Cornici in asta* (II)

Feuilles de journal

La Bastide Vieille, 14/11/2020

 

En vérité, si je suis si dubitatif en ce qui concerne la vraie valeur des cadres proposés à la vente dans la séance du 17 juin, à Florence, c’est aussi parce que… j’ai été fort mal habitué par le passé. 

Dans les années ’80 –’90, ma belle-mère, Colette, avait trouvé un tuyau fantastique.

Elle était née à Bédarieux, petite ville dans l’arrière pays du Languedoc,  département de l’Hérault. En y allant souvent, elle avait découvert une « Salle de ventes aux enchères » fort intéressante. 

Une dame « commissaire-priseur » très dynamique, s’était installée dans cette ville, « hors des chemins battus » par les antiquaires européens, et proposait à la vente toutes sortes d’objets, souvent en provenance des propriétés et châteaux de la région.

Comme ces propriétaires ne souhaitaient pas que l’on sache qu’ils « vendaient les bijoux de famille », ils préféraient que ces opérations se fassent dans un endroit discret, où il y avait moins de risque de tomber sur des amis qui pouvaient subodorer la provenance des objets proposés à la vente. 

On pouvait rencontrer, dans cette « Salle de vente », tout aussi bien des objets ou bijoux de grande valeur, que des meubles passés de mode, des pièces rustiques ou régionales, des bibelots du XIXe siècle et des sculptures en bronze ou en régule, comme l’on trouve encore aujourd’hui (de moins en moins !), dans les maisons des vieilles familles languedociennes. 

Mais, le grand avantage était que, comme affirmait Colette,  tout se vendait « à donation » ! 

Ma belle-mère était un as de la négociation dans le domaine des antiquités ! 

Elle avait vécu toute sa vie dans ce cadre « historique », elle avait étudié les styles et les époques, elle connaissait les goûts et les « faiblesses », dans cette activité, de ses contemporains. Et, qui plus est, elle savait jouer de ses allures de « grande dame », qui imposent souvent aux « antiquaires », autoproclamés « spécialistes » dans ce monde à part.  

Je reconnais que j’ai appris beaucoup de choses, dans ce domaine, en la côtoyant ! 

D’ailleurs, sans rien dire, elle avait remarqué mon intérêt pour ce sujet. 

Souvent, après le déjeuner du samedi ou du dimanche, elle me lançait :

« Mon gendre, voulez-vous faire un tour chez les antiquaires ? »

Moi, avant même que la phrase soit finie, j’étais déjà installé dans la voiture avec la ceinture attachée !

Et nous partions, à Bédarieux, à Pézenas ou à Lézignan-la-Cèbe… que sais-je?, là où elle avait déniché une boutique avec des objets intéressants. 

Un jour, nous sommes allés à Bédarieux. Là-bas, elle connaissait, perdue dans les hauteurs de la ville, une boutique avec plein de « vieilleries ». Plutôt, un hangar !

En fouinant, du regard, puisqu’elle enlevait très rarement ses gants noirs en peau très fine, elle a repéré une gravure.  Celle-ci, sous un verre cassé, représentait le « Congrès de Vienne » en 1814, par Jean Baptiste Isabey.

Une gravure d’une grande banalité ! 

Congress of Vienna in 1814 by engraving Jean Godefroy on drawing Jean-Baptiste Isabey. Publication of the book “A Century in the text and pictures”, Berlin, Germany, 1899

Après une courte négociation, elle l’a emporté pour 100 FF.

C’est plutôt moi qui l’ai emporté et, une fois dans la rue, elle m’a demandé de jeter le cadre et le verre (cassé !) et de déposer la gravure dans le coffre de la voiture. Puis, elle m’a dit : « Maintenant, nous allons à Pézenas ! » 

Je me demandais à quoi pouvait servir cette gravure ! Mais, bien dressé, je n’ai rien dit.

Une fois à Pézenas, elle est allée directement vers une boutique d’antiquaire.

Mais, d’abord, elle m’a dit, d’un ton autoritaire : « Adrian, vous vous taisez ! »

Puis, elle s’est adressée à l’antiquaire, en lui demandant : « J’ai trouvé une gravure dans le grenier de ma maison. Êtes-vous intéressé ? »

Et l’antiquaire : « Je veux la voir ! »

« Adrian, allez la chercher dans la voiture ! »

« Combien voulez-vous ? », dit l’antiquaire.

