Boulogne, 8/06/2020
Caminante, no hay camino
Se hace camino al andar…
Caminante no hay camino
Sino estelas en la mar…*
En 1969, j’étais élève à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne.
A cette époque, nous avions la grande chance d’avoir un restaurant pour les élèves de l’Ecole dans l’immeuble même de notre résidence.
Après 1968, une ouverture vers le monde universitaire stéphanois a donné l’occasion aux étudiants des autres établissements d’enseignement supérieur de profiter de nos « puissantes installations »**.
En vérité, le but, non avoué, de cette ouverture visait plutôt le rééquilibrage du budget de la cantine !
Mais nous, les élèves-mineurs, nous avons beaucoup apprécié ce changement. C’est vrai que nous étions obligés de déjeuner « en deux services », ce qui générait une certaine attente, mais cela nous donnait l’occasion de rencontrer des jeunes de notre âge et, surtout, des jeunes filles. Parce que, à cette époque, les cours de notre école étaient réservés exclusivement aux jeunes gens !
Et, justement, cette attente supplémentaire nous permettait aussi de prendre chaque jour le café avec ces jeunes personnes.
Parmi les jeunes filles qui fréquentaient régulièrement notre restaurant universitaire, il y avait deux sœurs, Claire et Geneviève M., qui bénéficiaient de toute notre attention.
Non seulement qu’elles étaient fort sympathiques, mais, ce qui ne gâchait rien à l’affaire, elles étaient « les filles Angénieux » !
Si cela ne vous dit rien, voici ce qu’écrit Wikipedia à ce sujet :
« Thales Angénieux (ex Angénieux) est un fabricant français d’objectifs photographiques et cinématographiques.
Fondée en 1935 par Pierre Angénieux, la société est établie à Saint-Héand (Loire), village natal de son fondateur situé près de Saint-Étienne. Sa spécialité d’origine est la conception et la fabrication d’optiques de précision pour le cinéma et la photographie. Évincée du marché amateur dans les années 1960, elle a recentré son activité sur deux productions qui ont fait sa réputation : l’optique spatiale et les zooms. »
La saga de cet établissement est un excellent exemple du génie français et de son triste sort à l’époque de la « mondialisation », où les sociétés familiales ont peu de chance de survivre.
Mais, à la fin des années ’60, la société « Angénieux » comptait encore dans ses rangs plus de 600 employés, qui étaient très fiers des 6 de leurs objectifs arrivés sur la Lune ! Ceci, dans le cadre de fameux programmes spatiaux, comme
« en 1964, l’équipement de la sonde spatiale Ranger VII de la NASA (premières images américaines de la face cachée de la lune »)
ou
« en 1969, l’ équipement de la mission Apollo XI (premiers pas de l’homme sur la lune). »
J’ai eu la grande chance de visiter cette perle de l’industrie stéphanoise, à l’occasion d’un voyage d’études, et de pouvoir ainsi admirer… « ses puissantes installations » !
Parmi les deux sœurs M., Claire était plus extravertie et Geneviève plus timide. Ainsi, moi, petit immigré tombé depuis peu de temps de ma Roumanie natale, j’ai pu discuter davantage avec cette dernière. Qui, autant que je me souvienne, suivait des études de langue espagnole.
Un jour, Geneviève est arrivée avec un disque sous le bras. Elle m’a expliqué qu’il s’agissait de chansons dont les paroles étaient écrites par un grand poète espagnol et que la musique et l’interprétation étaient dues à un grand chanteur catalan.
Pour moi, tout ce monde « ibérique » était totalement inconnu !
Geneviève m’a proposé de me prêter le disque pour une semaine. Si je me souviens bien, je l’ai gardé…un mois !
Le disque portait la mention : « Dedicado a ANTONIO MACHADO Poeta » et arborait une flamboyante couverture rouge.
C’est ainsi que j’ai découvert, non seulement la musique de Juan Manuel Serrat et les vers d’Antonio Machado, mais j’ai fait mes premiers pas dans la connaissance de la langue de Cervantès, dont je ne comprenais un traître mot !
J’ai écouté une fois, deux fois… cent fois les chansons du disque.
Et, petit-à-petit, j’ai commencé à comprendre des mots, puis des phrases, puis le sens général de la chanson.
Très vite, je me suis aperçu que je connaissais certaines chansons par cœur !
La première, ce fût la dernière chanson du disque : « La Saeta ».
Et les paroles de la chanson m’ont poursuivi pendant des semaines :
«Dijo una voz popular:
¿Quién me presta una escalera
Para subir al madero
Para quitarle los clavos
A Jesús el Nazareno? »***
Par la suite, j’ai compris et j’ai appris par cœur les autres chansons du disque, quelquefois faisant appel à un dictionnaire, prêté d’abord par Geneviève ou emprunté, par la suite, à la Bibliothèque Municipale de Saint-Étienne…
Je peux donc affirmer, sans exagérer, que j’ai appris l’espagnol… avec Antonio Machado !
C’est pour ça, peut-être, que, cinq ans plus tard, quand j’ai prétendu que je parlais espagnol, pour obtenir un job de « Chef des ventes Export – Amérique Latine », afin d’éviter quelques problèmes de compréhension avec mes clients, j’ai acheté la « Méthode ASSIMIL » et j’ai potassé deux leçons, tous les jours, dans le bus qui m’amenait, matin et soir, de ma maison à mon bureau, à la Défense !
Trois mois plus tard, quand j’ai dû faire « le grand saut » pour ma première tournée sud-américaine de 15 jours, en Colombie et au Venezuela, je fredonnais dans l’avion, un peu stressé :
« Caminante, no hay camino
Se hace camino al andar… »
A suivre…
Adrian Irvin ROZEI
Boulogne, juin 2020
–
* « Marcheur, il n’y a pas de chemin.
On fait le chemin en marchant,
Marcheur, il n’y a pas de chemin,
mais des sillages dans la mer. »
(Cantares – Antonio Machado)
**Mon père, qui a fait ses études dans la même école, entre 1927 et 1930, m’a raconté que PIERRE CHEVENARD, professeur à l’Ecole nationale supérieure des mines de Saint-Etienne, Chef du Service des recherches métallurgiques de la Société de Commentry-Fourchambault et Decazeville, inventeur du « Dilatomètre » qui porte son nom, leur conseillait, chaque fois qu’ils rencontraient un chef d’entreprise, de glisser dans la discussion la formule « vos puissantes installations » !
Je suis ses conseils !
*** Une voix dans le peuple dit:
“Qui va me prêter une échelle
Pour grimper au bois
Et enlever ses clous
A Jésus de Nazareth ?”
imi place enorm si eu o stiu pe dinafara