le 2 juillet 2011, sans avoir l’occasion de lire le texte dans lequel je parlais de « son cher Dortous », texte qui, à ce moment, n’existait qu’en roumain.

A l’occasion de notre dernière rencontre, au siège de la Société Archéologique, le 16 juin 2011, nous avons parlé d’une autre présence roumaine dans la ville, celle du grand acteur de la Comédie Française, Edouard de Max, aux Arènes de Béziers.

Sur le bureau de Jean-Denis j’ai remarqué le texte de la pièce « Héliogabale », rôle-titre que De Max avait interprété à cet endroit le 21/08/1910.

 *    *    *

La reprise du texte présentant le lien entre « Dortous et Antioche », dans sa version française, aurait, certainement, enchanté Jean-Denis Bergasse.

Pour preuve, voici quelques lignes de la présentation qu’il avait écrite pour la brochure « Hommage à ses fondateurs… » :

« Il est heureux qu’à cet hommage ravivant des Azaïs, participent nos confrères anglais et un confrère d’origine roumaine évoquant le poète roumain Alecsandri, reçu par G. Azaïs en notre Compagnie, et les liens de la Roumanie avec le Félibrige. Leur présence atteste le rayonnement retrouvé de l’œuvre des Azaïs. »

Jean-Denis, merci encore une fois !

 

Adrian Irvin ROZEI

La Bastide Vieille, mars 2023   

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Maureilhan est un petit village du département de l’Hérault, au cœur de la région Languedoc du sud-est de la France. Un village de moins de 2 000 habitants, situé à mi-chemin entre Béziers et Narbonne, que la plupart des touristes traversent à la vitesse de leur voiture, le long de la départementale 612, qui à cet endroit représente une ligne droite sur la carte du territoire. 

Mais, comme toujours dans cette région, quiconque a la curiosité de s’arrêter et d’enquêter, peut découvrir au cœur du village quelques ruelles étroites, appelées “androunes” en langue occitane. 

Elles mènent, dans notre cas, soit à une église, Sainte Baudile, ornée de quelques cariatides à la forme originale, soit au château construit au XVIe siècle, qui domine le village de ses quatre tours imposantes.

Maureilhan, petite ville du Languedoc, entre Méditerranée et Cévennes 

Mais le touriste en quête de spécificités locales peut découvrir qu’en ce tout petit point situé sur la carte de France, plusieurs personnalités d’envergure européenne sont nées.

Celui qui eut la plus large résonance internationale au cours de sa longue carrière scientifique et littéraire fut le célèbre mathématicien, astronome et géophysicien français Jean-Jacques Dortous de Mairan (1678-1771). 

Sa biographie officielle mentionne sa naissance le 26 novembre 1678 à Béziers, mais, comme le précise Raymond Ros dans l’ouvrage “Pages d’Histoire Biterroise”, il aurait plutôt vu le jour dans la propriété dite “La Trésorière” sur la commune de Maureilhan. 

Dortous de Mairan, descendant d’une famille de petite noblesse, se retrouve orphelin de père à seulement quatre ans. Mais sa mère remarque très vite le talent du jeune Jean-Jacques pour le côté scientifique et littéraire. 

À l’âge de 16 ans, Dortous de Mairan entre au lycée de Toulouse et il semblerait qu’à la fin de ses études, il traduisait couramment les œuvres classiques en grec.

A l’âge de vingt ans, il part pour Paris où, pendant quatre ans, il se consacre à l’étude des mathématiques et de la physique. De retour à Béziers, Jean-Jacques envoie, entre 1715 et 1717, divers mémoires à l’académie de Bordeaux, récompensés à trois reprises. 

C’est la première étape d’une brillante carrière scientifique. 

En 1718, il est accepté comme membre associé de l’Académie des sciences de Paris où, après six mois, il devient membre actif, et après 12 ans, “secrétaire perpétuel”, c’est-à-dire président du plus prestigieux rassemblement de savants français. 

Il créa également en 1723, dans sa ville natale, l’académie de Béziers, appelée à développer l’intérêt pour les sciences dans cette région.

Ensuite, Jean-Jacques Dortous de Mairan devient membre des Sociétés royales de Londres, d’Edimbourg et d’Uppsala, de l’Académie de Saint-Pétersbourg, de l’Institut de Bologne, de l’Académie de Rouen, etc.