Et Colette : « Oh ! Je pense qu’elle vaut dans les 500 FF ! » 

En un mot, comme en cent, elle est partie avec 400FF !

Donc, un bénéfice de 300FF, en une demi-heure !  Pas si mal que ça ! 

Par la suite, je l’ai vu arriver à Paris avec de petits objets, glanés dans l’Hérault, que nous sommes allés vendre au « Marché aux Puces » à la Porte de Clignancourt. Et, plus d’une fois, elle nous a offert, à nous ou à mon père, des objets ou des tableaux qui venaient de la Salle des ventes de Bédarieux. 

Malheureusement, « l’aubaine de Bédarieux » a « transpiré » et les antiquaires ont commencé à déambuler… même depuis Genève ou Lyon !

Les objets de qualité se sont raréfiés, les prix ont monté et on a commencé à voir arriver « des croûtes », peintes en série par les artistes Russes, débarqués en Occident.

Mais, je dois reconnaître que les cadres sont restés, souvent, d’un bon niveau. 

Et les prix de ces tableaux… toujours « à donation » ! 

C’est ainsi que, après le décès de Colette, nous nous sommes retrouvés avec quelques unes de ces « croûtes », dont personne dans la famille ne voulait ! 

Maintenant, que le sujet « cadres » m’intéresse, grâce  à l’article de l’ « ANTIQUARIATO », j’ai regardé avec un peu plus d’attention… les cadres de certains de nos tableaux. 

Et qu’est-ce que je découvre ?

Un ces des tableaux, un bouquet de fleurs dans le goût flamand, est signé « P. Ambrosio ». En cherchant sur Internet, je tombe sur une vente de décembre 2017.

Toujours un bouquet de fleurs, du même genre !

 

Avec la mention :

P. Ambrosio Original Vintage Oil Painting on Canvas 

December 11th 2017 @ 8:17pm EST

Winning Bid  $170    23 Bids

Item Details

An original vintage oil painting on canvas by an artist named P. Ambrosio. The painting depicts a stunning Dutch-style floral landscape. Large blossoms in shades of red, pink, blue, white, and more rise dramatically from a terra cotta pot at the base of the piece. Glistening water droplets drip down the petals and leaves. The painting is signed in red to the lower right. It is presented in a large wooden frame with cast surface embellishments, black and gold tone finishes, and a hanging wire. The piece has been stained to its verso to make it appear antique.

Dimensions

34.5″ W x 46.0″ H x 3.5″ D

– measures frame. Visible image area measures 23.5″ W x 35.5″ H.

Item # 17CIN634-146

 

Et le « Certificat de garantie » qui accompagne la vente !

D’accord ! 170USD ce n’est pas grand-chose !

Mais, je doute, en la connaissant,  que Colette ait payé ce prix !

Plutôt… le quart ! Pour le tableau… et son cadre ! 

Ce qui nous ramène aux prix des cadres d’aujourd’hui… à Rome !

Et je défie, qui que ce soit, de trouver un cadre de cette qualité, à un tel prix, en France ! 

Au mois de janvier 2020, j’ai payé pour des cadres en bois dorés et l’installation de mes deux « ángeles arcabuceros», venus d’Argentine, 120 Euros en tout et pour tout !

Voir: Otro modelo, otro color! (IV) 

Alors que, pour un rectangle de contreplaqué et un polystyrène transparent,  de 120cm X 100cm, j’ai dû payer, à Clermont l’Hérault, il y a un mois,… 78 Euro !

Que faire ? Je ne peux pas courir pour chaque tableau que je dois encadrer… à Rome.

Surtout en période de pandémie !

 

Adrian Irvin ROZEI

La Bastide Vieille, novembre 2020

 

*Cadres aux enchères

One thought on “Cornici in asta* (II)

  1. Quelle belle description de ma chère frangine.
    Une analyse profonde de son sens des affaires . Je reste stupéfait qu’elle ait associé son gendre à ses secrets intimes. Une marque de confiance.

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