Dortous de Mairan est rappelé aux contemporains par un récent colloque 

Dortous de Mairan a mené, parallèlement à son activité scientifique, dans le domaine de la géométrie, de la physique, de l’astronomie, une correspondance soutenue sur des sujets philosophiques avec d’innombrables personnes cultivées de toute l’Europe. Parmi eux, il y avait des figures illustres telles que : Euler, Fontenelle, Montesquieu, Rousseau, Voltaire, etc. 

A ce jour, plus de 480 lettres ont été retrouvées, envoyées ou reçues par Dortous de Mairan à destination ou en provenance de plus de cinquante savants de tous les coins de l’Europe. Dont quelques dizaines qui se trouvent dans la bibliothèque de l’Université de Lviv, en Ukraine ! 

A propos des qualités de l’érudit et du scientifique, une autre célébrité littéraire, Abel-François Villemain (1790-1870), disait :

« Son esprit, non moins vaste que pénétrant, était porté vers tous les domaines. Enfin, Mairan est partout un observateur délicat, un philosophe inventif, un écrivain précis, élégant et de bon goût. Voltaire qui, dans l’ardeur de ses études mathématiques, avait souvent consulté ce maître habile, l’a toujours tenu en haute estime, n’osant le préférer à Fontenelle, dont Mairan n’a pas les défauts, mais qui a le côté piquant et la grâce.” 

Parallèlement, Dortous de Mairan participe assidument aux réunions des salons littéraires de Paris au XVIIIe siècle. 

Ces lieux de rencontre, où se retrouvaient gens de culture, scientifiques, hautes personnalités ecclésiastiques ou hommes politiques, sont un phénomène caractéristique de la vie sociale française entre le XVIe et le XIXe siècle. 

Fondés par des femmes de haute culture qui, sous une apparence un peu frivole sont surtout des intellectuelles modernes, s’efforçant de dépasser les conventions sociales en général, ces “salons littéraires” ont joué un rôle majeur dans l’avancement des idées progressistes, parfois même révolutionnaires. La plupart du temps, ces animatrices culturelles étaient même des écrivains ; en tout cas, elles entretiennent une vaste correspondance avec tout ce que l’Europe d’alors compte d’esprit ouvert ou enclin à l’inventivité artistique et littéraire. 

Parmi les salons les plus réputés du XVIIIe siècle, sans doute l’apogée de cette mode, une sorte de revanche intellectuelle de la gent féminine sur l’Académie où elles ne furent admises que deux siècles plus tard, fut celui dirigé par Marie-Thérèse Geoffrin. 

Mme Geoffrin, née Rodet, à Paris en 1699 et morte dans la même ville en 1777, était une femme extrêmement capable et intelligente, mais d’origine modeste. Fille d’un « valet de chambre » du Dauphin à Versailles, Marie-Thérèse n’a pas bénéficié d’une éducation exceptionnelle dans son enfance.  

Mais, sa grand-mère -Marie-Thérèse ayant perdu ses parents très jeune-, Mme Chemineau, qui l’a élevée, lui a appris l’art de la conversation.

Heureusement, à seulement 14 ans, Marie-Thérèse épouse le lieutenant-colonel Pierre Geoffrin de la milice parisienne, qui était l’un des principaux actionnaires de la “Manufacture Royale de Glaces et Miroirs”.

Mme Geoffrin est représentée par une statue sur la façade de l’hôtel de ville de Paris

Cette position assure à la jeune Mme Geoffrin une excellente situation matérielle et lui donne l’idée d’ouvrir un salon littéraire. Mais d’abord, Marie-Thérèse se forme en fréquentant le salon tenu par Mme Trencin, où elle est introduite par le secrétaire général de l’Académie, Fontenelle, qui précède Jean-Jacques Dortous de Mairan. 

De plus, Mme Geoffrin devait reprendre les invitations de Mme de Trencin, après sa mort, en 1749. 

Profitant du décès de son mari, qui n’approuvait pas ces dépenses inutiles, mais qui lui a légué une fortune considérable, Mme Geoffrin, à plus de 40 ans, ouvre un salon littéraire deux fois par semaine. 

Ce rendez-vous mondain devait fonctionner jusqu’en 1777, année de la mort de son hôte.

Politiques en tous genres, artistes ou personnalités ecclésiastiques s’y retrouvent, autour d’une table richement garnie et élégamment servie, comme dans la plupart des salons de l’époque.  

Mais l’originalité de celui créé et dirigé d’une main de fer par Mme Geoffrin tenait à deux aspects.

D’abord, le fait que le salon était ouvert aux artistes, nobles, hommes d’affaires, mais aussi étrangers en mission ou de passage à Paris.

Ensuite, l’organisation de soirées qui prévoyaient la rencontre d’artistes, peintres, sculpteurs et architectes chaque mois ; des scientifiques, des universitaires et des philosophes, ainsi que des dirigeants d’églises, étaient invités le mercredi.

Parmi les invités du mercredi l’on compte Diderot, d’Alambert, Dortous de Mairan, Malesherbes, Marmontel, Maupertuis, Voltaire, Montesquieu, Raynal, Caylus, etc. 

Tous ces convives étaient reçus au repas du soir, qui était très copieux, mais les personnes appartenant à la haute aristocratie ou les nobles étrangers pouvaient rester pour le souper, qui était d’une grande simplicité.  

Avec une grande habileté, Mme Geoffrin réunissait des personnalités aux points de vue proches, appartenant au même monde et évitant ainsi le risque des conflits d’opinion. En même temps, Mme Geoffrin a su jouer le rôle délibérément discret de la personne de culture, qui n’affiche pas une richesse de parvenue ostentatoire, au milieu d’une aristocratie de sang ou d’esprit !

Ses appartements étaient modestement décorés, avec des meubles ou des tentures de goût classique, qui mettaient cependant en valeur les tableaux exposés : aussi bien des toiles d’artistes classiques, ainsi que des œuvres d’artistes contemporains qu’elle commandait régulièrement, au gré des talents qu’elle découvrait grâce à son goût sûr. Elle manifestait également ses préférences en exposant de nombreux objets en porcelaine de Meissen ou de Sèvres, devenus très à la mode à l’époque. 

Son rôle de ferment intellectuel, qu’elle a joué pendant un quart de siècle, a conduit, entre autres, au développement d’idées qui ont donné naissance au phénomène appelé plus tard “le siècle des lumières”. Elle a même partiellement subventionné l’édition de “l’Encyclopédie” de Diderot et d’Alembert.

Sur le plan international, outre le lien particulier développé avec le pouvoir impérial de Marie-Thérèse, il convient de mentionner les échanges de lettres avec le roi de Suède Gustave III et, surtout, avec la tsarine Catherine II de Russie et avec le futur Roi Stanislas II de Pologne.

A suivre…

 

Adrian Irvin ROZEI

La Bastide Vieille, mars 2023

One thought on “De Dortous à Cantemir… (I)

  1. F.M. de la SASL (Béziers) écrit :
    Bonjour et merci pour votre intéressant article !

    Linda B. de Montmartre écrit :
    Bonjour Adrian, je viens de lire une partie de ton merveilleux texte
    et arrivée à le fin, moi qui suis espagnole depuis le septième siècle,
    je trouve mes 3 vers préférés d’Antonio Machado ! ! ! !
    Si je puis me permettre, les voici et voici la traduction exacte du texte :
    Caminante no hay camino,
    Se hace camino al andar !

    Toi qui marches, il n’y a pas de chemin,
    le chemin se fait quand tu marches.
    Coup après coup, pas après pas………………
    Bisous
    A.I.R répond :
    Merci pour le commentaire !
    Pour la traduction, je te rappelle l’adage italien : “Traduttore, traditore!”
    Et, pour mes souvenirs avec l’auteur du “Caminante…”, il faut voir :
    Caminante, no hay camino…(I) | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
    Caminante, no hay camino…(II) | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
    Caminante, no hay camino…(III) | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
    Caminante, no hay camino…(IV) | ADRIAN ROZEI (adrian-rozei.net)
    C’est un peu long, mais… l’histoire dure depuis 50 ans !
    Et… elle continue encore !
    A++++
    Toujours Linda :
    Bonjour Adrian, je viens de passer un grand moment à regarder et écouter tout ce que tu m’as envoyé. Les 4 Juan Manuel Serrat et tout et tout.
    Je t’en remercie du fond du cœur ! Quelle merveilleuse matinée !
    Et je garde tout pour tout lire et relire ……………….;;;
    Bisous
    Linda
    G. B. de la SASL (Béziers) écrit :
    Merci bien Adrian
    Et félicitations pour vos articles
    Cordialement
    GB
    B.B.K. de Budapest (Hongrie) dit :
    Multumesc frumos !

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